dimanche 25 novembre 2018

Roi de Vérité !


 Christ-Roi 2018/B

Si nous pouvions, ne serait-ce qu'un instant, à la manière des saints, vraiment ressentir la scène que l'évangile d'aujourd'hui nous rapporte, nous ne saurions plus que penser tant elle est émouvante, déconcertante.
           
Jésus, le seul vraiment saint, juste, innocent, qui n'a dit que la vérité, qui n'a fait que le bien, le voilà tra­duit devant le gouverneur romain comme un coupable mépri­sable. Bientôt, il sera condamné au supplice de la flagellation, avant d'être conduit à la crucifixion. Et c'est à ce moment-là que Jésus, avec une force souveraine, affirme qu'il est roi !
De même, c'est devant la cour haineuse du Grand-Prêtre, au moment où tout va basculer pour le perdre, qu'il ose s'attribuer la fameuse prophétie de Daniel qui fait de lui le Messie attendu, dont la place est à la droite du Tout-Puissant.
           
C'est au moment où tout semble perdu, où il est comme écrasé, que le Christ affirme ce qu'il n'avait jamais encore dit clairement : il est le Messie, il est vrai­ment le Roi de justice et de paix, dont David et Salomon étaient les ancêtres et qui doit, enfin, faire régner éter­nellement la vérité sur la terre.
L'énormité de la prétention, à laquelle personne ne comprend rien, est en­core soulignée par les circonstances accablantes que traverse Jésus.
           
Jean médite et il se souviendra aussi de l'épisode du couronnement d'épines où les soldats se livrent à une odieuse parodie en s'inclinant devant celui qu'ils appellent le "Roi des Juifs", alors qu'il est complètement écrasé par la souf­france et l'humiliation. Voilà notre Roi ! Voilà la logique terrible du péché et la réponse indicible de l'amour : "Je suis né et venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Tout homme qui appartient à la vérité écoute ma voix".

Jésus proclame la vérité et nous voyons à quel point la vérité est exigeante : c'est précisément parce qu'il dit la vérité qu'il va mourir, car, bien souvent, les hommes ne la supportent pas.
Proclamer la vérité ! On peut penser à tous ces martyrs de tous les temps ; On peut penser à toutes ces missions impossibles comme celle de la petite voyante de Lourdes en face de tous ses contradicteurs, ou celle de Jeanne d'Arc en face de ses juges ;
On peut penser à ces prisonniers politiques modernes, à tous ceux qui luttent avec désintéressement pour arracher leurs frères à l'esclavage, à l'ignorance, à la misère. Tôt ou tard, ils seront avertis, menacés, inquiétés.
La vérité est une force vivante qui dérange toujours, c'est le don de l'Esprit-Saint lui-même : ."Toute vérité, écrivait St Ambroise, quelle que soit la bouche qui la prononce, vient de l'Esprit-Saint !"
           
Toute vérité vient de l'Esprit-Saint, donc de Dieu; tout mensonge conscient doit être rattaché à celui que Jésus appelle "le père du mensonge".  La vérité nous in­troduit dans le monde de la réalité divine qui est éternelle ; le mensonge, dans le monde de l'illusion, de la fo­lie et de la mort.
           
Il n'y a que la vérité qui intéresse Dieu. Il ne connaît, contrairement aux hommes, aucune étiquette, aucune classification toute faite. Et Jésus propose la vérité à tous, riches et pauvres, Juifs ou païens, percep­teurs corrompus ou pécheurs de tous acabits… Pour lui, seul compte le cœur qui s'ouvre à la vérité. "Celui qui appartient à la vérité écoute ma voix !". Admirable parole qui va se vérifier de manière étonnante à travers Za­chée, Marie-Madeleine, le bon larron ! etc...
           
Il faut qu'elle se vérifie en chacun de nous!
           
Oui, il nous faut marcher dans la Vérité, "marcher dabs la lumière", comme dit encore St Jean dans sa première lettre si admirable : "Marchons dans la lumière, comme Dieu lui-même est dans la lumière" (I Jn 1.7). Dieu est Vérité, Dieu est Lumière. Et nous marchons dans la Vé­rité, dans la Lumière quand nous posons des actes qui sont conformes à Dieu qui est Vérité, Lumière. Alors, nous imitons Dieu. Et, en marchant dans la Lumière, dans la Vérité, nous tendons à l'unité de notre vie, nous sommes en train de nous faire à l'image de Dieu, en imitant Dieu qui est UN.

Et cette conduite, cette marche dans la Vérité a des conséquences visibles, insoupçonnées. Remarquez ce que St Jean écrit. Il ne dit pas : Si nous marchons dans la Lumière comme Dieu lui-même est dans la Lumière, nous sommes en communion avec Lui". Il n'écrit pas cela. Mais il dit : "Si nous marchons dans la Lumière comme Lui-même est dans la lumière, nous sommes en communion les uns avec les autres".

Ce qui fait l'unité d'une Communauté chrétienne, paroissiale, ce qui fait l'unité de l'Eglise, ce n'est pas un je ne sais quel élan fraternel plus ou moins authentique, exprimé de façon plus ou moins sentimentale ; c'est cet effort de tous pour faire la Vérité en accomplissant la volonté de Dieu-Vérité. Ce qui fait notre fraternité, c'est cette obéissance prompte qui nous modèle à Dieu, Lumière, Vérité. Voilà la véritable Communion entre chrétiens (la "Communion des Saints"). Et c'est en cela que les Communautés chrétiennes ont quelque chose d'original. En étant conformes à la grâce reçue au baptême, nous rejoignons les autres qui en font autant.

