samedi 30 mars 2019

Retour du pécheur !


 4ème Carême  19 C –    Le péché !  Le pécheur !

   "Si l'homme n'est pas fait pour Dieu, pourquoi n'est-il heureux qu'en Dieu ?   
    Et si l'homme est fait pour Dieu, pourquoi est-il si contraire à Dieu ?".

Cette question de Pascal pourrait résumer la parabole de l'Enfant prodigue - ou plutôt la parabole du Père de l'enfant prodigue -, peut-être la plus émouvante de toutes les paraboles.

Et si elle ne répond pas entièrement à la question de Pascal, à cette question primordiale qui concerne nos relations avec Dieu, cette parabole  nous apporte néanmoins de singuliers éléments de réponse. Il nous suffit de suivre l'enfant prodigue dans ses erreurs et dans son retour pour nous reconnaître à chaque étape de sa singulière aventure.

Tout commence par une demande : "Donne-moi ma part d'héritage !". Curieuse demande !  Curieuse demande puisque finalement l'homme - c'est-à-dire chacun d'entre nous -  n'a rien qu'il n'ait reçu de Dieu : "Qu'as-tu que tu n'aies reçu ?", demande St Paul.
La malice du péché consiste justement à retourner contre Dieu les biens qu'il nous donne. Ces largesses divines devaient servir au bien de l'homme, à la gloire de Dieu ; le péché les fait servir au malheur de l'homme et à l'offense faite à Dieu. Nous avons tout reçu de Dieu, … et la vie elle-même. Mais que faisons-nous des dons de Dieu ?

A cette demande insolite de son fils, le Père n'oppose aucun refus, netente même pas de l'empêcher. Sans doute, pressent-il obscurément que ce serait peine perdue. (Et c'est souvent le cas !).
Et surtout Dieu, que ce Père de famille représente, ne saurait accepter une relation avec l'homme qui ne serait pas pleinement consentie, libre, qui serait comme une servitude.
Aussi, laisse-t-il les hommes faire leur expérience, sachant fort bien que si, un jour, ils reviennent sur eux-mêmes, comme l'enfant prodigue, ils reviendront inévitablement à lui, mais cette fois librement.

C'est une des explications qui tente d'élucider quelque peu le mystère du mal qui est parfois - selon cette parabole - comme l'envers du sérieux avec lequel Dieu traite l'homme et respecte sa liberté, fût-ce jusqu'à sa perte momentanée et apparente, espère-t-il toujours..

Et la suite du texte nous présente le péché sous trois aspects : il est un éloignement, un appauvrissement, un abaissement. Et n'est-il pas bon d'y réfléchir en ce temps de carême ?

1.      Un éloignement
C'est un éloignement, car comme dit un psaume : "Ceux qui s'éloignent de toi périront ; ils se perdent tous ceux qui s'éloignent de toi" (Ps 73.27-28). Alors que nous ne sommes chez nous que lorsque nous sommes chez Dieu, notre Père, - comme le Père de l'enfant prodigue le dira à son fils aîné -, nous ne réalisons pas que sans Dieu, tout lieu est un exil et qu'au contraire, avec Dieu, tout lieu peut être notre patrie.

Mais on ne peut fuir vraiment Dieu ; c'est ce que va bientôt découvrir l'enfant prodigue. Car lorsqu'on le fuit, il reste encore présent au plus profond de notre cœur par le vide béant que laisse son absence et que lui seul peut remplir.

2. Un appauvrissement -
Parti pour une région lointaine, l'enfant prodigue a bien vite dissipé ses biens avec lesquels il pensait faire sa vie, son bonheur. "Car l'homme est ainsi fait, disait encore Pascal, qu'il ne trouve en rien de ce que lui offre le créé, une plénitude de perfection capable de remplir son attente la plus profonde, une réponse exauçant l'appel infini qui jaillit du fond de son cœur. Et de chaque essai qu'il tente pour se satisfaire, il sort plus inquiet, plus conscient de l'immensité du vide qui est en lui."

3. Un abaissement -
Mais cet appauvrissement inéluctable va bientôt se transformer pour lui en abaissement : on envoie ce fils garder les porcs - animaux impurs par excellence dans la pensée juive. - Le péché est en effet un avilissement pour l'âme. L'âme est faite pour de grandes choses, pour la pureté, pour l'union à Dieu, l'Infini, le Tanscendant, pour l'mour à l'égard de Dieu et du prochain. Par le péché, l'homme ruine en lui tout ce bien et se met au-dessous de ce qu'il aurait pu, de ce qu'il aurait dû être, au-dessous de lui-même.

