dimanche 26 avril 2020

Le Christ reconnu et annoncé

3e Dimanche de Pâques 20/A
         
Qui n'a pas connu, un jour ou l'autre, les affres du désespoir?

On était heureux, on s'aimait, on vivait… bien ! Et puis, brutalement, c'est l'accident de voiture ou l'infarctus, le décès soudain d'un proche… ou sais-je encore…L'expansion brutale d'une pandémie avec toutes ses conséquences !  -   L'horizon apparaît irrémédiablement bouché : la maladie, l'échec conjugal, le chômage, l'enfant qui prend une route qu'on estime dangereuse… Subitement l'avenir s'assombrit, c'est la consternation, le désarroi, le désespoir.

Les deux disciples de Jésus qui, le soir de Pâques, cheminaient vers Emmaüs, étaient non moins déses­pérés. Leur espérance s'était brutalement effondrée à la mort sur la croix de celui en qui ils avaient mis toute leur confiance. "Nous espérions, disaient-ils pour s'expliquer, qu'il serait le libérateur…!".
"Nous espérions", disons-nous souvent également !  Mais maintenant, tout est anéanti… !

Pourtant, les deux disciples, s'ils savaient lire les signes qui leur sont donnés, ils pourraient reprendre es­poir. D'ailleurs des bruits circulent : "Des femmes qui sont allées au tombeau" n'ont pas trouvé le corps;  elles ont eu, paraît-il, une apparition : "des anges disaient qu'il est vivant". Mais faut-il croire ces histoires de femmes ?  
Faut-il croire toutes ces histoires d'hommes, de femmes qui disent avoir rencontré Dieu ? Personne n'avait vu Jésus ressusciter ! Personne n'a jamais vu Dieu ! Tout espoir est donc mort ! L'avenir est irrémé­diablement noir.

L'inconnu qui chemine avec les deux disciples a écouté ce récit désespéré. Et voilà qu'il prend la parole : "Vous n'avez donc pas compris !" Et il révèle le sens de plus en plus évident d'évènements jusque là incompré­hensibles. Il fait surgir la lumière dans un horizon enté­nébré.
Ce n'est pas une révélation fulgurante. Mais la lumière se fait de plus en plus éclatante, au long du chemin où l'inconnu, "en partant de Moïse et de tous les prophètes" explique, dans toute l'Ecriture, ce qui con­cerne le Christ. Comme la lumière se fait de plus en plus grande également au cours des années… pour nous !

Cet inconnu leur explique si bien l'Ecriture, sa pré­sence est si réconfortante que, arrivés à l'étape, ils le supplient : "Reste avec nous". Ils vont partager le repas. Gestes de tous jours… C'est alors que "leurs yeux s'ouvrirent et qu'ils le reconnurent".  
Celui qui rompt le pain et le leur donne, c'est ce Jésus qu'ils croyaient à jamais disparu. A l'instant tout s'éclaire : "notre cœur n'était-il pas brûlant en nous tandis qu'il nous expli­quait les Ecritures ?"
Et la joie qui est la leur désor­mais, ils n'ont de cesse de la communiquer : "C'est vrai, le Seigneur est vivant, nous l'avons reconnu quand il a rompu le pain".

Nous aussi, quel que soit notre âge, nous avançons sur la route de l'existence et il nous arrive d'être triste et désespérés.
Nous nous souvenons avec nostalgie des jours d'antan, des jours heureux, alors que, peut-être, nous sommes actuellement dans l'épreuve ! Chrétiens, nous nous souvenons de la foi vive et facile de notre jeu­nesse. Or, en avançant sur la route, mille embûches hu­maines et spirituelles nous font trébucher; et mainte­nant nous ne voyons pas très clair en nous-mêmes et autour de nous. Les événements n'ont pas répondu à nos projets les plus légitimes. L'Eglise elle-même ne paraît-elle pas vaciller par des attaques fortes et mul­tiples. Et il nous arrive, au gré des événements de l'Eglise elle-même, en considérant actes ou paroles de ses mi­nistres, d'être déconcertés. Serait-ce d'ailleurs très étonnant ? St Paul ne disait-il pas : "Que les voies du Seigneur sont impénétrables ! Qui en effet a connu la pensée du Seigneur!".  Et alors, tout en marchant sur la route de notre vie, nous causons de tout et de rien; et souvent nous paraissons si tristes dans notre igno­rance…

Pourtant, le Christ chemine avec nous sur la route de nos vies : "Je suis avec vous tous les jours…". Il nous faut seulement reconnaître cette présence fraternelle. Les disciples d'Emmaüs ont reconnu le Christ lorsqu'il rompit le pain, mais déjà "leur cœur était tout brûlant" lorsque, sur la route, ils méditaient avec lui les Ecritures.
Il y a bien des façons par lesquelles le Christ se rend présent à nous-mêmes. Mais ces deux moyens (Ecritures et repas du Seigneur) sont toujours privilé­giés.

