samedi 29 février 2020

En vue du "shabbat" éternel


Samedi après Cendres

La lecture fait suite à celle d’hier.
Il s’agit toujours de savoir quel est le jeûne qui plaît à Dieu, et en général de chasser de la religion le formalisme, toutes les pratiques par lesquelles on rassure sa conscience tout en continuant à faire des fautes plu  graves.
"Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui acquittez la dîme de la menthe, du fenouil et du cumin, après avoir négligé les points les plus graves de la Loi, la justice, la miséricorde et la bonne foi.  (Mt 23.23)
Tout le chapitre 23ème de l’Evangile de Mathieu est plein de terribles malédictions de ce genre envers ceux qui filtrent le moustique et avalent le chameau.

Isaïe condamne surtout les attitudes de violence :  "Faire disparaître du pays le joug, le geste de menace, la parole malfaisante".  On peut faire beaucoup de mal par la parole, lorsqu’elle n’est pas constructive et lorsqu’elle n’est pas dite en temps opportun. On peut, en sens inverse, transformer l’atmosphère d’une communauté quand on cultive le respect, la courtoisie, l’amabilité et la délicatesse.

Peut-être a-t-on gardé les derniers versets de ce chapitre 5ème d’Isaïe pour vivre notre samedi ?  Pour nous rappeler l’importance du Shabbat. Là aussi - chez les Juifs - pouvait et peut toujours se glisser le formalisme. Je pense à la scène que nous rapporte St Marc en son ch. 3ème.
"Il entra de nouveau dans une synagogue, et il y avait là un homme qui avait la main desséchée.  Et ils l'épiaient pour voir s'il allait le guérir, le jour du sabbat, afin de l'accuser. Il dit à l'homme qui avait la main sèche : " Lève-toi, là, au milieu.  " Et il leur dit : " Est-il permis, le jour du sabbat, de faire du bien plutôt que de faire du mal, de sauver une vie plutôt que de la tuer ?" Mais eux se taisaient. Promenant alors sur eux un regard de colère, navré de l'endurcissement de leur cœur, il dit à l'homme : "Étends la main".  Il l'étendit et sa main fut remise en état. Étant sortis, les Pharisiens tenaient aussitôt conseil avec les Hérodiens contre lui, en vue de le perdre".  (Mc 3.1-6) 
L'importance du Shabbat - dans la piété juive - est de se rappeler mieux que tous les autres jours que nous sommes des créatures, que nous sommes bénéficiaires d’un salut éternel. La Shabbat n’est pas un jour où on se repose pour mieux travailler après, c’est un jour qui préfigure le "repos" éternel de Dieu dans lequel nous sommes appelés à entrer un jour.

L’Evangile nous parle de la conversion du douanier. Etait-ce un jour de Shabbat le jour où cet homme d’affaire, sur l’invitation de Jésus, abandonnant tout, se mit à le suivre ; et qu'il organisa un grand festin pour ses amis, publicains et pécheurs, au grand scandale des bien pensants ? Le texte ne le dit pas.   Mais, il peut y avoir une couleur de Shabbat chaque jour de la semaine, quand toute affaire cessante, on consacre à Dieu seul, ne fut-ce que quelques instants, …à nous mettre sous le regard de Dieu.  
Traditionnellement on ne dit pas, lundi, mardi mercredi,…etc. ! Chrétiennement on dit "féria premia, secundo, tertia"…. ;  par ce mot "férie", on signifie qu’il y a un peu de la coloration du Shabbat chaque jour de l’existence surtout depuis que le Christ, par sa résurrection, a créé une "tête de pont" par-delà l’absurdité de la mort.  Incorporés que nous sommes à Lui par le baptême, par Lui et en Lui, dans l’Esprit Saint, toute la vie peut devenir une liturgie à la gloire du Père. Chaque matin à la messe, nous ranimons une petite flamme qui ne doit jamais s’éteindre. Comme dit Isaïe aujourd’hui : "ta lumière se lèvera dans les ténèbres et ton obscurité sera comme la lumière de midi"

N'est-il pas bon de se rappeler le sens du shabbat - du dimanche, veux-je dire - en ce temps du Carême qui nous acheminera au mystère de mort et de vie du Christ, à entrer dans son mystère pascal, nous invitant à célébrer déjà le "Shabbat éternel d Dieu"  ?

vendredi 28 février 2020

Pas de formalisme !