C'est alors que le Fils prodigue réalise - oh ! Pas tellement l'offense faite à son père, mais bien plutôt le manque de tout ce qu'il a stupidement perdu - : "Combien de journaliers dans la maison de mon père ont leur subsistance assurée et moi, ici, je meurs de faim". La souffrance apparaît souvent comme le principe d'une illumination décisive.

Alors, considérant l'extrême nécessité où il se trouve, le Fils prend le chemin du retour. Et tout comme le Père de la parabole, Dieu accepte cette motivation d'apparence intéressée qui est cependant à l'origine lointaine du retour de l'homme vers lui, vers Dieu. Car cette motivation, tout intéressée qu'elle soit, manifeste justement avec éclat que l'homme ne peut trouver son bonheur qu'en Dieu, quel qu'effort qu'il fasse pour le trouver ailleurs. .

Et voici l'enfant prodigue sur le retour. Et son Père qui l'attendait accourt vers lui. Car Dieu est toujours premier. Parce qu'il aime le premier, il accueille le premier. Il est toujours prêt à pardonner le premier, à restituer le pécheur dans sa dignité de fils, à le faire asseoir à sa table.

Peut-être serions-nous tentés de réagir comme le fils aîné qui revient des champs et qui trouve injustes les générosités de son Père à l'égard de son frère. Il aurait dû pourtant reconnaître que lui-même tenait tout de son Père, devait tout à sa bonté, à sa miséricorde. Alors il aurait pu comprendre la joie de son Père au retour du cadet, partager pleinement cette joie.

En ce temps qui nous prépare à Pâques où Dieu nous montre son amour miséricordieux envers les hommes, sachons nous convertir comme l'enfant prodigue, revenir vers notre Père, ou du moins,  comme aurait dû le faire le fils aîné, nous réjouir de ses miséricordes.
Si fortes que soient nos tentations, souvenons-nous que Dieu est là pour nous aider à y résister.
Si loin que nous puissions nous trouver de l'amour de Dieu, n'oublions pas que le Dieu de cette parabole est Celui qui affirme sans cesse qu'il aime l'homme pécheur, plus que celui-ci n'aime son péché.

dimanche 17 mars 2019

"Pédagogie divine !"


2ème Carême 18/C        -    "Transfiguration !"

L'Évangile d'aujourd'hui - celui de la "Transfiguration" - n'est ni énigmatique ni mythique. C'est plutôt un bouquet d'allusions à toute la pédagogie divine qui s'exerce tout au long de l'histoire biblique, - tout au long de notre propre histoire -, en vue d'une alliance entre Dieu et l'homme. Une alliance indestructible !

C'est ce que veut souligner la 1ère lecture : Dieu veut signer avec Abraham - c'est-à-dire avec tout homme, avec vous comme avec moi -une alliance indéfectible. Le passage d'un brasier fumant et d'une torche enflammée entre les quartiers d'animaux offerts, c'était le langage "notarial", si je puis dire, de l'époque. C'était dire : celui qui bafouera cet accord, cette alliance, qu'il lui arrive ce qui arrive à ces quartiers d'animaux : un anéantissement.

Et en Jésus, Dieu s'est fait homme. Et Jésus, homme, - et parce que homme, portant les péchés des hommes, leur reniement - sera mis à mort sur la croix pour manifester ce reniement de l'homme vis-à-vis de Dieu… et pour rétablir à nouveau une alliance éternelle.

Aussi, St Paul (2ème lecture) a raison d'affirmer : en Jésus, "nous sommes citoyens des cieux. C'est à ce titre que nous attendons comme sauveur le Seigneur Jésus, lui qui transformera ("transfigurera") nos pauvres corps à l'image de son corps glorieux ("transfiguré") avec la puissance qui le rend capable de tout dominer", de dominer la mort elle-même, conséquence de nos reniements vis-à-vis de Dieu.

C'est dans cette perspective qu'il faut lire, me semble-t-il notre évangile. Jésus emmène trois disciples sur la montagne où il apparaît "transfiguré" en présence de Moïse et d’Elie.

En présence de Moïse ! Car Jésus reprend en totalité l'expérience de Moïse. Après une sorte de "transfiguration" où Dieu lui apparaît dans un "buisson ardent" (“Sené”, en hébreu), Moïse va mener tout un peuple vers l’Alliance avec Dieu, sur une montagne brûlante (le "Sinaï)". Dès lors, Dieu lui-même conduira son peuple, à travers le désert, - le désert de nos vies - vers une petite montagne, “Sion”, "choisi pour y faire habiter son Nom” comme la Bible le dit souvent. Là, chacun pourra déjà s'efforcer à  “voir Celui qui nous voit sans cesse”, en cette ville de Jérusalem, mot qui veut dire "vision de paix".

