dimanche 13 mars 2011

Oui ou Non !

1er Dimanche de Carême A/11

Jeudi dernier, à propos d’un passage du Deutéronome, on pouvait constater que Dieu seul est libre parce qu’il ne doit à personne son existence. Une liberté créée - notre liberté - est donc d’abord un paradoxe puisqu’elle suppose une origine non libre : Je n’ai pas demandé à venir à l’existence ! De plus - on le constate tous les jours -, ma liberté est limitée, conditionnée. Elle n’est pas celle du poisson qui peut vivre sous l’eau, ni celle de l’oiseau qui peut se jeter dans les airs…

Or le rêve de l’homme est celui d’une liberté totale. Comme le disait la chanson de ma jeunesse : “C’est aujourd’hui ma fête, je fais ce qui me plait !“. C’est un mythe - le mythe de Prométhée, finalement - ! Et l’homme moderne décrète : Puisqu’il n’y a pas de liberté totale, il n’y a pas de liberté du tout. Tout ou rien ! C’est une réaction adolescente, voire infantile. Ce n’est jamais tout ou rien dans l’existence. Que les chevaliers de l’absolu sont dangereux quand ils mettent cet absolu en ce monde !

Une liberté créée est une liberté qui se construit - comme celle d’un adolescent face à ses parents -, une liberté qui se construit dans le dessein d’un autre : Dieu !

Une liberté créée est avant tout une vocation à devenir libre… à travers une histoire, à travers d’innombrables options et décisions. Jour après jour, nous réalisons notre liberté par divers choix. Il s’agit donc de tenir ouverte le plus possible notre marge de liberté en lui faisant prendre conscience de ses conditionnements, en nous les faisant assumer. St Thomas d’Aquin avait bien raison de définir notre liberté comme un pouvoir, un pouvoir de se déterminer soi-même vers le bien qui nous est naturel, le bien que Dieu a inscrit en notre nature.

Une liberté créée s’inscrit par hypothèse dans le dessein d’un autre, de Dieu ! L’homme est doté d’une vocation qui s’impose en quelque sorte à sa liberté, mais d’une vocation à laquelle cependant il répondra librement “oui“ ou “non“. “Je te propose, disait Dieu, la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction… Choisis donc la vie !“. A toi de voir ! Aussi, écrivait St Irénée, “il te faut d’abord garder ton rang d’homme ; et ensuite seulement recevoir en partage la gloire de Dieu. Car ce n’est pas toi qui fais Dieu, mais Dieu qui te fait“.

Ainsi, l'homme, doué d'intelligence et de liberté même créées, est capable de dire "oui" ou de dire "non" :
Certes, je ne peux pas danser sur les rayons du soleil ni gambader sur les ailes du vent ! Mais je peux dire : “Oui, je te donne mon pardon à toi qui m'as fait pleurer !“.
Je ne peux pas voler par-dessus les montagnes ni dormir dans l'édredon des nuages ! Mais je peux dire : “Non, le mensonge ne franchira pas mes lèvres !“.
Je ne peux pas m'asseoir au milieu des étoiles ni rouler sur la Voie lactée ! Mais je peux dire “Oui“ ! Je peux dire “Non“ !

C'est là toute la grandeur de l'homme que nous rappelle le temps du Carême qui nous achemine à Pâques et tout particulièrement les textes de ce premier dimanche de Carême : Le premier homme, la première femme pouvaient dire "oui" à Dieu ; ils ont dit "non", nous rappelle la première lecture. Et beaucoup les ont suivis ; et nous-mêmes, ne sommes-nous pas marqués de ce premier "non" qui résonne en nous-mêmes, souvent. Ce "non" du premier homme, Adam, a été aboli par le second homme, le Christ, qui a toujours dit "oui" à Dieu, son Père : c'est ce que nous rappellent la seconde lecture et l'évangile. Et nous sommes invités, nous ses disciples, à reprendre son engagement !

Nous pouvons dire "oui" ; nous pouvons dire" non". Et en ce début du Carême qui est comme une figure de notre vie terrestre, il est bon de nous en souvenir.

