2e
Dimanche de Carême 14.A
Malgré les apparences, l'évangile
d’aujourd’hui n'est pas un récit incompréhensible. Seulement, les images
employées forment un bouquet d'allusions à l'Ancien Testament, allusions qui
veulent expliquer, éclairer...
De plus, ce récit est un immense
souvenir de ceux qui ont voulu raconter cet indicible épisode de Jésus soudainement
illuminé de divine lumière.
Quelle expérience ont-ils donc faite ce jour-là,
Pierre, Jacques et Jean, choisis pour être les témoins de cet événement extraordinaire
?
Et nous, en quoi cela nous concerne-t-il
?
D’abord, quelle fut l’expérience des
trois disciples ?
Pour tenter de comprendre, faisons appel à
nos propres expériences. Ne connaissez-vous pas une femme, un homme qui sont
des êtres radieux. De leurs yeux, de tout leur être, émane, en toute
simplicité, une joie lumineuse. C'est l'expérience que j'ai ressentie lors
d'une rencontre très rapide avec le pape Benoît XVI. C'était, c'est un homme
d'une humilité rayonnante : une image de Dieu qui s'approche de l'homme... !
Oui, lorsqu'on approche de telles personnes, c'est lumineux. On voit ... Et que
voit-on au juste ? C'est difficile à dire : une richesse intérieure qui
déborde ..., comme une certitude qui réconforte et donne sens à la vie ! Oui, une
certitude de vie ! Et bien, Pierre, Jacques et Jean ont fait une
expérience analogue, mais infiniment plus exceptionnelle encore !
Jésus vient d’annoncer sa mort ! Il prend
le chemin cruel de Jérusalem. Comme le dit St Luc en reprenant une expression
du prophète Isaïe : Jésus "durcit sa
face" vers Jérusalem. Mais avant de prendre ce chemin cruel vers
Jérusalem, il emmène avec lui ses trois disciples. Il va sur la montagne pour
prier. Et c'est en ce moment d'intimité avec Dieu que son visage devient
autre. Un instant, celui qui va mourir laisse rayonner son mystère de vie,
une vie plus forte que la mort !
C'est pour décrire cela que l'évangéliste a
accumulé les images : blancheur éclatante, lumière, gloire,
nuée, montagne... C'est, dans l’Ancien Testament., le décor
habituel de toutes les apparitions divines.
De plus, Moïse et Élie sont là ! A
eux seuls, ils représentent la Loi et les Prophètes ! Ils sont là pour signifier
que Jésus est bien celui qu'on attendait ; il est celui qui accomplit
parfaitement les préceptes de l'Alliance avec Dieu et les prophéties concernant
le Messie ! Et pour que nous en soyons persuadés, la voix du Père proclame : “C'est lui, c'est lui mon Fils bien-aimé.
Écoutez-le !”.
Les yeux des apôtres s'ouvrent : une
immense évidence se met à resplendir. Une certitude ! Oui, cet homme vient
de Dieu. Il est celui qu'on peut écouter avec foi, espérance, amour, même s'il
parle de souffrir, de mourir.
Car il faut bien le noter : cette
apparition du Christ glorieux vient au bon moment ! Jésus transfiguré
avant d'être défiguré ! La foi des disciples avait bien besoin d'être fortifiée
avant la tourmente de la passion, leur espérance accrue avant l’anéantissement
apparent, leur amour exalté avant la disparition et la dispersion !
Voilà l'expérience que Pierre, Jacques et
Jean ont faite ce jour-là. Pas étonnant qu’ils auraient bien voulu en rester
là... : “Vite, dressons trois tentes.. !.”.
Mais quand ils se relevèrent, ils ne virent
plus que Jésus seul.
- Jésus seul : son visage est celui qu'ils
ont toujours vu.
- Jésus seul : qui prend le chemin cruel de
Jérusalem.
- Jésus seul : que les apôtres
verront, torturé, défiguré.
C'est que le moment de transfiguration ne
dure qu'un instant... ! il n'est là que pour éclairer les moments de défiguration.