Il nous est bon de chercher dans la lecture et la médi­tation de l'Evangile la présence du Seigneur qui nous donne des raisons de vivre et d'espérer. De plus en plus de personnes - individuellement ou en groupe - lisent et méditent l'Evangile ou, plus simplement, les lectures que la liturgie nous propose chaque jour. Ne pourrions-nous pas tous prendre cette initiative pour acquérir force et courage tout au long de notre vie ?

Et puis, prenons-en conscience de plus en plus : le Christ vient au cours de cette célébration eucharistique. Il vient partager aujourd'hui notre vie comme il a voulu partager un repas avec ses amis rencontrés sur le che­min d'Emmaüs. Accueillons dans l'espérance sa venue parmi nous. L'Eucharistie est la présence par excellence du Christ parmi nous.

Et après l'Eucharistie, quand nous nous en retournerons dans nos demeures, puissions-nous avoir au cœur la joie des pèlerins d'Emmaüs. "Ils racontaient ce qui s'était passé sur la route et comment ils avaient reconnu le Christ quand il avait rompu le pain". Repartons vers nos frères pour être des témoins du Christ et "pour rendre compte de l'espérance qui est en nous". La foi,, insiste le pape François, est obligatoirement "sociale" :  elle doit annoncer le Christ reconnu en notre existence ! Surtout à l'intérieur de notre propre famille humaine ! Sinon, trop cachée, elle risque de s'anéantir

lundi 20 avril 2020

Divine Miséricorde !


2e Dim. Pâques 20.A  :    

Au nom du Père et du Fils…   -  A cause de la réciprocité parfaite des relations entre le Fils et le Père, nous ne pouvons regarder le Christ, Fils de Dieu, sans contempler en même temps le Père, tel que Jésus nous le révèle quand il nous dit par exemple : “Lorsque vous priez dites : Père !”.

“Père” est un mot qui sonne étrangement aux oreilles de l’homme d’aujourd’hui facilement imbu de certaines théories modernes qui considèrent la paternité comme régressive et qui veulent promouvoir une société anonyme dirigée par des forces impersonnelles…
Et pourtant, le premier titre que Dieu s'est fait donner par Moïse sur le Sinaï est celui de “Dieu de tendresse et de miséricorde” (Ex 34,6) auquel fait écho la parole de St Paul : “Dieu, Père des miséricordes” (2 Co 1,3).

 Le mot “miséricorde”, en hébreu, signifie un sentiment qui monte des profondeurs des entrailles maternelles. Et bien, Dieu-Père est “matriciel”, disait A. Chouraqui (né en Algérie, ancien maire-adjoint de Jérusalem) qui n’hésitait pas à employer ce néologisme. Il sent ses enfants comme une mère sent les siens, à tel point qu'Origène, un des premiers Pères de l’Eglise, va jusqu'à dire : “Personne n'est aussi mère que Dieu Père”.

 Cet amour de miséricorde, cet amour “qui a des entrailles maternelles”, qui est “neuf tous les matins” (Lm 3,23), que rien n'altère, court tout au long de la Bible et arrache à l'homme ses cris les plus poignants en invoquant “le frémissement des entrailles divines” (Is 63,15).
Toute la vie du Christ manifeste cette “bénignité” (Tt 3,4), cette inlassable miséricorde. On comprend dès lors que St Paul ait invité les chrétiens à “revêtir les entrailles de miséricorde de Dieu” (Col 3,12).

Et depuis le péché du premier homme, devant l’homme pécheur que nous sommes tous, l'amour de Dieu s'est revêtu de l'habit de miséricorde, comme le montre le tableau de Rembrandt :  le père qui couvre de ses mains son fils prodigue. Dieu ne peut plus aimer qu'en pardonnant ; aussi, j'ose dire que la plus grande joie de Dieu est de pardonner, puisque sa seule façon de nous aimer, d'être éternellement fidèle à son amour créateur, c’est d'être miséricordieux en pardonnant. Chaque fois que Dieu exerce sa miséricorde, c'est comme s'il recréait l'homme, il le remet à l'état de fraîcheur primitive, avec la bonne odeur des mains du potier qui l'avait façonné.

