dimanche 28 octobre 2018

Voir !!


 30e Dim T.O. B/1918
             
Une foule sortait de Jéricho derrière Jésus. C'est lui que l'on suit. Vraisemblablement, la foule n'est pas silencieuse. Les gens échangent sur ce qu'a dit Jésus, sur ce qu'il a fait… ; et on parle des événements, de ses préoccupations, et peut-être à la lumière de ce que Jésus a enseigné.

Cette foule qui entoure Jésus n'est-elle pas une belle image de l'Eglise en marche à la suite de Jésus ? Et pourquoi ne pas envisager que nous sommes dans cette foule ?
Nous faisons sans doute partie de ces chrétiens qui ne restent pas immobiles, à ne rien faire. Nous avons les uns et les autres des activités habituelles dans l'Eglise : nous assurons la propreté de l'église, la décoration de l'autel ; nous préparons les célébrations liturgiques ; nous assurons la catéchèse, nous visitons les malades… et que sais-je encore.

Bref, nous sommes généreux, mais nous sommes aussi comme tout le monde. Nous recherchons un minimum de confort chez nous, autour de nous, en toutes circonstances. S'il faut marcher avec l'Eglise, nous faisons ce qu'il faut pour que cette marche soit la plus agréable possible… Aussi, il y a des conversations que nous évitons d'aborder et, si nous sommes honnêtes avec nous-mêmes, nous pouvons nous avouer qu'il y a des chrétiens actifs, eux aussi, avec qui nous ne parlons pas beaucoup. Ils sont ailleurs dans la foule…

Et voilà que du fossé jaillit un cri. Un hurlement ! Impossible de ne pas l'entendre. Un aveugle interpelle Jésus. Ce hurlement trouble les conversations et la circulation. Il met le trouble, le désordre au milieu des marcheurs. Les uns, absorbés en leurs pensées, continuent d'avancer. D'autres ont ralenti pour regarder. Et dans la foule, on se marche un peu sur les pieds.
Oui, c'est bien connu : un cri de l'extérieur et c'est la pagaïe dans la foule…, dans l'Eglise.

Un hurlement ! Et si c'était nous qui l'avions poussé ! Ce hurlement n'est-ce pas le cri de tel homme, de telle femme menacés dans leur vie, le cri d'un chef d'entreprise au bord de la crise économique, le cri de tel ménage en train de "craquer", comme l'on dit, ou encore le cri de ces jeunes trop seuls au milieu des lumières et des bruits artificiels de la ville…
Le hurlement de cet aveugle c'est la clameur de tous ceux qui aujourd'hui cherchent un peu de lumière, de tous ceux qui cherchent à voir les décisions importantes qu'il faut, qu'il faudrait prendre.
L'Eglise - nous-mêmes - va-t-elle se laisser interpeller ? Peut-on arrêter une colonne en marche pour un homme dans le fossé ?

On peut penser que Jésus n'aimait pas perdre son temps. Alors,eaucoup de gens interpellaient vivement l'aveugle pour le faire taire ; ce faisant, ils avaient sûrement conscience de rendre service à Jésus.

Jésus s'arrête ; et tant pis pour ceux qui, dans la circonstance, se bousculent.
Jésus s'arrête et dit : "Appelez-le !". Il aurait pu le faire lui-même. Mais des gens dans la foule (on ne sait qui) acceptent de quitter le cheminement de leur conversation pour répercuter l'appel de Jésus : "Confiance ! Lève-toi ! Il t'appelle ! !".

"L'aveugle jeta son manteau". C'est de l'inconscience ! Son manteau, c'est sa seule protection contre le froid, la pluie, le vent. C'est ce qui lui permet de tenir au jour le jour. C'est une maigre sécurité, mais c'est sa seule sécurité. Il l'abandonne et nous apprend qu'il n'y a pas d'acte de foi sans l'abandon de quelques-unes de nos sécurités. Devenir croyant, c'est entrer dans un monde nouveau. Nous perdons nos sécurités pour acquérir une certitude : la confiance en Jésus.

Alors, Jésus demande : "Que veux-tu que je fasse pour toi ?". Quelle étrange question ! Tout homme est un fouillis de désirs. Imaginons que le Christ nous pose la question ; en l'espace de deux ou trois secondes, quelle serait notre réponse ? Que nous connaissions Jésus à peine où beaucoup, qu'attendons-nous de lui ?