Nos Communautés chrétiennes ne sont pas des sociétés juridiques pus ou moins bien organisées et unies par je ne sais quelle sensibilité ; elles sont une polarisation des cœurs, une conni­vence des volontés, une convergence progressive des manières de juger et d'apprécier. Et à la source de cette communion fraternelle, il y a "le sang de Jésus qui nous purifie de tout péché" :"Nous sommes en communion les uns avec les autres, et le sang de Jésus nous purifie de tout péché" , ajoute l'Apôtre. Voilà bien pourquoi la Ré­demption du Christ est l'acte fondateur de sa Royauté.
           
Ainsi, suivre Jésus, aimer le Christ, ce n'est pas autre chose que de chercher la Vérité en toute chose. C'est simple, mais également très difficile. C'est très simple parce que la vérité est très simple, et c'est difficile parce que nous ne sommes pas simples. Il faut, pour cela, devenir comme des enfants, c'est à dire rece­voir ce que nous ne trouverons pas par nous-mêmes. Seuls ceux qui se laissent enseigner par l'Esprit du Christ peuvent manier le "glaive de la vérité" avec douceur et humilité.
           
Une des plus belles paroles de la littérature spirituelle est ce mot de Thérèse de l'Enfant-Jésus, le jour même de sa mort : "J'ai cherché la vérité ; et je crois savoir ce que c'est que l'humilité !". Elle ne dit pas qu'elle a cherché la gloire de Dieu, la sainteté, le salut des âmes ou autre chose. Elle dit qu'elle a cherché la vérité, parce que la vérité contient tout.
           
Et comme Thérèse d'Avila, elle voit clairement que la vérité va avec l'humilité et que rien n'est plus contraire à la vérité que la plus petite trace d'orgueil. L'orgueil va de pair avec le mensonge, avec le monde de l'Ennemi, le monde de la destruction et du néant.

Soyons sûrs que Dieu fait tout concourir, comme dit St Paul, au bien de ceux qu'il aime. Toutes les paroles bibliques, tous les événements de notre vie, tout spécialement les épreuves, que tout permette au Sang du Christ de nous faire découvrir et aimer la vérité de plus en plus. Notre vie et celle du monde en dépendent.      

dimanche 18 novembre 2018

Apocalypse ? !


33e T.O.  18/B

Aucun texte, qu'il provienne d'une source biblique ou de toute autre origine, n'est à prendre mécaniquement, trop littéralement. Il doit être interprété à partir du milieu d'où il est sorti et de la mentalité qui en a guidé la composition. - C'est particulièrement vrai des textes qui nous sont proposés aujourd'hui. Ils appartiennent à ce genre de littérature très spécial que l'on appelle "apocalypses".
             
Un texte apocalyptique est toujours riche en images, très coloré et parfois marqué d'une certaine incohérence, d'autant que nous sommes toujours portés à penser trop vite que nos goûts, notre logique sont les seuls critères valables.
Selon Daniel, les "morts dorment dans la poussière", et les justes "brillent comme des étoiles".*
Et selon St Marc, "le soleil s'obscurcit, la lune perd son éclat, les étoiles tombent du ciel". Ces comparaisons appartiennent à une imagerie fantastique dont les époques difficiles se montrent toujours très friandes.
             
En effet, époques difficiles que rappelle le livre de Daniel. C'est le temps de la déportation à Babylone ou, un peu plus tard, du drame que provoque un grand persécuteur d'Israël : Antiochus Epiphane.
Epoques difficiles que celles au cours desquelles Marc, sous l'influence de Pierre, transmet le message de Notre Seigneur : agitations, drames, épreuves, bruits de guerre, persécutions troublent alors les chrétiens qui verront peu après la prise et l'anéantissement de Jérusalem en 70.
             
Et l'angoisse est d'autant plus profonde que l'appréhension d'un écroulement mondial remet la foi en question. Angoisse qui est toujours présente de nos jours où les "mass-médias" nous rapportent si vite
ce qui parfois nous fait frémir,
ce qui nous fait si terriblement craindre pour nos enfants au point que certains préfèrent, dit-on, renoncer à la joie d'un nouveau-né pour mieux le soustraire aux malheurs futurs et, affirme-t-on, inévitables.

Et les croyants de toujours se posent alors la question : suffit-il donc de quelque tyran barbare ou des aléas innombrables de l'histoire pour que soit mise en échec l'œuvre de Dieu ? Les promesses divines, l'annonce du Règne par Jésus, le salut du monde, tout cela, n'est-ce qu'un beau rêve, destiné comme on le dit,  à "mourir sur les rives inhospitalières de l'histoire" ?
             
Questions graves, questions permanentes ! Qui de nous ne les a pas senties sourdre en son cœur désemparé par un événement qui le touche, le blesse ? Les réflexions que nous rapporte le livre de Daniel ne sont-elles pas venues à nos lèvres : les amis de Dieu sont persécutés, parfois mis à mort. La justice qu'ils se sont appliquée à suivre ne leur sert à rien ; les malhonnêtes triomphent : "l'honnêteté ne paye jamais". Alors, à quoi bon ?
             