Quand l'homme pardonne, il ne sait pas oublier. Dieu, lui, n'a pas de mémoire. Il permet à l'homme de repartir tout neuf comme au sixième jour de la Genèse. St Ambroise a une parole étonnante ; il cherche à comprendre pourquoi Dieu Créateur ne s’est reposé que le septième jour : “Il a fait les cieux et je ne lis pas qu'il se soit reposé ; il a fait la terre, et je ne lis pas qu'il se soit reposé... Mais je lis qu'il a fait l'homme et qu'alors il se reposa, ayant enfin quelqu'un à qui il put pardonner les péchés”.

Mais ce geste de l’éternel pardon divin n'est pas toujours compris de ceux qui sont épris de justice humaine : ils ne supportent pas la brûlure du baiser donné par la miséricorde à la justice. Nous le voyons bien dans les pays qui commencent à panser leurs plaies ouvertes à l'occasion de conflits fratricides…
Pourtant, loin de s'opposer à la justice, la miséricorde l'exige. Mais elle va plus loin que la justice. Certes, souvent, notre conscience réclame un jugement qui rétribue le bien et sanctionne le mal. Cependant, nous refusons, en même temps,  de nous laisser peser sur les balances les plus justes ; car nous sommes convaincus que la vérité de notre être ne peut être saisie que par l'amour de Dieu-Père, riche en miséricorde.

Jean-Paul II qui écrivit une encyclique sur la Miséricorde, disait : “Une terre d'où serait exclue la miséricorde pourrait être juste, mais elle deviendrait vite irrespirable et les hommes y grelotteraient de froid…”.  Et nous savons comment ce Pape a manifesté cette miséricorde de Dieu-Père qui n’exclut pas la justice, en pardonnant à son agresseur, en lui faisant visite en sa prison.
Et nous savons également - autre exemple – comment Ste Thérèse de Lisieux avait une “espérance aveugle” en la miséricorde de Dieu-Père. C’était déjà l’expression de Jean-Paul II : “une espérance aveugle…”.

 Dans notre région, on connaît le nom de Marcel Pagnol. Et bien savez-vous que ce grand auteur a écrit une pièce de théâtre sur Judas (il serait bien à la mode au-ourd’hui ! ). A la question qui le tourmentait : “Selon vous, Judas est-il en enfer ?”, avec humour, il fait dire au Christ lui-même : “Je ne peux pas répondre à votre question, sinon les gens finiraient par abuser de mon indulgence”. Dieu riche en miséricorde !

Et chose curieuse encore : quand l'Église nous appelle à nous confesser, elle nous appelle à confesser notre foi au travers même de nos péchés. Aller à la confession ! Le mot “confession” primitivement servait à indiquer le contenu de la foi. Alors, finalement, confesser Dieu et confesser ses péchés vont ensemble, s'articulent l'un l'autre. St Augustin, qui s'y entendait en “Confessions”, a exprimé cette idée avec force : “Pour louer Dieu, tu t'accuses : en effet, sa grandeur est de remettre tes péchés. Cela fait partie de la louange de Dieu quand tu confesses tes péchés. Et pourquoi ? Parce qu'on félicite le médecin d'autant plus que l'on avait désespéré du malade”.

Confesser ses péchés, sa misère, c'est confesser notre foi, car c’est célébrer la miséricorde du Père. On comprend alors la formule par laquelle le pénitent se présente normalement devant un prêtre : “Bénissez-moi, mon père, parce que j'ai péché...”. Il faut bien entendre : Bénissez-moi parce que j'ai péché et non malgré mes péchés ! Un comble, diront certains. Non, c’est seulement la joie née du pardon. La joie du fils prodigue mais plus encore du père qui invite tous à festoyer, comme le bon Pasteur qui déclare qu'il y a dans le ciel plus de joie pour la brebis retrouvée que pour les quatre-vingt-dix-neuf autres demeurées au bercail.

 Et puisque Dieu s'est comparé aux entrailles d'une mère, n'hésitons pas à nous tourner souvent vers sa Mère. Sur le seuil de la maison d'Élisabeth, dans son Magnificat, Marie proclame que la miséricorde de Dieu “s'étend d'âge en âge” (Lc 1,50). Au Père des miséricordes fait écho la Mère de la miséricorde

 Que la Vierge Marie, “mère de miséricorde”, nous aide à dire souvent comme St Paul : “Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation ; il nous console dans toutes nos détresses, pour nous rendre capables de consoler tous ceux qui sont en détresse”  (2 Co 1,3).

dimanche 12 avril 2020

Sainte et joyeuse fête de Pâques


Pâques. 2020.A 

La fête de Pâques, c'est d'abord la résurrection de Jésus, c'est à dire le "passage" (sens du mot "Pâques") de Jésus à la vie définitive en Dieu, avec son humanité.

