mercredi 15 août 2018

Regarder Marie... et prendre la route !


 Assomption 18/A

"Une femme ayant le soleil pour manteau... "? nous dit le livre de l'Apocalypse.  Voilà une évocation pour le moins mystérieuse !
      
Cette femme vêtue de soleil désigne-t-elle Marie, la Mère du Messie ? On peut, à bon droit, le penser. Mais à lire le travail de gens compétents, certains versets du passage que nous venons d'entendre donnent le sentiment qu'il peut être également question ici du "peuple de Dieu", de l'Église, de l'Eglise d'aujourd'hui personnalisés par cette femme.  Alors... Marie ? Le peuple de Dieu ?... L'Église ?

L'auteur de l'Apocalypse n'est pas le seul à entretenir un certain "flou". St Luc, lui aussi, prend plaisir à "brouiller les cartes" dans le Magnificat (Evangile). Est-ce la prière de Marie, ou la prière d'un peuple ?
      
Marie parle bien d'elle-même au début. C'est elle dont l'âme exalte le Seigneur, dont l'esprit exulte en Dieu son Sauveur. Elle parle d'elle quand elle évoque la servante sur qui le Seigneur s'est penché, ce qui souligne la préférence de Dieu pour les humbles, les petits. Elle a confiance en cet amour divin qui dure : "Tous les âges me diront bienheureuse !" - "Tous les âges !"…
      
Mais quand elle poursuit sa prière, ce n'est plus d'elle seule dont il est question, mais d'un peuple. C'est sur un peuple que Dieu étend son amour. "Son amour s'étend d'âge en âge sur ceux qui le craignent". Un amour qui dure... "D'âge en âge" ! Et dans ce peuple, il est question des puissants qui sont renversés et des humbles qui sont relevés.
      
Ainsi, dans la première partie du Magnificat, la servante, c'est Marie. "ll s'est penché sur son humble servante...".
Et à la fin du Magnificat, le serviteur, ce n'est plus Marie, c'est le peuple de Dieu, Israël. "ll relève Israël, son serviteur..."
    
Comme si Luc, en mettant dans la bouche de Marie le Magnificat, voulait nous dire avec la même ferveur que l'auteur du livre de l'Apocalypse : "Quand je vous parle de Marie, je vous parle en même temps de vous... Allez ! Regardez Marie, et prenez la route."

Regardez Marie à l'Annonciation. Marie est tout étonnée quand l'ange Gabriel vient à elle. Elle a autre chose en tête que cet appel bousculant de son Seigneur. Beaucoup d'iconographies la représentent, à cet instant solennel, occupée aux simples travaux quotidiens. Elle écoute cependant l'appel. Elle interroge, cherche à comprendre. Mais elle fait confiance avant d'avoir tout compris.

Regarder Marie et prendre la route ...
Oh ! si aujourd'hui nous pouvions
nous étonner des appels si divers  de Dieu,
nous étonner davantage des gens - souvent très différents mais complémentaires - que Dieu appelle,
nous laisser surprendre par sa préférence pour les petits, pour les humbles...
Et pourquoi ne pas nous laisser déconcerter par les appels de Dieu en nos vies, en particulier à ces moments où nous nous y attendons le moins : nous avions d'autres projets, d'autres espérances, d'autres préoccupations. Voilà que Dieu fait signe...! Une rencontre, un événement, une parole qui résonne au plus intime de nous-mêmes.
Commençons déjà alors par ne pas dire ou penser: "Je suis trop petit, je ne suis pas assez compétent, je suis trop jeune, je suis trop vieux..." Comme Marie, cherchons à comprendre. Interrogeons. Acceptons que le Seigneur puisse faire  appel à des petits, à nous-mêmes. Et alors, comme Marie, faisons lucidement confiance avant même d'avoir tout compris.

Il y a l'Annonciation. Il y a aussi la Visitation.
Regardons Marie à la Visitation. Marie s'émerveille... de ce que Dieu peut faire dans sa vie comme dans celle d'Élisabeth, comme dans l'histoire de tout un peuple.
Et alors Marie se met en route. Elle le fait rapidement. Une traduction de mon enfance disait : "Marie partit en diligence !". Et avec un humour inconscient, je comprenais que Marie était partie en une diligence ! Aussi, en moi-même je m'écriais : "Alors ! Fouette cocher !". Peut-être qu'en certaines circonstances, le Seigneur nous recommande cette diligence-là !
En tous les cas, la rencontre de Dieu met Marie en route à la rencontre d'autres personnes pour partager leurs vies, leurs espoirs, leurs inquiétudes, leurs Joies.