Et l'auteur nous répond : Non, la fidélité de Dieu est sans repentance ; elle ne peut être enfermée dans le bref laps de temps que les justes passent sur terre. La puissance divine est telle qu'elle ne peut être mise en échec par la mort.
Et la réflexion que nous propose l'Evangile va dans le même sens. Elle veut répondre à cette interrogation : Jésus, "était-il vraiment celui qui devait venir, ou fallait-il en attendre un autre ?" La tentation du doute est encore plus grande aujourd'hui : l'action du Christ est si peu perceptible ! Ne vaut-il pas mieux chercher ailleurs le remède à nos maux ?
             
Non, répond l'Evangéliste, à son tour ! Le Christ, le Fils de Dieu, destiné à triompher de l'histoire et des tragiques vicissitudes qu'elle impose aux hommes, viendra, reviendra rassembler ses fidèles. Si son action n'est pas encore très visible, on la saisira mieux demain. Et si demain encore, la vie s'avère indigne de l'Evangile, on n'aura que plus d'ardeur pour attendre la fin… la "fin des fins", ce moment où toutes choses seront transformées, récapitulées pleinement, totalement dans le Christ, comme aimait à le répéter St Paul.
Car tout doit être reformé dans le mystère du Christ, ce mystère de mort et de résurrection : il est passé par les humiliations de la mort pour attendre la gloire de la résurrection : destin mystérieux dont les véritables disciples prendront leur part, en "portant leur croix" après lui, pour parvenir, avec lui, à son triomphe !
             
Mais, attention, nous dit l'Evangile : il ne s'agit pas de rester fascinés par le futur qui pourrait donner occasion à une fuite enfantine vers l'avenir, à un certain refus de la réalité impossible à supporter, à une évasion dans l'imaginaire.
Le regard du croyant animé par l'authentique foi évangélique, loin de s'enfermer dans le futur, perçoit en même temps et le présent et le futur ; la seconde partie de l'évangile d'aujourd'hui, et plus encore les versets qui suivent l'exigent. Le futur est attendu dans le présent. C'est dans le présent qu'apparaissent les signes discrets d'un futur dont la date relève du seul mystère de Dieu. Ces signes réclament attention croyante, mais aussi vigilance efficace, application au travail quotidien. Il n'est de futur qu'au bout du présent. Il n'est d'avenir substantiel qu'au terme d'une actualité soigneusement organisée.
             
S'il est à craindre d'oublier le futur quand les tâches présentes sont si absorbantes, il est aussi dangereux pour notre foi que les promesses du Christ nous conduisent à oublier les tâches actuelles et quotidiennes.

Aussi, avant de proclamer notre "credo", demandons-nous si notre foi ne se porte vaguement que sur des réalités promises, futures, ou si, ne nous laissant pas abattre par les difficultés présentes, elle est bien un engagement actualisé  déjà par la présence du Christ glorieux dans tous les domaines de nos activités : familiales, sociales, professionnelles… 
Si le Christ n'est pas présent dans notre cheminement actuel avec tous nos frères, n'espérons pas le trouver au terme de notre pèlerinage terrestre.

samedi 10 novembre 2018

Richesse de la pauvreté


32e T.O. 18/B

Il faut tenter de peser à sa juste valeur le geste de la veuve de Sarepta  dont parle la première lecture : Cette veuve est certainement présente à la pensée du Christ qui voit une autre veuve donner de son nécessaire au Temple.
             
La veuve de Sarepta ! Tout d'abord, une notation : en ces temps-là, une veuve et son fils, privés de la présence du chef de famille, étaient, de ce fait, les opprimés de la société. Ils n'avaient aucun droit. Ils ne pouvaient vivre que d'aumônes, lesquelles étaient très rares en période d'austérité ! Ils étaient les pauvres parmi les pauvres !
             
De plus, à cette époque, les rois d'Israël, malgré leur foi au Dieu de Moïse, se faisaient les défenseurs des "dieux locaux" : la prospérité ne dépendait pas du Dieu d'Abraham, ni, bien sûr, du travail des hommes. Elle dépendait des croyances locales. Ne sourions pas : aujourd'hui, les tireuses de cartes et les faiseurs d'horoscopes abondent chez nous, sans parler des grands joueurs impénitents de loteries diverses ! Les superstitions ne sont pas que d'hier.
             
Dans ce contexte social et religieux, vient Elie, l'homme de Dieu, le premier des prophètes, le "grand prophète" ! Il va rappeler, par l'annonce d'une sécheresse qui survient effectivement, que Dieu seul - et, avec lui, les pauvres - peuvent changer la vie ; et non pas les idées reçues ou les modes du moment.
Aussi, Elie annonce, dans le texte que nous avons entendu, la première des "Béatitudes" énoncées par Jésus : "Bienheureux les pauvres !". Car, c'est cette veuve sans droit, sans bien, sans existence légale qui va subvenir aux besoins de l'homme de Dieu, du seul et véritable Dieu. Déjà, elle perd du temps et de l'eau pour un étranger qui lui demande à boire, en période d'effrayante sécheresse ! Ce n'est pas rien ! En serions-nous capables ?   

Et c'est cette même logique que le Christ déploie dans sa remarque sur l'obole de la veuve de l'évangile, avec sa condamnation des "religieux de métier", que nous sommes tous, plus ou moins. "Les autres ont donné de leur superflu, mais elle, dans son indigence, elle a tout donné, tout ce qu'elle avait pour vivre". - "Bienheureux les pauvres", comme Dieu l'entend ! Eux seuls savent partager.
             
