mardi 31 mars 2020

De la faute à la foi !


5ème semaine de Carême -  Mardi

Dans la longue marche des Hébreux dans le désert du Sinaï, entre l’Egypte et la Terre Promise, on constate une certaine symétrie entre
les évènements qui précèdent l’arrivée à la Montagne  (du Sinaï)
et le départ de cette montagne pour la poursuite de l’expédition.

Avant, comme après, il y a la manne, l’eau qui jaillit du rocher, la victoire contre les ennemis, l’accueil par Jethro, le beau-père de Moïse.
Après, c’est le même Jéthro qui congédie le peuple, et la route continue avec, de nouveau,  la manne, l’eau du rocher.

S’il y a une différence dans la symétrie, elle consiste surtout dans l’intensité : dans la 2ème partie de la marche, après la Montagne, se multiplient les révoltes. La confiance qui aurait du se développer dans l’expérience des bienfaits de Dieu, fait place au contraire, à une perpétuelle lamentation.

Moïse, lui-même, n’en peut plus. On entend sa plainte dans le livre des Nombres, après la 2ème pluie de la manne et avant l’histoire des cailles.
Nb 11,10-16 : "Moïse entendit pleurer le peuple,  chaque famille à l'entrée de sa tente. 
La colère du Seigneur s'enflamma d'une grande ardeur. 
Moïse en fut très affecté, et il dit à Dieu : "Pourquoi fais-tu du mal à ton serviteur ? Pourquoi n'ai-je pas trouvé grâce à tes yeux,  que tu m'aies imposé la charge de tout ce peuple ? Est-ce moi qui ai conçu tout ce peuple,  est-ce moi qui l'ai enfanté,  que tu me dises : "Porte-le sur ton sein,  comme la nourrice porte l'enfant à la mamelle,  au pays que j'ai promis par serment à ses pères" ?  Où trouverais-je de la viande à donner à tout ce peuple,  quand ils m'obsèdent de leurs larmes en disant : "Donne-nous de la viande à manger" ? Je ne puis,  à moi seul,  porter tout ce peuple : c'est trop lourd pour moi. Si tu veux me traiter ainsi,  tue-moi plutôt !  Ah !  si j'avais trouvé grâce à tes yeux,  que je ne voie plus mon malheur !".  
Dieu dit à Moïse : "Rassemble-moi soixante-dix des anciens d'Israël,  que tu sais être des anciens et des scribes du peuple. Tu les amèneras à la Tente du Rendez-vous,  où ils se tiendront avec toi". 

La lecturz d’aujourd’hui nous emmène au sud de la Mer Morte, dans la région la plus sinistre que l'on connaisse, et c’est là que la révolte devient la plus violente, après la mort d’Aaron sur la Montagne de Hor.
Nb 21,4-9 : "Ils partirent de Hor-la-Montagne par la route de la mer de Suph,  pour contourner le pays d'Édom.  En chemin,  le peuple perdit patience. Il parla contre Dieu et contre Moïse : "Pourquoi nous avez-vous fait monter d'Égypte pour mourir en ce désert ? Car il n'y a ni pain ni eau ; nous sommes excédés de cette nourriture de famine".
Dieu envoya alors contre le peuple les serpents brûlants,  dont la morsure fit périr beaucoup de monde en Israël. Le peuple vint dire à Moïse : "Nous avons péché en parlant contre le Seigneur et contre toi. Intercède auprès du Seigneur pour qu'il éloigne de nous ces serpents". Moïse intercéda pour le peuple et Dieu lui répondit : "Façonne-toi un serpent brûlant que tu placeras sur un étendard.  Quiconque aura été mordu et le regardera restera en vie".  Moïse façonna donc un serpent d'airain qu'il plaça sur l'étendard,  et si un homme était mordu par quelque serpent,  il regardait le serpent d'airain et restait en vie". 

Le serpent d’airain restera, dans la tradition biblique, le symbole par excellence du salut. Encore maintenant, on voit son image figurée sur le pare-brise des voitures des médecins pour faciliter leur stationnement. Il sert aussi de symbole aux pharmaciens.
Dans la suite de l’histoire biblique, il devient même une tentation d’idolâtrie. On nous raconte au ch. 18 du 2ème livre des Rois que sa représentation qui figurait dans le Temple de Jérusalem, était devenu comme une idole et que le roi Ezéchias, lors de sa réforme, au temps du prophète Isaïe, eut à le détruire.
2 R 18,1-4 : "En la troisième année d'Osée fils d'Ela, roi d'Israël, Ezéchias fils d'Achaz devint roi de Juda. Il avait 25 ans à son avènement et il régna 29 ans à Jérusalem.  Il fit ce qui est agréable à Dieu, imitant tout ce qu'avait fait David, son ancêtre. C'est lui qui supprima les hauts lieux, brisa les stèles, coupa les pieux sacrés et mit en pièces le serpent d'airain que Moïse avait fabriqué. Jusqu'à ce temps-là, en effet, les Israélites lui offraient des  sacrifices; on l'appelait Nehushtân"

On peut s’étonner que l’Evangile d’aujourd’hui ne soit pas celui de l’entretien de Jésus avec Nicodème où est mentionné le serpent d’airain au ch. 3ème de St Jean.
Jn 3,14-16 : "Comme Moïse éleva le serpent dans le désert, ainsi faut-il que soit élevé le Fils de l'homme, afin que quiconque croit ait par lui la vie éternelle. Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle".