Toute l’histoire biblique – et notre propre histoire - peut se résumer en cette allitération, en ces trois mots de même résonnance : : “Sené”, “Sinaï”, “Sion” ! Assonance que privilégient encore les Juifs. 

Comme Moïse, Jésus emmène ses apôtres vers une montagne, l’Hermon, qui rappelle le Sinaï. Là, il demande : “Pour vous qui suis-je ?”. Et Pierre, qui dit toujours ce que les autres pensent, répond : “Tu es le Messie", ce fameux Fils d’homme qui vient du ciel et de la terre tout à la fois, autrement dit, qui fait alliance entre Dieu et l’homme ! Et c’est alors que Jésus apparaît, lui, un homme, dans sa gloire divine, comme Dieu au Sinaï. Et avec Moïse et Elie, il parle de son départ vers Jérusalem, littéralement de son “exode” vers Jérusalem, sublimant déjà, en quelque sorte,  l’exode pascal qu'il accomplira ensuite, sublimant l'exode de ses disciples  en marche vers l'Alliance éternelle.

Jésus ramasse en quelque sorte toute l’histoire du peuple élu, depuis Moïse au buisson ardent et à la montagne brûlante du Sinaï jusqu’à Sion où Dieu veut construire une nouvelle cité dont, seul, il est “l’architecte et le fondateur” (dira la lettre aux Hébreux) et où le voile du Temple ancien sera déchiré par son mystère pascal, afin que tous puissent commencer à "voir  celui qui nous voit sans cesse".

Jésus reprend, là, toute la pédagogie que Dieu a utilisée envers son peuple pour se manifester à lui. Il regarde en arrière pour mieux prophétiser l’avenir, l’avenir de tout homme : “Par lui, avec lui, en lui !” . Aussi, est-il dit : “Ils ne virent plus que Jésus seul” ! “Voir !” : “Qui me voit, voit le Père", dira Jésus.

Dans cet épisode, il n’y a que Pierre, Jacques et Jean, ces trois apôtres qui seront les témoins de l'agonie de Jésus. St Luc précise qu’ils dormaient, comme ils dormiront à Gethsémani. Comme nous dormons, nous aussi, à certains grands moments providentiels de notre existence, moments joyeux ou douloureux. C’est seulement en réfléchissant, après coup, qu’on en découvre toute la signification. Et peu à peu, nous ne voyons plus, en notre vie même, que Jésus seul ! Jésus qui aime tous les hommes sans distinction, ne l'oublions pas ! Nous ne voyons plus que sa divinité à travers son humanité ! Afin de mieux "voir Celui qui nous voit sans cesse" ! De voir en Jésus seul tous nos frères !

Tout au long de notre vie, nous faisons la même expérience que celle des apôtres. Après la Transfiguration, ils vont rester attachés au Christ, certes, séduits par le mystère de sa personne, bien sûr. Ils vont le suivre, évidemment. Mais ils vont montrer - comme nous-mêmes bien souvent - qu’ils ont des yeux pour ne pas voir, des oreilles pour ne pas entendre, qu’ils ne comprennent pas encore…, même lorsqu’ils monteront à Jérusalem juste avant la passion de leur Seigneur

Pourtant, là, à Jérusalem, en ces jours ultimes, Jésus guérira un aveugle à la piscine de siloë, au sud du temple ; il guérira un paralytique à la piscine Bethesda, au nord du temple ; et tous les deux, il les introduira dans le temple…
A nous aussi, il faut le miracle de sa grâce pour que, guéris de notre aveuglement, de nos infirmités, nous puissions entrer dans le temple, ce Temple que Jésus "transfiguré", glorifié, construira en son Corps.

Cependant, lors de la passion du Christ, ses apôtres se disperseront (nous en aurions fait autant).
Alors, sur la route d’Emmaüs, rétrospectivement, le Christ leur dira : “Ne fallait-ils pas que le Fils de l’homme souffrit avant de rentrer dans sa gloire ?”.Dans sa "Transfiguration" éternelle ?

