samedi 22 mars 2014

Le "Rocher" !

3e Dimanche de Carême 2014.A 

"Dieu est-il avec nous ou bien n'y est-il pas ?". Avec les Hébreux dans le désert de la tentation (1ère lecture), cette interrogation traverse toute la Bible.
Je n’en prendrai qu’un exemple. Après l’entrée en Terre promise, les Hébreux prospèrent. Mais leurs voisins, (Madianites) ravagent souvent les fruits de leur travail. Un jour, un ange apparaît à un certain Gédéon pour lui confier une mission de délivrance : “Le Seigneur est avec toi’ !” lui dit-il ! Et Gédéon de lui répondre du tac au tac : “Pardon, si le Seigneur est avec nous, pourquoi tous ces malheurs sur nous ? ... Pourquoi nous a-t-il pas abandonnés ?” (Jug. 6.14sv).

Cette question est de toujours : "Dieu est-il avec nous ou bien n'y est-il pas ?". Qui n'a pas prononcé cette phrase un jour ou l'autre ? Quand on est accablé de malheurs, affronté à un scepticisme ambiant, quand une mère (ou un père) apprend qu'un cancer ne lui laisse pas d'espoir... ; quand, simplement, on regarde notre monde qui va mal, la question se pose : “Dieu est-il vraiment avec nous ?”. Où est-il, lui qui semble sourd et muet ?

Je dis cela en pensant à tous ceux - nombreux - qui, posant cette question, ne trouvent pas de réponse. Or, les textes d’aujourd’hui peuvent nous éclairer.

Avec la première lecture, l’histoire se passe en plein désert. Moïse guide le peuple de point d'eau en point d'eau. Mais à l'étape de Rephidim, l'eau manque. En plein désert ! Si vous avez un peu l'expérience d'un désert, vous savez que c'est dramatique. Aussi, pris de panique, le peuple cherche un responsable - c'est courant en ces cas-là ! -. On s'en prend à Moïse : “Pourquoi nous as-tu fait sortir d’Egypte ? Est-ce pour nous faire mourir de soif, moi, mes enfants et mes bêtes ?”.

Cette phrase est grammaticalement curieuse ! Elle a été modifiée dans le texte liturgique - c'est dommage ! -. Il s’agit du peuple qui murmure : “Pourquoi nous as-tu fait sortir ?”. Et voilà que le texte souligne ensuite la réflexion de tout un chacun : moi, mes enfants, mes bêtes !”. On dirait qu’au fur et à mesure que l’insécurité grandit, l’égocentrisme se renforce, chacun se recroquevillant sur lui-même. C’est la multiplication des “moi” qui se rebelle non pas tellement contre Moïse, mais contre Dieu : Ce Dieu dont tu nous as rappelé les prodiges, ne va-t-il pas faire mourir “moi, mes enfants, mes bêtes?”. Cet égocentrisme bien compréhensif est de toujours en temps de crise. On ne pense plus aux autres ; il suffit de voir la ruée d'un chacun vers les grands magasins lorsqu'une grève risque de paralyser le commerce ! On ne pense plus qu’à soi ! Cela est à remarquer. Une réaction toujours actuelle !

Et le récit continue. Moïse crie vers Dieu : "Que vais-je faire ? Ils vont me lapider !". Moïse lui-même ne pense plus qu’à sa sécurité ! Elle est courante encore, cette réaction, au cours de l'Histoire des hommes ! Et Dieu répond : “Prends ton bâton, frappe le rocher sur lequel je suis. Il en sortira de l'eau”
Dans le récit analogue, au livre des Nombres, il est dit que Moïse frappa deux fois le rocher. La tradition juive explique : Moïse et Aaron n’entrèrent pas en Terre Promise parce qu’ils auraient manqué de foi ! Au lieu de frapper le rocher, d'un seul coup, avec foi, ils auraient fébrilement donné deux coups. Cette insistance n'est-elle pas, parfois, la nôtre ? Or, si Dieu aime notre persévérance dans la foi, la prière, il déplore toujours l'insistance de notre anxiété humaine, même compréhensible. La foi, "si vous en aviez gros comme une graine de moutarde... !", dira Notre Seigneur.

Cette histoire du rocher, c’est donc bien d’abord une histoire de doute… : "Dieu est-il avec nous ou bien n'y est-il pas ?"  D’un doute qui peut atteindre parfois jusqu’à des responsables comme Moïse ! Et oui ! Les responsables sont parfois - comme tout homme - atteint par cette question brûlante : "Dieu est-il avec nous ou bien n'y est-il pas ?".

Quoi qu’il en soit, l’eau jaillit du rocher !
C’est que même au désert, l'eau peut jaillir. Même en nos déserts, Dieu est avec nous. Même dans le désert terrible de la maladie, dans le désert glacial de la solitude, et surtout dans le désert brûlant de la mort.
"Pourquoi m'as-tu abandonné ?", demandera Jésus lui-même empruntant cette question au psaume 22ème. Mais, même dans ce désert de la mort, la source de la vie n'est pas tarie : "Tu m'as répondu, ô mon Dieu !", a du murmurer Jésus sur la croix, avec ce même psaume, "Il n'a pas rejeté un malheureux dans la misère !".
Voilà bien la réponse de la foi ! Dès que l’on croit en la présence de Dieu, malgré parfois les événements apparemment contradictoires, on avance sur le chemin de la vie. Sinon on reste en nos déserts de soif.

