Trinité
19/C
De tous les mystères de notre foi,
celui de la Trinité est, sans doute, celui qui nous apparaît comme le plus
difficile à saisir.
Aussi, la plupart des chrétiens
font-ils ordinairement peu de place, dans leur vie spirituelle, à ce mystère
de la Trinité : beaucoup désirent, bien sûr, une relation personnelle avec le
Christ, en tant que tel, mais souvent sans référence explicite et consciente
avec Dieu, Père et Esprit-Saint.
Pourtant, si nous lisions
l'Évangile… ! Si nous lisions l'Évangile, nous verrions d'abord que le Christ
est toute référence à Celui qu'il appelle son Père :
- Il se présente comme l'envoyé du
Père, son messager.
- Il ne dit aux hommes que ce dont
le Père l'a chargé.
- Il ne fait, dans le monde, que ce
que le Père lui montre à faire constamment.
- Il ne possède que ce que le Père
lui donne.
- Bref, il n'est que relation au
Père : "Personne n'a jamais vu Dieu,
mais le Fils unique qui est dans le sein du Père nous l'a fait connaître"(1.18), dit St
Jean. En effet, ce Fils unique, le Christ, est venu prolonger dans une humanité
qu'il avait assumée, la relation éternelle qui le faisait toute référence
au Père au cœur de la Trinité bienheureuse.
De plus, voici qu'avant de quitter
les siens, le Christ annonce la venue d'une autre Personne divine, plus mystérieuse mais non moins réelle, invisible mais singulièrement agissante.
Cette troisième Personne n'a pas de
nom propre; si je puis dire. Mais comme Dieu est "Esprit", et comme
Dieu est "Saint", le nom d'"Esprit Saint" désigne cette
troisième Personne divine. Ce nom est donc constitué de des deux attributs - "Esprit
" et "Saint" - qui sont communs aux Personnes divines.
Son rôle sera et est toujours d'être
conseiller, avocat, défenseur.
Et les événements de la Pentecôte,
ainsi que ceux de toute l'histoire de l'Eglise justifient avec éclat, ces
qualificatifs puisque seul il réussira ce que le Christ lui-même n'avait pu
réaliser. Nous l'avons vu Dimanche dernier :
Lui seul transforme les Apôtres
peureux en missionnaires hardis. Sans intelligence, ils deviennent, par Lui,
des hommes pénétrés de la vérité toute entière.
Il leur donne cet amour divin
capable de les lancer jusqu'aux extrémités de la terre pour qu'ils annoncent
l'Amour de Dieu pour tout homme! Et, depuis lors, c'est Lui qui est le Principe
agissant et unificateur dans l'Eglise.
Telle est - en raccourci - la
révélation du mystère de la Sainte Trinité à travers les Évangiles - si nous
lisons l'Évangile - et à travers toute l'histoire de l'Eglise -
si nous lisons l'histoire des Saints -.
Et le dogme de la Sainte Trinité tel
que nous le connaissons - "Un seul Dieu en trois Personnes"
- ne fait que systématiser, dans le cadre d'une philosophie, cette révélation
d'un Dieu "Un et trois".
Le Credo que nous récitons, issu de
deux grands conciles des premiers siècles (325-381) est comme la décantation
d'une recherche intellectuelle sur la base de ces données révélées par les
écrits bibliques. Et nous n'aurons jamais trop d'attachement et de dévotion
pour ce Credo qui nous rappelle très opportunément que la foi ne s'invente pas
et que son contenu se reçoit par voie de Tradition, c'est-à-dire de
transmission.
Mais il faut bien l'avouer : les
expressions utilisées dans notre Credo paraissent aujourd'hui très étrangères à
notre culture moderne. Parce que, peut-être, la métaphysique que nos anciens
maniait avec tant de facilité s'est effacé devant la psychologie et toutes les
diverses sciences actuelles, nous entrons plus difficilement dans cette pensée ancienne qui a élaboré notre "Credo".
Cependant, sans renoncer à
comprendre ce que nos ancêtres chrétiens voulaient ainsi exprimer de leur foi, cultivons
également ce que la pensée moderne nous fait de plus en plus découvrir.
Elle aussi peut nous conduire à Dieu-Trinité.
