mardi 14 juillet 2020

Semence de Dieu


15e T.O. 2019/A 

Allons droit au cœur du récit : celui qui est tourné  vers la terre à ensemencer, c'est Jésus.
Très tôt, on ajoutera à ce texte des interprétations moralisantes pour inviter les chrétiens à offrir un bon terrain à la Parole de Dieu ;  mais la leçon  de la parabole demeure: Jésus est  venu pour des semailles.
Au temps de Matthieu, cette affirmation est importante : aux disciples qui attendaient que le Royaume de Dieu éclate en gloire, comme une moisson ensoleillée, elle annonce que l'œuvre de Jésus est livrée à tous les aléas d'humanité, comme une humble semence.

Par trois fois, -remarquons-le- la parabole décrit ces semailles (de Jésus) comme un échec. Est-il possible que le Messie échoue, alors qu'on l'attendait rapidement comme une manifestation de force invincible ? Comment accepter qu'il y ait autant de semence perdue, même si une partie du grain fructifie abondamment ? Il s'agit de la fécondité même de Dieu, risquée aux intempéries de l'histoire.

Les questions et les étonnements des premiers chrétiens demeurent les nôtres : comment se fait-il qu'il y ait tant de haine meurtrière, de suffisance et d'orgueil, d'étroitesse et d'aveuglements dans ce monde ensemencé par Dieu, dans cette humanité où Jésus a germé comme une fleur porteuse de fécondité divine, en ce jour – le nôtre - précédé par vingt siècles de christianisme ? Dieu se gaspille-t-il en vain à susciter l'homme parfait, à lui offrir son Esprit ?

Et pourtant Dieu ne cesse de semer  - Nous avons tous vu, - ou nous imaginons - le paysan partir, dans la lumière de l'automne, vers le champ ouvert pour les semailles. Il sème, lentement. Quel geste de confiance en la vie ! Les semaines, la pluie, le froid passeront, jusqu'au jour où la verdure tendre du blé qui lève commencera à frissonner. Elle ne ressemblera guère au grain confié aux sillons, et pourtant c'est vers le poids des épis qu'elle grandit.
N'y a-t-il pas là une image de la démarche de Dieu dans les champs d'humanité. Au long des sillons de l'histoire, si souvent ouverts comme des plaies, Dieu ne cesse de semer. Avec obstination. Si le froid trop rigoureux détruit le blé, le paysan sème à nouveau, dès le printemps. Malgré les hivers terribles que connaît parfois l'humanité, Dieu ne renonce jamais à semer à nouveau. Car, en vue de la récolte du monde à venir, Dieu est plus tenace que le plus paisible des paysans. Dès lors, des hommes se dévouent toujours, croient à l'avenir, prient devant le silence de Dieu, comme Jésus, Parole de Dieu semée en l’homme…

[ Le semeur lui-même devient le grain]   - Oui, Lui, Jésus a semé cette Parole de Dieu toujours efficace dont parlait Isaïe (1ère lect.) : dans l'homme aveugle, paralytique, mort de tant de manières, il a libéré le regard, la démarche, l'amour, la Vie. Il a fécondé l'homme de la semence de Dieu. Il a parcouru la Palestine de son temps, toute la variété des terrains humains, et il a semé. Parfois il a en-trevu la moisson abondante et il a appelé des ouvriers nombreux... Il a vu aussi l'ivraie et le bon grain se mêler au champ de l'histoire. Il sait que le grain croît même la nuit, quand le paysan dort...
         
Mais Jésus ne sème pas que des paroles.   Lorsqu'il dit : si le grain, tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit..., c'est de Lui qu'II parle. C'est au sillon sanglant du Calvaire qu'il va jeter la semence de Dieu. C’est ainsi qui a confié son œuvre aux saisons de l'homme, à tous les terrains de la terre et aux maturations des temps. Prodigieuses semailles où le semeur lui-même, au moment de l’hiver de l’histoire, devient le grain jeté en terre, en vue des printemps de Dieu !