Regarder Marie et prendre la route.
Oh! Si aujourd'hui nous pouvions, à la manière de Marie,
nous émerveiller davantage de la présence de Dieu en nos vies comme en l'histoire des hommes,
vérifier que la rencontre de Dieu nous met bien en route vers d'autres, met l'Église en capacité de partager joies, espoirs, angoisses, tristesses des hommes, nos frères.

Annonciation... Visitation... Deux événements de la vie de Marie. Et pourtant il y est déjà question du terme de sa vie terrestre. Il y est déjà question de l'Assomption que nous fêtons aujourd'hui.

Cette élévation de Marie au ciel n'est pas dans la foi de l'Église un geste simplement merveilleux ! Au contraire ! Assomption veut dire "prendre avec soi".
Dès l'Annonciation, Dieu a proposé à Marie de la prendre avec lui dans la mesure où elle se laissait librement habiter par son amour.
Dieu propose toujours ; l'homme répond librement. Et c'est la fidélité de cette complicité, de cette alliance entre Dieu et Marie que nous fêtons aujourd'hui.

Regarder Marie et prendre la route.
L'auteur de l'Apocalypse, St Luc et la tradition de l'Église nous redisent aujourd'hui que cette libre complicité peut être la nôtre, que cette proposition d'alliance nous concerne. Nous sommes le peuple de l'alliance. Voulons-nous répondre à la proposition de Dieu de "nous prendre avec lui".

Regarder Marie et prendre la route, nous aussi ! Dieu a appelé Marie. Il ne cesse de nous appeler, nous aussi, à travers mille "annonciation" et mille "visitation", avant d'opérer en nous une "assomption" qui nous fera "être avec lui pour toujours". St Paul avait cette aspiration : "Je voudrais bien m'en aller, disait-il, pour être avec le Christ..." (Phil. 1.23) Allons-nous répondre aujourd'hui à l'appel du Seigneur ?

Regarder Marie et prendre la route, nous aussi !
Tu es belle, Marie. Avec toi, nous prions le Seigneur pour toutes celles et ceux qui se laissent étonner par l'appel déroutant de Dieu dans leur histoire, un appel à l'assomption de toute leur vie.

Te regarder Marie, et prendre la route. Je vous salue, Marie ! Veuillez nous aider à prendre la route avec le Seigneur qui, un jour, nous prendra pleinement avec lui !

samedi 11 août 2018

"Lève-toi et mange !"... en la présence silencieuse de Dieu


19e Dimanche du T.O. 18/B

"Lève-toi et mange" !
Élie ! Un personnage historique à connaître ! Une stature légendaire, une figure de proue dans la Bible : "surgit comme un feu, est-il écrit, le prophète Élie dont la parole brûlait comme une torche" (Si 48,I).  -

Mais Elie est encore un homme fait de la même pâte humaine que nous. Il fuit la colère de la reine Jézabel qui fit supprimer les prophètes. Il fuit en disant, priant : "Je suis rempli d'un zèle jaloux pour le Seigneur Dieu, parce que les Israélites ont abandonné ton alliance, qu'ils ont abattu tes autels et tué les prophètes. Je suis resté, moi seul, et ils cherchent à m'enlever la vie" (I R I9,I0).
Il avait cru que la manifestation de la puissance du Seigneur lors du sacrifice célébré sur le mont Carmel (I R I8,20sv), que la fin de la sécheresse obtenue par son intercession (I R I8,4I-46), ramèneraient le roi Achab au culte du Seigneur. C'était compter sans la reine Jézabel.
             
Le danger est trop grand pour lui. Alors, Elie fuit au désert et marche toute une journée, dans un désert géographique et aussi dans un désert intérieur, jusqu'à ce qu'il trouve bonne l'ombre d'un buisson. Le découragement l'envahit, avec le sentiment d'avoir échoué lamentablement: "Maintenant, Seigneur, ç'en est trop ! Reprends ma vie : je ne vaux pas mieux que mes pères". - "Il s'étend sous le buisson et s'endort". Le sommeil aide à fuir, pour un temps, les dangers ou le désarroi qui assaillent la vie.

