Mercredi des Cendres
2014 -
Les trois pratiques dont parle Jésus : l'aumône,
la prière, le jeûne, sont prescrites par la tradition religieuse
juive (puis chrétienne) comme “actes de conversion”. Et vous trouverez
facilement des applicqtions à ces recommandations séculaires :
- la prière : "La prière et un honneur..., disait le Cal Saliège, Se mettre à genoux, c'est se hausser jusqu'à
Dieu !". Pour un cœur à cœur plus intense avec lui !
- l'aumône, c'est la sœur de la
prière. Et c'est souvent fermer la bouche pour ouvrir son cœur. Autrement dit,
c'est souvent faire l'aumône de son cœur ! "Je
me méfie de l'aumône qui ne coûte rien"¸ disait dernièrement le pape
François !
- le jeûne. "En lui-même, dit Cassien, le
jeûne n'a pas de valeur ; ce qui compte, c'est l'intention de celui qui jeûne
!". St Bernard avait bien compris, lui qui enseignait : "Le jeûne et la prière vont ensemble :
la prière obtient la force de jeûner ; et le jeûne mérite la grâce de la prière
!". Autrement dit, une purification qui facilite l'union avec le
Seigneur !
Mais Jésus ne se contente pas de nous
inviter à accomplir ces trois prescriptions très monastiques. Nous nous en tirerions
alors à bon compte, car, après tout, nous pouvons bien faire l'effort de
réduire notre appétit, d'être plus attentifs à nos frères et de consacrer un
peu plus de temps à la prière. Et nous serions "en règle", n'est-ce
pas ? Est-ce aussi simple ?
Ce que nous enseigne Jésus est beaucoup
plus redoutable ; ce qu'il demande finalement peut bousculer l’équilibre de
toute notre personne pour une véritable conversion.
Il
s'agit du "regard du Père". Dieu voit dans le secret du cœur ! - "Ton Père qui
voit dans le secret..."
En effet, tous, nous nous recevons et nous
nous construisons dans le regard des autres, même au sein d'une famille
monastique. Chacun de nous est toujours plus ou moins dépendant de l'image que
lui renvoie le regard d'autrui. “Devenir quelqu'un”, si je puis dire, c'est,
souvent, exister dans, par et pour les autres, être reconnu d’eux, être bien
considéré !
Il nous suffit dès lors que les autres, nos
frères eux-mêmes, détournent quelque peu leur regard pour que certains se
sentent immédiatement comme anéantis, inutiles, inexistants. “Ils ont voulu obtenir la gloire qui vient
des hommes, dit Jésus. Je vous le
déclare : ceux-là ont touché leur récompense".
Le Christ nous demande au contraire de
prendre pour unique référence et seul vis-à-vis le regard du Père invisible
qui voit dans le secret.
Ce qui implique un travail presque
inconcevable psychologiquement, un travail de détachement, de perte d'un
certain nombre de repères humains. Un Travail de perte non par oubli, mais par
amour ; car c'est en même temps, un travail de reconstruction sous le
seul regard du Père.
Sous le regard du Père, notre existence
peut recevoir en partage la liberté radicale du Christ que St Paul
souhaite souvent à tout chrétien. Car alors le pôle d'ancrage de la vie, c'est
uniquement le Père qui voit dans le secret ; et la force de vivre, c'est
l'Esprit qu'il donne à ceux qui l'en prient.
Voilà pourquoi Jésus nous demande,
particulièrement en ce temps de Carême, nous demande d'agir uniquement sous
le regard du Père qui voit dans le secret, et non pour le regard des
hommes. Pour cela, il nous faut croire en la présence de cette bonté paternelle
“qui voit” ; il faut accepter de recevoir sa vie de son "Fils
Unique", Jésus, et le reconnaître, lui et non les hommes, comme source de
notre existence.
Mais bouleverser ainsi sa vie, la vivre
ainsi retournée, convertie, c'est être acculé à une position humainement
intenable, dont Jésus lui-même vivra le paradoxe en sa Passion.
Car la Passion est le point le plus
extrême où seul le Père voit dans le secret la solitude du Christ. Aux yeux
des hommes, il n'est plus rien, sinon un homme livré, abandonné, anéanti. Il
n'existe plus ! Et c'est pourtant à partir de là que se manifeste la puissance
du Père, à partir de là que jaillissent la vraie vie et la vraie liberté, la
vraie destinée de l'homme, grâce à ce regard du Père qui élève jusqu’à lui.
Si nous sommes, en effet, appelés à devenir
libres du regard des hommes, il nous faut naître et "re-naître"
encore et sans cesse comme enfants de Dieu, frères du Christ qui nous place
sous le regard dont son Père le voit et qui dirige nos yeux, dira-t-il, "vers mon Père et vers votre Père !".
C’est ensuite que nous pouvons mieux nous retrouver
les uns les autres,
non plus dans la dépendance des regards humains, non plus dans la crainte ou même
l'esclavage des conformismes humains et des règlements divers si bons
soient-ils, mais sous le seul regard de Dieu qui nous rend libres pour nous
aimer comme lui-même nous aime.
N’est-ce pas le sens du rite des cendres ?
En les recevant, nous pouvons entendre la parole du récit de la création : “Souviens-toi, homme, que tu es
poussière…” comme une invitation à mesurer la précarité, la vanité de
l'existence quand elle n'est vécue que pour la gloire qui vient des hommes.
Mais il nous est dit aussi : “Convertissez-vous ; croyez à la Bonne
Nouvelle.” Car s'il est au pouvoir de l'homme de mesurer, par éclair,
la vanité de ses efforts, il est au pouvoir de Dieu seul de nous convertir, de
nous faire voir que, seul, son regard nous donne d'exister. Et ce regard est toujours
bénédiction et pardon ; c'est lui qui nous permet de nous recevoir les uns
les autres, de nous donner les uns aux autres pour être frères.
N’est-ce pas tout le sens du Carême :
une remise de toute notre vie en Dieu seul qui, durant tout notre pèlerinage
ici-bas, voit jusqu’au fond de notre cœur et nous accompagne... Et son regard
nous accompagne par-delà tout anéantissement, par-delà toute mort, par-delà
celle-là même que l'on dit terrestre pour nous faire accéder, par une Pâques
éternelle et définitive, à la Vie, à SA VIE, la vie même de Dieu ! LA VIE
ETERNELLE !
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