La liturgie, aux approches de la Passion, préfère nous maintenir, avec l'évangile, dans les chapitres 7,8 et 9 de St Jean où ressortent, plus que partout ailleurs, la grande révélation du Messie et le grand refus de ce Messie de Dieu.
Cependant, le serpent d’airain de la 1ère lecture est évoqué irrésistiblement par le mot que St Jean emploie avec insistance dans l’Evangile d’aujourd’hui, le mot "élevé ".
Le mot "élevé" dans St Jean est très important ; il évoque le serpent d’airain ; et, dans l’Evangile, il évoque à la fois l’élévation de Jésus sur la Croix et l’élévation que sera sa résurrection. Et puis, surtout, il évoque ce verset vers lequel monte tout l’Evangile de St Jean, "Ils regarderont Celui qu’ils ont transpercé".
Jn 19,31-37 :  "Comme c'était la Préparation, les Juifs, pour éviter que les corps restent sur la croix durant le sabbat - car ce sabbat était un grand jour -, demandèrent à Pilate qu'on leur brisât les jambes et qu'on les enlevât.  Les soldats vinrent donc et brisèrent les jambes du premier, puis de l'autre qui avait été crucifié avec lui. Venus à Jésus, quand ils virent qu'il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais l'un des soldats, de sa lance, lui perça le côté et il sortit aussitôt du sang et de l'eau.  Celui qui a vu rend témoignage - son témoignage est véritable, et celui-là sait qu'il dit vrai - pour que vous aussi vous croyiez. Car cela est arrivé afin que l'Écriture fût accomplie : Pas un os ne lui sera brisé. Et une autre Écriture dit encore : "Ils regarderont celui qu'ils ont transpercé."   Phrase inspirée du prophète Zacharie (ch 12) qui fait dire à Dieu  lui-même, de façon mystérieuse :  "et ils regarderont vers moi (donc ver Dieu)  celui qu'ils ont transpercé.”

Comme l’ont compris les saints (St François), le regard sur le transpercé est la source principale de l’espérance chrétienne.
"O crux ave spes unica"  -  "Salut, ô croix, unique espérance" ! 

Autrefois, la coutume voulait que dans cette 5ème semaine de Carême, on voile les crucifix jusqu’au vendredi saint, comme pour mieux redécouvrir la puissance de salut universel du signe de la Croix. Signe élevé sur le monde !


P.S. Rappel  explicatif sur ce fameux “serpent d’airain“
il y a un jeu de mots plein d’humour (un peu noir) dans l’expression “serpent d’airain“ .-  Serpent  (narach) : N’oublions pas que les Hébreux venaient d’Egypte ! En ce pays, on croyait qu'un animal dangereux pouvait être neutralisé ou manipulé par son image.  Et le regard vers l'image du serpent  transformait sa menace mortelle en une fonction guérissante. C’est un peu comme dans l’art de la médecine : on prend un peu du poison, on l’inocule dans l’organisme pour en faire un antidote !
Ainsi, en se moquant, Moïse dit au peuple : en regardant le serpent, regardez bien en face l’objet de votre erreur, votre mal (ne pas croire en Dieu). Et en regardant votre erreur bien en face (avec contrition, dirions-nous), vous serez sauvés !
Et Moïse insiste ! Dieu lui avait commandé de faire un serpent ! Et lui de se dire : “je le ferai en airain“ (nérochet !). Il en découle un jeu de mot dans l’expression “serpent d’airain“ : “narach nérochet“. - Les deux mots ont la même origine, celle d'un verbe qui veut dire  : faire de la divinisation, consulter les augures, ce que les Hébreux faisaient facilement quand ils se détournaient de Dieu !
Autrement dit, en amplifiant sa moquerie, Moïse leur demande de bien reconnaître leurs erreurs, leur manque de confiance. Et ce faisant, Dieu leur pardonnera et ils seront sauvés ! La faute qu’il regarde bien en face avec contrition devient un antidote par la foi retrouvée. - C’est cette explication que semble donner Jésus dans son entretien avec Nicodème (Jean 3) : “Ce qui est né de la chair est chair, ce qui est né de l’Esprit est esprit !“.

lundi 30 mars 2020

Les "témoins" de Jésus !


5ème semaine de Carême  -  Lundi

L’Evangile d'aujourd'hui se situe toujours dans le cadre de la fête des Tentes, de Soukkoth. Il vient aussitôt après l’épisode de la femme adultère.  
On peut même le situer très précisément dans l’espace : Jésus enseignait dans le Temple, près de la salle du Trésor, à proximité ou, peut-être, à l’endroit du portique des femmes où se trouvaient les troncs destinés à recevoir les offrandes. C’est là que St Marc situe l’épisode de l’obole de la veuve.
Mc 12,41 : "S'étant assis face au Trésor, il regardait la foule mettre de la petite monnaie dans le Trésor, et beaucoup de riches en mettaient abondamment".
Episode raconté aussi en Luc 21,1.

Dans ces précisions topographiques et chronologiques, St Jean se montre -  paradoxe ! - plus précis que les autres évangiles sur ces détails. Son récit est pourtant le plus tardif ; mais il était le plus jeune des apôtres et les souvenirs les plus anciens sont ceux qui restent le plus profondément gravés dans la mémoire des vieillards.

Partant, St Jean, durant sa longue vie, a eu le temps de méditer sur les évènements qu’il a vécus avec le Christ ; et c’est lui qui, souvent, leur donne la signification la plus profonde. Le temps qui s’écoule est valorisant dans la Tradition du peuple de Dieu.

St Jean, a-t-on répété, est celui qui a mené à son plein épanouissement ce que la littérature biblique a de plus original. Fortement enracinée dans le réalisme de l’histoire et de la géographie, cette littérature devient universelle : et dans ce que l'on vit, une plénitude de signification se dégage avec le temps grâce à la Tradition vivante du peuple élu !

Et des précisions topographiques et chronologiques, on s’élèvera jusqu’au mystère même de la Sainte Trinité : La question qui se pose dans les trois chapitres de St Jean qui se placent dans le contexte de la fête des Tentes est principalement celle-ci : Jésus est-il oui ou non l’"Envoyé".  Tout converge d'ailleurs vers la piscine de Siloé (mot qui signifie "envoyé") où se passe le miracle de l’Aveugle-né.
Jn 9,39-41 : "Jésus dit alors :  "C'est pour un discernement que je suis venu en ce monde : pour que ceux qui ne voient pas voient et que ceux qui voient deviennent aveugles"   Des Pharisiens, qui se trouvaient avec lui, entendirent ces paroles et lui dirent : "Est-ce que nous aussi, nous sommes aveugles ?"  Jésus leur dit : "Si vous étiez aveugles, vous n'auriez pas de péché ; mais vous dites : Nous voyons ! Votre péché demeure".

Et si Jésus est vraiment l’"Envoyé", alors il n’est pas seul quand il se rend témoignage à Lui-même. Il transcende la Loi mosaïque qui dit qu’un témoignage n’est pas valable s’il vient d’un seul témoin. Cette loi est énoncée dans le Deutéronome, juste après celle qui condamne à la lapidation de l’adultère.
Dt 17,6 : "On ne pourra être condamné à mort qu'au dire de deux ou trois témoins ; on ne sera pas mis à mort au dire d'un seul témoin". 