"Seigneur, fais que je voie !", demande le mendiant.

Pourquoi cet homme veut-il cesser d'être aveugle ? Il avait ses habitudes, ses bienfaiteurs attitrés. Il s'était fait à son petit monde ; il savait évoluer dans son univers. Certes, il avait des limites ; mais à l'intérieur de ces limites, il était peut-être à l'aise.
Se rend-il compte cet aveugle des risques qu'il prend en demandant de voir ? Il y a des choses que nous aimerions tellement ne pas avoir vues. Il est si confortable de pouvoir dire dans l'accumulation des désordres de ce monde : "Je ne savais pas, je n'étais pas au courant ; je n'ai pas vu, je ne suis pas responsable !".

"Seigneur, fais que je voie !".
Cet homme est allé à l'essentiel. Il aurait pu demander une aumône. Un mot de recommandation et toute la foule y serait allé de sa petite pièce. Quelle recette pour la journée ! Quelle sécurité pour les prochains jours!

"Seigneur, fais que je voie !", pouvons-nous crier, nous aussi.
Voir clair dans notre fouillis de désirs.
Voir clair dans les ficelles qui agitent les affaires de ce monde.
Voir clair dans tous les slogans qui nous intoxiquent en nous parlant de liberté.
Voir clair pour construire son avenir que l'on soit jeune ou moins jeune.
Voir clair pour distinguer l'argument solide de l'alibi publicitaire.
Voir clair dans les mécanismes de fonctionnement de notre société ; Voir comment ces mécanismes nous mettent du côté des gens à l'aise ou des pauvres sans avenir.
Voir les cheminements qui conduisent à un monde plus humain pour tous.
Et surtout, découvrir la mission, la vocation que Dieu me donne en cette vie !

"Seigneur, fais que je voie !",
Un cri qui est une prière audacieuse ; un cri qui débouche sur l'engagement de l'aveugle guéri à marcher à la suite de Jésus.

"Va ta foi t'a sauvé !", dit Jésus
Adieu le fossé et le bord de la route. Bonjour le risque de la responsabilité avec les autres ! Un manteau est resté sur la route, inutile. Un homme est entré dans la foule, reprend la louange de la foule et s'approprie la foi de l'Eglise et son engagement à suivre Jésus.

"Va ta foi t'a sauvé !"
Pour marcher réellement à la suite du Christ !
Pour entraîner les hommes vers le Royaume de Dieu, vers le Royaume de la vie, de la vie divine !

Alors, allons-nous crier, nous aussi : "Seigneur, fais que je voie !",

dimanche 21 octobre 2018

La souffrance !


29e T.O. 18/B  -

Il faut des mains délicates d'infirmière, des mains douces et compétentes pour toucher à certaines blessures.
Il faudrait avoir soi-même beaucoup souffert pour parler de la souffrance. Cependant, l'Evangile d'aujourd'hui nous y invite, même si Jésus, précisément, ne fait pas un discours sur la souffrance ; il la "prend d'abord sur lui" : "La coupe que je vais boire, pouvez-vous la boire vous aussi…?".
Déjà, la deuxième lecture avait rappelé que le "grand prêtre que nous avons n'est pas incapable, lui, de partager nos faiblesses, car, en toutes choses, il a connu l'épreuve comme nous…".
             
"Il a connu l'épreuve !". - Reconnaissons d'abord que la souffrance est un mal ! Il serait impensable que Dieu nous ait créés pour souffrir. Dieu n'est pas un sadique. Le but de sa Création est évidemment le bonheur, un bonheur infini, éternel. Et, à la "FIN", c'est-à-dire quand l'univers sera à son achèvement, il n'y "aura plus, dit le livre de l'Apocalypse,, ni larmes, ni cri, ni douleurs" (21/1.6).
Aussi, notre première réaction, face au mal, il faut le redire, c'est de nous battre "contre", de toutes nos forces. Jésus lui-même "guérissait" les malades, "libérait" les possédés, "nourrissait" les affamés, "ressuscitait" les morts.
             
Oui, Jésus a lutté contre le mal, car la souffrance comporte un terrible "risque" pour ne pas lutter contre elle. Ce "risque", nous en voyons souvent l'effet en nous et autour de nous. Car la souffrance est fréquemment l'occasion d'une révolte "contre Dieu". Le grand argument de beaucoup d'hommes aujourd'hui est le suivant : "S'il y avait un 'Bon Dieu', tout cela n'arriverait pas !".
Si la souffrance
peut affiner certaines âmes, peut provoquer des sursauts et des réflexions admirables,
peut développer dans l'homme certaines valeurs,
il faut reconnaître qu'habituellement elle est plutôt destructrice, humainement et spirituellement. Elle fait nier Dieu. Elle amène l'homme à dire : "Dieu n'est pas bon ! Dieu n'existe pas !".
             