Et je pense que tout chrétien doit mettre, met en sa mémoire, son cœur, son intelligence, des événements providentiels qu’il comprend peu à peu jusqu’au moment où l’heure sera venue pour lui de passer de ce monde vers le Père…. "Notre Père ! (nous précisera Jésus)… Oui, chacun de nous est l’objet d’une pédagogie spéciale de Dieu qui l’enseigne sur l’“exode” qu’il doit accomplir, lui aussi, jusqu’à la nouvelle Jérusalem pour une alliance éternelle avec Dieu-Trinité, avec Dieu-Amour…,  pour une "transfiguration" glorieuse.

 Oui, nous avons cette certitude que nous sommes, nous aussi, au seuil de cette “vision béatifique” comme disent les théologiens ; Nous verrons le Seigneur comme le Seigneur nous voit maintenant. Puissions-nous comprendre cet événement de la "Transfiguration" de telle sorte que cette illumination nous accompagne tout le reste de notre existence et que, même si nous passons par des ravins de ténèbres, chacun puisse dire avec les psaumes :
Le Seigneur est ma lumière et mon salut  ; qui pourrais-je craindre ?
C’est ta face, Seigneur, que je cherche ; ne la détourne pas de moi !
’en suis sûr, je verrai la bonté du Seigneur sur la terre des vivants !…

“Ils ne virent plus que Jésus, seul !”
Ce n’est quand même pas rien de savoir désormais qu'en Jésus "transfiguré", glorifié, l’absurdité de la mort ait été vaincue, qu’il y a comme une “tête de pont”, pour la cité dont “Dieu est l’architecte et le fondateur”, d’avoir cette certitude que si nous marchons comme il a marché, nous parviendrons là où il est…  en sa gloire.

Nous sommes appelés à suivre cette pédagogie divine à notre égard. Et si nous ne voyons plus que “Jésus seul”, c'est dire que c'est en Jésus que, dès maintenant, nous devons voir toute la création et tous nos frères, les hommes, que Dieu aime comme il nous aime.
St Paul avait raison : en la nouvelle Alliance de la Jérusalem céleste, seule subsistera la charité qui jaillira du cœur de Dieu-Père, que Jésus manifestera éternellement et que leur Esprit commun nous transmettra…

dimanche 3 mars 2019

L'Homme à faire naître


8e dimanche T.O. 18/C

Voici que Jésus, aujourd'hui, nous parle de l'homme.
Habituellement, Jésus agit, raconte une parabole, annonce le Royaume de Dieu pour inviter à y entrer.
Cette fois-ci, il change de ton ; il se met à nous parler de nous, de lui, de l'homme.

En quelque sorte, c'est le Créateur qui nous parle de sa créature. Celui qui sait ce qu'il y a dans l'homme, comme dit St Jean (2/25), nous dépeint l'homme du Royaume à venir, révèle l'homme créé à  l'image de Dieu. "Le disciple n'est pas au-dessus du Maître", dit-il.
Parce qu'il est Dieu Créateur et Homme parfait, Jésus nous enseigne notre propre humanité ! "Celui qui est bien formé sera comme son maître", dit Jésus.

Sa description est simple. Dans l'homme du Royaume à venir, le cœur, la bouche et l'œil doivent être en parfaite harmonie :
- "L'homme bon tire le bien du trésor de son cœur qui est bon".
- "Ce que dit la bouche, c'est ce qui déborde du cœur".
- "Enlève d'abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair".

Le cœur ! Le cœur, c'est tout l'homme. C'est le centre de gravité de la personne.
Non pas le cœur, support de tous les sentiments, de tout ce qui dans l'homme est sentimental, aléatoire et dépendant des émotions.
Mais plutôt le cœur comme le centre vital qui constitue la personne et où toutes les forces se rejoignent, forces physiques, forces spirituelles et morales, forces intellectuelles.

C'est toujours au cœur que Dieu s'adresse. C'est au cœur de l'homme que réside l'Esprit Saint. C'est de cœur à cœur que les hommes se rencontrent, s'affrontent, s'aiment ou s'entretuent. Le cœur fait l'homme, dit Jésus. Du cœur bon sort ce qui est bon; du cœur mauvais, ce qui est mauvais. C'est surtout St Luc qui mentionne ainsi le cœur comme symbole de l'orientation profonde de tout l'être :
- Alors que Marie "méditait tous les événements en son cœur" (2/19-51),
- Syméon, présentant Jésus comme "un signe de contestation", proclamait : "Ainsi seront dévoilés les débats de bien des cœurs" (2/35);
- Les disciples n'ont pas besoin de se quereller bruyamment sur le problème de la préséance : Jésus sait "la question de leur cœur" (9/47),
- comme il déclare aux pharisiens ricaneurs : "Dieu connait vos cœurs" (16/15).
- Aux disciples il dira encore : "Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que vos cœurs ne s'alourdissent dans l'ivresse, les beuveries et les soucis de la vie…" (21/34).
Il n'est pas étonnant que Luc, l'évangéliste de la conversion, nous rappelle que celle-ci, la conversion, doit procéder du plus profond de la personne (du cœur) et se traduire en des actes concrets !

