4ème
Carême 19 C – Le péché ! Le pécheur !
"Si
l'homme n'est pas fait pour Dieu, pourquoi n'est-il heureux qu'en Dieu
?
Et si l'homme est fait pour Dieu, pourquoi
est-il si contraire à Dieu ?".
Cette
question de Pascal pourrait résumer la parabole de l'Enfant prodigue - ou plutôt
la parabole du Père de l'enfant prodigue -, peut-être la plus émouvante
de toutes les paraboles.
Et
si elle ne répond pas entièrement à la question de Pascal, à cette question
primordiale qui concerne nos relations avec Dieu, cette parabole nous apporte néanmoins de singuliers éléments
de réponse. Il nous suffit de suivre l'enfant prodigue dans ses erreurs et
dans son retour pour nous reconnaître à chaque étape de sa singulière aventure.
Tout
commence par une demande
: "Donne-moi ma part d'héritage !". Curieuse demande ! Curieuse demande puisque finalement l'homme -
c'est-à-dire chacun d'entre nous - n'a
rien qu'il n'ait reçu de Dieu : "Qu'as-tu
que tu n'aies reçu ?", demande St Paul.
La
malice du péché
consiste justement à retourner contre Dieu les biens qu'il nous donne.
Ces largesses divines devaient servir au bien de l'homme, à la gloire de Dieu ;
le péché les fait servir au malheur de l'homme et à l'offense faite à
Dieu. Nous avons tout reçu de Dieu, … et la vie elle-même. Mais que
faisons-nous des dons de Dieu ?
A
cette demande insolite de son fils, le Père n'oppose aucun refus, netente
même pas de l'empêcher. Sans doute, pressent-il obscurément que ce serait peine
perdue. (Et c'est souvent le cas !).
Et
surtout Dieu, que ce Père de famille représente, ne saurait accepter une relation
avec l'homme qui ne serait pas pleinement consentie, libre, qui
serait comme une servitude.
Aussi,
laisse-t-il les hommes faire leur expérience, sachant fort bien que si, un
jour, ils reviennent sur eux-mêmes, comme l'enfant prodigue, ils
reviendront inévitablement à lui, mais cette fois librement.
C'est
une des explications qui tente d'élucider quelque peu le mystère du
mal qui est parfois - selon cette parabole - comme l'envers du sérieux avec
lequel Dieu traite l'homme et respecte sa liberté, fût-ce jusqu'à sa perte
momentanée et apparente, espère-t-il toujours..
Et la suite du texte nous présente le
péché sous trois aspects : il est un éloignement, un appauvrissement,
un abaissement. Et n'est-il pas bon d'y réfléchir en ce temps de carême
?
1.
Un
éloignement –
C'est
un éloignement, car comme dit un psaume : "Ceux
qui s'éloignent de toi périront ; ils se perdent tous ceux qui s'éloignent de
toi" (Ps
73.27-28). Alors que nous ne sommes chez nous
que lorsque nous sommes chez Dieu, notre Père, - comme le Père de l'enfant
prodigue le dira à son fils aîné -, nous ne réalisons pas que sans Dieu, tout
lieu est un exil et qu'au contraire, avec Dieu, tout lieu peut être notre
patrie.
Mais
on ne peut fuir vraiment Dieu ; c'est ce que va bientôt découvrir l'enfant
prodigue. Car lorsqu'on le fuit, il reste encore présent au plus profond de
notre cœur par le vide béant que laisse son absence et que lui seul peut
remplir.
2.
Un appauvrissement
-
Parti
pour une région lointaine, l'enfant prodigue a bien vite dissipé ses biens avec
lesquels il pensait faire sa vie, son bonheur. "Car l'homme est ainsi fait, disait encore Pascal, qu'il ne trouve en rien de ce que lui offre
le créé, une plénitude de perfection capable de remplir son attente
la plus profonde, une réponse exauçant l'appel infini qui jaillit du fond
de son cœur. Et de chaque essai qu'il tente pour se satisfaire, il sort plus
inquiet, plus conscient de l'immensité du vide qui est en lui."
3.
Un abaissement -
Mais
cet appauvrissement inéluctable va bientôt se transformer pour lui en
abaissement : on envoie ce fils garder les porcs - animaux impurs par
excellence dans la pensée juive. - Le péché est en effet un avilissement
pour l'âme. L'âme est faite pour de grandes choses, pour la pureté, pour l'union
à Dieu, l'Infini, le Tanscendant, pour l'mour à l'égard de Dieu et du prochain.
Par le péché, l'homme ruine en lui tout ce bien et se met au-dessous
de ce qu'il aurait pu, de ce qu'il aurait dû être, au-dessous de
lui-même.
C'est
alors que le Fils prodigue réalise - oh ! Pas tellement l'offense faite
à son père, mais bien plutôt le manque de tout ce qu'il a stupidement
perdu - : "Combien de journaliers
dans la maison de mon père ont leur subsistance assurée et moi, ici, je meurs
de faim". La souffrance apparaît souvent comme le principe d'une
illumination décisive.
Alors,
considérant l'extrême nécessité où il se trouve, le Fils prend le chemin du retour.
Et tout comme le Père de la parabole, Dieu accepte cette motivation
d'apparence intéressée qui est cependant à l'origine lointaine du retour de
l'homme vers lui, vers Dieu. Car cette motivation, tout intéressée qu'elle
soit, manifeste justement avec éclat que l'homme ne peut trouver son bonheur
qu'en Dieu, quel qu'effort qu'il fasse pour le trouver ailleurs. .
Et
voici l'enfant prodigue sur le retour. Et son Père qui l'attendait accourt vers
lui. Car Dieu est toujours premier. Parce qu'il aime le premier, il
accueille le premier. Il est toujours prêt à pardonner le premier, à restituer
le pécheur dans sa dignité de fils, à le faire asseoir à sa table.
Peut-être
serions-nous tentés de réagir comme le fils aîné qui revient des champs et qui
trouve injustes les générosités de son Père à l'égard de son frère. Il aurait
dû pourtant reconnaître que lui-même tenait tout de son Père, devait tout à sa
bonté, à sa miséricorde. Alors il aurait pu comprendre la joie de son Père au
retour du cadet, partager pleinement cette joie.
En
ce temps qui nous prépare à Pâques où Dieu nous montre son amour miséricordieux
envers les hommes, sachons nous convertir comme l'enfant prodigue,
revenir vers notre Père, ou du moins, comme aurait dû le faire le fils aîné, nous
réjouir de ses miséricordes.
Si
fortes que soient nos tentations, souvenons-nous que Dieu est là pour nous
aider à y résister.
Si
loin que nous puissions nous trouver de l'amour de Dieu, n'oublions pas que le
Dieu de cette parabole est Celui qui affirme sans cesse qu'il aime l'homme
pécheur, plus que celui-ci n'aime son péché.