dimanche 30 mars 2014

L'aveugle qui voit !

4e Dimanche de Carême 2014.A 

Quelle merveilleuse aventure que celle de cet aveugle de l’évangile. On est facilement ému par ses tribulations, ses conflits avec les Pharisiens, sa ren-contre avec Jésus, ses dernières paroles si émouvantes : "Je crois, Seigneur !".

L’événement a lieu à l’occasion de la fête de Soukkot ; cette fête, appelée aussi “fête des tentes”, faisait mémoire des merveilles accomplies par Dieu au cours de la traversée du désert par le peuple hébreu. Entre autres, et principalement :
- le miraculeux jaillissement de l’eau à partir du rocher frappé par Moïse pour étancher la soif de tout le peuple ;
- et l’apparition de la colonne lumineuse qui conduisait le peuple tout au long de leur périple.
Ces deux éléments - l’eau et la lumière - rappelaient à leur façon la délivrance d’Egypte et l’entrée en Terre promise.

Et voici que Jésus reprend ces deux éléments :

- Il demande à l’aveugle d’aller se laver dans la piscine de Siloë qu’alimentait, par un fameux canal, l’eau qui jaillissait du rocher à l’extérieur des remparts, à la source de Gihon.
Cette source de Gihon qui rappelait celle du désert était un autre lieu très symbolique de délivrance depuis la déroute des armées de Sennachérib, au temps du prophète Isaïe (8ème s.).
Et c’était cette petite source située au côté droit du temple qui, un siècle plus tard, était devenue, dans la vision très imaginative d’Ezéchiel, ce grand fleuve qui se jetait dans le Jourdain et dans la mer morte (symbole de tous les péchés) pour la purifier et la rendre féconde.
“Va te laver dans la piscine de Siloë !”. C’était demander à l’aveugle cette foi qui avait permis aux Hébreux de passer, par la mer rouge, de la “servitude de l'homme au service de Dieu”, de traverser le Jourdain pour être purifié comme naguère Naaman, le Syrien, d’aller s’abreuver à cette source que Dieu ne cessait d’alimenter pour le salut du peuple.

- De plus, la fête voulait rappeler la nuée lumineuse qui conduisait le peuple tout au long de leur chemin de délivrance à travers le désert. Aussi, durant ces jours de fête, tout Jérusalem était illuminé avec un luxe incroyable et des moyens qu’on a peine à imaginer aujourd’hui.
Et c’est justement en entrant à Jérusalem au dernier jour de cette fête de Soukkot que Jésus déclare solennellement : “Je suis la lumière du monde. Celui qui vient à moi ne marchera pas dans les ténèbres”.

Le récit de notre évangile veut donc montrer tout à la fois la mission de lumière accomplie par Jésus en ce monde, et le conflit dramatique qui en résulte, opposant violemment entre elles la lumière qui permet de voir et les ténèbres : "La lumière est venue dans le monde, avait déjà dit St Jean, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière !" (3/19).

Il est important de comprendre les circonstances de cette guérison qui nous interpellent nous-mêmes : comment nous-mêmes réagissons-nous devant cette “Lumière du monde” qu’est le Christ, nous qui avons été purifiés par les eaux du baptême ?  Il suffit alors de reprendre attentivement le récit.

- Il y a d'abord l'attitude des PHARISIENS.
Parmi eux, certains se demandent avec bonne foi qui est cet homme qui accomplit de tels miracles ; mais la plupart ont un parti pris évident contre Jésus. Ils sont murés dans leur suffisance, leur orgueil, leur contentement d'eux-mêmes : "Nous savons…" - "Nous voyons… !" - "Sommes-nous des aveugles, nous aussi ?…". Ils ne veulent pas voir. C'est le "péché contre la lumière", comme dira St Jacques. Alors, ils s'enfoncent dans d'irrémédiables ténèbres. La lumière, au lieu de les éclairer, les aveugle davantage. - C'est une situation dramatique qui culminera au moment de la passion du Christ.
Puisse la lumière de notre intelligence ne pas nous enfermer sur nos petites convictions, nos petites certitudes, avec suffisance ou paresse, mais nous ouvrir à la lumière même de Dieu !

