dimanche 6 mars 2011

Ecoute !

9ème T.O. A.11

“Tout homme qui ‘écoute’ ce que je vous là…”. Il est bon de scruter l’étymologie des mots. Elle révèle souvent le sens profond dont ils sont porteurs. - Ainsi “obéir” – “ob-audire“, “faire la volonté de Dieu”, c’est, avant tout, “audire“, “écouter“, et écouter jusqu'au bout. L’obéissance - l’obéissance à Dieu : faire sa volonté - s'enracine dans l'écoute.

L’obéissant (celui qui écoute!) n'est donc pas un distrait qui agit machinalement, encore moins par contrainte. Son oreille est toujours tendue pour se laisser atteindre, se laisser secouer par les cris comme par les chuchotements.
Mais, comme on dit facilement, ce qui entre par une oreille risque de sortir par l'autre. Il faut alors, comme disait Paul Claudel, que “l'œil écoute” également. C'est tout l'être qui doit devenir oreille. “Faites donc attention à la manière dont vous écoutez”, disait Jésus lui-même ! (Luc 8.18). Il ne s’agit pas d’entendre, mais d’écouter !

De plus, l'obéissant n'écoute pas seulement vers le haut, comme s'il n'y avait à obéir (écouter) qu'à celui qui est au-dessus, à l'échelon supérieur. L’obéissant écoute autour de lui et au-dessous, partout où un appel, loin de claquer au vent, se fait imploration, voire silence. Il n'attend pas qu'on l'interpelle, mais il devine, il va au-devant (ob-audire). C’est ainsi que le prophète Elie a pu écouter Dieu en la montagne de l’Horeb “au bruit d’une légère brise”, traduit-on, ou en mot à mot - ce qui est préférable - “au son d’un silence pulvérisé” ou encore “au son d’une poussière de silence” !

C’est dire encore que l’obéissant (celui qui écoute) ne se contente pas de se conformer à un ordre, à une loi. Il va au-delà. Sa conscience n'est pas quitte avec la satisfaction du devoir accompli. - Le conformiste prend les choses - même celles de l'esprit -, par le dehors. L'obéissant (qui écoute) prend les choses - mêmes celles de la lettre -, par le dedans. (P. de Lubac). C’est ainsi que le Christ s'est fait obéissant “jusqu'à la mort, la mort sur une croix”, rappelle St Paul (Ph 2, 8). Parce qu'il a lutté toute sa vie contre une religion formaliste, minimaliste, il a proclamé l'Évangile de l’amour et non de la crainte, du dynamisme et non de la casuistique. Celui qui écoute vraiment, celui qui aime ne fait pas juste ce qu'il faut pour être en règle : il aime sans mesure, il va sur une route où l'horizon ne cesse de reculer. - Arrivé au sommet de sa sainte montagne, St Jean de la Croix s'écriait : “Il n'y a plus de chemins par ici, parce qu'il n'y a plus de loi pour celui qui est conduit par l'Esprit- Saint” (par celui qui (écoute) aime vraiment !).

Oui, l'obéissant écoute amoureusement la Parole de Dieu, il la “rumine” comme disaient les Anciens ; car c’est la Parole d'un père et non d’un souverain. Parole qui grandit au lieu d'abaisser, qui libère au lieu d'asservir. Dieu n'est pas un maître tatillon qui fait des rappels à tout instant.

Oui, il s’agit avant tout d’écouter ! “Shema Israël !“ - “Écoute, Israël... ”. C’est le leitmotiv de toute la Bible… “Ecoute… !“. Voilà bien le premier et le dernier mot que savoure celui qui veut obéir à Dieu, en suivant le Christ, en suivant le Christ !

Aussi, Jésus décrivait un jour ce qu'est un vrai disciple, on dirait aujourd'hui “un vrai chrétien”. Le vrai disciple, affirmait-il, n'est pas celui qui se contente de crier : “Seigneur, Seigneur...”, mais celui qui écoute vraiment et qui fait ! C’est ainsi que l’on construit non pas sur le sable, mais sur le roc.
Et ce roc, ce sont les paroles de Jésus. C’est sur elles qu’il faut construire sa vie. Et cela suppose deux choses, dit Jésus : qu'on les écoute et qu'on les mette en pratique.

“Les mettre en pratique !”. Là encore, la traduction est faible ; littéralement, c’est “écouter la parole et la faire”. Il construit sur le roc, celui qui fait exister concrètement la parole, qui donne une existence à cette parole, en en faisant sa vie.

Les Juifs discutaient beaucoup pour savoir s'il fallait accorder la priorité à l'étude de la parole ou à sa pratique. Le débat n'est pas terminé. Il est malheureusement, sous des formes diverses, celui de toutes les générations. Il resurgit périodiquement : étudier la parole ou la mettre en pratique ; s'adonner à la contemplation ou s'engager dans l'action ; être charismatique ou être militant, être théoricien ou praticien. Comme si l'on pouvait retenir le premier terme de chacun de ces binômes sans le second, ou plus grave encore, comme si l'on pouvait opposer l'un à l'autre.
Jésus les unit très étroitement. La solidité de la vie chrétienne tient à l'union des deux. Inséparables l'une de l'autre, l'écoute de la parole et sa pratique se vivifient et se fortifient l'une par l'autre. Il faut écouter pour faire et faire pour mieux écouter…

Quand on sait qu'il est situé à la fin de ce qu'on appelle le “Sermon sur la montagne”, notre passage d’évangile - à deux faces - prend une importance exceptionnelle. “Tout homme qui entend les paroles que je viens de dire et les met en pratique...”.
Ces paroles que Jésus vient de dire, ce sont d'abord les béatitudes dont la sève ne s'épuise pas au long des siècles : “Bienheureux les pauvres, les doux, les artisans de paix…“. Et puis, à leur suite, des phrases de feu :
“Si votre justice ne surpasse pas celle des Scribes et des Pharisiens, vous n'entrerez pas dans le Royaume des cieux...”.
“Quand tu vas présenter ton offrande à l'autel, va d'abord le réconcilier avec ton frère...”.
“Quand vous parlez, que votre ‘oui’ soit ‘oui’ ; que votre ‘non’ soit ‘non’…”.
“Si vous aimez ceux qui vous aiment, les païens n'en font-ils pas autant... ?”.
“Nul ne peut servir deux maîtres : Dieu et l'argent...”.
“Ne condamnez pas !... Ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-même pour eux...”

Ecouter et faire exister la Parole ! Telles sont les solides assises que Jésus propose afin que toute vie, celle des personnes et des sociétés, tienne ferme contre les intempéries et les tempêtes, contre les eaux diluviennes et les cyclones du matérialisme qui secouent si fortement et les esprits et les âmes.

La Vie, notre vie doit être une maison bâtie sur le roc.

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