Seulement voilà : sommes-nous pauvres de la même pauvreté ? Sommes-nous pauvres comme l'entend le Christ et Dieu lui-même ?
Il ne faut jamais répondre aux questions décisives, comme celle-ci, avec trop de précipitation. Surtout quand Jésus nous donne une piste de réflexion à travers la condamnation des scribes et son admiration pour l'obole de la veuve.
             
Que donnons-nous ? De notre superflu ? De notre nécessaire ? Avec qui partageons-nous et sur quels critères ? Sur un coup de cœur, un coup de mauvaise conscience ? Ou bien, comme le Samaritain de l'Evangile, donnons-nous de notre temps, de notre argent parce que, en réalité, quelque chose a bougé en nous. Au plus profond de nous : ce que l'Evangile appelle : le mouvement de "compassion", c'est-à-dire au sens étymologique : les actions que l'on engage parce que l'on "souffre-avec", avec la personne rencontrée et souffrante. Oui, que donnons-nous : des choses ? des gestes ? ou bien le "cœur" y est-il engagé ?
             
C'est là le test, la pierre de touche de la pauvreté évangélique. Si vous préférez, prenons la bonne vieille sagesse ordinaire : elle dit, pour une fois, la même chose. "La manière de donner vaut mieux que ce que l'on donne !". On pourrait dire de la même manière : "La manière de refuser vaut mieux que si l'on donnait n'importe comment". Car refuser peut, aussi, être un signe d'amour plus vrai que de céder à une fausse pitié qui n'est qu'une manière de se débarrasser d'un quidam importun !
             
De plus, la seconde lecture nous engage dans une même réflexion : en commentant, pour des prêtres juifs convertis au Christ, en commentant la liturgie nouvelle, l'auteur de la lettre aux Hébreux nous donne une autre clé
pour nous comprendre nous-mêmes,
pour comprendre quelque chose de Dieu lui-même,
pour comprendre la véritable pauvreté qui nous rapproche de lui !
             
Ce qui introduit réellement à l'intimité avec le Père (le sanctuaire véritable dont parle le texte), c'est le sacrifice du Christ, l'unique sacrifice, l'unique, puisque, d'une seule fois, le Christ Jésus donne TOUT : sa VIE, son Corps, son Sang. TOUT.
             
St Pierre nous dit cela autrement. Souvenez-vous du boiteux qui se tenait à la "Belle-Porte" du Temple quand passent Pierre et Jean. Il mendie. Il espère "quelque chose". Pierre lui déclare : "Je n'ai rien. mais ce que j'ai, je te le donne : au nom de Jésus, lève-toi et marche".
             
"Je n'ai rien !". Voilà, sans doute, la réflexion qui relie tous ces textes liturgiques d'aujourd'hui : "Je n'ai rien !". Mot de pauvreté. Le même mot que celui de la veuve de Sarepta, celui de la veuve du Temple. Le même mot que celui du Christ : "Alors, j'ai dit : "Père, me voici, pour faire Ta volonté".
             
Donner tout, ce n'est pas, sauf exception rarissime, s'appauvrir jusqu'à l'absurde. Comment le faire quand on est père ou mère de famille ? C'est "se donner". Soi-même. Pour faire la volonté de Dieu, là où l'on est. C'est beaucoup plus difficile, plus exigeant qu'une donation un brin romantique.
             
Mais c'est la logique même de Dieu.
             
"Qui me voit, Philippe, voit le Père", disait Jésus à son disciple. Il ne faut jamais oublier cette affirmation du Seigneur. Elle nous permet de comprendre qui est Dieu.
             
La veuve de Sarepta, celle du Temple ne le savaient pas : Dieu est pauvre. Il n'a rien à donner. Que lui-même.
             
Les chrétiens d'origine hébraïque n'arrivaient pas à s'en souvenir : le Christ, visage de Dieu, n'avait rien d'autre à donner que lui-même. Comme son Père. Et c'est justement cela qui nous sauve. De quoi : Du pharisaïsme qu'engendre une fausse générosité qui ne s'adresse qu'aux choses, sans engager tout notre être.
             
"Faire sacrifice", ce n'est pas partager vaguement ; ni même partager beaucoup. C'est entrer dans une logique d'être. La logique de Dieu qui donne comme il respire. Qui se donne.
             
"Faire Sacrifice", se donner comme le Christ, comme Dieu : c'est le moyen et la voie de faire de notre vie une "chose sacrée" (sacrum facere) : une chose qui ressemble, enfin, à ce qu'est Dieu.
             
Là est la liberté et la vie, même si notre "sacrifice", comme le sacrifice du Christ lui-même, ne sont pas compris, admis ! Mais c'est bien la "logique" de Dieu lui-même qui nous invite déjà à le rencontrer, à communier avec Lui, avant même le Jour éternel !

Tout le reste est plus ou moins étranger aux mœurs de Dieu.

Armistice - Paix !


11 Novembre 2018  

- Prière pénitentielle
En ce jour d'anniversaire  d'une Armistice, il y a un siècle,
je vous invite à prier pour la paix
la paix dans le monde, la paix en notre pays
la paix en nos communes, la paix en nos familles,
la paix en nous-mêmes, en chacun de nous.