L’affirmation de Jésus selon laquelle il n’a pas besoin du témoignage des hommes et que le témoignage de Celui qui l’a "envoyé "est suffisant ; elle est développée un peu plus haut dans St Jean au chapitre 5ème.
Jn 5,31-39 : "Si je me rends témoignage à moi-même, mon témoignage n'est pas valable. Un autre témoigne de moi ; et je sais qu'il est valable le témoignage qu'il me rend.
Vous avez envoyé trouver Jean (Baptiste) et il a rendu témoignage à la vérité. Non que je relève du témoignage d'un homme ; si j'en parle, c'est pour votre salut. Celui-là était la lampe qui brûle et qui luit, et vous avez voulu vous réjouir une heure à sa lumière.  
Mais j'ai plus grand que le témoignage de Jean (Baptiste) : les œuvres que le Père m'a donné à mener à  bonne fin, ces œuvres mêmes que je fais me rendent témoignage que le Père m'envoie. Et le Père qui m'a envoyé, lui, me rend témoignage. 
Vous n'avez jamais entendu sa voix, vous n'avez jamais vu sa face ; et sa parole, vous ne l'avez pas à demeure en vous, puisque vous ne croyez pas celui qu'il a envoyé. Vous scrutez les Écritures, parce que vous pensez avoir en elles la vie éternelle, et ce sont elles qui me rendent témoignage". 

…   … La fête de Soukkoth, comme Pâques et Pentecôte,  pose toujours la question : Jésus, est-Il oui ou non l’Envoyé ? Puisse notre comportement de chrétiens en témoigner en ce temps de Carême, principalement !
Puissions-nous découvrir déjà et le Père et l'Esprit qui rendent témoignage à Jésus qui va vers l'accomplissement du mystère pascal : par sa résurrection il retrouvera la gloire du Père, gloire qu'il nous fait déjà recevoir par l'envoi de leur Esprit commun (ce que signifie pour nous pas le baptême particulièrement).

vendredi 27 mars 2020

L'Envoyé de Dieu !


4ème semaine de Carême  -  Vendredi

La lecture émane du milieu juif d'Alexandrie où la bible hébraïque fut traduite en grec dans cette version qui porte le nom de "Septante".
Un mot à ce sujet : D’après une légende - la légende d’Aristée - 70 traducteurs, travaillant séparément durant 70 jours, sont arrivés au même résultat  dans une traduction identique à la lettre prés… 

L’Eglise n’a pas attaché d’importance à cette légende d’Aristée.
Cependant  elle a recueilli ces traductions dans le canon catholique des Ecritures sous le nom de "Deutérocanonique". Ce mot de "deutérocanonique" dans la Tradition catholique n’a rien de péjoratif. On considère ces livres comme "inspirés", tout aussi bien que ceux qu’on ne trouve que dans la Bible hébraïque...

Et - remarquons-le -  cette traduction grecque marque souvent un progrès théologique antérieur à l’avènement du christianisme - et pourtant plus proche -.  
Aussi, quand on pense que le texte hébreu (la "massore") n’a pris sa forme définitive qu’au 9ème siècle après J.C  à Tibériade, on comprend qu'on a bien souvent eu recours au texte grec des "Septante" pour se rapprocher des textes originaux.

Le texte d'aujourd’hui peut être daté assez précisément. Il a été écrit à un moment où les juifs d’Alexandrie, sans être l’objet d’une persécution officielle, ont eu à subir des tracasseries, des vexations de toutes sortes. Cette période est à situer dans la 1ère moitié du 1er siècle avant Jésus-Christ.
Et on se demande si les persécuteurs sont des païens qui persécutent les juifs, ou s’il ne s’agirait pas plutôt de juifs renégats, qui, après avoir trahi leur foi, persécutent leurs frères et défient Dieu. Ce sont des espèces de jouisseurs, comme on en trouve à toutes les époques, de type épicurien.

Le motif de la persécution n’est pas de punir un malfaiteur.
Il ne s’agit pas non plus d’une erreur judiciaire dont serait victime un innocent.
Il s’agit d’une persécution qui a pour motif l’innocence même de la victime.
L’homme, en effet, partout et toujours, ne supporte pas celui dont l’exemple et la parole invitent inexorablement ses contemporains à changer de vie.
Ecrit un siècle avant l’apparition du Christ, ce texte prend une valeur saisissante. Il décrit non seulement la mort du juste, mais celle d’un "fils du Seigneur", d’un "fils de Dieu". Ce texte prend une extraordinaire plénitude de sens quand on pense à la passion de Jésus et à sa crucifixion.

Avec l’Evangile, nous sommes toujours - depuis plusieurs jours - dans le contexte de la fête des Tentes (de Soukkoth,) telle qu’on la pratiquait au temps de Jésus, avant la destruction du Temple. C’est une méthode de St Jean de raconter les épisodes de la vie de Jésus dans le cadre des fêtes juives.

Géographiquement, à Jérusalem, une grande partie de cette fête de Soukkoth se passe en relation avec la source de Siloé. Siloé vient d'une racine hébraïque qui veut dire "envoyé".  Aussi,  la question qui domine en St Jean, en cette partie de son Evangile qui s’inscrit en cette grande fête juive (ch. 7 à 9)  est bien celle-ci :  Jésus est-il l’envoyé de Dieu. La discussion est très vive, on peut même dire violente (comme dans le contexte de la 1ère lecture). La Bible de Jérusalem titre ainsi  l’ensemble de ces trois chapitres  de St Jean : "La fête des Tentes - La grande révélation messianique, le grand refus".

Jésus apparaît comme le "signe de contradiction" dont parlait le vieillard Siméon lors de la Présentation de Jésus au Temple.
Lc 2,34-35 : "Syméon les bénit et dit à Marie, sa mère : " Vois ! cet enfant doit amener la chute et le relèvement d'un grand nombre en Israël ; il doit être un signe en butte à la contradiction -  et toi-même, une épée te transpercera l'âme ! - afin que se révèlent les pensées intimes de bien des cœurs".  
Jn 9, 39-41 : "Jésus dit alors :  "C'est pour un discernement que je suis venu en ce monde : pour que ceux qui ne voient pas voient et que ceux qui voient deviennent aveugles".  Des Pharisiens, qui se trouvaient avec lui, entendirent ces paroles et lui dirent : "Est-ce que nous aussi, nous sommes aveugles  ?".  Jésus leur dit : "Si vous étiez aveugles, vous n'auriez pas de péché ; mais vous dites : Nous voyons ! Votre péché demeure".  