Vendredi après Cendres

Dans le bref Evangile d'aujourd'hui, Jésus remet en place ceux qui se scandalisent de voir que certains  ne pratiquent pas les observances que l’on faisait de son temps. Il semble que Jésus leur reproche finalement de se mêler de ce qui ne les regarde pas ;  et il fait observer -comme le disait si bien Qohélet (ou l'Ecclésiaste), qu’il y a un temps pour tout. (cf. Qo 3)
                                                                                                                                                                                                               
Pour éclairer notre évangile, on peut reprendre  une application de Jésus lui-même, que rapporte St Luc  : "Deux hommes montèrent au Temple pour prier ; l'un était Pharisien et l'autre publicain. Le Pharisien, debout, priait ainsi en lui-même : "Mon Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont rapaces, injustes, adultères, ou bien encore comme ce publicain ; je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tout ce que j'acquiers".
Le publicain, se tenant à distance, n'osait même pas lever les yeux au ciel, mais il se frappait la poitrine, en disant : "Mon Dieu, aie pitié du pécheur que je suis ! "
Je vous le dis : ce dernier descendit chez lui justifié, l'autre non.  Car tout homme qui s'élève sera abaissé, mais celui qui s'abaisse sera élevé."  (Lc 18, 10 -14)

Avec une lucidité qu'auraient pu envier Karl Marx et certains moralistes modernes, Jésus montre que, de fait, la pratique religieuse peut devenir "l'opium du peuple" (pur formalisme) ou un moyen de rassurer la conscience en évitant de la promener sur des fautes beaucoup plus graves qu’on commet envers Dieu et dans nos relations avec les autres.

Jésus ne disait-il pas encore : " Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui acquittez la dîme de la menthe, du fenouil et du cumin, après avoir négligé les points les plus graves de la Loi, la justice, la  miséricorde et la bonne foi  ; c'est ceci qu'il fallait pratiquer, sans négliger cela".  (Mt 23.23)

Ce n’est pas un hasard que l’Evangile d’aujourd’hui ait été choisi en ce début de Carême pour nous mettre en garde contre le formalisme que peut recéler l’observance religieuse.

      Quelques siècles avant Jésus, le prophète Isaïe avait réagi contre ce formalisme religieux  d’une manière qui pourrait actualiser les dénonciations de ce formalisme en le concrétisant r d'une manière encore plus percutante.

Il est certes bon de jeûner, d’en faire une pratique collective ;  mais que cette pratique ne serve pas de paravent derrière lequel on continue à pratiquer l’injustice et la violence.
Quel est le jeûne qui plaît à Dieu ? Certainement pas celui qui nous éviterait de faire les vraies réformes, celles qui rétablissent l’harmonie et la paix. "Heureux les artisans de paix, ils seront appelés Fils de Dieu".

La mondialisation dont on parle beaucoup actuellement - "l'esprit universel" - entraîne souvent de terribles injustices. On ferme des usines pour de simples motifs d’intérêts économiques ; et les délocalisations permettent de trouver de la main d’œuvre moins chère en des pays où on accélère la production en surmenant des travailleurs réduits en esclavage.
Tout cela, on ne veut pas trop y penser. Tout est subordonné aux intérêts égoïstes.

Quel est donc le jeûne qui plaît à Dieu ?
"N'est-ce pas plutôt ceci, le jeûne que je préfère : défaire les chaînes injustes ; délier les liens du joug ; renvoyer libres les opprimés, et briser tous les jougs ? 
N'est-ce pas partager ton pain avec l'affamé, héberger chez toi les pauvres sans abri ; si  tu vois un homme nu, le vêtir, ne pas te dérober devant celui qui est ta propre chair ?"? ( Is 58.6-7) 


jeudi 27 février 2020

Un choix


Jeudi après es Cendres

La première lecture est extraite du long discours que Moïse fait au peuple élu avant que celui-ci traverse le  Jourdain pour entrer en "Terre Promise".

Le texte propose
- un choix décisif à prendre entre la bénédiction ou la malédiction,
- un choix qui entraîne la vie ou la mort, une vie qui mûrit ou une mort lente.
- un choix entre écouter la Parole de Dieu et la mettre en pratique dans l’amour, ou vivre dans l’inconscience d'une vie qui n’a pas de signification et qui se résigne à l’absurdité de la mort.

Partout,  dans le monde, ceux qui assistent à la messe, lisent ce texte.
Et moi-même - qui souvent me suis rendu en Israël -,  j'ai ressenti que ce texte revêtait une importance particulière même pour le croyant qui ne fait que séjourner en cette "Terre Promise".
Cette "Terre" n’est pas comme les autres. Elle a été conquise jadis par un peuple qui a trouvé son identité dans une rencontre - de 40 ans dans le désert - avec le Dieu Vivant et Vrai.
Et la raison de vouloir habiter (ou seulement séjourner) sur cette "Terre" ne doit être
que de chercher, re-chercher cette rencontre,  
que d’accomplir la volonté de ce Dieu qui veut "faire alliance".
Bien sûr, cette raison est de nature spirituelle et non naturelle.  Israël (et conséquemment les chrétiens) ne sont là que pour devenir "lumière du monde" en initiant ce mode (tout homme) à la connaissance du seul vrai Dieu et de le détourner de toutes les idoles.