Et depuis que Jésus a été broyé pour devenir la fleur du froment de Dieu, les chrétiens portent sa semence par le monde. Or, que faisons-nous de cette semence ? De Jésus et de son Evangile ? A notre tour, nous sommes semeurs et semence, porteurs fragiles des semailles incessantes de Dieu. A l’heure où l'Eglise semble connaître une saison stérile, où l'Evangile semble s'estomper dans le passé, reprenons le mot de Marie, après tant d'hommes ou de femmes appelés, contre toute attente, à la fécondité de Dieu :  « Faites tout ce qu’il vous dira ! ».

[La semence de l'avenir]   Dans les villages, autrefois, on voyait arriver un soir d'été un petit cheval qui tirait une machine étrange. On disait :  Le Treieur est arrivé. On lui donnait à trier quelques sacs du blé de la dernière récolte. On mettait de côté le grain le plus beau, c'était le trésor , celui des prochaines semailles.

Il en est de même dans la vie du monde et de l'Eglise : la semence de l'avenir, c'est le meilleur des récoltes d'hier. Il faut trier le grain le plus beau. Sinon les épis deviendraient bientôt rabougris. Et Dieu, qui n'aime pas se répéter, veut au contraire améliorer sans cesse la récolte vers la moisson définitive.
         
Aussi, faisons confiance au “Trieur” divin qui ne veut pas que demain soit la copie exact d'hier. Il ne cesse de trier, de ses mains douces et fermes, les semences de l'avenir, et d'entrer à nouveau dans le champ. Sachons l'accueillir à travers l'événement inattendu, la joie et la peine, la naissance et la mort, le succès et la maladie. Soyons attentifs à discerner dans la jeunesse qui nous déconcerte, dans les bouleversements du monde actuel, l'ambition discrète de Celui qui ne cesse de semer ?

[Risquer la semence]   Certes, il y a risque ! Car la semence sera toujours la semence. Comme pour les talents d’une autre parabole, il faut risquer la semence. Consentir à sa disparition dans l'épaisseur des sols d'humanité. L'abandonner à l’apparence de la mort. Agir, même si le succès paraît aléatoire. S'exposer à perdre le grain. A perdre peut-être sa vie. Comme le vigneron tué par les ouvriers de la vigne. Comme Dieu qui est sorti lui-même dans la foule immense qui a cru - qui croit parfois - à la “mort de Dieu” !
         
Non, gardons la foi ! Certes, la semence semblera toujours infime, perdue dans l'étendue du champ. Pourtant, la houle du vent caressera un jour l'épaisseur dorée de la moisson, et on ne verra plus la terre. Pourquoi nous étonner qu'il soit difficile d'être chrétien ? Pourquoi vouloir moissonner alors qu'il s'agit de semer et semer à nouveau ? Pourquoi rêver du confort du grand nombre, des succès faciles ? Pourquoi vouloir si vite, avec des yeux de taupe, séparer l'ivraie du bon grain ?
         
St Paul avait raison :  Nous vivons activement cette attente de toute la création qui gémit dans les douleurs de l'enfantement. Mais l'Esprit est en nous, humble semence, qui transfigurera la face de la terre. Il nous veut semeurs perpétuels de l'humanité nouvelle.

[Le grain semble mort]   . Certains, devant le champ où le grain semble mort une fois de plus, parlent de la tombe de Dieu. C'est vrai, Dieu semble mourir parfois, dans nos vies, dans nos sociétés, dans nos églises. Cependant, je voudrais demander à Claudel qui savait l’efficacité de la Parole de Dieu en sa vie, la permission de lui emprunter l’épitaphe saisissante gravée sur sa pierre tombale, afin de murmurer comme une prière d’espérance devant la terre des hommes où repose le grain divin : « Ici reposent les restes et la semence de Paul Claudel ».