Mais un ange, c'est-à-dire un messager de Dieu, le tire de son sommeil et lui parle : "Lève-toi et mange". Se lever, c'est la position du vivant. Manger est signe que la vie est là ou est en train de revenir. Alors, qu'il fuit la vie, Elie reçoit, au désert, de quoi la recouvrer : un vrai pain et de l'eau, le minimum vital même en temps de famine.

Une deuxième fois, Elie se couche et s'endort. De nouveau le messager de Dieu le touche et le fait se lever pour manger et pour boire, donc pour vivre. Se lever, manger, boire et marcher sont les actes d'un vivant. Cette fois-ci, plus de doute : c'est Dieu qui répond à son appel, mais en lui signifiant que sa démission n'est pas acceptée : "Lève-toi et mange ! Autrement le chemin serait trop long pour toi". Elie se lève, mange et boit, puis "fortifié par cette nourriture", repart d'un bon pied, pour une marche de "quarante jours et quarante nuits jusqu'à l'Horeb, la montagne de Dieu", ce lieu où les ancêtres ont déjà fait l'expérience de la rencontre de Dieu.
             
Ainsi, en se levant, Elie a expérimenté dans son corps, dans sa chair, le passage, le don de Dieu sous le signe d'une nourriture : le pain. Et c'est en marchant qu'il poursuit sa recherche de Dieu. A maintes reprises, dans la bible, les envoyés de Dieu, puis Jésus lui-même ont prononcé ce "lève-toi". Toujours il est suivi d'une action, souvent la même : "lève-toi et marche". Un jour, c'est Jésus lui-même que Dieu fera se lever d'entre les morts, ressuscité, vivant pour notre vie. Et ce Jésus nous dit : "Je suis le Pain vivant" qui redonne vie ! "Pain livré pour nous !".

Certes, nous serions tentés parfois de redire, nous aussi : "Maintenant, Seigneur, ç'en est trop !". Ce cri avait été celui de Moïse ployant sous le poids de la charge que Dieu avait mise sur ses épaules, comme il sera plus tard celui de Jérémie que la fidélité à sa mission livrait aux sarcasmes et aux persécutions. Ce fut le cri d'Elie. C'est le nôtre aussi, même si nous ne sommes pas aux prises avec des difficultés comparables. Aussi, Jésus nous redit aujourd'hui : "Lève-toi et mange : je suis le Pain de Vie. Et ce Pain, c'est moi, c'est ma vie donnée pour la multitude…"
             
Remarquons-le également : c'est dans le désert que le pain venu d'en haut est donné à Élie qui, fortifié par cette nourriture, peut marcher durant quarante jours pour se rendre au rendez-vous de Dieu. Ce lieu et ce nombre font songer aux années de l'exode pendant lesquelles les fils d'Israël mangèrent la manne, aux quarante jours que Moïse passa sur le Sinaï en ne prenant que du pain et de l'eau, au jeûne de Jésus réconforté, après quarante jours, par la visite des anges.
             
La vie de l'Église et des croyants est un exode, un temps d'épreuve, souvent une traversée du désert. Mais Dieu reste proche de ceux qui ne désespèrent pas de lui, même lorsque le poids qui les accable leur fait dire : "Maintenant, Seigneur, c'en est trop !". A nous aussi, il est dit: "Mange, sinon le chemin sera trop long pour toi!"

A propos d'Elie, j'ajouterai une notation qui peut être utile à chacun de nous. Il est dit à ce grand prophète : "Va dans le désert, monte sur la montagne. Le Seigneur va passer pour toi !". Il va rencontrer Dieu. Et comment donc ?