"Ecoute les commandements que je te donne aujourd’hui…. Et le Seigneur ton Dieu te bénira dans le pays dont tu vas prendre possession….. C’est là que se trouve la vie sur la terre que le Seigneur a juré de donner à tes pères Abraham, Isaac et Jacob".
           
Ce n’est pas parce que ces considérations sont complètement absentes des journaux et des discussions dans las assemblées internationales…. qu’il faudrait faire comme si elles n’existaient pas, comme si elles ne gardaient pas une importance primordiale,
et pour le peuple qui garde la marque de l’élection
et pour ceux qui sont greffés (comme disait St Paul)  sur l’arbre de ce peuple grâce au Christ qui a élargi ce peuple élu aux dimensions universelles, en ce que St Paul appelle "l’Israël de Dieu".


…L’Evangile nous fait rejoindre, une fois de plus, Jésus dans sa montée vers Jérusalem au cours de laquelle il s’efforce de faire comprendre à cet "Israël de Dieu" en quoi consiste cette volonté qui est notre première et principale raison d’être chrétien.
Il ne s’agit pas de comprendre de manière purement spéculative, intellectuelle, mais d’engager toute notre manière de vivre par un choix décisif :  Il faut prendre le chemin de la Croix à la suite du Christ qui a proclamé fermement  : "Quand je serai élevé en croix, j’attirerai tout à moi".

Oui, le Christ est mort et ressuscité pour tous les hommes !

mercredi 26 février 2020

Au désert !


Mercredi des Cendres

En ce mercredi des Cendres, nous sommes comme "poussés" au désert
- Comme les Hébreux pour parvenir en "Terre promise",
- Comme le Christ lui-même avant sa vie apostolique venu nous conduire vers la vie divine…

Selon les textes bibliques, ce n’est pas nous qui allons au désert, mais c’est Dieu qui nous y conduit ; comme Jésus y fut conduit, fut poussé au désert par l’Esprit pour la retraite de 40 jours qu’il fit après son baptême dans le Jourdain.

Nous sommes conduits et poussés au désert pour nous retrouver sous le regard de Dieu, mieux qu’au milieu des distractions (les "divertissements", disait Pascal) du monde en lequel nous sommes plongés.
Il est bon de nous retrouver nous-mêmes en toute loyauté. Dieu ne nous  pousse pas au désert en violant en nous une liberté qu’il a lui-même créée et dont il est plus jaloux que nous. Il nous invite au désert
- pour retrouver au contraire une liberté bien souvent entravée par nos convoitises, nos "accaparements" si divers,
- pour retrouver cette limpidité du regard qui vient de la pureté du cœur qui n’est plus "éclaté" dans la diversité, mais unifié dans le principal.

Principalement chez le prophète Osée, Dieu se présente comme un époux jaloux, éperdument amoureux ; et qui ne se résigne pas à ce que nous perdions le bonheur que Lui seul peut nous donner. "C'est pourquoi, dit Dieu je vais la séduire (cette épouse qu'est le peuple Israël), je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur". (Os 2.1)
Il y a un jeu de mots intraduisibles : "midbar" – "dibarti" !  "midbar", au désert, "dibarti", je parlerai
Ce jeu de mots souligne que c’est dans le désert qu’on est le mieux pour écouter la voix de Dieu qui veut parler cœur à cœur à chacun d'entre nous - riche ou pauvre , clerc ou simple fidèle -. La parole divine ne résonne pas toujours dans les éclairs et le tonnerre comme au temps de Moïse, sur le mont Sinaï. Mais plus souvent, comme au temps d’Elie, dans un souffle doux et léger,  dans - faudrait-il traduire - " dans l'éclatement d'un silence, dans une poussière de silence".

On peut se souvenir encore d'un texte de Jérémie (20.7-9) :  "Tu m'as séduit, Seigneur Dieu, et je me suis laissé séduire; tu m'as maîtrisé, tu as été le plus fort. …
Je me disais : Je ne penserai plus à lui, je ne parlerai plus en son Nom; mais c'était en mon cœur comme un feu dévorant, enfermé dans mes os. Je m'épuisais à le contenir, mais je n'ai pas pu". 

L’amour que Dieu a pour nous sait parfois employer la manière forte. Ce verbe "séduire" est employé aussi quand Dieu s’en prend à un prophète qui renâcle devant la mission dont il a été chargé.

