21e Dimanche du T.O. 19/C
“Seigneur, n'y aura-t-il que peu de
gens qui seront sauvés ?”,
La
question surgit de la curiosité, peut-être de l'inquiétude.
Elle était
passionnément débattue par les intellectuels du temps de Jésus. Et depuis lors, cette question a fait couler
beaucoup d’encre ! Slogan des sectes à la mode, elle fut sous-jacente au jansénisme
qui fit tant de mal en notre Eglise de France !
Mais que
veut donc dire Jésus ?
D’abord, il
ne se laisse pas entraîner, lui, par ce jeu des questions sans doute excitantes
pour l'imagination, mais stériles pour la vie. Il répond malicieusement : “Efforcez-vous donc d'entrer par la porte étroite !”, par cette
porte étroite que votre question suggère ! Et
vous verrez ! Et Jésus de s’en expliquer par la parabole qui suit.
Il fait
ainsi, car il ne veut pas
+ qu’on
se réfugie dans d'interminables débats théoriques,
+ qu'on
s'évade de ses responsabilités concrètes,
+ qu'on se
projette dans l'avenir pour mieux fuir le présent. L'important n'est-il
pas de savoir ce que chacun fait ou ne fait pas aujourd'hui, pour entrer
dans le Royaume ? L'avenir, c'est surtout le présent. Il se construit
maintenant.
Car il y a
des questions dont on peut discuter indéfiniment pour se dispenser de vivre le
quotidien :
+ “La fin du monde, quand sera-t-elle ?
+ Avec le nucléaire, la pollution…,
n'est-ce pas pour bientôt ?
+ Et l'enfer, le ciel, qui ira ? Qui
n'ira pas?...”.
Avec
légèreté, les réponses sont formulées, ridiculement souvent, alors que la
réponse divine a été donnée depuis longtemps. Isaïe (1ère lecture)
la rappelle. Il annonce l’intention de
Dieu : “Je viens rassembler les
hommes de toutes nations et de toutes langues”.
En Dieu,
un seul désir : voir toute l’humanité parvenir à la réussite. Hors
de cette volonté unique de salut universel, toute supposition d’une quelconque
ségrégation de la part de Dieu ne peut être que blasphématoire.
Si nous
voulons à tout prix que Dieu soit un juge sévère qui trie et exclut pour
privilégier un petit nombre, cela vient de nous et de notre incapacité à entrer
nous-mêmes dans un amour universel, dans cet amour divin qui veut rassembler
toutes les nations.
Un tel
amour, nous avons
du mal à l’imaginer. Et c’est nous qui mettons une “porte étroite”.
Même dans
nos vies familiales, à plus forte raison dans nos rencontres sociales, nous
sentons combien notre égoïsme, nos petitesses perturbent nos relations :
si ce n’est le règne de la jalousie, des
rivalités, l’attrait du pouvoir quel qu’il soit, c’est le souci d’une tranquillité,
la peur d’un engagement dérangeant.
Et inconsciemment,
nous trions avec soin nos relations. Et, en l’occurrence, trier consiste à
exclure, à poser une "porte étroite" ;. Et nous disons que les
amis se comptent toujours sur les doigts d’une main et que la réussite d’un
couple tient de la loterie, et que sais-je encore… La "porte étroite" de notre
existence nous sécurise !
Et très
abusivement, c’est bien cette douloureuse expérience-là que nous projetons
facilement sur Dieu lui-même ! Nous le voudrions incapable, lui aussi,
d’amour universel pour pouvoir le rendre responsable du “petit nombre d’élus”…
Et Jésus
de lancer avec un humour grinçant : “Efforcez-vous donc d’entrer par cette
porte étroite”. Et c’est vous qui ferez des exclusions. Alors que beaucoup viendront de l’orient et de
l‘occident, du nord et du midi !
En Dieu,
il ne peut en être qu’ainsi !