- Le récit met encore en scène LES PARENTS de l’aveugle ! Leur attitude, à eux, c'est la peur de se compromettre avec Jésus. Ils refusent d'opter ! "Nous n'en savons rien !". C'est encore un "péché contre la lumière" qui les empêche de rencontrer le Seigneur, d'être éclairés.
Cette erreur est toujours actuelle : le silence de notre foi, par respect humain, par crainte de l'opinion d’autrui, par peur de se compromettre. On oublie facilement le Christ en le reléguant dans la sphère du privé, uniquement. Pourtant, le Seigneur ne cesse de nous redire : "N'ayez donc pas peur !".

- Imitons plutôt L'AVEULGE-NE, un des personnages les plus attachants de l'Evangile. C'était un mendiant ignoré, méprisé. Lui seul pourtant va savoir proclamer hardiment la vérité devant des gens considérés, instruits, devant les autorités.
Remarquez sa sincérité : il raconte les faits avec exactitude !
Remarquez son courage. Il accepte les insultes, les outrages à cause du Christ ! Remarquez son humilité devant Dieu. Il est le type des “Pauvres de Dieu”. Parce qu'ils sont humbles, petits à leurs propres yeux, ils reçoivent la lumière !

Cependant, il n'accède pas d'un coup à la lumière ; et ce n'est pas un des moindres intérêts de ce récit que ce cheminement intérieur et très progressif de cet homme ! En cela, il est un modèle de loyauté, de docilité à la grâce, à l'Esprit-Saint. Tout au long de l’épisode dramatique, on le voit s'élever, de degré en degré, à une intelligence spirituelle plus haute et de l'événement dont il a été le bénéficiaire, et de la Personne même du Christ !
+ Au début, Jésus n'est encore pour lui que "l'homme appelé Jésus", et sa propre guérison qu'une aventure inouïe, inexplicable. "Où est-il, ce Jésus ?", lui demande-t-on. Il n'en sait rien !
+ Puis, témoin des divisions des Pharisiens, il commence à comprendre que sa guérison a une signification religieuse. Alors, il n'hésite pas à dire que ce Jésus est un "prophète", et sa guérison, par conséquent, un miracle et un "signe".
+ Enfin, quand les Juifs durcissent leur position et font décidément de Jésus un pécheur, l'aveugle s'affermit, de son côté, dans la sienne : Jésus est un homme religieux ; c’est parce qu’il prie que Dieu l’exauce. Bien plus, il ajoute : "Si cet homme-là ne venait pas de Dieu, il ne pourrait rien faire !". Ces paroles courageuses provoquent son expulsion !
+ L'Aveugle guéri en est là quand Jésus le trouve. On dirait qu'il le cherchait. L'aveugle est au seuil de la foi. Pour accéder à la pleine lumière, il lui faut encore cette rencontre ; et Jésus ne la lui refuse pas !
+  "L'ayant trouvé, Jésus lui dit : "Crois-tu au Fils de l'Homme ?". Il répondit : "Et qui est-il, Seigneur, pour que je crois en lui ?". Admirable disponibilité : son cœur est prêt à croire. Puissions-nous avoir cette disposition loyale - et qui n'est pas naïveté, bien sûr -  pour recevoir la lumière, la vérité, pour recevoir Dieu lui-même ! 
"Jésus lui dit : "Tu le vois; c'est lui qui te parle" !
Alors il dit : "Je crois, Seigneur".  Et il se prosterna devant lui".      

L'aveugle accepte le témoignage de Jésus. Ses yeux s'ouvrent : il voit Jésus des yeux de la foi, et pas seulement de ses yeux de chair guéris par le miracle.  Il voit en lui l'Envoyé de Dieu, le Sauveur du monde.
Non seulement il connaît désormais les choses qu'il voit ; mais il reconnaît celui qui le fait voir. En lui, il reconnaît Dieu qui s’était déjà manifesté dans le désert, lors de la traversée de la mer rouge et par l’eau qui sortait du rocher... Et Dieu vient de le purifier dans cette eau qui sort du côté droit du temple !

Ainsi, le mendiant, l'aveugle-né, l'homme estimé "péché" et rien que "péché" depuis sa naissance, devient le "signe" vivant de l'homme illuminé et régénéré par Jésus qui ne peut agir que par puissance de Dieu !

Comme les Hébreux au désert, comme cet aveugle-né, nous aussi, nous avons un itinéraire spirituel à parcourir. Nous devons rencontrer le Christ dans sa parole, dans ses sacrements, dans la prière… Ce sont ces rencontres personnelles avec Jésus qui donnent à notre foi sa véritable dimension !

Alors, en toute circonstance, dans le secret du cœur ou devant les hommes, nous pourrons dire, nous aussi : "Je crois, Seigneur" !

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