Aujourd’hui laissons-nous conduire au désert. Qu’elle que soit la méthode employée par Dieu, c’est celle qui nous convient le mieux, car c’est lui qui nous connaît et nous aime le plus. Il sait comment s’y prendre envers chacun sans nous tenter au-dessus de nos forces.

lundi 24 février 2020

Sainteté


7e Dimanche 20/A
           
"Soyez saints, car moi, le Seigneur, je suis saint", dit Dieu dans la première lecture.
"Le temple de Dieu est saint, et ce temple, c'est vous", nous dit Paul dans la deuxième lecture.
"Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait", nous dit Jésus dans l'évangile.

C'est donc un triple appel à la sainteté que le Sei­gneur nous adresse.

Instinctivement, nous sommes portés à penser que la sainteté est réservée à des gens que Dieu met à part, à des gens qui sortent de l'ordinaire et qui ne vivent pas comme tout le monde. Certes, il y a en effet des gens que Dieu met à part : religieux, religieuses. Il y a aussi des gens qui ont beaucoup d'occupations spécifi­quement religieuses : prêtres, missionnaires, laïcs en mission… et bien d'autres…

Mais il y a aussi tous les gens qui ont une vie ordi­naire, un travail ordinaire ; des gens qui ont une famille ordinaire, des maladies et des joies ordinaires, des sou­cis et des préoccupations ordinaires. Bref, il y a des gens ordinaires, comme vous tous.

Et bien, cet appel à devenir des saints que Dieu nous adresse aujourd'hui ne s'adresse pas simplement aux gens à part ; il s'adresse à nous tous dans notre vie ordinaire de chaque jour.

Même à nous, les prêtres, qui avons beaucoup d'occupations spécifiquement religieuses, il nous arrive souvent de nous trouver plongés dans la vie ordinaire de tout le monde. Quand nous tombons malades et que nous sommes hospitalisés, nous sommes des malades ordi­naires avec d'autres malades ordinaires, soignés par des médecins, des infirmiers ou des soignantes ordinaires, (même si leur dévouement est très souvent extraordi­naire). Et nous les prêtres, nous avons bien d'autres oc­cupations qui ne sont pas spécifiquement religieuses. Car il y a aussi des prêtres ou des religieux qui sont en­gagés dans des travaux professionnels ordinaires : dans les éditions, dans les médias, dans l'enseignement… et en bien d'autres lieux…

Alors, comme vous, comme tous, nous  nous demandons souvent, nous prêtres, religieux…, comment devenir des saints, dans cette vie et dans ces tâches ordinaires de tout le monde, dans ce monde qui semble n'avoir aucune préoc­cupation religieuse !

Il y a d'abord la PRIERE !
La prière des gens ordinaires, c'est d'abord d'être bien convaincus que Dieu n'est pas simplement présent dans nos églises ou dans nos monastères, mais qu'il s'intéresse à toutes les occupations les plus simples et les plus ordinaires de ses enfants.
Il est là, avec nous, dans le dévouement de cette infirmière ou dans la vie de cet homme (peut-être incroyant) qui me parle de son travail et de ses responsabilités, dans le cœur de cette assistante sociale qui fait tout ce qu'elle peut pour telle ou telle famille en difficulté.

Oui, dans ce monde ordinaire où Dieu semble n'avoir aucune place, nous croyons qu'il est présent dans les efforts de dévouement, de solidarité, de conscience professionnelle et d'amitié.

Alors, quand on commence à y croire, notre prière s'élargit à tous ceux que nous côtoyons chaque jour. La prière des gens ordinaires, c'est celle qui prend en charge tous ceux qui sont comme nous, c'est la prière qui s'enracine dans la vie ordinaire qu'on mène tous les jours, c'est la prière des simples gens de l'Eglise visible  qui présente à Dieu la vie des gens de l'Eglise invisible, celle des gens qui n'ont pas encore pris conscience de leur vocation à entrer dans l'Eglise visible et dont leur vie, pourtant, s'inspire de l'Evangile.
Et puis, bien sûr, comme Jésus nous le dit au­jourd'hui, vivre en chrétiens dans la vie ordinaire de tout le monde, c'est vivre dans l'AMOUR DES AUTRES.

Aimer les autres, c'est les prendre tels qu'ils sont et là où ils en sont, à l'exemple de Jésus qui nous prend tels que nous sommes et là où nous en sommes ; c'est les respecter dans leurs convictions profondes, alors même que nous pouvons nous opposer légitimement à eux dans les idées, les opinions ; c'est renoncer à la vengeance, leur pardonner, les aimer "quand même", à l'exemple de Jésus qui ne cesse de nous offrir son pardon.

Progresser dans cet amour semblable à celui de Jésus pour tous les hommes, c'est progresser dans la sainteté, c'est devenir de mieux en mieux de vrais fils de notre Père qui est dans les cieux.