C'est toujours et inlassablement cette question. Qui nous est posée :
Dt 18,21 : "Peut-être vas-tu dire en ton cœur : "Comment saurons-nous que cette parole, Dieu ne l'a pas dite ?"

N’est-ce pas trop souvent le comportement des chrétiens qui oblige le monde à se demander  si Jésus est oui ou non l’Envoyé ?

mercredi 25 mars 2020

Annonciation actuelle


Annonciation

"L'Esprit-Saint viendra sur toi et te couvrira de son ombre"...
On peut dire que le Christianisme est une alliance, une alliance de deux Amours en Jésus-Christ :
- l'Amour de Dieu qui s'abaisse vers nous par l'Esprit-Saint.
- l'Amour de l'homme qui monte vers Dieu par Marie.
- Et Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, est le nœud de cette Alliance, la rencontre de cette double tendresse.

Voilà pourquoi nous répétons chaque dimanche : "Par l'Esprit-Saint, Jésus-Christ a pris chair de la Vierge Marie". Enoncé apparemment fort simple mais lourd de conséquences incalculables dont nous n'achèverons pas de comprendre ni d'épuiser la fécondité.

Certes, l’évangéliste relate bien un événement du passé, si incroyable fût-il  : "L'Esprit-Saint viendra sur toi et te couvrira de son ombre !" 

Cependant, sa formule n’est pas anodine ! Elle évoque la présence divine dans l'arche Sainte, couverte de l'"Ombre du Très-Haut", durant les quarante années du peuple hébreu dans le désert !
Marie sera donc, par l'action de l'Esprit-Saint, une nouvelle "arche" où Dieu reposera. Luc veut éveil­ler chez son lecteur le souvenir de la "shékinah", cette présence divine et libératrice qui descend sur Marie comme la gloire du Seigneur était autrefois descendue sur la tente du Témoignage et l'avait remplie d'une divine présence.

Mais est-ce là, de la part de St Luc, pure rela­tion d'un fait historique, lointain, révolu ? Ou veut-il nous laisser entrevoir une loi immuable de l'action de Dieu dans le monde, en chacune de nos âmes ?  Restreindre l'Alliance de l'Esprit-Saint et de Marie à la seule naissance de Jé­sus, c'est la réduire au niveau d'un épisode historique qui, si grand soit-il, n'a duré qu'un rapide moment, puis est entré dans le passé ; c'est situer Marie dans l'histoire, mais non dans le présent, dans notre pré­sent, ni dans l'avenir.  L'Esprit-Saint ne vient-il pas à tout jamais "couvrir Marie de son ombre" fécondante ? 

Avec toute l'Eglise, nous croyons que l'union du Saint-Esprit et de Marie est conclue pour tous les siècles, que l'Alliance reste désormais indissoluble, et qu'aujourd'hui encore Jésus continue de naître invisi­blement dans les âmes "de Spiritu Sancto ex Maria Virgine", "par l'Esprit-Saint, de la Vierge Marie". Voilà pourquoi Notre Dame elle-même s'écrira : "Toutes les générations m'appelleront "Bienheureuse" ».

Dès que l'on a compris le sens de cette Alliance, nous comprenons du même coup que nous-mêmes, nous ne pouvons être unis au Christ sans l'Esprit-Saint et, à son rang, sans Marie.

L'Esprit-Saint ne cesse de venir en nous comme l'Envoyé du Fils, comme Celui qui prolonge et achève sa tâche en chacun d'entre nous : "J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, avait dit Notre Seigneur, Mais vous ne pou­vez les porter à présent. Quand l'Esprit de vérité viendra, il vous guidera vers la vérité tout entière.... Il recevra ce qui est à moi et il vous l'annoncera" (Jean 16/12sv).

Certes, le Christ nous a tout mérité par sa Passion et sa Résurrection, par son sang "versé pour la mul­titude", selon la formule de la consécration eucharistique. Mais ce sang doit être répandu "goutte à goutte", si je puis dire, sur tous les hommes de tous les temps afin d’opérer ce que l’on pourrait appeler la Ré­demption consentie. Et c’est le rôle de l'Esprit-Saint que d’irriguer nos âmes de la vie divine communiquée par le Christ en son mystère pascal.

Oui, le Christ continue de se communiquer à nous "par l'opération du Saint-Esprit". Après avoir produit le "chef œuvre", si je puis dire, il en suscite les imi­tations. Il fait que le Christ est en nous et que nous sommes dans le Christ. Aussi St Paul s'écrira : "Seuls sont enfants de Dieu ceux qui se laissent mou­voir par l'Esprit-Saint»" Qui veut vivre du Christ doit s'ouvrir à l'Esprit-Saint. Qui reçoit l'Esprit s'unit au Christ. - Puissions-nous sans cesse mieux le recevoir pour devenir de plus en plus "vrais fils de Dieu".

Mais on ne peut l'être également sans Marie : "Par l'Esprit-Saint, il a pris chair de la Vierge Marie".  On ne peut séparer Marie de son Fils. On ne peut deve­nir d'autres "christs" sans Marie.

Mieux que St Paul, Marie peut témoigner : "Ce n'est pas moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi !". Entre Elle et Lui s'est établi un échange admirable : Marie donnait à Jésus son humanité ; Jésus donnait à Marie une participation toujours croissante à sa divi­nité. La Mère faisait vivre le Fils de sa vie à Elle ; le Fils faisait vivre la Mère de sa vie à Lui.

Or, ni l'Esprit-Saint, ni Marie n'arrêtent leur action à eux-mêmes.
- L'Esprit est "don de soi" par le fond même de son être divin. Il est par tout lui-même tendu "vers le Père et le Fils", comme le Père et le Fils sont orientés vers Lui. Il ne peut s'enfermer dans sa perfection propre, fruit de leur amour mutuel, mais Il se porte sans cesse vers eux.
- Et Marie, la créature la plus proche de Dieu, participe à cette ou­verture divine, à ce "don" incessant de soi-même.
Plus une âme est unie à Dieu, plus elle unit à Dieu.
Plus une âme vit en Dieu, plus elle fait vivre de Lui.
Marie ne peut donc que nous unir à Dieu, que nous "engendrer" en son Fils. Donner Jésus à chaque âme et au monde en­tier reste l'unique ambition de cette Mère. Bien plus que St Paul, elle ne cesse de nous dire : « Petits enfants que j'enfante de nouveau jusqu'à ce que le Christ soit formé en vous !» (Gal 4/19).