Alors, il y eut un ouragan qui fendait la montagne, brisait les rochers, mais le Seigneur n'était pas dans l'ouragan, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu. Et après le feu, "le bruit d'une brise légère", "le son d’un silence subtil". C’est le Seigneur Dieu qui passait ! -
La traduction, là, est difficile. En mot-à-mot : Elie entendit “le son d’un silence pulvérisé”, "l'éclatement d'un silence" ou encore : “le son d’une poussière de silence”. C'est dire qu’il s’agit là, sans doute, d’un silence absolu, c’est-à-dire “sans lien” avec quoi que ce soit, un silence totalement libre de tout, ce qui convient parfaitement à Dieu. Cela ne veut pas dire que le “silence” contient Dieu. Mais cette “poussière de silence” peut être signe de sa présence, de sa seule présence !

C’est pourquoi le silence dans notre relation avec Dieu (prière), le silence de l’âme, ce silence qu'expérimentera, par exemple, St Jean de la Croix, disciple du Mont Carmel où résidait Elie, St Benoît, St Bruno... et tant d'autres, ce silence-là nous dispose à être présent au Seigneur, à correspondre au souffle de son Esprit qui, souvent, se manifeste en notre âme comme "une brise légère" !.

Dieu, nous l'entendons bien que dans un silence intérieur, comme dans un "vide" de nous-mêmes en lequel l'amour de Dieu veut se déverser.  St Grégoire de Nazianze avouait : "Le désert silencieux a été pour moi source de progrès en Dieu, c'est-à-dire de vie divine en moi !". Et St Bernard précisait : "Celui qui désire entendre la voix de Dieu, qu'il se retire dans la solitude. Cette voix divine ne résonne pas sur les places publiues... Un conseil secret exige une secrète écoute !"  C'est déjà très vrai avec celle, celui que l'on aime. C'est d'autant plus vrai avec Dieu !

Je sais bien - je sais trop et combien -  que la solitude, le silence sont, pour beaucoup, de très grandes épreuves, surtout, par exemple, après un décès... Prions alors pour que ces solitudes et silences deviennent, comme pour Elie, sources de la présence de Dieu en lequel nous pouvons retrouver et ceux qui nous ont précédés et ceux qui sont près de nous !

On demandait un jour à Ste Thérèse de Lisieux : "Que dites-vous donc à Jésus ?". Elle répondit : "Je ne lui dit rien ; je l'aime !". Telle peut être, doit être la plénitude du silence ! "En amour, disait Pascal, un silence vaut mieux (parfois) qu'un langage !"... qui risque de n'être qu'un bavardage !

Cela pour dire qu'en tout homme - il faut le savoir ! - se trouve une part de solitude qu'aucune intimité humaine ne peut remplir. Mais c'est là que Dieu veut nous rencontrer, qu'il nous permet, en Lui, de rencontrer tous nos frères.
Souvent, on accuse Dieu à propos de notre solitude... ! Mais il faut se le dire, une fois pour toutes : "Ce n'est pas Dieu qui est silencieux ; c'est nous qui sommes sourds !". (P. Sertillanges)

lundi 6 août 2018

Pour notre foi... en notre transfiguration !


Transfiguration 2018/B

Si la confession de Pierre à Césarée qui précède l’épisode de notre évangile d’aujourd’hui (selon St Matthieu)
- est l’un de sommets de la vie du Seigneur puisque Pierre – un homme - proclame Jésus “Fils de Dieu”,
- le ré-cit de la Transfiguration est encore plus important ; car là, c’est Dieu, le  Père, en personne, qui le reconnaît comme tel.
             
Dans cette lecture nous est enseigné, en effet, tout le mystère d’un Dieu fait homme. “Dans l’éclat glorieux d’un instant nous est manifesté ce à quoi avait droit, dès l’Incarnation, Notre Seigneur, ce dont il se dépouillait volontairement, pour remplir sa mission de Rédempteur” (Dom Delatte).
Bien sûr, Jésus conservait en son âme cette gloire qui lui revenait en tant que Dieu ; mais elle ne rejaillissait pas sur son corps. Par amour et libre choix, il s’était dépouillé de cette richesse de gloire qui aurait dû, normalement, resplendir sur toute sa personne. "Lui qui était de condition divine, dira admirablement St Paul (Phil 2.6), il s’est anéanti en prenant la condition d’un homme". Volontairement, en choisissant l’anéantissement, Jésus a “caché” sa divinité !
             