Qu'il est difficile de gagner la paix ! Plus difficile peut-être, que de gagner une guerre !

Qu'il est difficile d'être prophète de la paix !
Si je lève le doigt vers un avenir gonflé d'espoirs, certains vont me traiter d'idéaliste ;
et si je baisse mon regard sur le présent écrasé d'échecs, d'autres me taxeront de défaitiste.
- Seigneur, donne-moi le courage d’être, là où je vis, prophète de la paix au risque d’être parfois incompris !

Qu'il est difficile de croire que la paix est entre mes mains ! Et pas seulement entre les mains des stratèges et des super-grands.
Car, chaque jour, par ma façon de me comporter avec les autres, plus que par un défilé ou un manifeste, je prends parti pour ou contre la paix.
- Seigneur, donne-moi la lumière pour découvrir les vraies racines de la paix, celle que toi seul peut donner.

Qu'il est donc difficile d'accueillir l'Évangile de la Paix !
A l'Ouest comme à l'Est, dans une jungle de fauves aux dents de fusées et de bombes, comment faire comprendre que perdre son âme est encore plus dangereux que de laisser toutes les richesses du monde ?
- Seigneur, donne-moi la force d’être de ceux qui puisent la sève des Béatitudes de l’Evangile pour mieux briser la spirale infernale de la violence qui tente de tout accaparer! 

Toucher à la paix, en n'importe circonstance de notre vie, c'est plus que toucher à un problème, c'est même plus que toucher à l'homme, c'est toucher à Dieu, à Celui que St Paul nous présente, le Christ : “C’est lui, dit-il, qui est notre paix : de ce qui était divisé, il a fait une unité. Dans sa chair, il a détruit le mur de séparation : la haine”  (Eph 2, 14)
- Seigneur, apprends-moi à gagner là Paix



- Homélie 
Nous sommes réunis dans un devoir de reconnaissance pour tous ceux qui ont sacrifié leur vie pour nous, en des moments difficiles de notre histoire, il y a un peu plus d'un siècle. C’est un devoir à la fois humain et spirituel.
Nous venons de célébrer la fête de tous les Saints. Or, nous espérons bien que tous ceux qui ont donné leur vie - "Il n’y a pas de plus grande preuve d’amour que de donner sa vie…", disait Jésus (Jn 15.13) - sont avec Dieu. S’ils sont avec Dieu, ils sont en “communion” avec nous !

Aussi, en grande union avec eux, nous devons également prolonger le don qu’ils ont accompli en donnant leur vie…

Pour cela, il nous faut prier et agir. Agir et prier tout à la fois, en même temps ! Car la (notre) patrie n’est pas une abstraction, mais une réalité bien charnelle. C’est elle qui permet à chacun d’assurer les nécessaires relais entre les divers groupes d’une même Communauté humaine, dans l’espace plus ou moins défini d’un peuple, d’une nation. 

La fidélité à l’appartenance nationale est importante. - Elle semble être défiée (dit-on) par les légitimes appels aux solidarités de plus en plus pressantes au niveau soit européen, soit mondial. Mais St Jean écrivait : “Celui qui prétend aimer Dieu qu’il ne voit pas et n’aime point son frère qu'il voit se trompe” (I Jn 4/20). On peut également dire qu’il trompe et se trompe celui qui prétend aimer les peuples lointains avec lesquels il ne vit pas et qui n'aime pas ses compatriotes si divers soient-ils et auxquels il  se frotte chaque jour. On ne peut servir son pays par saccades, aux grandes occasions de son histoire ; il faut aimer dans le creux de la grisaille de la vie quotidienne. C’est de notre responsabilité ! A la suite de ceux qui ont donné leur vie pour nous !
             
Naguère, au sortir de la dernière guerre, un européen des premières heures (Stanislas Fumet) écrivait : Sachons d’abord regarder notre pays. “La personne France, c’est quelqu’un de bien vivant qui bâtit Chartres et dessine Versailles, qui parle de soi comme Pascal et qui prie comme Bossuet, qui rit comme Molière et ricane comme Voltaire. Cette terre est paysanne, bourgeoise, artisane, cuisinière, laïque et ecclésiastique…
Vous direz qu’elle est compliquée. Non, elle est complète. C’est une personne qui a eu le temps d’accumuler beaucoup de choses ; elle a eu des siècles pour les trier, pour classer les récoltes de sa culture, en faire des plats nombreux et distincts”.
Oui il nous faut agir avec un regard respectueux des diverses richesses de notre pays.
             
Agir et prier  pour la France, c’est voir tout cela d’en haut, avec le regard de Dieu qui brasse, embrasse tout d’un seul geste d’amour miséricordieux. Prier pour la France, c’est nous demander où nous en sommes de la tendresse "familiale" que doivent exprimer les Français entre eux pour ne point se jeter à la figure quelques mottes de soupçon ou d’intolérance.
             
Peut-être que l’unité d’une nation se révèlent plus facilement à ceux qui lèvent les yeux vers Dieu, Père de tous les hommes sans distinction. C’est ainsi que, naguère, le pape Jean-Paul II soulignait que la foi elle-même peut être une force pour nourrir et fortifier le tissu toujours fragile d’une nation. Et cela est d’autant plus nécessaire que tout semble exprimer, aujourd’hui, la précarité, l’incertitude, voire l’angoisse d’hommes et de femmes, de jeunes, qui se replient dans l’éphémère et manquent d’appétit pour le futur, de goût pour la vie.
                 