D’ailleurs Jésus, lui, accueille tous les hommes, même les
pécheurs ; il accueille avec compréhension et exigence tout à la
fois. A la femme adultère, par exemple, qui n’entre certes pas par notre "porte
étroite", il dit : “Moi non
plus je ne te condamne pas”. Cependant il ajoute : “Va et ne pèche plus !”.
C’est ici
que l’on mesure la grande liberté de Jésus. Il ne condamne pas, il n’exclut
pas ! Mais il invite à un effort vers plus de vérité, cette vérité
qui est l’une des autoroutes du ciel et que nous voulons rétrécir par la porte
de notre existence étriquée qui oblige à une sélection. Et Jésus semble dire à
chacun : "si vous voulez entrer par cette porte, c’est vous qui
excluez !".
A un autre
niveau de notre cœur rétréci, nous sommes
encore piégés par notre propre expérience mesquine.
Lorsque,
malgré tout, nous voulons aimer tout le monde, nous sommes tentés de tout
aseptiser dans nos relations en évitant très soigneusement les sujets
difficiles, les questions qui "fâchent".. C’est si facile ! Nous
refusons la vérité qui exige souvent discussions légitimes, affrontements
nécessaires, et cela, parfois, au prix de beaucoup de démissions.
Nous a vons
le sentiment d’aimer tout le monder ; mais c’est une illusion ; en
fait, la “porte étroite” de notre cœur est si bien verrouillée que peu de monde
ose la franchir. On reste dans un monde imaginaire où plus personne, bien
sûr, ne condamne personne, puisque personne n’est véritablement reçu !
Alors, -
pire aveuglement -, nous voulons imaginer un Dieu à notre image qui,
pour nous aimer tous, nous blanchirait artificiellement et refuserait de tenir
compte de tout ce qui en nous est un obstacle à aimer “en vérité”, comme Dieu
aime !
“Il suffit
d’aimer”, disait Ste Bernadette ; il suffit de lutter pour plus de vérité
et de la chercher inlassablement, largement, ensemble, en Eglise !.
Aussi
Jésus répète : “Efforcez-vous donc
de passer par la porte étroite” de votre cœur. Et vous serez rejetés selon
les critères que vous disposez vous-mêmes ! Car vous n’entrerez pas dans le Royaume grâce à des
recommandations, titres, diplômes, à des savoir-faire, ni même à des dévotions multiples ! Ni
parce que vous êtes de telle catégorie sociale ou religieuse :
traditionaliste ou progressiste, et que sais-je encore ! “Je ne sais d’où vous êtes”, nous
sera-t-il dit ! Car la terre avec ses catégories aura disparue, nous dit
déjà l’Apocalypse. Dieu sera tout en tous !
Quand
Jésus invite ainsi ses disciples à “passer
par cette porte étroite”, lui-même
est en route vers Jérusalem. La ville est à l'horizon. Elle sera pour lui la
ville de la souffrance, de la mort et de la résurrection. Il y sera victime des
cœurs trop étroits. Mais il sera surtout témoin de son immense amour pour Dieu,
son Père, et pour les hommes.
La voilà
bien la véritable porte : "Je
suis la porte des brebis", avait-il dit. Porte de lumière qui ouvre
sur l'humanité entière et sur Dieu que Jésus appelle "son Père" et
"notre Père", tandis que la porte étroite reste de notre côté, à
cause de nos lenteurs, de nos refus, de notre égoïsme. N’en accusons pas Dieu lui-même.
Les élus
et les non-élus dont parle Jésus, ils sont chez nous, sur notre terre et nous
sommes tous du nombre. Tous appelés à emprunter les chemins du courage et de la
recherche de la vérité, de l’amour. Soyons nombreux à nous décider pour ce
chemin-là, à la suite de Jésus.
Et allons
crier comme le proclame la 2ème lecture :
"Redonnez de la vigueur aux mains
inertes et aux jambes qui fléchissent ;
Nivelez la piste pour y marcher.
Aini celui qui boite ne se tordra pas
le pied ; bien plus, il sera guéri".