17e Dimanche 19/C
Par
pudeur, par peur d'être redevable, de ne pas pouvoir "rendre" le
service offert,
par
crainte de devenir dépendant d’autrui,
nous avons
souvent bien du mal à oser demander.
Et si la
vieillesse, l'accident, la maladie font souvent si peur à beaucoup, c'est bien
parce que, dans ces cas-là, on risque d’entrer dans une dépendance qui nous
inquiète… plus que la mort, dit-on même parfois.
Aussi, par
crainte d’une dépendance, nous hésitons à demander, y compris quand nous nous
adressons à Dieu.
Et
l'évocation de la prière d'Abraham, avec le marchandage bien oriental qu'elle
met en avant, nous fait sourire...
Et
l'histoire de l'ami importun, racontée par Jésus, nous laisse quelque peu mal à
l'aise. Pourvu, se dit-on, que nous n’en arrivions pas à une situation telle
qu'il nous faille solliciter même des amis !
D’ailleurs,
de façon plus positive, cette forte réticence marque autant une revendication
d'indépendance qu’une quête de liberté qui est la grandeur de l’homme voulue
par Dieu lui-même-Créateur.
Et les
parents partagent bien quelque chose du cœur de Dieu
quand ils
aspirent à voir grandir leurs enfants vers plus d'autonomie,
quand ils
les aident à assumer le plus possible leurs propres responsabilités.
Oui, ils
partagent quelque chose du cœur de Dieu qui se révèle, tout au long de la
Bible, comme un Père passionné de la liberté, mieux de la libération de
ses enfants. Tellement que St Paul ose dire à la Communauté de Corinthe,
pourtant bien fragile : "Là où est
l'Esprit de Dieu, là est la liberté".
Ceci dit, nous
savons bien que certaines recherches d'indépendance ou d'autonomie nous
enferment plus qu'elles ne nous libèrent. Et cela, dans notre relation à Dieu
comme dans nos relations entre nous. Il en est ainsi quand nous nous replions
sur notre maison, notre famille, notre village, nos certitudes... les gardant
jalousement comme une propriété à préserver.
Et nous
voilà alors comme emprisonnés dans cette volonté de d'être dépendants de rien
ni de personne, poussant même parfois cette revendication d'autonomie jusqu'à
chercher à nous passer totalement des autres… et de Dieu. Illusoirement nous
voudrions échapper à cette vérité toute simple : nous avons besoin les uns des
autres.
Oui, nul
n’est une île ! Ici, en milieu rural, nous devrions le savoir plus que
d’autres, peut-être.
Nous sommes
dépendants… A commencer par notre dépendance à l'égard de la nature. Ces
dernières semaines de canicule nous l’ont rappelé. La nature, c'est la pluie et
le soleil, les fruits de la terre ; mais aussi les orages, les ronces et
les moustiques…, et que sais-je encpre. Et ce n'est sûrement pas en niant cette
dépendance qu'on peut le mieux l'assumer.
Qui que
nous soyons, nous sommes bien dépendants les uns des autres par la diversité de
nos régions et de nos climats, par la diversité de nos compétences et de nos
travaux, sur les routes et dans les usines, dans les bureaux et dans les
associations.
Alors, ici
comme ailleurs, on doit s’efforcer d'assumer cette inter-dépendance en balisant
le chemin d'une plus grande solidarité entre villages, entre communes, entre
paroisses diverses. Prendre conscience d’une dépendance mutuelle, c’est vital,
tant au niveau d’un village qu’au niveau national et même mondial !
Puissions-nous
avoir le désir d'inventer un même chemin de solidarité là où nous vivons, un
chemin pour "agir ensemble", afin que personne ne vive replié sur
soi, ce qui est une impasse. Il faut de plus en plus découvrir que la liberté
est souvent moins une dépendance jalousement gardée qu'une inter-dépendance
assumée.
Certes, le
chemin de cette inter-dépendance est parfois bien difficile.
En nos
familles, villages, paroisses, en nos divers lieux de travail, en nos
associations... , apprendre à demander comme à donner pour "bâtir
ensemble" le présent et l'avenir n’est pas toujours facile. Il y a
toujours tentation d’accaparer d’une manière ou d’une autre, de tout ramener à
soi, même sous couvert de bénévolat. Et apprendre à “bâtir ensemble”, c’est
souvent apprendre à passer par-dessus rancœurs et rancunes qui sont des poisons
des plus mortels.
Je dis
tout cela parce que nous, chrétiens, nous avons la chance de pouvoir apprendre
de Dieu cette inter-dépendance qui nous humanise et nous élève. Nous sommes
dépendants de Dieu et Dieu lui-même a voulu se faire dépendant de nous en
s’incarnant.
Quand nous
reconnaissons que nous sommes dépendants de Dieu, de sa volonté ("Que ta volonté soit faite"), de son projet de salut ("Que
ton règne vienne"), nous n'avons pas un cœur
d'esclave ou de résigné, au contraire.
Reconnaître
que nous avons été créés, que nous avons tout reçu gratuitement ("Donne-nous notre pain de ce
jour"), libère notre capacité d'aimer et de
servir en nous faisant abandonner un illusoire sentiment de propriété sur nos
personnes et sur nos biens.
Reconnaître
que nous avons besoin de Dieu pour être sauvés, pour sortir de l'esclavage du
péché par la croix du Christ, libère notre capacité à pardonner à notre tour ("Pardonne-nous nos offenses comme
nous pardonnons...").
Quand,
chrétiens, nous reconnaissons que Dieu a voulu se faire dépendant des hommes en
se livrant entre nos mains pour achever sa création et partager sa Bonne
Nouvelle, nous n'annonçons pas l'échec de Dieu, d'un Dieu à la remorque des
hommes, mais nous entrons dans cette révélation d'une Alliance qu'Il a voulue
pour nous manifester qui il est et qui nous sommes, ce qu'Il est, et ce que
nous sommes.
Et Jésus en nous sollicitant à prier simplement veut nous
provoquer à acquérir une véritable liberté, dans la mesure où elle est moins
une autonomie à préserver qu'une inter-dépendance à assumer et à promouvoir.
Inter-dépendance
entre nous... Inter-dépendance entre Dieu et nous. Dieu nous donne, donne tout.
Mais il demande aussi. Il ne veut rien faire sans nous. C’est là notre honneur.
Ce sera notre gloire.
Aussi,
comme nous l’avons appris du Sauveur, nous devons oser prier et demander… pour
mieux donner.