La Pâque des Hébreux 
Mais la Bible nous parle déjà d'une première "pâque", d’un premier “passage” qui eut lieu au temps de Moïse, environ quatorze siècles avant notre ère.
Mais de quel “passage” s'agissait-il ?

A cette époque, les Hébreux, en Egypte, étaient une minorité de plus en plus opprimée, condamnée aux travaux forcés, réduite en esclavage.
Alors, Dieu suscite Moïse pour obtenir leur libération. Car Dieu ne veut pas que des peuples, des personnes soient opprimés par d'autres peuples, d’autres personnes. Ce qui définit l'homme, c'est sa liberté, sa possibilité de conduire lui-même sa propre vie. Aussi, Dieu dit à Moïse : Tu vas faire "passer" tes frères de l'esclavage à la liberté, de la servitude au service de Dieu et des hommes. Telle fut la première pâque. Et il est toujours actuel ce “passage” de la servitude au service (même jeu de mots, en hébreu !).

Mais, pour passer de la servitude au service, il y a un immense désert. Les Hébreux mirent 40 ans (symbole) à le traverser. Ce fut une période douloureuse, apparemment mortelle. Souvent, les Hébreux voulurent faire marche arrière, préférant la sécurité misérable de leur esclavage en Egypte à la perspective exigeante de devenir un peuple libre !!! 
Oui, durant cette longue traversée du désert, les Hébreux eurent l'impression d'aller vers la mort. En réalité, ils allaient vers la vie, la vraie vie, la terre de la liberté. Mais, ils ne pouvaient pas devenir un peuple libre sans passer par une sorte de mort, sans mourir à leur mentalité d'esclave, à leur passivité, leur servilité.
Pour naître à la vie du service de Dieu et des hommes, il faut mourir à sa situation d'esclave, briser bien des 
chaînes ; cela exige efforts et courage. La longue traversée du désert symbolisait ces exigences et cette mort.

La Pâque de Jésus. 
Cette Pâque des Hébreux nous apporte une lumière sur Jésus lui-même. Car il a “revécu” pour son propre compte ce que son peuple avait vécu auparavant. Il monte au calvaire, vers la mort. En réalité, il va, avec toute son humanité, vers la vraie vie, la vie même de Dieu. 
La résurrection de Jésus n'est pas le retour à sa vie terrestre ; elle est le "passage" à la vie de Dieu ; et les conditions de sa vie sont désormais celles de la vie de Dieu : aussi, Jésus ressuscité n'est plus lié comme nous à tous les conditionnements de l'espace et du temps.

Et pourtant, c'est bien le même Jésus. En passant par la mort et la résurrection, le Fils de Dieu ne s'est pas dépouillé de l'humanité assumée lors de son incarnation ; il n'a pas rejeté son corps comme une chose devenue inutile, méprisable. Non, c'est Jésus tout entier, homme et Dieu, qui est vivant désormais au cœur même de la Sainte Trinité. Grâce à lui, on peut dire que l'humanité, prise globalement, dans son ensemble, a déjà une place dans la gloire de Dieu.  
Telle est la Pâque de Jésus, le "passage" de Jésus que nous fêtons aujourd'hui.

La Pâque du Chrétien.  
Mais nous aussi, nous devons faire notre “passage”, notre pâque, comme les Hébreux jadis, et comme Jésus aussi.  - Et c'est lui qui nous entraîne à sa suite ; c'est lui le “passeur”. Grâce à lui, la mort n'est plus une impasse, ni un retour au néant. Grâce à lui, notre mort sera pour nous aussi le passage à la vie définitive en Dieu pour laquelle nous avons été créés.  – Là, nous découvrirons notre véritable dimension : l'homme ne se définit pas simplement par ses seules dimensions terrestres ; Dieu nous a créés pour que nous trouvions "en lui, par lui, avec lui" la plénitude de notre bonheur, de la vie. Nous en faisons l'expérience souvent : ici-bas, nous n'arrivons jamais à atteindre l'amour parfait, la beauté parfaite, la vérité parfaite, la communication parfaite avec les autres ; tout cela reste fragile, incomplet, éphémère. Nous ne serons pleinement rassasiés qu’en Dieu, avec lui, par lui.