En ce sens, un mot de l'épître aux Hébreux (2e lect) est à souligner : "Il a connu l'épreuve comme nous… et il n'a pas péché !"Il s'agit de Jésus. Il a donc connu, comme nous, l'épreuve qui aurait consisté à "abandonner le Père".
Tel est, en effet, le grand risque de la souffrance : l'aigreur, la révolte, le blasphème, le durcissement du cœur. Et Jésus lui-même a connu cette "tentation" : "Avec un grand cri et des larmes, il a supplié son Père qui pouvait le sauver de la mort" (Hébr. 5/7). "Père, si c'est possible, que cette coupe s'éloigne de moi" (Mc 14/36).
             
N'oublions jamais ce "grand cri" et "ces larmes" de Jésus, à Gethsémanie. Comme nous, Jésus a éprouvé une immense répulsion pour la souffrance; il a "supplié" son Père d'en être délivré… avant de dire "que TA volonté soit faite et non LA MIENNE". C'est reconnaître que, humainement, son premier mouvement aurait pu être tout autre. Mais "il n'a pas péché"… Formule mystérieuse et redoutable ! Nous, souvent, la souffrance nous fait pécher.
Aussi, regardons Jésus souffrant ; avec lui, essayons de découvrir les aspects positifs qu'elle peut prendre.

Remarquons d'abord qu'il y a souffrance et souffrance ; il faut savoir discerner.
Que voulez-vous, l'adolescent(e), encore "mal en sa peau", souffre ; c'est vrai ; il ne faut pas le nier ! Mais ne doit-il pas assumer sa souffrance pour devenir adulte.
Toute mutation oblige à un arrachement et donc à une souffrance. L'exercice de l'une de nos facultés, intellectuelle ou physique, demande effort considérable qui exige, parfois, souffrance.
Et l'art si difficile d'aimer inclut souvent une part d'épreuves. Car aimer, c'est "être au service" de l'autre et non de soi-même, ce qui ne va pas sans souffrance, parfois.
             
La vieille sagesse des peuples, en tout cas, a souvent remarqué que l'homme qui n'a jamais souffert est, paradoxalement à plaindre : il ne sait pas sa valeur… il ne sait pas s'il est solide…, s'il est courageux. "L'or s'épure au feu, dit un proverbe, et l'homme au creuset du malheur", Et le philosophe Sénèque écrivait : "L'arbre devient solide sous le vent"… Ces dictons sont universels ; ils ne sont pas spécifiquement chrétiens ; mais ils nous disent, déjà, que nous pouvons utiliser certaines souffrances en un sens positif : pour forger notre caractère, devenir plus aptes à aimer, à comprendre les souffrances des autres.
             
Mais ceci n'est que réflexion humaine qui peut être mise en question.
L'Evangile veut nous faire aller beaucoup plus loin. Il nous révèle que la souffrance de Jésus a été offerte, librement, dans un but absolument positif : "Le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour SERVIR, et DONNER SA VIE en rançon pour la multitude…". Jésus, après le "haut-le-cœur" de Gethsémanie, a donc vécu sa mort comme un acte éminemment "utile", un acte d'"amour" de l'humanité. Il a "donné sa vie pour la multitude". Déjà, Isaïe (1ère lecture) avait perçu ce mystère caché, paradoxal, de la souffrance "rédemptrice" : "broyé par la souffrance, le Serviteur de Dieu a plu au Seigneur… Il a fait de sa vie un sacrifice d'expiation,… il justifiera des multitudes, en se chargeant de leurs péchés…".
             
Un penseur français, Maurice Blondel, a essayé d'élucider les raisons de cette valeur mystérieuse de la souffrance. En l'homme, dt-il, "la souffrance demeure toujours une étrangère…; elle tue quelque chose en nous pour y mettre autre chose qui n'est pas de nous… La souffrance est en nous comme une semaille : par elle, quelque chose entre en nous, sans nous, malgré nous… Le laboureur jette là son grain le plus précieux… La souffrance est comme cette décomposition nécessaire à la naissance d'une œuvre plus pleine…    
Le sens de la douleur, - il faut du cœur pour l'entendre - c'est de nous révéler ce qui échappe à la connaissance et à la volonté facilement égoïste… La souffrance nous déprend de nous pour nous donner à autrui, pour nous solliciter de nous donner à autrui".    
             
