5ème semaine de Carême
- Mardi
Dans la
longue marche des Hébreux dans le désert du Sinaï, entre l’Egypte et la Terre
Promise, on constate une certaine symétrie entre
les
évènements qui précèdent l’arrivée à la Montagne (du Sinaï)
et le
départ de cette montagne pour la poursuite de l’expédition.
Avant,
comme après, il y a la manne, l’eau qui jaillit du rocher, la victoire contre
les ennemis, l’accueil par Jethro, le beau-père de Moïse.
Après,
c’est le même Jéthro qui congédie le peuple, et la route continue avec, de
nouveau, la manne, l’eau du rocher.
S’il y a
une différence dans la symétrie, elle consiste surtout dans l’intensité : dans
la 2ème partie de la marche, après la Montagne, se multiplient
les révoltes. La confiance qui aurait du se développer dans l’expérience
des bienfaits de Dieu, fait place au contraire, à une perpétuelle lamentation.
Moïse,
lui-même, n’en peut plus. On entend sa plainte dans le livre des Nombres, après
la 2ème pluie de la manne et avant l’histoire des cailles.
Nb 11,10-16 :
"Moïse entendit pleurer le peuple,
chaque famille à l'entrée de sa tente.
La
colère du Seigneur s'enflamma d'une grande ardeur.
Moïse
en fut très affecté, et il dit à Dieu : "Pourquoi fais-tu du mal à ton
serviteur ? Pourquoi n'ai-je pas trouvé grâce à tes yeux, que tu m'aies imposé la charge de tout ce
peuple ? Est-ce moi qui ai conçu tout ce peuple, est-ce moi qui l'ai enfanté, que tu me dises : "Porte-le sur ton
sein, comme la nourrice porte l'enfant à
la mamelle, au pays que j'ai promis par
serment à ses pères" ? Où
trouverais-je de la viande à donner à tout ce peuple, quand ils m'obsèdent de leurs larmes en
disant : "Donne-nous de la viande à manger" ? Je ne puis, à moi seul,
porter tout ce peuple : c'est trop lourd pour moi. Si tu veux me
traiter ainsi, tue-moi plutôt ! Ah !
si j'avais trouvé grâce à tes yeux,
que je ne voie plus mon malheur !".
Dieu
dit à Moïse : "Rassemble-moi soixante-dix des anciens d'Israël, que tu sais être des anciens et des scribes
du peuple. Tu les amèneras à la Tente du Rendez-vous, où ils se tiendront avec toi".
La lecturz d’aujourd’hui nous emmène au sud
de la Mer Morte, dans la région la plus sinistre que l'on connaisse, et c’est
là que la révolte devient la plus violente, après la mort d’Aaron sur la
Montagne de Hor.
Nb
21,4-9 : "Ils partirent de Hor-la-Montagne par la route de la mer
de Suph, pour contourner le pays
d'Édom. En chemin, le peuple perdit patience. Il parla contre
Dieu et contre Moïse : "Pourquoi nous avez-vous fait monter d'Égypte pour
mourir en ce désert ? Car il n'y a ni pain ni eau ; nous sommes excédés de
cette nourriture de famine".
Dieu
envoya alors contre le peuple les serpents brûlants, dont la morsure fit périr beaucoup de monde
en Israël. Le peuple vint dire à Moïse : "Nous avons péché en parlant
contre le Seigneur et contre toi. Intercède auprès du Seigneur pour qu'il
éloigne de nous ces serpents". Moïse intercéda pour le peuple et Dieu lui
répondit : "Façonne-toi un serpent brûlant que tu placeras sur un
étendard. Quiconque aura été mordu et le
regardera restera en vie". Moïse
façonna donc un serpent d'airain qu'il plaça sur l'étendard, et si un homme était mordu par quelque
serpent, il regardait le serpent d'airain
et restait en vie".
Le
serpent d’airain restera, dans la tradition biblique, le symbole par
excellence du salut. Encore maintenant, on voit son image figurée sur le
pare-brise des voitures des médecins pour faciliter leur stationnement. Il sert
aussi de symbole aux pharmaciens.
Dans la
suite de l’histoire biblique, il devient même une tentation d’idolâtrie. On
nous raconte au ch. 18 du 2ème livre des Rois que sa représentation
qui figurait dans le Temple de Jérusalem, était devenu comme une idole et que
le roi Ezéchias, lors de sa réforme, au temps du prophète Isaïe, eut à le
détruire.
2 R
18,1-4 : "En la troisième année d'Osée fils d'Ela, roi d'Israël,
Ezéchias fils d'Achaz devint roi de Juda. Il avait 25 ans à son avènement et il
régna 29 ans à Jérusalem. Il fit ce qui
est agréable à Dieu, imitant tout ce qu'avait fait David, son ancêtre. C'est
lui qui supprima les hauts lieux, brisa les stèles, coupa les pieux sacrés et
mit en pièces le serpent d'airain que Moïse avait fabriqué. Jusqu'à ce
temps-là, en effet, les Israélites lui offraient des sacrifices; on l'appelait Nehushtân"
On peut
s’étonner que l’Evangile d’aujourd’hui ne soit pas celui de l’entretien de
Jésus avec Nicodème où est mentionné le serpent d’airain au ch. 3ème
de St Jean.
