3ème
dimanche du T.O. 20 /A
Jean-Baptiste
a achevé sa mission. Il est entré dans l'ombre. Il a même été mis à
l'ombre : le voici dans les prisons d'Hérode dont il ne sortira que par le
sang.
L'heure de Jésus
vient. Il prend la suite de Jean qui
d’ailleurs l’avait désigné comme celui qui venait après lui.
Quittant Nazareth, il entre
dans la phase publique de sa vie, choisissant comme base de sa mission le site
de Capharnaüm, “ville située au bord du
lac, dans les territoires de Zabulon et de Nephtali”, précise St Matthieu.
Jésus
commence donc son ministère aux limites de son pays. Capharnaüm était une cité frontière et les évangiles
mentionnent nombre de ses habitants :
depuis le
centurion commandant la garnison
jusqu'au
douanier Lévy qui deviendra St Matthieu,
en passant
par Jaïre, chef de la Synagogue dont Jésus ressuscitera la fille,
et tous
ces hommes
de la pêche parmi lesquels les premiers disciples
Jésus a donc commencé l'annonce de la “Bonne
Nouvelle” parmi une population fortement marquée d'influences païennes et considérée
comme marginale du peuple de Dieu. Il faut le souligner : les débuts de
Jésus se déroulent dans un lieu peu recommandable, vraiment
très loin du “Saint des Saints” de Jérusalem, lieu de la présence divine.
Cette
Galilée, abhorrée des Juifs de Judée, est décidément bien typique de l’évangile
de Matthieu.
Aussi prend-t-il soin de
reproduire le tableau qu'Isaïe avait déjà brossé de la région : “Pays de Zabulon et de Nephtali, pays
au-delà du Jourdain, Galilée, toi, le carrefour des païens”.
Pourtant, le prophète avait
parlé de cette région ténébreuse comme la première appelée à recevoir le
message de lumière. “Le peuple qui
habitait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière. Sur ceux qui
habitaient dans le pays de l'ombre et de la mort, une lumière s'est levée”.
Le peuple des petits, des
païens, de tous ceux qui n’ont rien et sont considérés comme rien, va être le
premier attentif à la parole de Jésus.
Des membres de la classe
dirigeante (officiers et publicains) aux
boiteux, aux aveugles et lépreux,
des pieux de la Synagogue aux "péripatéticiennes" telle que Marie Magdeleine,
des foules affamées aux
pêcheurs du lac,
nul n'échappait à la parole
libératrice de Jésus, à ses gestes guérisseurs des corps et des consciences.
Quelle leçon pour notre
élan missionnaire !…
Pour le moment, il semble
que Jésus n’ait d’autre message à transmettre que celui du prophète Jean, le
baptiste : "Convertissez-vous"…
Allons-nous entendre nous-mêmes cet appel aussi bien que ces gens de Capharnaüm
facilement méprisés ?
A la
première surprise de voir Jésus aborder le peuple d'Israël dans sa part la plus
lointaine, la moins reluisante, s'ajoute une seconde : le choix des premiers
disciples parmi les hommes de la pêche, personnes simples, souvent rudes et
frustes.
St
Matthieu livre un raccourci de ce choix : “Il
vit deux frères, Simon appelé Pierre, et son frère André, qui jetaient leurs
filets dans le lac. Il leur dit : "Venez, je vous ferai pêcheurs
d'hommes". Aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent.” Ils le
suivirent, non parce qu’il les avait vus, mais sans doute parce qu’il avait
posé sur eux ce regard qui les a pénétrés, bouleversés, révélés à eux-mêmes et
appelés.
Et puis
c'est le tour de Jacques et de son frère Jean, et de même les autres... Un jour
ces humbles artisans, sans relief et sans culture, constitueront, sous la
houlette de Simon, devenu Pierre, la première cellule de l'Eglise que l'Esprit
de Pentecôte lancera dans les nations et les siècles.
Cette double surprise des
commencements de l'Evangile est une leçon à ne pas oublier. Les choix que Jésus
fit du pays de l'Evangile et de ses disciples, nous avertissent que Dieu ne
fait acception de personne, qu'il est le Père de tous et que la ségrégation,
quelle qu’elle soit, lui est aussi étrangère qu'insupportable la division
qu'elle engendre. Le risque est permanent !