En résumé, ne pourrait-on pas dire, à la suite de Jésus, que la souffrance peut nous ouvrir à l'amour, au service, au "don de soi" ?

Quand on a tout fait pour essayer d'éviter le mal que toute souffrance comporte, hélas… il nous reste donc à essayer de la transfigurer, de lui donner un sens, et une utilité. Le grand malade sur son lit, s'il connaît et aime Jésus, peut découvrir dans sa souffrance, une intime "communion" au mystère même de la croix, au mystère pascal de mort et de vie. Il n'est pas seul. Il n'est pas inutile. Sa souffrance a une valeur :"Peux-tu boire la coupe avec moi ?" lui dit Jésus. Peux-tu être plongé dans les grandes eaux de l'adversité, avec moi ? Acceptes-tu d'offrir ta vie par amour, comme je l'ai fait pour sauver la multitude ?

Je ne sais si, frappé par une très grande souffrance, par un grand malheur, je pourrais facilement répondre affirmativement à cette question de Notre Seigneur. Car une chose est de parler de la souffrance et d'en dégager quelque peu un sens avec Jésus Christ, autre chose est d'en vivre avec lui. Le Cardinal Veuillot, sur son lit d'hôpital, l'avait bien souligné. Il disait à un prêtre venu le voir : "Ne parlez plus de la souffrance ; vous ne savez pas ce qu'elle est !".
Du moins, avec Jésus, je peux me permettre d'affirmer : Oui, les souffrants, ces soi-disant inactifs… ne sont pas les exclus de la grande Mission salvatrice du Christ. Sans bouger, cloué à une croix, rivé à une épreuve…, on peut, avec Jésus, être totalement actif !
Grand mystère - Un mystère, ce n'est pas quelque chose que l'on ne comprend pas, mais une chose que l'on n'aura jamais fini de comprendre ! Grand mystère de la souffrance qui nous plonge dans le mystère pascal du Christ, mystère de mort à vie.
Et ce mystère est cependant le fondement de notre foi. Mystère qui se révélera pleinement au jour de notre mort, ce jour que les Anciens appelaient "Jour de naissance" !

dimanche 14 octobre 2018

Pauvre pour être riche...


 28e Dim T.O. B/1918
             
Cet homme était riche, il avait de grands biens. Matériellement, il était comblé. Moralement, il n'avait rien non plus à se reprocher : tous les commandements de Dieu, il les observe depuis sa jeunesse. C'est un bon pratiquant. Sa vie paraît réglée, codifiée une fois pour toutes. Pas de surprises possibles, ni matériellement, ni moralement.
             
Pourtant, semble-t-il, il a le sentiment de ne pas vivre. Derrière la question qu'il pose à Jésus : "Que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ?", on devine une inquiétude : Vivre, est-ce que cela consiste simplement à ne manquer de rien matériellement, et à se conformer au code de conduite prescrit par la société et la religion ? Est-ce cela la vie, la vraie vie ?
             
Jésus devine cette inquiétude et ces questions. Il en est tout heureux. Au contraire des scribes et des pharisiens toujours contents d'eux-mêmes, voilà enfin quelqu'un qui a soif de vivre pleinement !
             
"Que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ?".  Peut-être pense-t-il simplement à la vie éternelle après la mort ? N'est-ce pas également notre interprétation ?
Or, le Nouveau Testament ne cesse de nous dire que la vie éternelle, c'est maintenant qu'elle doit commencer ; de même, le Royaume de Dieu, c'est ici-bas, dès maintenant, qu'on est invité à y entrer. Jésus nous le dit : "Celui qui m'écoute et qui s'attache à moi a la vie éternelle… Dès maintenant, il est passé de la mort à la vie" (Jn 5/24). 
Et St Paul affirme, lui aussi, dans le même sens:  "Alors que nous étions morts, Dieu  nous a donné la vie avec le Christ… Avec lui, il nous a ressuscités"  (Ephes. 2/5).
La vie éternelle, comme le Royaume de Dieu, n'est pas à espérer dans un avenir plus ou moins lointain, mais à accueillir chaque jour ; c'est aujourd'hui, dans la vie quotidienne, qu'elle se vit. Il s'agit donc d'être des vivants qui vivent réellement, et non des gens qui font semblant de vivre.