En ce temps qui nous achemine vers la fête de Pâques, unissons-nous à l'Esprit-Saint et à Notre-Dame, de sorte que, par leur union en cha­cune de nos âmes, il puisse nous être annoncé à cha­cun d'entre nous également : Celui qui vient en toi est Saint ; il est le Fils du Dieu Très-Haut… … car "rien n'est impossible à Dieu".

mardi 24 mars 2020

l'eau vive !


4ème semaine de Carême - Mardi

Pour nous parler dans les Ecritures, Dieu se sert abondamment de symboles, de figures, d’images. La cause en est que le langage symbolique est plus apte que les formulations rationnelles à véhiculer les richesses de sa révélation.

Les symboles stimulent l’intelligence à marcher aussi loin que possible, à pas de raison, dans la compréhension des mystères ; et les formulations théologiques s’élaborent ainsi dans le temps, dans la Tradition vivante de l’Eglise, et de cette infaillibilité que lui donne cet Esprit Saint qui mène vers la Vérité toute entière au fur et à mesure que nous sommes capables de la porter.
Cela fait partie de la "pédagogie de Dieu" à notre égard, de "l'économie divine", disaient les Anciens, d'Orient surtout.

Parmi les symboles de la Bible, un des plus riches, avec la manne dans le désert,, il y a l’eau vive. Cette eau vive
qui sort du rocher dans le désert,
qui sort du rocher sur lequel est construit le "Saint de Saints" du Temple de Jérusalem.

Notre lecture nous a donné l’occasion de relire la vision d’Ezéchiel. Cette source sort du Temple, fait pousser des arbres dans le désert et ressuscite la Mer Morte.
Cette source qui sort de la cuvette de Jérusalem, entre le Mont des Oliviers et la "Maison d’Abraham", on la retrouve à la fin du prophète Joël.
Jl 4,18 : "Ce jour-là…., une source jaillira de la maison du Seigneur et arrosera le ravin des Acacias". 

On la trouve encore dans le dernier chapitre de Zacharie.
Za 14,8 : "Il arrivera, en ce jour-là, que des eaux vives sortiront de Jérusalem ; il y en aura été comme hiver". 

Cette source, dans la Bible, est liée à l’avènement du Royaume de Dieu ; elle est permanente et elle coule non seulement vers le désert et la Mer Morte, mais aussi vers la Méditerranée.

On peut dire que tout le mystère de Jérusalem, qui n’a pas encore fini de se révéler, s’inscrit entre cette petite source -, "les eaux de Siloé qui coulent doucement -  et le grand fleuve apocalyptique qu’annoncent les prophètes pour la fin des temps.

De plus, remarquons également : le Temple, qui est au centre de Jérusalem, est encadré par deux sources :
celle de Siloé - au sud - où Jésus guérit l’aveugle-né - cette source dont je viens de parler -  
et celle de Bethesda - au nord - où Jésus  - c’est l’Evangile d’aujourd’hui – guérit le paralytique.

La Loi ancienne interdisait aux aveugles et aux boiteux d’entrer dans le Temple. Pourquoi ?
Les Cananéens se moquaient de David, avant la prise de Jérusalem.
2 Sm 5,6-8 :  David avec ses gens marcha sur Jérusalem contre les Jébuséens qui habitaient le pays, et ceux-ci dirent à David : "Tu n'entreras pas ici ! Les aveugles et les boiteux t'en écarteront" c'est-à-dire : David n'entrera pas ici.
Mais David s'empara de la forteresse de Sion ; c'est la Cité de David.  Ce jour-là, David dit :  … "Quant aux boiteux et aux aveugles, David les hait en son âme.  C'est pourquoi on dit : Aveugle et boiteux n'entreront pas au Temple". 

Et de même le Lévitique enseigne :
Lv 21,16-18 : "…Aucun homme ne doit s'approcher (pour une offrande à Dieu) s'il a une infirmité, que ce soit un aveugle ou un boiteux, un homme défiguré ou déformé",

Mais Jésus, lui, pensera et agira différemment.
Mt 21,12-14 : "Puis Jésus entra dans le Temple et chassa tous les vendeurs et acheteurs qui s'y trouvaient : il culbuta les tables des changeurs, ainsi que les sièges des marchands de colombes. Et il leur dit : " Il est écrit : Ma maison sera appelée une maison de prière.  Mais vous, vous en faites un repaire de brigands !".  Il y eut aussi des aveugles et des boiteux qui s'approchèrent de lui dans le Temple, et il les guérit."

Et, pour faire court malheureusement, St Jean le théologien dira :.
Jn 19,31-37 : "Comme c'était la Préparation (dusabbat), les Juifs, pour éviter que les corps restent sur la croix durant le sabbat demandèrent à Pilate qu'on leur brisât les jambes et qu'on les enlevât. Les soldats vinrent donc et brisèrent les jambes du premier, puis de l'autre qui avait été crucifié avec lui.
Venus à Jésus, quand ils virent qu'il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais l'un des soldats, de sa lance, lui perça le côté et il sortit aussitôt du sang et de l'eau. Celui qui a vu rend témoignage pour que vous aussi vous croyiez.  Car cela est arrivé afin que l'Écriture fût accomplie : Pas un os ne lui sera brisé. Et une autre Écriture dit encore :  Ils regarderont celui qu'ils ont transpercé". 

L’Eglise voit dans cette source qui jaillit du Christ en Croix, qui est le Temple au plein sens du mot , ces sacrements qui véhiculent jusqu’à nous, dès maintenant, la réalité ultime de la Rédemption, qui, à tout moment, nous permettent de reprendre l’élan d’une Vie nouvelle.

lundi 23 mars 2020

Re-création - Résurrection !


4ème semaine de Carême  -  Lundi
 
Vous avez certainement remarqué dans la lecture la répétition du mot "créer".
Is 65,17-18 : "Car voici que je vais créer des cieux nouveaux et une terre nouvelle ;  on ne se souviendra plus du passé, il ne reviendra plus à l'esprit. Mais soyez pleins d'allégresse et exultez éternellement de ce que moi, je vais créer : car voici que je vais faire de Jérusalem une exultation et de mon peuple une allégresse".