Jn
3,14-16 : "Comme Moïse éleva le serpent dans le désert, ainsi
faut-il que soit élevé le Fils de l'homme, afin que quiconque croit ait par
lui la vie éternelle. Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils
unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie
éternelle".
La
liturgie, aux approches de la Passion, préfère nous maintenir, avec l'évangile,
dans les chapitres 7,8 et 9 de St Jean où ressortent, plus que partout
ailleurs, la grande révélation du Messie et le grand refus de ce Messie de Dieu.
Cependant,
le serpent d’airain de la 1ère lecture est évoqué irrésistiblement
par le mot que St Jean emploie avec insistance dans l’Evangile d’aujourd’hui,
le mot "élevé ".
Le
mot "élevé" dans St Jean est très important ; il évoque le
serpent d’airain ; et, dans l’Evangile, il évoque à la fois l’élévation
de Jésus sur la Croix et l’élévation que sera sa résurrection. Et puis,
surtout, il évoque ce verset vers lequel monte tout l’Evangile de St Jean, "Ils
regarderont Celui qu’ils ont transpercé".
Jn
19,31-37 : "Comme c'était la Préparation, les Juifs, pour
éviter que les corps restent sur la croix durant le sabbat - car ce sabbat
était un grand jour -, demandèrent à Pilate qu'on leur brisât les jambes et
qu'on les enlevât. Les soldats vinrent
donc et brisèrent les jambes du premier, puis de l'autre qui avait été crucifié
avec lui. Venus à Jésus, quand ils virent qu'il était déjà mort, ils ne lui
brisèrent pas les jambes, mais l'un des soldats, de sa lance, lui perça le côté
et il sortit aussitôt du sang et de l'eau.
Celui qui a vu rend témoignage - son témoignage est véritable, et
celui-là sait qu'il dit vrai - pour que vous aussi vous croyiez. Car cela est
arrivé afin que l'Écriture fût accomplie : Pas un os ne lui sera brisé. Et une
autre Écriture dit encore : "Ils regarderont celui qu'ils ont
transpercé." Phrase inspirée du prophète Zacharie (ch 12)
qui fait dire à Dieu lui-même, de façon mystérieuse : "et ils regarderont vers moi (donc ver Dieu) celui qu'ils ont transpercé.”
Comme
l’ont compris les saints (St François), le regard sur le transpercé est la
source principale de l’espérance chrétienne.
"O crux ave spes
unica" - "Salut, ô croix, unique espérance"
!
Autrefois,
la coutume voulait que dans cette 5ème semaine de Carême, on voile
les crucifix jusqu’au vendredi saint, comme pour mieux redécouvrir la puissance
de salut universel du signe de la Croix. Signe élevé sur le monde !
P.S. Rappel explicatif sur ce fameux “serpent d’airain“
il y a un jeu de mots plein d’humour (un peu noir) dans
l’expression “serpent d’airain“ .- Serpent
(narach) : N’oublions pas que les Hébreux venaient d’Egypte ! En ce
pays, on croyait qu'un animal dangereux pouvait être neutralisé ou manipulé par
son image. Et le regard vers l'image du
serpent transformait sa menace mortelle
en une fonction guérissante. C’est un peu comme dans l’art de la médecine : on
prend un peu du poison, on l’inocule dans l’organisme pour en faire un antidote
!
Ainsi, en se moquant, Moïse dit au peuple : en regardant le
serpent, regardez bien en face l’objet de votre erreur, votre mal (ne pas
croire en Dieu). Et en regardant votre erreur bien en face (avec contrition,
dirions-nous), vous serez sauvés !
Et Moïse insiste ! Dieu lui avait commandé de faire un serpent !
Et lui de se dire : “je le ferai en airain“ (nérochet !). Il en découle un jeu
de mot dans l’expression “serpent d’airain“ : “narach nérochet“. - Les deux mots
ont la même origine, celle d'un verbe qui veut dire : faire de la divinisation, consulter les
augures, ce que les Hébreux faisaient facilement quand ils se détournaient de
Dieu !
Autrement dit, en amplifiant sa moquerie, Moïse leur demande de
bien reconnaître leurs erreurs, leur manque de confiance. Et ce faisant, Dieu
leur pardonnera et ils seront sauvés ! La faute qu’il regarde bien en face avec
contrition devient un antidote par la foi retrouvée. - C’est cette explication
que semble donner Jésus dans son entretien avec Nicodème (Jean 3) : “Ce qui est né de la chair est chair, ce qui
est né de l’Esprit est esprit !“.
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