Sur la pente souvent savonnée par la peur, l’essoufflement des hommes et des idées peut faire craindre les pires abandons.

Que cette messe nous rappelle que tout au long de son histoire et souvent sous le souffle de l’Esprit Saint, notre pays a suscité des hommes qui poussent à sortir d’une logique paresseuse ou fatale, a suscité des prophètes d’espérance, des résistants aux forces de mort qui ne cessent de gronder.
Et où, mieux qu’au cœur d’une Eucharistie, le chrétien peut-il rencontrer le vainqueur de la mort, de toute mort, celui qui, pour toujours, a mis l’histoire sous le signe absolu de la Résurrection ?

dimanche 4 novembre 2018

Le seul commandement : Ecouter !


31e T.O. 18/B

L'Evangile d'aujourd'hui aborde le sujet fondamental, celui du premier, du plus grand commandement : Aimer Dieu de tout son cœur.

Mais une question se pose à nos esprits cartésiens et souvent critiques : n'y-a-t-il pas contradiction, opposition entre ces deux mots : commander et aimer ? Comment est-il pensable qu'on puisse commander d'aimer ? S'il y a quelque chose qui ne se commande pas, n'est-ce pas justement l'amour ?
             
Et par ailleurs, l'obéissance à un commandement, à une règle, demande souvent à notre volonté de surmonter la passion, les velléités d'un moment, d'un sentiment plus ou moins inconstant et fugitif.
Il semble bien qu'il y ait là, justement, contradiction entre l'amour qui ne peut être que spontané ou ne pas être et la volonté qui n'a que faire de la spontanéité d'un ressenti, d'un sentiment à multiples facettes !
             
Et cependant Dieu nous commande de l'aimer !
Mais il s'agit d'abord de remarquer dans quel contexte Notre Seigneur, d'après  St Marc, formule sa réflexion. En un premier temps, il récite la "profession de foi" d'Israël que nous avons également entendue dans la première lecture :
"Ecoute, Israël,
le Seigneur ton Dieu est un Dieu unique !
tu aimeras-tu le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton pouvoir".
             
Tout est accroché, si je puis dire, au premier mot de la formule qui a d'ailleurs donné son nom à cette "profession de foi" juive : "Shema, Israël" - "Ecoute, Israël". Cette écoute est la clef, pourrait-on dire, de ce premier commandement de l'Amour.
L'impératif de ce premier commandement tombe avant tout sur ce mot "Ecoute"; et le reste s'ensuit comme naturellement :
"Ecoute, Israël,
Et si tu écoutes bien, tu remarqueras facilement que le Seigneur ton Dieu est un Dieu unique !
Alors, devant cette constatation, tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton pouvoir

Autrement dit, si tu acceptes vraiment d'écouter, si tu réalises cette unicité du Seigneur, ton Dieu, si, écoutant, tu rends vivace en toi cette conviction qu'il n'est d'autre Dieu que lui, que tu lui dois tout,… alors, tu aimeras Dieu de tout ton cœur et de toute ton intelligence. -

Il y a symétrie entre l'unicité de ce Dieu reconnue par l'écoute du cœur, et la totalité de l'Amour dont il est digne d'être l'objet.
Il n'y a plus de commandement, il y a cette écoute, cette attention reconnaissante et aimante envers Dieu qui aime toujours le premier. Lorsque l'homme réalise, parce qu'il a su écouter, l'immensité de cet Amour prévenant de Dieu, son amour ne peut pas ne pas jaillir de son cœur :  "l'amour nous presse" (2 Cà. 5.14), dira St Paul!
                 
Il s'agit donc, avant tout, d'écouter. Tout le tort de l'homme, c'est bien de se laisser distraire - le fameux divertissement dont parle Pascal -, de ne jamais véritablement écouter.  C'est la plainte permanente de Dieu lui-même si bien exprimée par le prophète Isaïe : "Le bœuf connaît son propriétaire ; et l'âne la mangeoire de son maître. Mais Israël ne connaît pas, ne comprend pas !" (Is. 1.5). Parce qu'il n'écoute pas. - "Aujourd'hui, dit le psaume 95e, puissiez-vous écouter sa voix !". Ne pas être comme l'aspic qui, selon certaines représentations, plaque une oreille contre terre et bouche l'autre oreille avec sa queue. C'est l'homme qui n'écoute pas, ne veut pas écouter ! "Shema, Israël" - "Ecoute, Israël". C'est le seul commandement de Dieu ! Écouter !

Aucune génération n'a été plus bruyante que la nôtre. La radio, la télévision, le téléphone… Nous sommes en permanence agressés. Et comme si cela ne suffisait pas, on a inventé le "walkman" ; on a eu l'idée de couvrir le bruit par le bruit… si bien qu'il devient difficile d'écouter les autres, d'écouter Dieu qui aime parler dans  - et aussi par -  le silence. Le silence lui-même devient parole !

Oui, l'amour envers Dieu ne peut être commandé ; il jaillit  comme naturellement d'une âme attentive, d'un "cœur qui écoute". Comme l'aveugle de Jéricho dont nous avons entendu l'histoire dimanche dernier, tout homme a le désir de voir, de voir Dieu. Mais pour voir, il faut d'abord écouter. "Tu désires voir, disait St Bernard, écoute d'abord". Et St Paul avait déjà dit : La foi - cette initiation à la vision de Dieu -, "la foi vient de l'écoute" (Rm 10.17).
             