Le "oui" peut être celui qu'un homme et une femme échangent au cours d'une cérémonie de mariage. Il est aussi celui que des moines et moniales, prêtres, religieux et religieuses ont prononcé pour le Christ et pour leurs frères. Il exprime le choix de jeunes qui seront enseignants, médecins, infirmiers… Et que sais-je encore ! Il y a ainsi une multitude de "oui" aux contenus variés qui orientent pour dix ans, vingt ans ou pour la vie entière.

Les jours, les uns après les autres, obligent ensuite à égrener ce qui a été condensé en une syllabe, en ce "oui". Et pour éviter de s'égarer sur les chemins de traverse ou de s'enliser dans les détails, il faudra, de temps à autre, vérifier si le sens dans lequel on se dirige est bien celui que l'on a choisi, si notre vie correspond bien à ce "oui" qui engageait. Or, je dirais que l'évangile d'aujourd'hui est comme un coup de diapason qui nous rappelle la note que nous avons frappée pour assurer toute l'harmonie de notre vie, harmonie qui se fonde sur le Christ.

Lui-même nous donne l'exemple dans l'évangile d'aujourd'hui. Dans la solitude et la prière, il va prendre la décision capitale. Son Père lui suggère de difficiles sentiers pour faire du monde entier son Peuple. Il dit un "oui" définitif.

Et ce "oui" sera toute sa vie.
A cause de ce "oui", il annoncera sur les places publiques et dans les synagogues que Dieu invite tous les hommes à un Royaume nouveau.
A cause de ce "oui", il ne cessera de dire son Message : “Heureux les pauvres, les artisans de paix, les hommes purs…“.
A cause de ce "oui", face à ceux qui détenaient le pouvoir politique ou religieux, il fera preuve d'une grande liberté. Aux scribes et aux pharisiens, il dira que l'amour vit au cœur de l'homme et ne se réduit pas à l'observance d'une loi, même de la loi du shabbat.
A cause de ce "oui", il ira vers les malades, les exclus, les pécheurs, les étrangers ; il révélera un Dieu qui réconcilie et aime tous les hommes.
A cause de ce "oui" les puissants du jour le jugeront très vite dangereux. Mais Jésus ne renoncera pas à sa mission. Il continuera de dire "oui" à son Père, jusqu'à Gethsémani et sur le Golgotha, jusqu'à l'aube pascale…

Et Jésus retournait de temps en temps au désert pour se remettre devant l'essentiel, comme s'il devait refaire son choix ou confirmer sa décision. “Il se retirait pour prier“, dit souvent l'Evangile. Et sa vie publique montrait que sa prière changeait la vie. Parce qu'il priait pour une "Terre nouvelle et des Cieux nouveaux", il se mêlait à la foule des handicapés, des paralytiques et des malades. Il chassait leur mal ; il allait vers les pauvres et les exclus. Il les entraînait à sa suite pour faire une société juste et fraternelle. Sa prière, la prière de son "oui" se traduisait sans cesse en actes : c'est ainsi qu'elle devenait "'Bonne Nouvelle".

Les "oui" du mariage et de la vie religieuse, et bien d'autres "oui" annoncent que le Royaume de Dieu est déjà là, sans l'être encore pleinement, et tout en reconnaissant que notre "oui" au monde de Dieu est mis à l'épreuve du temps, à travers bien des combats, à travers toutes les luttes de la vie.

Ainsi, entrer en Carême, n'est-ce pas en quelque sorte aller au désert pour dire notre "oui" à Dieu ? N'est pas y retourner pour, dans la prière, confirmer ce "oui" et pouvoir ensuite le traduire en actes ?

C'est vrai : je ne peux pas me cacher sous l’eau ; je ne peux pas voler dans les airs. Mais je peux dire "oui" ; je peux dire "non" ! Et ce temps du Carême nous fait nous poser une question : Avons-nous véritablement dit "oui" à Dieu ? Notre vie s'éclaire-t-elle déjà à la lumière de Pâques, oui ou non ?

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