Mais peut-être que l'homme de l'évangile avait bien pressenti que Jésus apportait le secret de la vraie vie, pour maintenant, et c'est à cause de cela qu'il est venu le trouver.
             
Toutes les paroles de Notre Seigneur avaient trouvé en son cœur et en son esprit un écho extraordinaire : "Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie! Je suis la résurrection et la vie! Je suis venu pour qu'ils aient la vie, et qu'ils l'aient en abondance… Je suis le Pain de vie !" (le Pain qui fait vivre!). 
Et bien d'autres paroles de Notre Seigneur affirmaient cette réalité de la vraie vie ! - Oui, tout le message de Jésus est un message de vie. Il vient répondre à nos aspirations les plus profondes : VIVRE !
             
Mais qu'est-elle au juste cette vie que Jésus nous offre ? - L'Evangile nous la suggère par des images, propres au langage oriental :
La Vie, c'est comme l'eau pour celui qui a soif,
c'est comme le pain pour celui qui a faim,
c'est comme la santé pour le malade,
c'est comme la lumière pour l'aveugle,
c'est comme le retour à la vie pour un mort.
             
Qu'y-a-t-il en définitive derrière ces images ? -
Il y a tous ces appels de Notre Seigneur, et en particulier tous ces appels à aimer, à tout faire par amour pour lui et par amour des autres.
Il y a ses appels à aimer, et donc à accueillir, à partager, à échanger, à donner gratuitement et surabondamment, et même à risquer sa vie pour les autres…
Il y a tous ses appels à aimer et donc à sortir de soi-même, à ouvrir les yeux sur les autres,, à sortir de son individualisme et de son indifférence, à se vouloir solidaires des autres.
Il y a tous ses appels à aimer, et donc à bâtir une société plus équitable et plus fraternelle, où les rapports humains ne soient plus fondés sur la sélection - qu'elle soit physique, intellectuelle, commerciale... raciale -, mais sur le partage et l'épanouissement de chacun, quel qu'il soit.

Alors, quand on répond à ces appels de Jésus, la vie devient une aventure extraordinaire : on ne s'enlise plus dans les ornières du conformisme ou des interdits, mais on découvre avec enthousiasme la vraie vie, qui est don de soi, service des autres et liberté.
             
N'est-ce pas un peu tout cela qui avait attiré vers Jésus l'homme de l'évangile d'aujourd'hui ? Il pressentait en lui un maître de vie qui serait capable de le faire sortir de lui-même et de s'épanouir en plénitude.

Mais Jésus ne fait pas de miracle pour nous ressusciter et nous faire revivre de la vraie vie, malgré nous.
Quand il invite le jeune homme riche à briser ses chaînes et à se libérer : "Vends tous ce que tu as…", cet homme devient tout sombre et s'en va tout triste. - Jésus est consterné : "Comme il est difficile à ceux qui possèdent des richesses d'accueillir le Royaume de Dieu !".  Et avec humour il ajoute : "Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le Royaume de Dieu !".
             
Pourquoi ? - Parce que, si vous êtes riches, quelle que soit la richesse - matérielle, intellectuelle, morale……etc  -, il est bien à craindre que vos richesses vous paralysent, qu'elles brisent vos plus beaux élans, qu'elles stoppent vos meilleures intentions.
Il y a grand risque alors de s'enfermer sur soi, de devenir sourd, aveugle, indifférent à tout ce qui se passe autour de soi. - Jésus est revenu souvent sur ce point : "Vous ne pouvez pas servir deux maîtres ; vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l'argent… Heureux, en revanche, ceux qui ont un cœur de pauvre : le Royaume des cieux leur appartient !".
             
Oui, pour vivre en plénitude, pour découvrir et accueillir la vraie vie que Jésus nous propose, il faut avoir un cœur de pauvre, savoir partager joyeusement, savoir donner sans compter.
Jésus, lui, avait un cœur de pauvre : "De riche qu'il était, dit St Paul, il s'est fait pauvre, pour nous enrichir de sa pauvreté". C'est ce qui lui a permis d'être tout à tous, aussi bien avec les riches qu'avec les pauvres, avec les notables comme avec les gens simples.
Et c'est ainsi qu'il a pu tout donner, son amour, sa parole, son pardon, son corps et son sang, sa vie elle-même, jusqu'à l'extrême limite.
             