Ce mot "bara" est connu en hébreu par tous ceux qui ont fait ne fut-ce qu’un tout petit peu d’hébreu biblique. C’est le 2éme mot du premier chapitre de la Genèse :  "Bereshit  BARA" -  "Au commencement Dieu créa le ciel et la terre".

Ce mot qui se trouve aux origines, apparaît également dans l’histoire.
Le peuple élu fait, tout au cours de son histoire, l’expérience de merveilles, de délivrances que Dieu seul, dans sa toute puissance illimitée, peut opérer, "créer".
Au temps de l’exil à Babylone, lorsque le peuple n’est plus qu’ossements desséché et que Dieu le ressuscite pour le faire revenir à Jérusalem, cette délivrance est si déconcertante qu’elle prend l’allure d’une nouvelle création. C’est alors que le mot "Bara" est employé.
Le texte que nous avons entendu en notre lecture est d’un disciple d’Isaïe contemporain de ce retour miraculeux. Il ne trouve pas de mot plus expressif - "bara" - pour parler de ce que Dieu opère, crée) et continuera d’opérer (de créer) dans l’histoire au profit du peuple élu.

A remarquer : C’est l’époque où Jérémie et Ezéchiel parlent d’une "Nouvelle Alliance" qui ne sera rien moins qu’une nouvelle création. Jérusalem dévastée va ressusciter. Alors que beaucoup de peuples, plus importants que la tribu de Juda, ont complètement disparu dans le "méli-mélo" des empires qui se sont succédé,  la petite tribu de Juda, qui a été victime d’un véritable anéantissement, contre toute espérance humaine, par une véritable résurrection des morts, va être objet d’une nouvelle création ; et son histoire qu’on aurait pu croire définitivement interrompue, reprend de plus belle dans une espérance universelle:
"Oui, je vais créer un ciel nouveau et une terre nouvelle, on ne se rappellera plus le passé, il ne reviendra plus à l’esprit".

Ce langage de création aux origines,  de recréation collectivement vécu par le peuple élu au cours de son histoire, va se transférer sur le plan individuel. On le trouve dans la bouche de David, après son adultère avec Bethsabée. Dans sa repentance, il reprend ce langage de recréation. (Ps 50,12)
"Crée en moi un cœur pur".
(Lev tahor bera li Elohim)
"Renouvelle en ma poitrine un esprit de générosité"
(Va rouah nahon rodesh beqirbi)
Ce mot de "bara" exprime l’expérience que fait le peuple élu
d’un Dieu créateur,
d'un Dieu re-créateur collectivement,
et, bien plus, d'un Dieu sans cesse créateur de chaque individu, en fusse-t-il indigne.
"Notre Dieu est un Dieu de délivrance, à Lui sont les issues de la mor".

Les professeurs nous disent que le 1er chapitre de la Genèse est tardif. Dans sa perfection stylistique et sa parfaite construction mathématique, il doit être de l’époque Perse.
Les juifs, pendant l’exil à Babylone, ont vécu sous la domination de l’Empire des Perses. Ceux-ci avaient une religion dualiste. Pour rendre compte du mal, ils posaient que deux principes étaient en lutte dans l’histoire du monde, un principe bon et un principe mauvais. Les écoles juives de scribes, à cette époque, ont jugé bon de rompre avec ce dualisme. La phrase "Dieu vit que cela était bon" revient comme un refrain, dans les jours de la création.

La Bible - Parole de Dieu - veut accompagner la condition humaine jusqu’au fond des problèmes que pose le mystère du mal - pensons à Job, Qohélet, à certains psaumes -  , pensons surtout aux anéantissements du Verbe Incarné qui meurt sur la croix, de la mort des esclaves.

Ainsi, le Carême qui nous invite à la repentance, nous invite à le vivre dans la joie de l’Espérance en le Dieu des délivrances, qui "a les issues de la mort", qui peut récréer comme il nous a créés, à qui nous remettrons un jour notre dernier souffle, dans la certitude qu’il nous le rendra.
Ps 104, 29-30 :  "Tu caches ta face, ils s'épouvantent,
 tu retires leur souffle, ils expirent ; 
          à leur poussière ils retournent.
Tu envoies ton souffle, ils sont créés ;
         tu renouvelles la face de la terre".

Vivons  notre Carême
dans cet esprit de création depuis le début de notre  existence,
dans cet esprit de re-création  tout au long de notre vie au milieu des diverses difficultés, de signes de destruction,
dans cet esprit de résurrection qui se manifestera au seuil de notre éternité !

dimanche 22 mars 2020

Foi : Une rencontre personnelle !


4e  Carême A.20

Quelle merveilleuse aventure que celle de cet aveugle de l’évangile. On est facilement ému par ses tribulations, ses conflits avec les pharisiens, sa rencontre avec Jésus, ses dernières paroles si émouvantes : "Je crois, Seigneur".

L’événement a lieu à l’occasion de la fête de Soukkot ; cette fête appelée aussi “fête des tentes”, faisait mémoire des merveilles accomplies par Dieu au cours de la traversée du désert par le peuple hébreu. Et entre autres, et principalement : le miraculeux jaillissement de l’eau à partir du rocher frappé par Moïse pour étancher la soif de tout le peuple ; et l’apparition de la colonne de feu, de la colonne lumineuse qui conduisait le peuple tout au long de leur périple. Ces deux éléments - l’eau et la lumière - rappelaient à leur façon la délivrance d’Egypte et l’entrée en Terre promise.

Et voici que Jésus reprend ces deux éléments :
* Il demande à l’aveugle d’aller se laver dans la piscine de Siloë qu’alimentait - par un fameux canal - l’eau qui jaillissait du rocher, à la source de Gihon, à l’extérieur des remparts.
Cette source qui rappelait celle du désert était un autre lieu très symbolique de délivrance depuis la déroute des armées de Sennachérib, au temps du prophète Isaïe (8ème s.).
Et c’était cette petite source située au côté droit du temple qui était devenue, dans la vision très imaginative d’Ezéchiel, un siècle plus tard, ce grand fleuve qui se jetait dans le Jourdain et dans la mer morte (symbole de tous les péchés) pour la purifier et la rendre féconde. –

“Va te laver dans la piscine de Siloë !”.
C’était demander à l’aveugle cette foi qui avait permis aux Hébreux
de passer, par la mer rouge, de la “servitude au service”,
de traverser le Jourdain pour être purifié comme naguère Naaman, le Syrien,
d’aller s’abreuver à la source que Dieu ne cesse d’alimenter pour le salut du peuple.