La seule fois où dans l'Evangile, la voix du Père se fait entendre, c'est pour dire en parlant de son Fils : "Ecoutez-le". (Mth 17. 5 -  Mc 9.7 - Lc 9.35). - Comme le Fils écoute le Père, il nous faut écouter le Fils pour aller vers le Père. "Oh ! si seulement tu l'écoutais, commentait St Augustin, si seulement tu n'étais pas tombé au point de t'écouter toi-même. Ecoute-le plutôt, Lui qui est la Parole éternelle. Mais, souvent, c'est toi qui parles; et, bien sûr, en t'écoutant, tu te montes la tête !"

Oui, Dieu redit sans cesse, au fond du cœur de tout homme, ce verset du psaume : "Ecoute mon peuple, que je te parle" (Ps 50.7). Il suffit d'écouter avec un "cœur noble et généreux", comme dit St Luc (8 16 ) Littéralement : "Avec un cœur beau et bon" - En grec ces deux adjectifs associés désignent l'homme de qualité !). Et St Luc ajoute (8.18) : "Faites donc attention à la manière dont vous écoutez". Oui, Dieu nous parle sans cesse -"Ecoute, Israël !"- A nous de l'écouter !

- Dieu nous dit son amour dans les Ecritures. La Bible est comme une lettre d'amour : "Ouvre l'Ecriture, disait encore St Augustin, peu importe la page. Partout, elle chante l'amour".
- Dieu nous dit son amour dans la vie et les écrits des Saints que nous avons fêtés récemment.
- Dieu nous dit son amour dans la nature : "Il n'y a pas de créature si petite, si insignifiante soit-elle, qui ne trahisse la bonté de Dieu", dit le livre de l'Imitation.
- Dieu nous parle par les événements.… 
             
Mais Dieu nous dit son amour surtout en notre propre cœur. Ecoutons encore le grand Maître St Augustin, car "il y a là, dit-il, un grand mystère à méditer : le son de ma voix frappe vos oreilles. Mais le Maître est au-dedans de vous - Je peux attirer votre attention par le bruit de ma voix; mais si, au de-dedans de vous, n'est pas Celui qui instruit, vain est le bruit de mes paroles
En voulez-vous une preuve ? N'avez-vous pas tous entendu ce que je viens de vous dire ? Or, combien sortiront d'ici sans avoir rien appris ? Autant qu'il dépend de moi, j'ai parlé à tous; mais ceux que l'Esprit-Saint n'instruit pas au-dedans d'eux-mêmes, parce qu'ils n'écoutent pas véritablement, s'en iront sans rien avoir appris !
Les enseignements extérieurs sont une aide, une invitation à faire attention. Mais c'est au ciel qu'est la chaire de celui qui instruit les cœurs attentifs. Qu'il parle donc, lui, au-dedans de vos cœurs, là où nul homme ne peut pénétrer; car même si quelqu'un est à vos côtés, il se peut que personne ne soit dans vos cœurs ! C'est donc le Maître intérieur qui instruit, c'est le Christ qui instruit. Là où il n'est pas, c'est en vain qu'au-dehors retentissent mes paroles !

Ces paroles que je prononce au-dehors sont ce que le jardinier est pour l'arbre : il travaille au-dehors, il arrose, il se donne de la peine. Quoi qu'il fasse au-dehors, est-ce lui qui forme les fruits ? Est-ce lui qui revêt les branches nues de l'ombre de feuilles ? Est-ce lui qui, au-dedans, fait quelque chose de tel ? Mais qui le fait ? Ecoutez l'Apôtre Paul : « J'ai planté, Apollos a arrosé. mais Dieu a donné la croissance ». Ni celui qui plante n'est quelque chose, ni celui qui arrose. Mais c'est Dieu qui donne la croissance.
Cela, je vous le dis à mon tour : que je plante, que j'arrose par mes paroles, ce n'est pas moi qui suis quelque chose, mais Celui qui donne la croissance, Dieu, celui qui vous enseigne sur toutes choses si vous l'écoutez ".

Sachons donc écouter le Maître intérieur; sachons écouter le Christ qui nous a manifesté l'amour de Dieu pour nous. Alors, nous aimerons Dieu et nous écouterons davantage nos frères pour les aimer.

jeudi 1 novembre 2018

TOUS les SAINTS

Toussaint 18

Dans une ancienne tradition biblique du livre de Tobit, le fils de ce grand croyant dit à Sara, sa fiancée : "Sara, lève-toi et prions Dieu avant de nous unir par le mariage", car dit-il "nous sommes les enfants des saints ; et nous ne pouvons pas nous unir comme on le fait dans les nations qui ne connaissent pas Dieu !". (Tob 8.4sv selon trad Crampion)

"Nous sommes les enfants des Saints" ! C'est un peu ce que l'Eglise nous dit aujourd'hui !
Elle nous invite à nous souvenir de "ceux qui nous ont précédés marqués du signe de la foi et qui dorment dans la paix" !
Elle nous invite à nous souvenir que c'est d'eux - parents, ancêtres - que nous avons reçu et la vie et aussi la foi.
Elle nous invite à reconnaître en eux des fragments de la sainteté que l'Esprit Saint suscite dans l'humanité tout au long des siècles.
Nous sommes invités à contempler la trame de sainteté divine  dans tout le tissu de notre humanité !