Et dans ce don total de lui-même, Jésus trouvait la joie, le bonheur d'aimer, le bonheur de vivre en plénitude : il a aimé les foules, il a relevé les malades, il a pardonné, il a rendu l'espérance aux malheureux, il a révélé l'amour de Dieu, il a toujours cru à la tendresse de son Père, même à l'heure de son agonie, de sa mort. Sa vie humaine fut d'une plénitude extraordinaire, parce que rien ne mettait un frein quelconque à son amour.

En se donnant à nous sous le signe du Pain de vie, il nous dit à chacun aujourd'hui, comme à l'homme de l'évangile:  "Il te manque encore quelque chose ! Je t'invite à accueillir la vraie vie, et à l'accueillir en abondance. Pour cela libère-toi, fais-toi un cœur de pauvre, mets-toi à mon école. La vie que je t'offre, on ne peut la décrire ; pour la découvrir, il faut la vivre, la vivre avec moi".

dimanche 7 octobre 2018

L'amour vrai


27e Dimanche du T.O./2018

Jésus se fâche! Oui, le Christ est capable de se fâcher!  Contre les marchands du Temple, on le sait. On trouve même cela normal !
Mais il peut se fâcher aussi contre les Apôtres. Le motif de cette colère ? Les "Disciples" rabrouaient des enfants. On essaie d'empêcher des enfants de l'approcher, de le toucher.
Jésus s'était fâché également parce qu'on avait voulu faire taire un aveugle trop pressant, éloigner une femme malade, faire reculer tous ces humbles qui "osaient" déranger le Maître.

Ainsi donc, des enfants turbulents renvoyés durement à leurs jeux provoquent la colère de Jésus !
Pourquoi ? Plusieurs raisons sans doute, mais peut-être celle-ci d'abord : le secret du cœur de l'enfant qui séduit le cœur du Christ, c'est LA VERITE,
la vérité qui les rend proches du Royaume,
la vérité qui les fait habitants naturels et exclusifs du Royaume, au point que nul ne peut y être admis s'il ne leur ressemble.
Leur  regard intérieur et extérieur est vrai. Voilà d'ailleurs la raison de leurs questions souvent naïves.
- Ils croient les réponses que nous leur faisons. Ils n'ont pas encore appris tout à fait la duplicité qui règle si souvent les rapports entre les "grandes personnes". Ils sont simples, vrais, confiants.
- Quand ils posent les questions: "Qu'est-ce que c'est?" ou "A quoi ça sert ?", ils attendent des réponses claires, utiles pour leur vie, sans détour.
- De même, ils donnent leur confiance à qui ne les trompe pas, leur jeune amitié à qui joue franc jeu, sans mièvrerie ni puérilité.

Or, le Christ, aujourd'hui, ne nous dit-il pas autre chose que ce langage enfantin quand il prescrit aux disciples : "Que votre langage soit : Oui ? Oui, Non ? Non : ce qu'on dit de plus vient du Mauvais". (Mth 5.37)

Bien sûr, ne rêvons pas : un monde où le "oui" ne veut pas dire "peut-être" n'est pas de ce monde.
Nous avons trop l'expérience des confiances abusées, trahies, des paroles qui n'engagent pas plus loin que les intérêts changeants !
La fidélité sans condition, c'est vrai dans les contes de fées ! Mais dans la vie courante ?
Notre pain quotidien, c'est l'"à peu près", le calcul, le semblant. Notre "oui" n'est pas un vrai "oui" ; notre "non", n'est pas un vrai "non". Il faut bien s'arranger, et vivre, paraît-il ! Mais qu'appelle-t-on vivre ?

Pourtant la nostalgie d'un monde qui ne faillirait pas ne nous habite-t-elle pas ? Le domaine des relations humaines auquel le Christ nous appelle, c'est celui qui s'inaugure à l'origine. - Entre un homme et une femme, il y a la même vérité, la même sincérité que dans la parole de l'enfant qui fait confiance. Comment pourrait-on imaginer de se mentir à soi-même puisque l'autre est "la chair de sa propre chair" ? (Cf. Gen 2.23 - Ephes. 5.29).

Un enfant ne calcule pas, il se dit dans un élan. De même un amour ne se calcule pas au plus juste prix. Il se dit dans l'absolue naïveté qui jaillit du cœur ; dans l'élan irrésistible qui ne peut trahir.