Nos Pâques quotidiennes.  
Ce passage, cette pâque définitive en Dieu, se fera à travers notre mort, comme pour Jésus.   
Mais il nous faut le préparer chaque jour à travers toutes les décisions que nous prenons, tous les choix que nous faisons et qui sont autant de petites pâques, de petits “passages”, accompagnés de petites libérations.
Quand je décide d’être au service d’autrui,
quand pour cela je décide de renoncer à une satisfaction,
chaque fois je me libère un peu de mon égoïsme, je le fais mourir en moi.
Chaque fois que je passe par une libération, par une sorte de mort pour découvrir quelque chose de la vraie liberté et de la vraie vie, j’accomplis déjà en moi la Pâques du Christ.

De tous nos choix, de toutes nos décisions de chaque jour, nous pouvons donc faire autant de pâques, de “passages”, de libérations vers la plénitude de vie pour laquelle nous sommes faits. C'est ainsi qu'un Jour, grâce au Christ ressuscité, nous deviendrons des hommes vraiment complets et définitivement achevés. Ici-bas, nous ne serons jamais que des hommes en devenir, en cours de formation ; c'est en Dieu seul que nous atteindrons notre croissance et notre taille définitives.

La Pâque de l'univers 
Mais, ne pensons pas qu'à nous... Pensons aussi à tous nos frères, chrétiens ou non : ne sommes-nous pas tous solidaires les uns des autres ? “Toute âme qui s'élève élève le monde”. Nous pouvons dire de même : Tout homme qui passe de l'égoïsme à l'amour, du doute à la foi, du découragement à l'espérance, des ténèbres à la lumière, de l'erreur à la vérité… tout homme qui grandit ainsi dans la vie du Christ ressuscité contribue à faire grandir avec lui l'humanité toute entière.

La résurrection du Christ est en marche. L'éternité de la vraie vie est commencée. L'univers tout entier aspire à sa pâque éternelle. C’est en ce sens que St Paul disait : “vous êtes ressuscités avec le Christ... Recherchez donc les réalités d'en haut ! Tendez vers les réalités d'en haut !”.


jeudi 9 avril 2020

Corps du Christ et notre corps !


Jeudi Saint – 20   

La table est mise. Les douze sont réunis. Jésus préside. Pierre et Jean avaient réservé la salle.
Mais qui nous dit que Marie n'a pas veillé à ce que tout soit prêt pour cette fête, la plus grande en Israël ? Rien n'interdit de supposer que la Mère de Jésus ait été invitée à la Cène.
Comment concevoir que la Mère de Dieu - vénérée comme reine des apôtres, figure de l'Eglise - ait pu être absente lors de cet événement fondateur de la Foi chrétienne : l'institution de l'Eucharistie ?

Jésus "qui a pris chair de la Vierge Marie" n'a-t-il pas voulu que sa Mère soit - au moins dans l'ombre - à ses côtés au moment où il se donne en nourriture pour le salut du monde ? La discrète et silencieuse présence de Marie paraît importante pour souligner le lien de continuité entre le corps physique de Jésus sur terre et ce même corps "mystique" de l'Eucharistie, présent selon un mode d'être sacramentel.

De plus, n'oublions pas le premier signe de Jésus à Cana.
St Jean, si soucieux de symbolique, précise : “Elle y était !”
Et ce n'est pas rien que Jésus ait laissé sa mère tenir le premier rôle en cette circonstance.  D'où lui est venue cette suprême autorité pour s'adresser aux serviteurs, sinon de la volonté de Jésus lui-même : “Faites tout ce qu'il vous dira !”
Puisqu'elle est à ce fameux banquet de Cana, première figure de l'Eucharistie, pourquoi ne serait-elle pas à la Cène, en cet instant sublime au cours duquel Jésus nous commande lui-même : “Faites ceci en mémoire de Moi !”

Oui, j'aime à penser que Marie fut présente à cette soirée inoubliable de la Cène, comme elle l'a été à un banquet d'alliance à Cana, comme elle le sera au matin mémorable de la Pentecôte, dans cette même pièce : le Cénacle !
Et elle nous invite à devenir des convives de l'Eucharistie toujours plus avides de mieux comprendre le sens de cette Alliance - entre Dieu et l'homme - que Jésus a déclarée "nouvelle et éternelle" !
Oui, avec Marie, rendons grâce pour cette alliance nouvelle, pour cette nouveauté de l’Eucharistie, nouveauté qui nous rend toujours contemporains de Jésus ; car sa présence au monde n’est pas seulement d’hier, mais, bel et bien à travers tous les siècles, d’aujourd’hui, présence réellement célébrée dans l'Eucharistie. Et Marie est là, elle aussi !