Dans la sainteté ordinaire, il y a aussi souvent l'EXPERIENCE DE LA SOUFFRANCE, physique ou morale, comme Jésus l'a faite : la souffrance qu'on ne peut plus supporter, qui vous prend tout entier, qui vous rend in­capable de penser à quoi que ce soit d'autre. On comprend alors à quel point on n'est qu'un pauvre homme ordinaire, pas plus courageux que les autres.

Etre chrétien, être saint, ce n'est pas forcément être plus fort, plus héroïque que les autres. La sainteté ordinaire, ce n'est pas affaire d'héroïsme, c'est affaire de persévérance, c'est affaire de confiance en Dieu quoi qu'il arrive

"Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait". Oui, la sainteté n'est pas réservée à une élite. La sainteté, c'est une voie ouverte à tous. C'est laisser entrer en nous Jésus et son évangile ; c'est nous laisser évangéliser, transformer par l'Esprit de Jésus. Tous les événements, petits ou grands, de notre vie familiale ou professionnelle, voyons-y des appels de Dieu à mieux aimer, à être plus attentifs aux autres, à être plus fi­dèles dans toutes nos tâches ordinaires, et avec le sou­rire si possible.

Soyons saints, non pas des héros, non pas des saints extraordinaires, mais des saints ordinaires, dans la vie ordinaire de chaque jour. Tel est le vrai chemin de la paix et de la joie. C'est pour cela que Dieu nous y ap­pelle.

lundi 17 février 2020

Morale du coeur


 6e Dimanche du T.O. 20/A
           
Notre évangile d'aujourd'hui est un extrait du "Discours sur la montagne", le premier des cinq grands discours dans lesquels Matthieu a rassemblé l'enseignement de Jésus.
De façon solennelle, Jésus proclame qu'il n'est pas venu abolir la Loi, mais la parachever. Avec une souveraine autorité, qui atteste la par­faite conscience qu'il a de lui‑même, de sa qualité de Fils de Dieu, Jésus expose, en six antithèses, les exigences nouvelles, qui permettront de dépasser les anciennes prescriptions pour attein­dre une justice supérieure.
- Il vous a été dit : Pas de meurtre. Moi, je vous dis : Même pas de colère, ni d'injures.
- Il vous a été dit:  Pas d'adultère. Moi, je vous dis : Même pas un regard de convoitise.
- Il vous a été dit : Il est possible de répudier une épouse dans certaines conditions. Moi je vous dis : Aucune répudiation.
- Il vous a été dit: Œil pour œil, dent pour dent. Moi je vous dis: Aucune vengeance.
- Il vous a été dit: Pas de faux serment. Moi, je vous dis: Pas de serment du tout.
- Il vous a été dit : Aimez votre prochain. Moi, je vous dis : Aimez vos ennemis.
         
"Il vous a été dit  !"  C'est l'habituelle formule passive qui permet d'éviter de prononcer le nom de Dieu  
Mais, évidemment, Dieu est sous‑entendu comme sujet du verbe. C'est bien, en effet, de la volonté divine que Moïse avait été l'interprète. - Précisément, Jésus seul pouvait se permettre de retoucher le texte sacré. Et de quelle manière ! Avec quelle impitoyable radicalité !

La première antithèse est l'une des plus développées, mais n'en n'est pas pour autant l'une des plus faciles à aborder, tant les termes nous paraissent excessifs. Et, cependant, elle nous situe au cœur même du problème, c'est‑à‑dire de cette perfection idéale à laquelle Jésus veut nous conduire.
           
'Il a été dit : Tu ne tueras pas", "Celui qui tuera est bon pour la condamnation". La loi punissait de mort le meurtrier.
Or Jésus emploie, à propos de celui qui se met en colère, la même expression : "Il est bon pour la condamnation".
         
Jésus met sur le même plan le geste extérieur que le législateur peut atteindre et punir, et la perversion intérieure d'un cœur haineux, sans laquelle il n'y aurait pas de meurtre et que seul peut connaître le regard de Dieu. 
St Jean n'hésitera pas à écrire: "Quiconque hait son frère est homicide, et vous savez que pas un homicide n'a la vie éternelle en lui".
         
Parlant de l'adultère, Jésus établira la même équation entre la faute réelle et le regard mauvais "qui est déjà un adultère commis dans le cœur".

Jésus dénude les âmes pour atteindre la racine du mal et réclamer la pureté des dispositions intérieures. Un écrivain juif a pu noter, à propos de ces antithèses de Notre Seigneur : "Jésus a parlé de manière directe, tel l'éclair". - Oui, l'éclair, il ne dure pas, mais à l'instant où il décire la nuit, il n'y a plus d'obscurité. Le moindre détail du paysage est illuminé d'une manière irréelle. Mieux qu'en plein midi.
         