Ainsi, par exemple, notre époque a
pris conscience de façon plus vive que la personne en tant que telle ne se
réalise qu'en s'ouvrant à l'autre, que le plus grand désir de l'homme et sa
plus grande joie, c'est de connaître et d'être reconnu, d'aimer et d'être aimé,
d'échanger et de communier. Une personne, dit-on, ne peut se réaliser que
dans sa relation à l'autre". "Nul n'est une île", a-t-on
dit. "Nul
ne vit pour soi-même", disait déjà St Paul (Rm 14.7). Et, en
le constatant vitalement, reconnaissons que nous portons au plus profond de
nous-mêmes, par notre désir de l'autre, une sorte de parenté avec le mystère de
Dieu-Trinité, d'un Dieu qui ne peut être enfermé, solitairement, sur lui-même.
Nous sommes peut-être plus aptes à comprendre et à admettre que Dieu ne peut être un célibataire éternel. Non,
Dieu ne peut être le Dieu d'Aristote qui se définit par la pure contemplation
de son Etre parfait, par une autosuffisance de soi-même. Oui, "Dieu est Amour". Or, il n'y a
d'amour véritable que pour quelqu'un d'autre - l'égoïsme, malheureusement si
répandu ne pouvant être vraiment l'amour -, ce qui postule d'emblée au moins
une dualité.
De plus, nous le savons bien par
l'expérience de chaque jour : beaucoup d'égoïsme peut subsister dans l'exercice
de l'amour ; et pourtant, la nature
elle-même, telle que Dieu-Trinité l'a voulue, tend à faire surgir de deux
êtres qui s'aiment, même de façon
imparfaite, un troisième être ; et l'amour
de l'homme et de la femme culmine et s'épanouit dans l'apparition de
l'enfant.
On peut même ajouter que lorsqu'un être
aime vraiment un autre être, il y a amour ; mais cet amour n'est pas encore parfait, si
je puis dire, parce qu'il risque toujours d'être trop exclusif. Mais quand
deux êtres en aiment un troisième et que chacun de ces trois accepte et désire
ardemment que l'un d'eux soit aimé autant que lui-même, alors il y a partage de
l'amour. Et c'est bien en cela que réside la perfection de l'amour dont le
mystère trinitaire nous donne l'idéal.
Oui, l'importance mise aujourd'hui
sur le partage, la communication, l'amour véritable, peuvent peut-être - alors
même que nous vivons parfois très mal ces réalités - nous faire mieux saisir la
vie de Dieu-Trinité, nous faire mieux comprendre qui est notre Dieu "Un en
trois Personnes".
Sans doute, pour nous, la relation
avec un autre, les autres est-elle souvent sujet de déchirement, de
frustration, de recherche anxieuse et rarement de plénitude parfaitement
durable. Mais si douloureuses et fugitives que soient parfois nos expériences,
nous savons bien que c'est en cette direction que se trouve le bonheur. Et nos
expériences malheureuses elles-mêmes peuvent être une approche en creux, une
expérience par contraste, de ce qu'est la vie même de Dieu à laquelle nous
sommes appelés à participer pleinement un jour.
Et malgré nos expériences
décevantes, la fête de Dieu-Trinité nous propose cette harmonie comme un
idéal. Et nous pouvons nous approcher de cette réalité à proportion de notre
ouverture à Dieu, au Christ, Dieu fait homme. Lui seul veut nous transmettre cet amour divin, un
amour tellement insoupçonné des hommes que les auteurs du Nouveau Testament ont
dû lui donner ce nom original et intraduisible '"Agapè".
N'est-ce pas ce que Jésus demanda pour nous dans sa prière ultime : "Qu'ils soient un comme Toi Père et
moi, nous sommes Un ; Toi en moi, et Moi en eux, afin qu'ils parviennent à
l'unité parfaite". Puissions-nous approcher de ce mystère que nous célébrons aujourd'hui, grâce à l'Esprit-Saint que nous fêtions dimanche dernier : "Quand il viendra, Lui,
l'Esprit de vérité, il vous guidera, disait Notre Seigneur, vers la vérité toute entière",
cette vérité d'un Dieu-Amour - Un -en-trois-Personnes
-.