Et c'est du trop-plein du cœur que procède la Parole, nous dire la 1ère lecture. Elle reflète si fidèlement le cœur de l'homme que la parole est également l'homme. Elle est le fruit qui permet de juger l'arbre. Elle juge celui qui la prononce, car elle dit tout de l'homme, elle le dit aux autres qui ne peuvent savoir du cœur de l'homme que ce que lui en communique la parole de l'homme. Et comme dit le Sage Sirac, la pierre de touche pour estimer un homme, c'est sa parole. Parole de bénédiction et de paix chez l'homme au cœur de paix. Parole de malédiction et de haine chez l'homme dont le cœur est plein d'amertume.
             
L'autre reflet du cœur de l'homme, c'est son œil ! Jésus en  parle souvent : "La lampe du corps, c'est l'œil (Mt 6/22)Si ton œil te scandalise, arrache-le…" (Mt 18/9) ; et ailleurs il fustige ceux qui disent :  "Nous voyons !", alors qu'ils sont aveugles. Car l'œil, c'est la lumière du corps, et là où l'œil est mauvais, tout le corps est mauvais.
             
D'ailleurs, dans l'Ecriture, tous les vices sont liés au regard :
- La suffisance : "Mes yeux ne se sont pas haussés", comme l'orgueilleux, reconnait l'humble psalmiste (131/1).
- La cupidité : "Ne convoite pas la beauté de la femme; ne te laisse pas prendre par ses œillades". (Prov 6/25).
- La jalousie : "Ton œil serait-il jaloux parce que je suis bon ?" demande le Maître de la vigne dans la Parabole de Notre Seigneur. (Mth 20/15)
- Il y a encore le regard sournois de celui qui médite un mauvais coup ; et l'œil injecté de sang de l'homme en colère, alors qu'il y a de la douceur dans le regard de la maman pour son bébé nouveau-né
             
Et Notre Seigneur a donné la clef de ces divers regards : "Quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis dans son cœur l'adultère" (Mth 5/28). Ah bon ! il n'est interdit de les voir; mais tout est dans le "pour". L'œil est ainsi la lucarne par laquelle l'homme se montre et se révèle tel qu'il est; c'est par cette lucarne que le cœur manifeste ses intentions.

Ainsi le cœur, la bouche et l'œil sont-ils liés, pour le meilleur et pour le pire. Et sous couvert de donner quelques directives pour la conduite en société, Jésus nous révèle cette profonde unité qui existe dans l'homme. Et combien il est nécessaire de faire l'éducation de sa parole et de son regard pour atteindre son cœur.
Un homme qui ne maîtrise ni ses lèvres ni ses yeux ne se gouverne pas lui-même; son cœur est instable.

Et même, on peut penser que Jésus se révèle, là, lui-même, révèle sa parfaite humanité. En lui, le cœur, la bouche et l'œil sont parfaitement en accord. Il ne dit rien d'autre de ce qu'il est : son regard dit sa miséricorde, car s'il regarde parfois avec colère ceux qui abusent de leur pouvoir, il réconcilie d'un regard les pécheurs, les coupables et ceux que l'on regarde d'un mauvais œil.
             
On peut même aller plus loin. Le Christ, ici, comme partout, nous révèle les mystères cachés depuis la fondation du monde, ce mystère du Dieu unique en trois personnes.
Trois personnes qui sont entr'elles comme le cœur, la bouche et l'œil.
- Le cœur, c'est le Père de qui tout procède.
-Il se manifeste en sa Parole qui est le Fils et comme sa bouche, disant fidèlement "tout ce qu'il a appris du Père".
Et l'Esprit Saint est comme l'œil de ce Dieu unique. Il éclaire le monde et nous illumine. Il manifeste la miséricorde qui est dans le cœur de Dieu et nous réconcilie avec lui et entre nous.

Puissions tendre à ressembler de plus en plus à l'homme du Royaume de Dieu, c'est-à-dire à l'homme "créé à l'image et ressemblance de Dieu".
Et nous comprenons mieux cette ultime prière de Notre Seigneur : "Père, qu'ils soient un (en eux-mêmes et entre eux), comme nous-mêmes, nous sommes un !"