4e Carême A.20
Quelle merveilleuse aventure que
celle de cet aveugle de l’évangile. On est facilement ému par ses tribulations,
ses conflits avec les pharisiens, sa rencontre avec Jésus, ses
dernières paroles si émouvantes : "Je
crois, Seigneur".
L’événement a lieu à l’occasion
de la fête de Soukkot ; cette fête appelée aussi “fête des tentes”,
faisait mémoire des merveilles accomplies par Dieu au cours de la traversée du
désert par le peuple hébreu. Et entre autres, et principalement : le miraculeux
jaillissement de l’eau à partir du rocher frappé par Moïse pour étancher
la soif de tout le peuple ; et l’apparition de la colonne de feu, de la
colonne lumineuse qui conduisait le peuple tout au long de leur périple.
Ces deux éléments - l’eau et la lumière - rappelaient à leur façon la
délivrance d’Egypte et l’entrée en Terre promise.
Et voici que Jésus reprend ces
deux éléments :
* Il demande à l’aveugle d’aller
se laver dans la piscine de Siloë qu’alimentait - par un fameux canal - l’eau qui jaillissait du rocher,
à la source de Gihon, à l’extérieur des remparts.
Cette source qui rappelait celle
du désert était un autre lieu très symbolique de délivrance depuis la
déroute des armées de Sennachérib, au temps du prophète Isaïe (8ème s.).
Et c’était cette petite source
située au côté droit du temple qui était devenue, dans la vision très
imaginative d’Ezéchiel, un siècle plus tard, ce grand fleuve qui se jetait dans
le Jourdain et dans la mer morte (symbole de
tous les péchés) pour la purifier et la rendre féconde. –
“Va te laver dans la piscine de Siloë !”.
C’était demander à l’aveugle
cette foi qui avait permis aux Hébreux
de passer, par la mer rouge, de
la “servitude au service”,
de traverser le Jourdain pour
être purifié comme naguère Naaman, le Syrien,
d’aller s’abreuver à la source
que Dieu ne cesse d’alimenter pour le salut du peuple.
* De plus, la fête voulait rappeler
la nuée lumineuse qui conduisait le peuple tout au long de leur chemin de délivrance à
travers le désert. Aussi, durant ces jours de fête, tout Jérusalem était
illuminé avec un luxe incroyable et des moyens qu’on a peine à imaginer
aujourd’hui. Et c’est justement en entrant à Jérusalem au dernier jour de cette fête de Soukkot que Jésus déclare
solennellement :
“Je suis la lumière du monde.
Celui qui
vient à moi ne marchera pas dans les ténèbres”.
Ce récit veut donc montrer tout à
la fois
la mission de lumière
accomplie par Jésus en ce monde,
et le conflit dramatique qui
en résulte, opposant violemment entre elles la lumière qui permet de voir et
les ténèbres : "La lumière est venue
dans le monde, avait déjà dit St Jean, et
les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière !" (3/19).
Il est important de comprendre
les circonstances de cette guérison qui nous interpellent nous-mêmes :
comment nous-mêmes
réagissons-nous devant cette “Lumière
du monde” qu’est le Christ,
nous qui avons été purifiés par
les eaux du baptême ?
Il suffit alors de reprendre
attentivement le récit.
Il
y a
d'abord l'attitude des PHARISIENS. Parmi eux, certains se
demandent avec bonne foi qui est cet homme qui accomplit de tels miracles ;
mais la plupart ont un parti pris évident contre Jésus. Ils sont murés dans leur
suffisance, leur orgueil, leur contentement d'eux-mêmes : "Nous savons…" "Nous
voyons…" "Sommes-nous des aveugles, nous aussi?…" Ils ne
veulent pas voir. C'est le "péché contre la lumière", comme
dira St Jacques. Alors, ils s'enfoncent dans d'irrémédiables ténèbres. La
lumière, au lieu de les éclairer, les aveugle davantage. C'est une situation
dramatique qui culminera au moment de la passion du Christ.
Puisse la lumière de notre
intelligence ne pas nous enfermer sur nos petites convictions, nos petites certitudes, avec suffisance ou
paresse, mais nous ouvrir à la lumière même de Dieu !
Le
récit met encore en scène LES
PARENTS de l’aveugle ! Leur attitude, à eux, c'est la peur de se
compromettre avec Jésus. Ils refusent d'opter ! "Nous n'en savons rien." C'est encore un "péché
contre la lumière" qui les empêche de rencontrer le Seigneur, d'être
éclairés. Cette erreur est toujours
actuelle : le silence de notre foi, par respect humain, par crainte de
l'opinion d’autrui, par peur de se compromettre. On
oublie facilement le Christ en le reléguant dans la sphère du
privé, uniquement. Pourtant, le Seigneur ne cesse de nous redire : "N'ayez donc pas peur !"