"Dieu est-il avec nous ou bien n'y est-il pas ?". Il n'y a qu'une réponse de foi : Dieu est toujours présent ! Voilà pourquoi, selon une tradition juive, ce “rocher” du désert (symbole de la présence salvifique de Dieu) va, dès lors, se déplacer et accompagner les Hébreux tout au long de leurs étapes ! Car ce “rocher”, c’est Dieu toujours présent qui se déplace avec son peuple ! Bien des psaumes le répéteront : “Seigneur, tu es mon roc, mon rocher !".

Et, pour nous, l’histoire de ce rocher - ce rocher de la foi - n’est pas terminée.
St Paul fera nettement allusion à cette tradition du rocher qui se déplace, en y apportant une explication essentielle : “nos pères passèrent, comme par un baptême, à travers la mer rouge. Tous... buvaient à un rocher spirituel qui les suivait : et ce rocher, c’était le Christ !" (I Co. 10.4).

St Paul est toujours d’une radicalité extrême dans ses raccourcis ! “Un rocher qui les suivait !”.
- Le rocher va conduire le peuple de l'Ancienne Alliance jusqu’à Jérusalem, “ce lieu que Dieu a choisi pour y faire habiter son Nom !”.
- Ce rocher devenu le Christ - car "ce rocher, c’était le Christ !" - va conduire la multitude des hommes jusqu'en la Jérusalem céleste, lieu d'union plénière avec Dieu !   

Oh ! Bien sûr, ce "rocher" n'a plus de réalité historique ! C'est évident !
"C'est une image", diront certains ! Oui, mais une image qui revêt une signification aux harmoniques de foi multiples :

+ Ce rocher parvenu à Jérusalem, sera la "pierre angulaire" d'un temple au lieu même où Abraham, appelé à sacrifier son fils au mont Morrya qui veut dire "mont de la vision", sera capable de voir, par delà l'absurdité de la mort, de "voir, par la foi, Celui qui nous voit sans cesse…!". - “Dieu est-il vraiment avec nous ?” - Dieu est là, dit Abraham ! Aussi, deviendra-t-il, dira St Paul, notre Père dans la foi ! (Rm 4.11sv), nous apprenant à "voir" Dieu, même dans nos déserts de vie !

+ Et "ce rocher, c’était le Christ !", poursuit l'apôtre. Il devient la "pierre angulaire" d’un Temple nouveau - le voile de l’ancien temple se déchirant - afin de rétablir, par-delà l'absurdité de sa mort, l’union de Dieu avec l'homme !
- “Dieu est-il vraiment avec nous ?” -. Dieu est là, par-delà sa propre mort, par-delà nos déserts de malheurs et le désert même de notre propre mort ! Si le Christ n'explique pas le mal, il le remplit de sa présence victorieuse !

+ Et c’est de ce même rocher qu’Ezéchiel avait vu jaillir une eau si abondante qu'elle allait purifier les eaux de la Mer morte, symbole du péché du monde, des malheurs des hommes.
Aussi, au Calvaire, au désert de la mort elle-même, la lance d'un soldat, dira St Jean, frappera ce rocher qu'est le Christ. Et il en sortira de l’eau. Et cette eau, plus encore que le fleuve dont parle Ezéchiel, cette eau qui sort du côté du Christ transpercé, devient un immense fleuve destiné à purifier, par la foi, toute l'humanité. - “Dieu est-il vraiment avec nous ?” - Dieu ne cesse de nous baigner en son fleuve de vie !

C'est ce que nous exprimerons aux jours de la Semaine Sainte, de sorte qu'avec foi, nous chanterons au jour grandiose de Pâques : “J’ai vu l’eau vive jaillissante du cœur du Christ, j’ai vu la source devenir un fleuve immense ; tous ceux que lave cette eau seront sauvés.
J’ai vu le Temple s’ouvrir à tous ; tous ceux qui croient en son Nom seront sauvés et chanteront Alléluia !".

Il y avait toutes ces harmoniques de signification dans la conversation de Jésus avec la Samaritaine au puits de Jacob. A celle qui a traversé multiples déserts de soif, Jésus affirme qu'il est le "rocher" d'où surgit l'eau qui est source jaillissante pour la vie éternelle, une eau qui nous fait adorer Dieu "en esprit et vérité !". - "Dieu est-il avec nous ou bien n'y est-il pas ?" -. Il est là, à cette source permanente qui coule en nous depuis notre baptême !

"Dieu est-il avec nous ou bien n'y est-il pas ?". St Paul (2ème lecture) a raison de nous redire que même dans tous les déserts de nos soifs, il y a toujours une source jaillissante en nos cours pour la vie éternelle, puisque "l'amour de Dieu a été répandu en nos cœurs par l'Esprit Saint" ! Et "la preuve" que Dieu nous aime, c'est que le Christ est mort pour nous !". Il a, lui-même, traversé tous nos déserts de mort pour nous en délivrer !
Désormais il est ressuscité. Il est notre vie au milieu de nos souffrances et par-delà la mort elle-même ! "O Mort, où est ta victoire ?" (I Co. 15.55). Le Christ ressuscité est toujours là près de nous, en nous !

Et si à l'approche de notre mort, revient cette question récurrente : "Dieu est-il avec nous ou bien n'y est-il pas ?", puissions-nous répondre, nous confiant en la miséricorde divine : Ma vie ne fut que le temps de le chercher ; ma mort sera le temps de le trouver ; et l'éternité le temps de le posséder ! (d'après François de Sales).

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