Aussi, St François de Sales a raison de dire que le mystère de la Transfiguration ne fut pas un miracle, mais plutôt une cessation de miracle”, de ce miracle qui consistait dans “la suspension et la mortification de la gloire du Christ” en tant que Dieu (Bérulle).
             
Oui, Jésus est vraiment le “Fils de Dieu” : “Celui-ci est mon Fils bien-aimé !”. Jésus est vraiment Dieu. Et tel apparaît-il en ce moment de la Transfiguration.
Aussi, dans le langage traditionnel de la Bible, bien des éléments de cette scène veulent traduire cette présence de Dieu auprès des hommes :
- la mention de la montagne, lieu traditionnel de la rencontre avec Dieu,
- celle de la nuée, à travers laquelle Dieu se manifestait souvent aux Hébreux,
- celle de la lumière, rayons de la gloire divine, comme au Sinaï.
St Jean dira que le Christ, “Lumière née de la Lumière”, Lumière qui va rayonner, est venu pour éclairer tout homme vivant dans les ténèbres.

Et les apôtres qui sont de ces hommes qui "cherchent la face de Dieu", sont rassasiés par cette Lumière de Gloire qui émane du visage de Jésus. Ils en garderont un souvenir inoubliable.
- St Pierre écrira plus tard : “Nous avons été les témoins oculaire de sa Majesté, car il reçut de Dieu le Père, honneur et gloire quand se fit entendre cette voix  : ‘Celui-ci est mon Fils bien-aimé’. Nous-mêmes avons entendu cette voix venant du ciel quand nous étions avec lui sur la montagne sainte”.  (2 P. 1.16-18)
- Et St Jean affirmera de son côté : “Nous avons contemplé sa gloire, gloire qu’un Père donne à son Fils unique”.(Jn 1.14)

             
Jésus manifesta donc sa gloire à ses disciples. Déjà, St Jean en parlant du premier miracle de Notre Seigneur à Cana, avait noté : “Il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui. A la Transfiguration comme à Cana, ces manifestations de gloire, chacune à sa manière, sont destinées à affermir la foi des disciples (1). C’est la foi qui conduit à la vision de la gloire divine. Voilà l’enseignement important qui nous est transmis. “Si tu crois, dira Jésus à Marthe avant la résurrection de Lazare, tu verras la gloire de Dieu”. (Jn 11.40)
             
La foi est donc le germe de la gloire. La foi : oui, parce qu’il faut croire que le grain de blé doit être mis en terre et mourir pour porter son fruit. Nous voilà remis au centre même de notre objet de foi : le mystère pascal de mort et de vue que notre intelligence humaine ne peut appréhender en sa totalité.

Pour le Christ - et de même pour nous, chrétiens -, l’insatisfaction, l’humiliation et parfois la souffrance de notre condition humaine doivent être assumées pour parvenir à la gloire divine. Jésus aura même l’audace d’affirmer que l’heure de sa passion est déjà l’heure de sa gloire. “L’heure est venue, dira-t-il au moment de sa Passion, où le Fils de l’homme doit être glorifié”. (Jn 12.23 - Cf Jn 16.32sv). Comme Jésus glorifie son Père par son offrande de lui-même jusqu’à la mort, ainsi le Père va-t-il glorifié son Fils par la Résurrection.
             
La croix et la gloire sont les deux faces d’un unique mystère : Pâques. Et la Transfiguration, en faisant entrevoir quelque chose de la gloire de Jésus, doit préparer les apôtres au scandale de la croix, afin que leur foi qui, dans cette épreuve, doit être, comme dit St Luc (22/31) “criblée comme le froment” ne défaille pas.
             
Quelle leçon pour notre propre foi ! “Que le Christ soit glorifié prouve sa divinité, dira le pape St Léon. Qu’il doive souffrir prouve son humanité”, dira St Léon.
C’est ce que les apôtres, c’est ce que tous, nous devons comprendre. Car si le mystère de la Transfiguration de Notre Seigneur devait affermir la foi des apôtres, il doit fonder aussi notre espérance, l’espérance de toute l’Eglise. Car cet épisode de la Transfiguration manifeste de quelle transformation tout le Corps du Christ - dont nous faisons déjà partie depuis notre baptême - doit être gratifié : désormais, nous pouvons espérer avoir part à la gloire qui a resplendi en Jésus, le jour où se réalisera pour nous également “notre transfiguration”.
             