Imitons plutôt L'AVEULGE-NE, un des personnages les plus attachants de
l'Evangile. C'était un mendiant ignoré, méprisé.
Lui seul pourtant va savoir proclamer hardiment la vérité devant des
gens considérés, instruits, devant les autorités.
Remarquez sa sincérité :
il raconte les faits avec exactitude !
Remarquez son courage : il accepte les
insultes, les outrages à cause du Christ !
Remarquez son humilité
devant Dieu. Il est le type des “Pauvres de Dieu”. Parce qu'ils sont humbles,
petits à leurs propres yeux, ils reçoivent la lumière !
Cependant, il n'accède pas
d'un coup à la lumière ;
et ce n'est pas un des moindres
intérêts de ce récit que ce cheminement intérieur et très progressif de cet
homme ! En cela, il est un modèle de
loyauté, de docilité à la grâce, à l'Esprit-Saint.
Tout au long de l’épisode dramatique, on le voit s'élever, de degré en degré, à une intelligence spirituelle plus haute, et de
l'événement dont il a été le bénéficiaire, et de la Personne même du Christ !
- Au début, Jésus n'est encore pour lui que "l'homme appelé Jésus",
et sa propre guérison qu'une aventure inouïe, inexplicable. "Où est-il, ce
Jésus ?", lui demande-t-on. Il n'en sait rien !
- Puis, témoin des divisions des
Pharisiens, il commence à comprendre que sa guérison a une signification
religieuse. Alors, il n'hésite pas à dire que ce Jésus est un "prophète", et sa
guérison, par conséquent, un miracle et un "signe".
- Enfin, quand les Juifs
durcissent leur position et font décidément de Jésus un pécheur, l'aveugle
s'affermit, de son côté, dans la sienne : Jésus est un homme religieux ;
c’est parce qu’il prie que Dieu l’exauce. Bien plus, il ajoute : "Si cet homme-là ne venait pas de Dieu,
il ne pourrait rien faire !". Ces paroles courageuses provoquent son
expulsion !
- L'Aveugle guéri en est là quand
Jésus le retrouve. On dirait qu'il le cherchait. L'aveugle est au seuil de la foi. Pour accéder à la pleine lumière, il lui faut
encore cette rencontre ; et Jésus ne la lui refuse pas !
- "L'ayant trouvé, il lui dit : "Crois-tu au Fils de l'Homme
?". Il répondit : "Et qui est-il, Seigneur, pour que je crois en lui
?". Admirable disponibilité : son cœur est prêt à croire.
Puissions-nous avoir cette disposition loyale -
et qui n'est pas naïveté, bien sûr -
pour recevoir la lumière, la vérité, pour recevoir Dieu lui-même !
- "Jésus lui dit : "Tu le vois; c'est lui qui te parle" !
Alors il dit :
"Je crois, Seigneur". Et il se prosterna devant lui".
L'aveugle accepte le témoignage
de Jésus. Ses yeux s'ouvrent : il voit Jésus des yeux de la foi, et pas
seulement de ses yeux de chair guéris par le miracle.
Il voit en lui l'Envoyé de Dieu,
le Sauveur du monde.
Non seulement il connaît
désormais les choses qu'il voit ;
mais il reconnaît celui qui le
fait voir.
En lui, il reconnaît Dieu qui
s’était déjà manifesté dans le désert, lors de la traversée de la mer rouge et
par l’eau qui sortait du rocher, par le passage du Jourdain. Et Dieu vient de
le purifier dans cette eau qui sort du côté droit du temple !
Ainsi, le mendiant, l'aveugle-né,
l'homme estimé péché et rien que péché depuis sa naissance, devient le
"signe" vivant de l'homme illuminé et régénéré par Jésus qui ne
peut agir que par puissance de Dieu !
Comme les Hébreux au désert,
comme cet aveugle-né, nous aussi, nous
avons un itinéraire spirituel à parcourir. Nous devons rencontrer le
Christ dans sa parole, dans ses sacrements, dans la prière… Ce sont ces
rencontres personnelles avec Jésus qui donnent à notre foi sa véritable dimension
!
Alors, en toute circonstance,
dans le secret du cœur ou devant les hommes, nous pourrons dire, nous aussi : "Je crois, Seigneur" !
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