Et bien, l'éclair de la parole de Jésus ne laisse subsister aucun repli d'ombre, aucune demi-teinte. Impossible de s'arrêter à la matérialité des actes, de se protéger derrière les attitudes honorables. Etre en règle avec la Loi ne suffit plus : "Tout homme qui regarde une femme et la désire a déjà commis l'adultère dans son cœur!"
         
L'éclair a percé les ténèbres du cœur. C'est là que les hommes vivent secrètement. C'est là qu'ils mentent, qu'il trahissent, qu'ils convoitent, qu'ils tuent.
C'est là aussi qu'ils aiment en vérité et répandent la bonté. Jésus conduit l'homme à l'intérieur de lui-même.
Jusque dans les cavernes d'où surgissent toutes les violences.
Jusqu'à cette profondeur où notre glaise humine peut se faire souple ou dure en la main de Dieu créateur et rédempteur.

Nous sommes bien au-delà des codes de savoir-vivre et des règles de morale : c'est là que l'homme ne cesse pas de naître, de choisir, de poser le regard de la guerre ou de la paix sur les autres hommes.
         
Le Concile Vat. II nous enseigne : Au fond de son cœur, l'homme découvre la présence d'une loi qu'il ne s'est pas donnée lui-même, mais à laquelle il est tenu d'obéir. Au moment opportun résonne toujours dans le cœur de l'homme une voix qui ne cesse de le presser d'aimer, d'accomplir le bien et d'éviter le mal.
Oui, le cœur est le centre le plus secret de l'homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre.

Notre Seigneur avait donc bien raison de nous préciser : 'Ce n'est pas ce qui entre dans le cœur de l'homme qui souille l'homme, mais c'est ce qui en sort".

Aussi, St Luc nous recommande-t-il : "Ayez donc un cœur qui écoute" - Et puissions-nous dire nous-mêmes : "Parle, Seigneur, ton serviteur écoute".

dimanche 9 février 2020

Lumière !


5ème   dimanche T.O. 20 A   

St Matthieu présente Jésus comme le nouveau Moïse :
- le baptême reprenait le passage de la mer rouge ;
- le séjour au désert, celui de l’exode ;
- le discours sur la Montagne est la proclamation de la Nouvelle Loi donnée au nouveau Peuple de Dieu, l’Eglise !
Et dans cette nouvelle Loi, il nous est dit aujourd’hui : “Vous êtes la lumière du monde !”

St Jean, lui, a une autre version :  avec insistance, il met dans la bouche de Jésus : “Je suis la lumière du monde”.  Non pas : “Vous êtes la lumière”, mais : “Je suis...”.
Y aurait-il contradiction, opposition ? Non pas ! Car il convient d’écouter la Parole de Dieu en polyphonie, si je puis dire, prêtant l'oreille à l'harmonie des divers instruments que peuvent être les évangélistes au service d'une même partition : l'annonce de la Bonne Nouvelle.

Il est vrai que St  Jean aime situer Jésus, Verbe de Dieu, comme la lumière qui luit dans les ténèbres et que les ténèbres ne peuvent saisir. Et il invitera plusieurs fois ses auditeurs à contempler Jésus comme “lumière”, mais lumière qui dévoile, qui révèle, un Autre : son Père et notre Père. Jésus est lumière qui éclaire, lumière jaillissante comme l'aurore (lsaïe 1.lec) qui renvoie non à lui-même, mais à un Autre, son Père.

Et si St Matthieu fait dire à Jésus non pas “Je suis...”,  mais “Vous êtes la lumière du monde”..., c’est pour souligner une même mission : “Vous qui êtes mes disciples, je vous appelle à être à ma suite lumière, une lumière qui ne renvoie pas à elle-même mais à un Autre, une lumière qui renvoie à la source”.

Ainsi pour les deux évangélistes, une lumière n'est pas destinée à s'éclairer elle-même mais elle permet de désigner un au-delà d'elle-même. Une lumière qui se donnerait à se voir elle-même aveuglerait. Une telle lumière est alors stérile, un peu comme du sel qui perd de sa capacité de donner de la saveur à un plat, à autre que lui.
Oui, disciples du Christ, notre mission est semblable à la sienne : montrer Dieu, Père ! “Montre-nous le Père, disait Philippe à Jésus, et cela suffit” !  Etre lumière du monde, lumière qui montre Dieu et lumière pour les hommes.
Encore faut-il être véritable lumière ! Il est des lumières qui aveuglent et d'autres qui éclairent. Il est des images qui enferment et d'autres qui libèrent. Il est des personnes, des communautés qui aveuglent et qui enferment et d'autres qui éclairent et qui libèrent.