Comme les trois apôtres, contemplons, nous aussi, la gloire de Dieu qui transparaît sur le visage du Christ. Jésus lui-même l’a dit : “Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, ils y soient aussi avec moi, afin qu’ils contemplent la gloire que tu m’as donnée”. (Jn 17.24)
             
Mais pour voir la lumière divine, il faut une certaine “accommodation”, non pas optique, mais de tout notre être, il faut une nouvelle “naissance” : “nul, s’il ne naît d’eau et d’esprit, dit Jésus à Nicodème, ne peut entrer dans le Royaume de Dieu” .(Jn 3.3)
             
Ainsi, Jésus a voulu nous donner dans sa Transfiguration le signe de cette “régénération” que nous devons opérer. Car avant d’être “transfigurés” avec le Christ, une “configuration” avec lui est nécessaire ; et elle ne s’opère que dans et par la foi. Pour voir Dieu, “Père des Lumières” (I Jac 1/17), lui qui “habite une lumière inaccessible” (I Tim 6/18), il faut que nous devenions “des fils de lumière” (Luc 16/8), “que nous soyons transformés en son image, de clarté en clarté par son Esprit” (II Cor 3/18).
Et cette transfiguration ne s’accomplira pas sans une purification ; Jésus l’accorde à ceux qui le suivent en son mystère pascal. Il faut que nous comprenions qu’au milieu des épreuves de la vie présente, - tous, nous en avons -, nous devons solliciter la grâce de les supporter avec constance, avant d’obtenir la gloire divine. “Mais quand le Christ, note vie, apparaîtra au grand jour, alors, nous aussi, nous apparaîtrons avec lui dans la gloire" (I Cor 3/4).

(1) il me plait de rapprocher :
- la phrase de Saint Luc après le "signe" de Cana : "Telle fut le commencement des signes de Jésus. Il manifesta sa gloire ; et ses disciples crurent en lui !'. 'Jn 2.11).
-  Et la phrase du livre de l'exode, après la traversée de la mer Rouge : "Israël vit avec quelle main puissante le Seigneur avait agi... Il mit sa foi dans le Seigneur et en Moïse son serviteur !". (Ex 14.21)

dimanche 5 août 2018

Avant et maintenant !


18e T.O. 2018.B    

Avant, maintenant
Les trois lectures de ce dimanche, parlent d'un ancien temps et d'un présent tout différent, d'un "avant" et d'un "maintenant". Toute histoire est pleine de ces moments charnières qui nous font dire : Avant, c'était ainsi ; maintenant, c'est comme cela. Tantôt avec regret, tantôt avec le sentiment d'un mieux : Avant la guerre... et maintenant ! Avant le concile... et maintenant !  D'ailleurs, toute l'histoire n'est-elle pas datée d'un "avant J.C." ou d'un "après J.C.", c'est-à-dire encore : avant et maintenant !

Les Hébreux avant, maintenant
"Avant !",... disent les Hébreux en récriminant, nous n'étions pas libres mais nous mangions. La servitude, chez les Egyptiens, ce n'était pas la belle vie, mais c'était la vie. Tandis que maintenant dans ce désert, on est libre, mais à quoi bon, puisqu'on n'a rien à se mettre sous la dent ! Même par ses proches...!
Je vois d'ici le pauvre Moïse consterné, et au-dedans de lui-même ébranlé ! Solitude du leader dont les troupes renâclent, du croyant, de l’homme de foi qui n’est pas suivi.
Heureusement pour Moïse, il n'est pas seul. Dieu, qui l'a engagé dans l'aventure, assume ses responsabilités : la manne, chaque matin, viendra nourrir le peuple en marche. Si bien que l'opinion du peuple bascule : maintenant c'est bien mieux qu'avant... ! Et vienne la Terre promise !

L'homme ancien, l'homme nouveau
C'est ce que nous dit aussi St Paul. Avant, dit-il aux chrétiens d'Ephèse, vous ne saviez pas où était la vérité et vous étiez égarés par des désirs trompeurs. Laissez cet homme ancien qui était en vous et qui ne connaissait pas le message du Christ ; adoptez le comportement de l'homme nouveau.
Avant, vous ne saviez pas où aller ; maintenant, laissez-vous guider par un esprit renouvelé. Ainsi la venue du Christ a tout transformé.
Et Paul est bien placé pour le savoir : dans sa vie, il y a un "avant Damas" et un "maintenant", plus rude, mais exaltant.