Rappelez-vous cette sincérité qui nous habite, cette joie, quand l'amitié, l'amour nous permettent de croire totalement à la parole de l'autre. Parce que c'est lui, parce que c'est elle, nous sommes alors sûrs que les mots ne peuvent faillir, nous sommes sûrs que sa présence  ne peut manquer.
Sans calcul, sans demander "où l'on va", les enfants ont ce secret du compagnonnage fidèle, toujours à inventer, toujours nouveau, ils sont disponibles.

Quand Dieu lui-même se révèle à Moïse, il parle comme un enfant : "Je suis ce que je serai pour toi". Engagement à la nouveauté permanente. Rendez-vous donné à demain. Pont jeté sur l'avenir. Quoi d'étonnant si le Royaume de Dieu est à ceux qui ressemblent aux enfants ?

Et si nos amours humaines se jouaient sur une parole engagée ! Et s'il était vrai que nos amours sont sans retour ! Et s'il était vrai que la règle du jeu de toute relation soit cette vérité de l'enfant que les adultes qualifie de naïve, mais qui n'est que l'inlassable volonté - quoi qu'il arrive, quoi qu'il en coûte - de croire en la parole engagée, en la parole donnée.

Oh, je sais, dire cela n'est pas toujours  à la mode quand la courbe des divorces rejoint progressivement celle des mariages.
Les habiles parlent de droit au bonheur,  de droit à l'échec, de droit au recommencement.
La souffrance des amours ratées est trop certaine pour être traitée légèrement. Pourtant, le secret de la réussite ne serait-il pas justement dans cette sorte de naïveté, c'est-à-dire  dans cette invention perpétuelle d'une relation !
On peut rêver, dans un couple, d'un autre époux, d'une autre épouse. On peut constater tout ce que l'on veut et même davantage. Seule finalement importe la volonté, ou plutôt la certitude que l'amour est devant, comme une invitation à l'invention, à l'imagination. 
Naïveté, c'est-à-dire peut-être, être neuf à chaque circonstance nouvelle comme une occasion à saisir d'aimer mieux, d'aimer plus, d'aimer tout court. L'indissolubilité du mariage chrétien n'a pas d'autre sens : on se marie parce que l'on s'aime certes, mais si on se mariait également pour apprendre à s'aimer ? Toujours davantage ! Avec Dieu, avec le Christ qui nous a donné l'exemple d'un amour vrai, inconditonnel...

Ainsi de l'enfant ! Lui, il recommence toujours le même château de sable que la mer vient balayer à chaque marée. Son espoir est de gagner l'usure du temps. Sa volonté d'entreprendre ne prend pas appui sur le passé, sur la sacro-sainte expérience des adultes; elle prend appui sur l'avenir à réaliser, sur ce qui n'est pas encore et qu'il entend bien faire arriver.
             
Et quel est cet avenir ? Notre-Seigneur nous le dit : "ils ne sont plus deux, mais ils ne font plus qu'un". 

Cette réalité est elle-même signe d'un avenir encore beaucoup plus profond: "Père, qu'ils soient un comme nous sommes un... pour que l'amour qui est en nous soit en eux" (Jn 17.20 sv).
Lorsque l'on se trouve en présence d'un couple humain vibrant de bonheur, d'un bonheur que les épreuves ne parviennent pas à ternir, on s'écrie volontiers : "ils s'aiment tellement qu'ils paraissent ne plus faire qu'un".
Et en même temps, on constate qu'à la faveur de l'amour, chacun s'affirme davantage dans sa personne singulière et dans sa liberté, chacun devient un peu plus lui-même.

Alors on éprouve l'émouvante surprise  d'être en présence d'une image qui témoigne de l'amour de Dieu, du mystère de son unité dans la diversité respectée des personnes divines.
Aimer, c'est peut-être alors pouvoir devenir un, tout en devenant plusieurs. Et c'est, sans doute, dans cette unité étonnante  qui, en même temps, distingue et valorise chaque personne que l'esprit d'enfance fait gravir la voie royale de l'amour épanoui, en proclamant sans naïveté : "oui, c'est oui" -  "non, c'est non" - "L'amour ne fait pas semblant, il ne tient pas compte du mal, il met sa joie dans la vérité" ( Cf. 1 Cor.13)

L'amour c'est l'enfance éternelle puisque c'est Dieu lui-même !