Et, avec Marie, rendons grâce, déjà, pour notre éternité !
Car si chaque Eucharistie fait mémoire et récapitule l'Alliance permanente de Dieu avec l'homme tout au long de l'histoire humaine, elle nous ouvre encore  à un devenir toujours possible !

C'est bien cela aussi qui est extraordinaire dans la célébration de toute Eucharistie : cette révélation que Jésus Christ fait du temps dans lequel nous sommes immergés.
En effet, à la Cène, Jésus célèbre par avance et sa mort et sa résurrection. Ce qui va se passer le Vendredi et le Dimanche, voilà ce qui est déjà parfaitement accompli dans le temps "transcendé", "transfiguré" en ce jeudi-Saint !  
Avec Dieu, le temps - qui pour les hommes est fuite et limite - n'est plus un enfermement, mais la mémoire  d'un "passage divin" antérieur qui fonde notre foi en la présence de Dieu toujours actuelle, et qui annonce notre "éternité divine".  
En Dieu, la durée du temps explose, si je puis dire, pour nous projeter, déjà, dans l'éternité ! On pourrait dire que l’Eucharistie, c’est se souvenir de ce qui sera !

Peut-être sommes-nous de ceux qui éprouvent jusqu'à l'angoisse cette fuite du temps qui passe de plus en plus vite au fur et à mesure que l'on vieillit. Eh bien, voici qu'à chaque Eucharistie nous est offerte la sérénité de l'éternité : avec le Christ, "avec Lui, par Lui et en Lui", nous avons le pouvoir de célébrer par avance, à travers toutes nos morts à nous-mêmes, notre propre mort physique dans l'imprévisible de ce qu'elle sera. Avec le Christ, "avec Lui, par Lui et en Lui",  nous nous célébrons en même temps notre résurrection chaque fois que nous acceptons de renaître.
Et Marie, la Mère du Christ et la Reine du ciel, est là, avec nous !
Oui, avec Marie, rendons grâce pour ce sacrement du Corps du Christ ! Ce n'est pas fortuit si l'évangile de Jean, réputé pour être le plus mystique, s'ouvre par ces mots : "Le Verbe s'est fait chair".  Il a pris corps !
- corps d'homme engendré dans le corps d’une femme, la Vierge Marie.
- corps mis au monde sans mépris aucun pour cette partie physique de notre être humain !
- corps mis au monde à Bethléem, mot qui signifie : “la Maison du Pain”.
- corps donné sous le signe de l'Agneau pascal immolé, symbole de la nourriture qui sauve.
- corps crucifié et transfiguré dans le rayonnement de la gloire divine.

Oui, avec Marie, rendons grâce, car le Corps du Christ que l’on reçoit afin d’en être membre donne vocation à mon propre corps, au point de pouvoir affirmer :
Ceci est mon corps pour qu’il soit donné en mission d’aimer.
Ceci est mon corps pour qu’il devienne déjà temple de l’Esprit de Dieu !

lundi 6 avril 2020

"Fils de l'homme" et "Serviteur souffrant"


Semaine Sainte  -  Lundi

Vous avez reconnu dans la 1ère lecture, les accents du prophète Isaïe que Jésus commente dans la synagogue de Nazareth, en la scène inaugurale de son ministère public, selon St Luc. Ce sont les fameux textes du "Serviteur "dont parle Isaïe.

La liturgie, au début de cette Semaine Sainte, nous fait rejoindre les textes à partir desquels Jésus,
qui, avec son intelligence, n’a pas triché avec la nature humaine,
qui a assumé sa personnalité divine,
qui a pris conscience du caractère tragique que présenterait tôt ou tard, quand l’heure serait venue, sa mission messianique.

Il est clair, quand on lit le Nouveau Testament, que Jésus avait conscience d’être à la fois
le "Fils de l’homme," prédit par Daniel,
qui vient sur les nuées du ciel en recevant des mains de l’Ancien des jours, l’empire qui n’aura pas de fin,
qui apparaîtra un jour sur les ruines de tous les empires qui se sont écroulés au cours des siècles de l’histoire.
Dn 7,13-14 : "Je contemplais, dans les visions de la nuit Voici, venant sur les nuées du ciel, comme un Fils d'homme. Il s'avança jusqu'à l'Ancien et fut conduit en sa présence. A lui fut conféré empire, honneur et royaume, et tous peuples, nations et langues le servirent. Son empire est un empire éternel qui ne passera point, et son royaume ne sera point détruit.