Pain d'un jour et pain de vie
L'évangile aussi est fondé sur l'opposition entre avant et maintenant.
Avant, c'était hier, vous avez été rassasiés, dit Jésus aux disciples qui le traquent, faisant allusion à la multiplication des pains : Vous aimeriez bien que ça recommence : ainsi vous resteriez les bras croisés en attendant le repas suivant.
Et je dois dire qu'en ces disciples, je me reconnais bien un peu, parfois : il est moins fatigant de tendre la main que d'empoigner la charrue. Nous avons tous au fond de nous-mêmes un vieil homme ravi d'être assisté : ravi d'acheter sans payer.

Or Jésus invite ses disciples à dépasser ce stade du pain donné et à travailler. Non pas travailler pour la "nourriture qui se perd", mais pour la "nourriture qui se garde jusque dans la vie éternelle".

“Travailler ?”, disent les disciples, à la fois intéressés et perplexes, mais quel travail ? Et Jésus répond de manière globale : je n'ai pas à vous fixer une tâche ; croyez en moi et vous saurez bien ce qu'il y a à faire. Les disciples, hésitants en dépit des miracles déjà accomplis, demandent un signe. Et, opportunément, ils rappellent la manne que Dieu envoyait au désert. Jésus répond : la manne, c'était avant ; maintenant le pain que Dieu envoie aux hommes, c'est un pain qui donne vie au monde. Et ce pain, c'est moi, ajoute-t-il : "Je suis le pain de la vie". Il ne s’agit plus de traverser un désert mais d'aller à la vie éternelle.
             
Ainsi voit-on le rythme de ce dimanche:
- pour que les Hébreux vivent leur liberté, un produit nouveau : la manne ;
-  pour vivre notre foi : un comportement d'homme nouveau ;
- et pour vivre la vie éternelle : un pain nouveau, le pain de vie, qui est Jésus lui-même.

Sans nostalgie
Mais notre foi est souvent nostalgique ; sans cesse, on louche vers le passé : avant, le pain était meilleur, les enfants étaient instruits et il y avait du monde à la messe. Tandis que maintenant... !
Notre foi ne doit pas être ainsi. Jésus ne nous engage nullement à regarder en arrière avec des regrets.
Ce sont certains disciples qui s'accrochent au passé : nous donneras-tu l'équivalent de la manne au désert ? Or Jésus établit un nouvel ordre ; le passé est dépassé. "Je suis le pain de la vie". Et ce présent-là est pour toujours. Donc pour maintenant. Donc pour nous. Et il n'y a pas à regarder vers le passé : le vrai pain de vie n'était pas meilleur autrefois, il est toujours aussi riche, aussi vivifiant. Il est éternel. Et c’est à nous, peut-être, de changer.

Et maintenant ?
Les prochains dimanches, nous rencontrerons encore ce discours de Jésus sur le pain de vie. Mais voici déjà quelques questions :
- Sommes-nous des gens qui attendons sans se fatiguer la manne tombée du ciel ?
- Ou encore, croyants, sommes-nous au travail pour l'œuvre de Dieu ?

Et quelle est donc cette œuvre ? Catéchèse, préparation aux sacrements, service des démunis, groupe de réflexion... Oui, et que sains-je encore ! Et peut-être bien davantage : une foi profonde, plus réelle, une foi qui, sans cesse, se nourrit du Christ qui vient à nous, en nous, qui est "Pain de vie pour la vie éternelle !".
Ce mois d'août est un excellent moment pour se préparer aux engagements de la rentrée.
             
Oui, quelle place occupe Jésus pour nous ?
- Jésus, Pain d'un jour, pain de circonstance ou pain de toute une vie ?
- Son enseignement : une connaissance floue, une culture ou une source de vie ?
- Ma foi : vite rassasiée, ou affamée ?

Ne tardons pas à nous interroger, à répondre à ces questions. C’est la seule façon d’avoir l'éternité devant nous.