mardi 4 mars 2014

Sous le regard du Père !

Mercredi des Cendres 2014 - 

Les trois pratiques dont parle Jésus : l'aumône, la prière, le jeûne, sont prescrites par la tradition religieuse juive (puis chrétienne) comme “actes de conversion”. Et vous trouverez facilement des applicqtions à ces recommandations séculaires :
- la prière : "La prière et un honneur..., disait le Cal Saliège, Se mettre à genoux, c'est se hausser jusqu'à Dieu !". Pour un cœur à cœur plus intense avec lui !
- l'aumône, c'est la sœur de la prière. Et c'est souvent fermer la bouche pour ouvrir son cœur. Autrement dit, c'est souvent faire l'aumône de son cœur ! "Je me méfie de l'aumône qui ne coûte rien"¸ disait dernièrement le pape François !
- le jeûne. "En lui-même, dit Cassien, le jeûne n'a pas de valeur ; ce qui compte, c'est l'intention de celui qui jeûne !". St Bernard avait bien compris, lui qui enseignait : "Le jeûne et la prière vont ensemble : la prière obtient la force de jeûner ; et le jeûne mérite la grâce de la prière !". Autrement dit, une purification qui facilite l'union avec le Seigneur !

Mais Jésus ne se contente pas de nous inviter à accomplir ces trois prescriptions très monastiques. Nous nous en tirerions alors à bon compte, car, après tout, nous pouvons bien faire l'effort de réduire notre appétit, d'être plus attentifs à nos frères et de consacrer un peu plus de temps à la prière. Et nous serions "en règle", n'est-ce pas ? Est-ce aussi simple ?

Ce que nous enseigne Jésus est beaucoup plus redoutable ; ce qu'il demande finalement peut bousculer l’équilibre de toute notre personne pour une véritable conversion.

Il s'agit du "regard du Père". Dieu voit dans le secret du cœur ! - "Ton Père qui voit dans le secret..."
En effet, tous, nous nous recevons et nous nous construisons dans le regard des autres, même au sein d'une famille monastique. Chacun de nous est toujours plus ou moins dépendant de l'image que lui renvoie le regard d'autrui. “Devenir quelqu'un”, si je puis dire, c'est, souvent, exister dans, par et pour les autres, être reconnu d’eux, être bien considéré !
Il nous suffit dès lors que les autres, nos frères eux-mêmes, détournent quelque peu leur regard pour que certains se sentent immédiatement comme anéantis, inutiles, inexistants. “Ils ont voulu obtenir la gloire qui vient des hommes, dit Jésus. Je vous le déclare : ceux-là ont touché leur récompense".

Le Christ nous demande au contraire de prendre pour unique référence et seul vis-à-vis le regard du Père invisible qui voit dans le secret.

Ce qui implique un travail presque inconcevable psychologiquement, un travail de détachement, de perte d'un certain nombre de repères humains. Un Travail de perte non par oubli, mais par amour ; car c'est en même temps, un travail de reconstruction sous le seul regard du Père.

Sous le regard du Père, notre existence peut recevoir en partage la liberté radicale du Christ que St Paul souhaite souvent à tout chrétien. Car alors le pôle d'ancrage de la vie, c'est uniquement le Père qui voit dans le secret ; et la force de vivre, c'est l'Esprit qu'il donne à ceux qui l'en prient.

Voilà pourquoi Jésus nous demande, particulièrement en ce temps de Carême, nous demande d'agir uniquement sous le regard du Père qui voit dans le secret, et non pour le regard des hommes. Pour cela, il nous faut croire en la présence de cette bonté paternelle “qui voit” ; il faut accepter de recevoir sa vie de son "Fils Unique", Jésus, et le reconnaître, lui et non les hommes, comme source de notre existence.

Mais bouleverser ainsi sa vie, la vivre ainsi retournée, convertie, c'est être acculé à une position humainement intenable, dont Jésus lui-même vivra le paradoxe en sa Passion.
Car la Passion est le point le plus extrême où seul le Père voit dans le secret la solitude du Christ. Aux yeux des hommes, il n'est plus rien, sinon un homme livré, abandonné, anéanti. Il n'existe plus ! Et c'est pourtant à partir de là que se manifeste la puissance du Père, à partir de là que jaillissent la vraie vie et la vraie liberté, la vraie destinée de l'homme, grâce à ce regard du Père qui élève jusqu’à lui.

Si nous sommes, en effet, appelés à devenir libres du regard des hommes, il nous faut naître et "re-naître" encore et sans cesse comme enfants de Dieu, frères du Christ qui nous place sous le regard dont son Père le voit et qui dirige nos yeux, dira-t-il, "vers mon Père et vers votre Père !".

C’est ensuite que nous pouvons mieux nous retrouver les uns les autres, non plus dans la dépendance des regards humains, non plus dans la crainte ou même l'esclavage des conformismes humains et des règlements divers si bons soient-ils, mais sous le seul regard de Dieu qui nous rend libres pour nous aimer comme lui-même nous aime.

N’est-ce pas le sens du rite des cendres ? En les recevant, nous pouvons entendre la parole du récit de la création : “Souviens-toi, homme, que tu es poussière…” comme une invitation à mesurer la précarité, la vanité de l'existence quand elle n'est vécue que pour la gloire qui vient des hommes.

Mais il nous est dit aussi : “Convertissez-vous ; croyez à la Bonne Nouvelle.” Car s'il est au pouvoir de l'homme de mesurer, par éclair, la vanité de ses efforts, il est au pouvoir de Dieu seul de nous convertir, de nous faire voir que, seul, son regard nous donne d'exister. Et ce regard est toujours bénédiction et pardon ; c'est lui qui nous permet de nous recevoir les uns les autres, de nous donner les uns aux autres pour être frères.

N’est-ce pas tout le sens du Carême : une remise de toute notre vie en Dieu seul qui, durant tout notre pèlerinage ici-bas, voit jusqu’au fond de notre cœur et nous accompagne... Et son regard nous accompagne par-delà tout anéantissement, par-delà toute mort, par-delà celle-là même que l'on dit terrestre pour nous faire accéder, par une Pâques éternelle et définitive, à la Vie, à SA VIE, la vie même de Dieu ! LA VIE ETERNELLE !

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