Ainsi, l'Eglise dont nous faisons partie, n'est pas là pour elle-même - c’est important de dire cela -, mais pour éclairer simplement. Elle n'est pas là pour conquérir, ni assimiler le monde à elle-même.
La lumière ne transforme pas les meubles en lumière mais elle les fait apparaître pour ce qu'ils sont avec leur forme et leur couleur.
Elle ne leur donne ni forme, ni couleur, car elle n'a elle-même ni forme ni couleur.
Elle ne fait que révéler aux objets leur forme et leur couleur, elle les fait apparaître dans leur beauté propre.
Mieux, si la lumière est seule, personne ne peut savoir qu'elle est là. Si elle n'éclaire pas des molécules de matière ou des objets, la lumière du soleil est invisible et n'empêche pas les ténèbres. !

Ainsi, l’Eglise doit être toute relative à ce qui n'est pas elle, à ce qui ne sera jamais elle, à ce qui s'oppose à elle.
L'Eglise apporte le salut au monde en faisant apparaître, par sa lumière, la réalité propre de chaque être : image de Dieu.
Elle n'est pas le groupe privilégié des sauvés dans un monde damné. Elle n'est pas une secte d'illuminés dans un monde de ténèbres.
Elle doit être lumière pour tout homme qui vient en ce monde !  Ainsi, chaque chrétien doit se laisser éclairer lui-même par la lumière qu'il porte et qui ne vient pas de lui pour transmettre cette lumière afin que tout homme soit éclairé… le plus possible, révélé à lui-même et devant Dieu et devant ses frères.
Oui, c’est une belle image  instructive, que celle de la lumière, Lumière qui révèle le Père en révélant aux hommes qu’ils sont véritablement aimés de Dieu.

Remarquons encore que la lumière ne sélectionne pas parmi les couleurs ni parmi les formes celles qu'elle révélera. “Votre Père fait luire son soleil sur les bons et les méchants.”, disait Jésus.
Certes, l’Eglise, les chrétiens portent en eux des valeurs, des richesses qu’ils ont découvertes grâce à la lumière tout au long des siècles et qu’ils découvrent encore, telles : le respect de toute vie, le respect de la liberté de conscience, etc.
Mais avant de les enseigner, la qualité de leur lumière est celle d’une charité universelle envers tout homme aimé de Dieu et animé de Dieu par l'intérieur, aimé de Dieu jusqu'à la mort et la mort de la croix, comme le rappelle St Paul dans la seconde lecture.

“Vous êtes la lumière du monde”… La lumière de l'Église et du chrétien consiste donc à couronner chaque homme - et ceux-là même que nul ne remarquerait - de cette importance qui vient du regard de Dieu sur lui et de l'Esprit de Dieu en lui. Cette lumière es destinée à enrichir d’une multitude de richesses, tel le rayon de soleil à travers un prisme.

“Vous êtes lumière du monde… !”  Une lumière qui vient de Dieu et qui provoque à regarder vers Dieu.
Une lumière qui n’est pas destinée à s’établir ici et maintenant, mais dans le cœur d’un Dieu qui nous rassemble visiblement afin d’être lumière de l’Invisible !

mardi 4 février 2020

Combat de vie


 Présentation du Seigneur 20/C

Il y a dans nos vies des périodes joyeuses, marquées par des fêtes et des réjouissances,
mais aussi des périodes dures où il faut se battre, et même des périodes de souffrances et d'échecs.

Le déroulement de l'année chrétienne est marqué de même par des périodes joyeuses, en particulier Noël et les quarante jours qui suivent. Aujourd'hui, cette fête du 2 février termine le cycle de Noël.
Bientôt, à la fin du mois,, ce sera le début du carême : nouvelle période, période austère qui nous mènera jusqu'à Pâques.

Ce 2 février est ainsi à la charnière entre la joie et l'austérité.   

La joie ?
C'est la Chandeleur -, nous fêtons la lumière, nous rappelant la parole du vieillard Syméon à propos de Jésus, "Lumière qui éclairera les nations païennes".
Mais on sent déjà poindre l'austérité dans la suite du texte ; Syméon dit à Marie : "Vois, ton Fils qui est là provoquera la chute et le relèvement de beaucoup... Il sera un signe de division. Et toi-même, ton cœur sera comme transpercé par une épée."