C’est en
ce sens que St Paul écrit aux Corinthiens. Il réagit vigoureusement contre la
tentation de ceux qui se réclament respectivement de lui, Paul, ou de Pierre ou
d'Apollos, alors que tous appartiennent indistinctement au Christ, Fils du Dieu vivant, venu parmi
nous en passant par la Galilée des païens et en s'entourant de disciples qui ne
connaissaient que la pêche.
L’Apôtre
semble même se fâcher, tant la chose est grave. Il s’agit de la vie ou de la
mort de toute communauté : son unité. La division engendre une opposition
paralysante et provoque des manques d’amour.
Corinthe est une ville
exubérante ; aussi la désunion risque de naître de cette exubérance de
vie. Les chrétiens, “tout neufs”, adorent
discuter, discutailler, approfondir, faire cliqueter les idées… et les noms
aussi ! – “Moi, je suis pour Paul ! – Moi pour Pierre. – Moi pour Apollos !…”.
Eternel problème des leaders : et on prend parti ! – Pour qui ?,
demande rudement St Paul. Pour des hommes ! Vous appartenez à des hommes
alors qu’il faut appartenir au Christ !
C’est bien
la question : une communauté chrétienne ne se construit pas sur des
hommes, elle se construit sur le Christ, “pierre angulaire”, dira-t-il par
ailleurs. Il y aura toujours des chefs, des fondateurs, des créatifs. Mais dès
qu’ils empêchent de voir le Christ, dès qu’ils arrêtent les regards sur
eux-mêmes, il faut le répéter : ce ne sont que des hommes !
Mais
alors, dira-t-on, s’il n’y a pas de chefs, de leaders, de meneurs ou même de
contestataires, il n’y a pas de vie ! Oh bien sûr que si, répondra St
Paul. Mais il ne faut pas oublier qu’il y a toujours du Satan en chacun de
nous. Et le Satan est le “diviseur”, par excellence. Il y a du “Satan”, en
nous, quand nous passons de la discussion objective (idées, projets, difficultés diverses) à la passion subjective (procès
de tendances, engouements ou détestations).
Malheur
aux groupes qui n'ont pas de contestataires ! Et malheur aussi s'ils n'ont pas
des conservateurs et des "pacifiants". Vive l'unité quand elle est
vivante, quand elle est riche !
Mais que
cette unité est difficile ! N’en soyons pas étonnés !
Tous les
chrétiens appartiennent au Christ, mais quel Christ ? Il n'est pas divisé, dit
St Paul, et cela veut dire qu'on ne peut opposer le Christ de Pierre à celui
d'Apollos…
Oui,
vivons du Christ, du Christ de Matthieu, de Jean, de Paul, d'Irénée et de tant
d’autres au long des siècles, du Christ du pape François comme celui de Jean-Paul
II, de Benoît XVI, de Mère Térésa et de tant d’autres aujourd’hui !
Oui,
l’unité sera toujours difficile ; pourquoi ne pas l’avouer ? Mais
elle doit être vivante, elle n'est pas la paix d'un cimetière.
Et puis n’oublions surtout
pas – St Paul le rappellera souvent – que
le Christ s’est d’abord adressé aux gens de Capharnaüm, c’est-à-dire aux petits
aux pauvres, aux païens, à tous ceux qui n’ont rien et qui sont considérés
comme rien. L’Apôtre Paul, le théologien, insistera : “J’ai été faible avec les faibles” (I Co
9/22). Aussi “accueillez celui qui est faible dans la foi, sans critiquer ses
scrupules”. “Que le faible ne périsse
pas grâce à ta connaissance. Car en blessant sa conscience qui est faible,
c’est contre le Christ que vous péchez” (I Co. 8/10sv).
Et que
l’on soit faible ou fort, c’est à tous que le Christ nous dit
aujourd’hui : “Convertissez-vous,
car le Royaume des cieux est là”.
Oui, l’Esprit de Dieu est en nous. Lui seul peut nous libérer !