* De plus, la fête voulait rappeler la nuée lumineuse qui conduisait le peuple tout au long de leur chemin de délivrance à travers le désert. Aussi, durant ces jours de fête, tout Jérusalem était illuminé avec un luxe incroyable et des moyens qu’on a peine à imaginer aujourd’hui. Et c’est justement en entrant à Jérusalem au dernier jour de cette fête de Soukkot que Jésus déclare solennellement : “Je suis la lumière du monde. Celui qui vient à moi ne marchera pas dans les ténèbres”.

Ce récit veut donc montrer tout à la fois
la mission de lumière accomplie par Jésus en ce monde,
et le conflit dramatique qui en résulte, opposant violemment entre elles la lumière qui permet de voir et les ténèbres : "La lumière est venue dans le monde, avait déjà dit St Jean, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière !" (3/19).

Il est important de comprendre les circonstances de cette guérison qui nous interpellent nous-mêmes :
comment nous-mêmes réagissons-nous devant cette “Lumière du monde” qu’est le Christ,
nous qui avons été purifiés par les eaux du baptême ? 
Il suffit alors de reprendre attentivement le récit.

Il y a d'abord l'attitude des PHARISIENS. Parmi eux, certains se demandent avec bonne foi qui est cet homme qui accomplit de tels miracles ; mais la plupart ont un parti pris évident contre Jésus. Ils sont murés dans leur suffisance, leur orgueil, leur contentement d'eux-mêmes : "Nous savons…" "Nous voyons…" "Sommes-nous des aveugles, nous aussi?…" Ils ne veulent pas voir. C'est le "péché contre la lumière", comme dira St Jacques. Alors, ils s'enfoncent dans d'irrémédiables ténèbres. La lumière, au lieu de les éclairer, les aveugle davantage. C'est une situation dramatique qui culminera au moment de la passion du Christ.
Puisse la lumière de notre intelligence ne pas nous enfermer sur nos petites convictions, nos petites certitudes, avec suffisance ou paresse, mais nous ouvrir à la lumière même de Dieu !

Le récit met encore en scène LES PARENTS de l’aveugle ! Leur attitude, à eux, c'est la peur de se compromettre avec Jésus. Ils refusent d'opter ! "Nous n'en savons rien." C'est encore un "péché contre la lumière" qui les empêche de rencontrer le Seigneur, d'être éclairés.   Cette erreur est toujours actuelle : le silence de notre foi, par respect humain, par crainte de l'opinion d’autrui, par peur de se compromettre. On oublie facilement le Christ en le reléguant dans la sphère du privé, uniquement. Pourtant, le Seigneur ne cesse de nous redire : "N'ayez donc pas peur !"

Imitons plutôt L'AVEULGE-NE, un des personnages les plus attachants de l'Evangile. C'était un mendiant ignoré, méprisé. Lui seul pourtant va savoir proclamer hardiment la vérité devant des gens considérés, instruits, devant les autorités.
Remarquez sa sincérité : il raconte les faits avec exactitude !
Remarquez son courage : il accepte les insultes, les outrages à cause du Christ !
Remarquez son humilité devant Dieu. Il est le type des “Pauvres de Dieu”. Parce qu'ils sont humbles, petits à leurs propres yeux, ils reçoivent la lumière !

Cependant, il n'accède pas d'un coup à la lumière ;
et ce n'est pas un des moindres intérêts de ce récit que ce cheminement intérieur et très progressif de cet homme ! En cela, il est un modèle de loyauté, de docilité à la grâce, à l'Esprit-Saint. Tout au long de l’épisode dramatique, on le voit s'élever, de degré en degré, à une intelligence spirituelle plus haute, et de l'événement dont il a été le bénéficiaire, et de la Personne même du Christ !

- Au début, Jésus n'est encore pour lui que "l'homme appelé Jésus", et sa propre guérison qu'une aventure inouïe, inexplicable. "Où est-il, ce Jésus ?", lui demande-t-on. Il n'en sait rien !

- Puis, témoin des divisions des Pharisiens, il commence à comprendre que sa guérison a une signification religieuse. Alors, il n'hésite pas à dire que ce Jésus est un "prophète", et sa guérison, par conséquent, un miracle et un "signe".

- Enfin, quand les Juifs durcissent leur position et font décidément de Jésus un pécheur, l'aveugle s'affermit, de son côté, dans la sienne : Jésus est un homme religieux ; c’est parce qu’il prie que Dieu l’exauce. Bien plus, il ajoute : "Si cet homme-là ne venait pas de Dieu, il ne pourrait rien faire !". Ces paroles courageuses provoquent son expulsion !

- L'Aveugle guéri en est là quand Jésus le retrouve. On dirait qu'il le cherchait.   L'aveugle est au seuil de la foi.   Pour accéder à la pleine lumière, il lui faut encore cette rencontre ;   et Jésus ne la lui refuse pas !
- "L'ayant trouvé, il lui dit : "Crois-tu au Fils de l'Homme ?". Il répondit : "Et qui est-il, Seigneur, pour que je crois en lui ?". Admirable disponibilité : son cœur est prêt à croire. Puissions-nous avoir cette disposition loyale - et qui n'est pas naïveté, bien sûr -  pour recevoir la lumière, la vérité, pour recevoir Dieu lui-même ! 
- "Jésus lui dit : "Tu le vois; c'est lui qui te parle" ! Alors il dit :
"Je crois, Seigneur".  Et il se prosterna devant lui".      

L'aveugle accepte le témoignage de Jésus. Ses yeux s'ouvrent : il voit Jésus des yeux de la foi, et pas seulement de ses yeux de chair guéris par le miracle. 
Il voit en lui l'Envoyé de Dieu, le Sauveur du monde.
Non seulement il connaît désormais  les choses qu'il voit ;
mais il reconnaît celui qui le fait voir.
En lui, il reconnaît Dieu qui s’était déjà manifesté dans le désert, lors de la traversée de la mer rouge et par l’eau qui sortait du rocher, par le passage du Jourdain. Et Dieu vient de le purifier dans cette eau qui sort du côté droit du temple !