Le combat
C'est donc bien une période d'austérité qui approche. Car il ne faut pas oublier que, si l'Évangile est une "Bonne Nouvelle", un appel à la joie, joie de savoir
que Dieu nous aime,
qu'il nous a donné son Fils
et qu'il est toujours avec nous, la vie chrétienne est en même temps une lutte qui requiert de nous des efforts et nous fait passer par l'épreuve et le sacrifice

Nous vivons en effet dans un monde dur où s'affrontent sans cesse le bien et le mal, la lumière et les ténèbres, la vérité et le mensonge, la tolérance et la violence... 
Et, ce qui brouille tout, c'est que tout cela n'est jamais parfaitement tranché : en chaque catégorie de gens, en chaque individu, en chacun de nous, tout cela se mélange, au point parfois qu'on ne voit plus guère ce qui est bien et mal.
Aussi n'avons-nous pas à juger les personnes, ni à les classer. Dieu seul est capable de juger, lui qui dévoile les pensées des cœurs et les intentions les plus secrètes

Mais, en même temps, pas le droit de rester neutres, indifférents, devant le péché et tout ce qu'il entraîne :
le péché qui vient tout casser, tout salir et tout diviser ;
le nous n'avons péché qui abîme partout l'œuvre de Dieu ;
le péché qui abîme nos vies d'hommes ou de femmes et toutes nos relations humaines, en famille, au travail, dans la société, dans le monde entier.

Car le péché,
c'est l'égoïsme et le "chacun-pour-soi",
c'est l'esprit d'orgueil, de vengeance et de domination,
c'est la bonne conscience, l'indifférence qui, comme une brume, recouvrent tout,
c'est l'injustice sous toutes ses formes,
c'est l'irresponsabilité, le laisser-aller, l'absence de conscience professionnelle, la paresse et la sensualité...

Satan
On demande parfois : Le démon, Satan, est-ce qu'il existe pour de bon ? -  Si Satan, c'est le diable avec des cornes et des membres crochus et fourchus, tel que certains artistes se sont plu à le caricaturer, alors non, il n'existe pas.

Mais si Satan, c'est la personnification du mal, alors oui, il existe ! Car chacun de nous peut se dire : Satan, il réside en mon orgueil, mon égoïsme, ma paresse et ma sensualité.
Satan, c'est d'abord en moi-même que je dois repérer sa présence, une présence réellement personnelle.
Et c'est lui qui fait surgir dans le monde la violence et les guerres de toutes sortes, la haine, le mensonge et les injustices qui sont à l'origine de tant de misères et de souffrances.
Aussi, vivre en chrétien, c'est s'engager dans le combat contre Satan, c'est-à-dire contre toutes les formes de mal. Et quand on a commencé, on s'aperçoit que c'est dur, qu'on n'en vient pas à bout du premier coup ; on fait l'expérience de l'épreuve et de la souffrance. Quand on s'attaque au péché, le péché se rebiffe contre vous, c'est inévitable.

A la suite de Jésus
Le Christ y est passé le premier. Les paroles du vieillard Syméon l'avaient annoncé.

Notez qu'avant même cet épisode que nous célébrons aujourd'hui, la fête de l'Epiphanie l'avait déjà laissé entrevoir : la fuite de la sainte Famille en Égypte et le massacre des saints Innocents par Hérode préfiguraient le rejet de Jésus par son peuple. - Et même, dès Noël, St Jean nous avait dit : "Le Verbe était la vraie lumière qui éclaire tous les hommes... Il était dans le monde, mais le monde ne l'a pas reconnu. Il est venu chez les siens, mais les siens ne l'ont pas reçu."

Toute la vie de Jésus fut donc un combat contre le péché et toutes les formes de mal. Aussi était-il inévitable qu'il passât par l'épreuve et la souffrance. Il le dira plus tard aux disciples d'Emmaüs: "Ne fallait-il pas que le Christ souffrît pour entrer dans sa gloire ?"

Et pour nous, il en est de même. C'est un aspect de la vie chrétienne que l'Église nous rappellera prochainement tout au long du carême. Jésus nous a prévenus : "Celui qui veut être mon disciple, qu'il renonce à lui-même, qu'il porte sa croix, et qu'il me suive… Si j'ai été persécuté, vous le serez, vous aussi..."

Aimer !
Il reste vrai que l'essentiel de la vie chrétienne, c'est aimer. Mais aimer, qu'est-ce que c'est ?
Un enfant peut répondre : "Aimer, c'est être bien gentil avec les autres". Pour les enfants, peut-être. Mais nous ne restons pas des enfants toute notre vie.
Pour un adulte, aimer, c'est payer de sa personne pour faire reculer le péché qui fait tant de mal aux autres et à nous-mêmes.

Aimer, c'est suivre le Christ qui nous a aimés jusqu'à l'extrême, quitte à passer avec lui par le chemin de la croix, de l'épreuve et de la contradiction, car nous savons que c'est le seul chemin qui mène à la résurrection et à la Vie.
C'est celui que la Vierge Marie a pris, à la suite de son Fils, ainsi que l'annonçait le vieillard Syméon : "Et toi-même, ton cœur sera comme transpercé par une épée."