"Nous sommes les enfants des Saints" !
Car la sainteté que nous fêtons aujourd'hui n'est pas seulement cette sainteté si légitimement reconnue en ceux qui furent les grands serviteurs de l'Eglise, en ceux dont l'action et l'enseignement ont changé la face de l’Eglise et celle du monde lui-même.
Nous célébrons également la sainteté au quotidien, la sainteté tout ordinaire.

En célébrant cette fête de tous les saints, connus ou inconnus, l'Eglise nous invite à nous souvenir - si je puis dire - de la première "cérémonie de béatification" qui ait eu lieu : celle que Jésus lui-même célèbre dans ce sermon sur la montagne où il nous donne la liste des bienheureux :
"Bienheureux les pauvres,
Bienheureux les assoiffés de justice,
Bienheureux les artisans de paix,
Bienheureux ceux qui pardonnent... ".
Bienheureux, saints sont-ils, tous ceux-là !

Il est vrai que dans la pratique, les chrétiens ont eu du mal à entendre ce message de Jésus. Tout au long des siècles, ils ont eu tendance à ranger dans la catégorie des saints et des bienheureux
d'abord les seuls martyrs,
ensuite seulement les évêques et les moines, puis les religieuses.
Ce n'est que relativement tard que l'on s'est avisé que la sainteté fleurissait également dans la vie courante des gens ordinaires autant que dans les couvents et les cathédrales.

Certes, Jésus considère comme bienheureux
tous ceux qui furent des champions de la foi,
mais également ceux qui, dans leur vie tout ordinaire, ont répondu à l'appel de Dieu : "Soyez saints comme moi, le seigneur votre Dieu, je suis Saint !" (Lev 19.2),
ceux qui se sont battus pour la justice et ont eu à en souffrir,
ceux qui ont travaillé à réconcilier des ennemis,
ceux qui ont eu un cœur droit,
ceux qui ont su utiliser leur argent pour le bien commun sans avarice ni accaparement...
Voilà ceux que Jésus proclame bienheureux, saints !

Cette fête montre que les chrétiens n'ont rien de spécial à faire. Leur terrain d'action est le même que celui des autres hommes. C'est le "tous terrains"  de la vie quotidienne, le terrain de la vie familiale, du travail, des affaires, de l'engagement politique, social, associatif... etc...

Certes, Jésus nous enseigne, en insistant fortement, que la pratique de la prière, la méditation de la Parole de Dieu, de l'Evangile, la fréquentation des sacrements sont les moyens extraordinaires pour que nous parvenions à réaliser, dans la vie de tout le monde, la volonté de Dieu, notre Père, qui est notre sanctification et celle du monde.

Cependant - sachons-le - d'autres, qui ne sont pas nécessairement des “piliers de cathédrales”, parviennent à réaliser cette volonté du Père : Bienheureux les pauvres, les cœurs purs et droits, les pacifiques, les doux …  La puissance de la grâce de Dieu dépasse le cadre étroit de nos églises visibles ; elle est catholique, universelle.

Bien plus, nous croyons que l'Esprit Saint est assez puissant pour susciter la perfection même parmi ceux qui ne professent pas la foi chrétienne, n'ayant pas eu, comme nous, l'occasion ou plutôt la grrâce de connaître le Christ ! Ce fut la première expérience de l'apôtre Pierre lui-même appelé à se rendre chez le Centurion Corneille à Césarée, tout au début de la vie de l'Eglise !

Aussi, rendons grâce à Dieu pour la grâce particulière que nous avons eu de recevoir l'Evangile et de bénéficier de l'aide de nos frères, de nos ancêtres chrétiens pour avancer vers la réalisation de cette volonté du Père des cieux que Jésus nous révèle, notre sanctification : "Nous sommes les enfants des Saints" !, disait le jeune Tobie !

Ainsi donc, en ce jour de la fête de tous ces saints anonymes, venus de tous les horizons, qui nous ont tant aidés à connaître le Christ, célébrons avec grande foi l'Eucharistie en laquelle certains ont puisé les forces immenses dont ils avaient besoin pour vivre authentiquement leur vie chrétienne d'hommes et de femmes, de jeunes ou d'enfants. L’Eucharistie est une force de sainteté que trop souvent nous ignorons ou délaissons trop facilement.

En partageant le pain que Dieu nous donne, nous aurons la force de poursuivre notre route et d'aider nos frères, chrétiens ou non, à poursuivre la leur. Notre idéal est de transformer ce monde pour en faire le Royaume de Dieu, un Royaume de paix, de justice et d'amour, un Royaume en lequel circule déjà la vie divine, une vie de sainteté, celle de Dieu.. "Soyez saints comme moi, le seigneur votre Dieu, je suis Saint !" En écoutant la Parole de Dieu, nous trouverons une lumière supplémentaire pour vivre autrement ce que tout le monde vit tous les jours.

Oui, chaque fois que nous célébrons ce mémorial de la mort et de la résurrection du Seigneur, pour que nous sachions accueillir la Vie de Dieu en notre existence, nous proclamons activement notre attente du jour où il viendra inaugurer son Royaume, c'est-à-dire éclairer pleinement notre existence de sa sainteté.
Puissions-nous, ce jour-là, y trouver notre place avec tous les Saints que nous fêtons aujourd'hui.