Ainsi, le mendiant, l'aveugle-né, l'homme estimé péché et rien que péché depuis sa naissance, devient le "signe" vivant de l'homme illuminé et régénéré par Jésus qui ne peut agir que par puissance de Dieu !

Comme les Hébreux au désert, comme cet aveugle-né, nous aussi, nous avons un itinéraire spirituel à parcourir. Nous devons rencontrer le Christ dans sa parole, dans ses sacrements, dans la prière… Ce sont ces rencontres personnelles avec Jésus qui donnent à notre foi sa véritable dimension !

Alors, en toute circonstance, dans le secret du cœur ou devant les hommes, nous pourrons dire, nous aussi : "Je crois, Seigneur" !

jeudi 19 mars 2020

St Joseph !


St Joseph  - 19 Mars
       
La première fois que j’ai "prêché" sur St Joseph, je ne savais trop que dire.

Et je me suis fait, d'abord, cette réflexion, un principe abstrait  que j'avais entendu : cette proportion inverse qui existe souvent entre l’être et l’avoir.
Les personnages qui ont de la consistance dans l’être, en général, n’ont pas besoin de faire du tapage (ils restent facilement silencieux) ; tandis que ceux dont la personnalité est fragile et qui ont besoin de se rassurer sur leur importance, attachent beaucoup d’importance au paraître, au "look" comme on dit maintenant. (ils parlent facilement).

Et je me suis dit que le Verbe Incarné, 2ème Personne de la Sainte Trinité, avait voulu avoir en son père adoptif, son "père nourricier" comme on disait au catéchisme, une image, une évocation de son Père, - cette 1ère Personne de la Sainte Trinité -  ce Père céleste qui a tellement de consistance dans l’Être - "Je suis Celui qui Suis" - qu’il n’a pas besoin de paraître, qu’il ne dit même pas son Nom ;  il est le Dieu caché, silencieux. Il n'a qu'une seule Parole, son Verbe qui s'est incarné pour nous Le faire connaître ; Et, pour ce faire, celui-ci nous envoie leur Esprit commun !

Tout cela n’est pas faux, je pense, et mérite une méditation et notre prière pour nous approcher de Dieu, de Dieu silencieux, et pourtant du "Dieu de l'Alliance" avec tout homme ! Ainsi, St Joseph est  l'image de ce Dieu silencieux, tout en étant le grand protecteur de Celui  - l'Emmanuel - qui manifestera, par sa "Pâques", la possibilité de l'Alliance du Dieu silencieux avec les hommes, avec tout homme !  Avec chacun d'entre nous !

Mais, une autre pensée (un peu compliquée peut-être, je l'avoue) m'a été suggérée pour percer la mystérieuse personnalité de St Joseph : St Joseph apparaît comme celui qui est à la charnière des deux Testaments.

A l’école du "bon scribe" qu’est St Matthieu, le P. Benoît (de l’Ecole Biblique de Jérusalem), dit que Matthieu avait signé son évangile ; et comme preuve, il relève ces paroles de Jésus que l’on trouve à la fin du discours en parabole :
Mt 13,51-55a : "Avez-vous compris tout cela ?"  -  "Oui ", lui disent-ils.  Et il leur dit : "Ainsi donc tout scribe devenu disciple du Royaume des Cieux est semblable à un propriétaire qui tire de son trésor du neuf et du vieux".  
Et, à propos de ce verset, le P. Benoît rappelle un verset du Cantique des cantiques  :
7,14 :  "Les mandragores exhalent leur parfum ; à nos portes sont tous les meilleurs fruits.  Les nouveaux comme les anciens, je les ai réservés pour toi, mon bien-aimé". 

St Matthieu est soucieux de montrer les rapports de l’Ancien et du Nouveau Testament.
Aussi, il commence alors son évangile de cette manière : "Généalogie de Jésus Christ, fils de David, fils d’Abraham".  Ce verset fait déjà le lien entre  l’Ancien et le Nouveau Testament.

Or , justement, le premier souci de la liturgie, en la fête de St Joseph, est de nous montrer que, par Joseph, Jésus est fils de David et fils d’Abraham.

La 1ère lecture tirée du 2ème livre de Samuel illustre la filiation de David. 
La 2ème lecture, tirée de la lettre aux Romains, relie le peuple de la Nouvelle Alliance par delà David, à Abraham ;  Comme, également, le chant de la Ste Vierge à la fin du "Magnificat" :
Lc 1, 54-55 :  "Il est venu en aide à Israël, son serviteur, se souvenant de sa miséricorde, selon ce qu'il l'avait annoncé à nos pères en faveur d'Abraham et de sa postérité à jamais ! "

L’art de ce "bon scribe" qu’est St Matthieu, tirant de son trésor du neuf et du vieux, se manifeste dans la généalogie qui suit le 1er verset de ce 1er chapitre (d'où est tiré notre évangile), lorsqu’il dit :
"Jacob engendra Joseph, l'époux de Marie, de laquelle naquit Jésus, que l'on appelle Christ"  (Mt 1,16)  

Le chiffre 14 structure ce prologue du Nouveau Testament comme le chiffre 7 structurait la 1er chapitre de la Genèse.
Mt 1,17 :  "Le total des générations est donc : d'Abraham à David, quatorze générations ; de David à la déportation de Babylone, quatorze générations ; de la déportation de Babylone au Christ, quatorze générations".
La Nouvelle création montre un chiffre qui est le double de l’Ancienne.
Et l’Ancienne création aboutit à Joseph, le père adoptif de Jésus.

Joseph, dans son silence, unifie l'"Ancienne Alliance" et la "Nouvelle Alliance ! Il nous invite à une prière véritablement œcuménique qui englobe en un seul regard  l'amour de Dieu à travers les siècles. Le Nouveau Testament ne peut se comprendre sans l'Ancien ! Il faut bannir toute récidive de la première hérésie du Christianisme, celle d'un certain Mr  Macion qui, dès le 2ème siècle, mettait aux ordures tout l'Ancien Testament. "Spirituellement, nous sommes des Sémites", disait le pape Pie XI.
Prions St Joseph d'avoir ce regard divin sur toute l'histoire humaine !

Prions St Joseph pour notre pays, pour le monde entier…, pour les malades… !