Jésus avait conscience d’être ce "Fils de l’homme" dont parlait Daniel. Il avait même une prédilection pour cette appellation qui lui permettait de prendre ses distances par rapport aux attentes messianiques nationalistes, très courantes à son époque, ;
c'est même certainement, pour exprimer ces distances qu’il a choisi un ânon pour faire son entrée triomphale à Jérusalem.

Mais, si Jésus avait conscience d’être ce "Fils de l’homme" prédit par Daniel, il avait conscience d’être aussi, en même temps et tout à la fois, le "Serviteur" dont nous parle le prophète Isaïe aujourd’hui.

Le "Fils de l'homme'" et le "Serviteur" sont deux appellations qui, dans les derniers siècles de l’Ancien Testament désignent indissociablement la collectivité du peuple élu, et l’individu mystérieux qui assumera cette destinée du peuple élu.
Les professeurs ont discuté, à perte de vue, sur la question de savoir s’il s’agit d’une personne individuelle ou d’une collectivité nationale. Beaucoup se rallient désormais à un exégète anglais célèbre qui a inventé l’expression de "corporeta personnality", de "personnalité incorporante" ; de personnalité bien caractérisée individuellement, mais représentant en elle-même la collectivité du peuple élu en ce qu’il a de plus spécifique.

En ces jours de la Semaine Sainte, sachons affirmer que Jésus est bien tout à la fois
ce "Fils de l'homme", qui, selon Daniel, a toutes les caractéristiques  de la divinité,
et le "Serviteur" souffrant d'Isaïe qui, par ses douleurs, sa mort et par sa résurrection relèvera tous les hommes de leurs maux, de leurs péchés, pensée qu'aimera affirmer et développer St Paul.

Et ce même Jésus -  "Fils de l'homme", et  "Serviteur" – ne cesse pas désormais de vouloir nous adjoindre à sa gloire divine de ressuscité, de nous adjoindre à lui, devenant tous ensemble - "par Lui, avec Lui et en Lui" - le "Peuple de Dieu" qu'il veut éternellement s'incorporer pour le présenter à  Dieu, son Père, en nous donnant la force de leur Esprit commun ! (ce que nous célèbrerons au jour de la Pentecôte) !

En ces jours de la Semaine Sainte, prions avec foi et espérance, prions avec ce grand amour divin  que manifestait en toutes circonstance, Jésus, tout à la fois "Fils de l'homme" et "Serviteur souffrant" ! !

dimanche 5 avril 2020

Deux cortèges !


DIMANCHE DES RAMEAUX  20/B

En ce dimanche des Rameaux, je reprends un sentiment qui me parait féodalement chrétien :

Imaginez un instant ces deux cortèges :
- celui des Rameaux, un cortège triomphal ;
- et celui, tragique, que la lecture de la Passion nous  rappelle  aujourd'hui.
             
Les deux événements étaient pour les amis et les disciples de Jésus une incompréhensible contradiction. Et c'est le cas aujourd'hui encore ! Ce n'est que l'aube de Pâques qui en dévoilera tout le sens. Et ce sens est désormais à notre portée !

Ces deux événements contraires sont de chaque instant :
- EAujourd'hui, dans notre monde, des hommes souffrent de luttes fratricides, de persécutions, de violences de toutes sortes…, d'un coronavirus effroyablement pandémique.
Et en même temps, des hommes de paix se lèvent pour un avenir plus fraternel et harmonieux !  De façon admirable, des hommes, des femmes – médecins, infirmiers etc -, des chercheurs du monde médical s'activent de par le monde pour endiguer ,  faire disparaître la maladie qui survient partout…
- Aujourd'hui, en notre pays, chez nous, des hommes sont victimes de terribles maladies et des maux de la crise économique, du chômage…  etc. - 
Et en même temps, il y a toujours des hommes, des femmes qui pansent, réparent le tissu des corps et le tissu social… ! 
- Aujourd'hui, il nous arrive à tous  de faire souffrir les autres. Et c'est la Passion du Christ que nous renouvelons.
Et en même temps, il y a la force du pardon, la force de l’amour !

Toujours et le Cortège des Rameaux et le cortège de la passion !
Et  ces deux événements réunis en notre célébration attestent la complexité de toute vie, faite de méandres et de contradictions, de joies et de peines, de succès et d'échecs.

Ces deux événements, l’un glorieux, l’autre funèbre, par leur contraste, signifient surtout que, dans toutes les situations et toutes les circonstances, heureuses ou malheureuses, c'est dans le cœur de l'homme que bat la résurrection si nous nous appliquons à suivre le Christ. Car son Amour du Père - son Père et notre Père, a-t-il dit - et son Amour des hommes ont franchi tous les obstacles et cette barrière de la mort elle-même ! “O mort, où est ta victoire ?“, s’écrira St Paul.

Et désormais, au-delà de la mort, vivant est son Amour, en nous-mêmes si nous le désirons.

C'est ce que nous sommes appelés à célébrer aujourd'hui et les jours suivants pour toujours mieux en vivre, en chaque instant.


mercredi 1 avril 2020

L'Envoyé de Dieu !


5ème semaine de Carême  -  Mercredi

Aujourd’hui encore, l’évangile nous fait rejoindre Jésus dans le Temple de Jérusalem, pendant la "fête des Tentes" ("Soukkot"), fête qui n'a pas trouvé son équivalent, comme Pâques et Pentecôte, dans le christianisme. Or St Jean nous fait pourtant revivre cette fête de "Soukkot" avec Jésus (ch. 7,8 et 9) dans le Temple de Jérusalem et aux alentours de la piscine de Siloé. "Siloé", en hébreu, veut dire "envoyé".
Et tout tourne alors, juste avant la mort et la résurrection du Christ, autour de cette  grande question : Jésus, est-il, oui ou non,  l’Envoyé de Dieu ?

C’était là, ira-t-on souvent, une question interne au peuple juif.  
En est-on certain ?  Cette question nous serait-elle étrangère ? Jésus, est-il l’Envoyé de Dieu ?
Je pense à ce que le pape Jean-Paul II disait lors de sa visite à la Synagogue de Rome le 13 avril 1986. Se référant au document  "Nostra Aetate" du 2ème Concile du Vatican, il précisait : "L’Eglise du Christ découvre son  "lien" avec le judaïsme, en scrutant son propre mystère. La religion juive ne nous est pas "extrinsèque", mais d’une certaine manière, elle est "intrinsèque" à notre religion. Nous avons donc envers elle des rapports que nous n’avons avec aucune autre religion. Vous êtes nos frères préférés, et, d’une certaine manière, on pourrait dire nos frères aînés".

En alors, en vertu de ce lien intrinsèque avec les Juifs,  pourquoi les chrétiens ne célèbrent-ils pas la "fête de Soukkot"  comme ils célèbrent Pâques et Pentecôte à l'exemple du peuple juif ?   Et bien, si  on ne la célèbre pas, c’est que la question reste posée, comme nous le montre si bien St Jean :  Jésus, est-Il oui ou non l’Envoyé ?
La question posée dans le Deutéronome, juste après la promesse solennelle faite par Moïse et entérinée par Dieu, est la question de la venue d’un Prophète par excellence.
Dt 18,15 : "le Seigneur ton Dieu suscitera pour toi, du milieu de toi, parmi tes frères, un prophète comme moi, que vous écouterez".

On ne pourra célébrer Soukkoth que lorsque la question, ici posée, sera résolue d’un commun accord par le judaïsme et le christianisme. C’est une question qui reste posée, semble-t-il, à l’intérieur de l’Unique peuple de Dieu. Une question intrinsèque.

La question reste posée : qui sont les vrais fils d’Abraham ?  Le langage de Jésus , chez St Jean, contient en germe toute la théologie que développera St Paul, surtout dans les lettres aux Galates et aux Romains.

Les fils d’Abraham sont ceux qui sont sortis de l’esclavage et qui ont accédé à la liberté au temps de l’Exode.  Certes !
Mais de quel exode s’agit-il ?
- De celui, uniquement, de la sortie d’Egypte que la Pâque juive de "Pessah" célèbre. ?
- ou de cet Exode dont Moïse et Elie s’entretiennent avec Jésus sur la Montagne de la Transfiguration, avant la montée de Jésus à Jérusalem où s’accomplira son "élévation "…?  
"Quand vous aurez élevé le Fils de l’Homme, alors vous comprendrez que Moi, Je Suis"

Déjà le prophète Isaïe parlait en ce sens .Cf Is 40.

Avec les Juifs, nous pouvons célébrer une "fête d Soukkot",  faire mémoire et évoquer le premier exode, celui de la sortie d’Egypte,
comme un premier exode, figure de l’exode définitif que nous fait faire Jésus,
non plus d’Egypte en Transjordanie,
non plus de Babylone à Jérusalem,
mais du péché à la grâce,
de la mort à la vie,
des aliénations fondamentales dont nous sommes esclaves à la liberté des enfants de Dieu.

Alors, Jésus, est-il oui ou non l’Envoyé de Dieu ?