La Transfiguration, c'est comme une éclaircie qui ne supprime pas la nuit, mais
qui l'éclaire.
Mais en quoi ce récit nous concerne-t-il
? Oui, aujourd’hui… y a-t-il des moments de transfiguration ? Eh bien, les
chrétiens ont l'audace d'affirmer que Dieu continue de susciter des êtres
radieux qui transfigurent le monde, et des moments lumineux qui percent les
ténèbres.
Je ne le sais que trop : il y a
impertinence à parler de transfiguration avec insouciance. Quand on songe à
la somme de douleurs, de malheurs qui s'abattent sur le monde, à toutes les
forces de mort qui le défigurent, comment oser parler de transfiguration ?
Devant un visage miné par la maladie, les visages apeurés des enfants pris dans
les guerres, les visages fermés des époux qui se déchirent, comment oser parler
de transfiguration ?
Eh bien ! Les chrétiens, à la suite du
Christ, ont l'audace de l'affirmer. Dieu continue de susciter des êtres radieux
qui embellissent et transfigurent la vie, en tous lieux de la terre. Dieu a
confié aux hommes la tâche de transfigurer le monde, d’être des hommes, des
femmes capables de créer de la lumière.
Ne nous a-t-on pas dit un jour, plus ou
moins : “En telle circonstance
difficile, votre présence a ensoleillé ma vie !”.
Bien plus, il y a cette grandiose
expérience ecclésiale que le chrétien fait plus ou moins : aux heures
difficiles - et nous en avons tous -, ne vous est-il pas arrivé parfois de
faire naître ou renaître chez quelqu’un la paix, cette paix que momentanément
vous aviez perdue vous-même ; et de la voir, cette paix, comme par
ricochet, revenir vers vous... Tant il est vrai que le bonheur que Jésus a
souhaité au début de la vie publique (“Bienheureux les pauvres !…”) est la seule chose
au monde que l’on puisse donner sans l’avoir encore pleinement. Y aurait-il des
réalités telles qu’on ne puisse s’en approcher qu’en les donnant ? Ne
serait-ce pas l’une des significations du mot “Jésus” (Dieu sauve !") murmuré à chaque
instant depuis vingt siècles sur tous les continents ? Une expérience d’Eglise,
parce que Jésus ne cesse de la remplir de sa présence glorieuse, transfigurée.
Cela ne supprime pas la nuit ; mais
c’est toujours une éclaircie qui vient d’un au-delà de la nuit !
Ainsi, ce texte d'évangile pouvait paraître
étrange et étranger à notre vie.
Il n'est pas étrange.
Jésus, sur le point de prendre le chemin mortel de Jérusalem, fait entrevoir à
ses apôtres sa résurrection. Autrement dit, il leur laisse deviner à quelle
lumière, à quelle splendeur conduit l'amour jusqu'au bout. Il mourra en croix
certes, mais cette mort se changera en amour et en vie. Oui, Dieu a bien les
issues de la mort ! Ce que nous rappelle St Paul dans la seconde lecture !
Cet évangile n'est pas étranger à notre vie. C'est même une (la) "Bonne Nouvelle"
pour nous ! Si nous voulons embellir la vie, transfigurer notre vie et la vie
de nos proches, nous connaissons le secret : marcher à la suite du Christ sur
le chemin du don de soi…
C'était ce qui était déjà signifié à
Abraham, notre "Père dans la foi", dira St Paul. Dieu lui dit : "Pars...!". En traduction
littérale, il faudrait dire : "Pars
pour toi...!" ("Lek leka") - "Pars pour ton bonheur...
!". Et Abraham partit vers le mont Moriah... il partit vers le mont Moriah
où il est appelé à sacrifier son propre fils, ce qui préfigurait la mort et la
résurrection du Christ. Mais à travers ce sacrifice demandé, il voit déjà sur
ce mont Moriah - sur le mont de la vision, faudrait-il traduire -, il voit
l'amour de Dieu pour lui-même et toute sa descendance. En lui - comme dans le
Christ - "seront bénies toutes les
familles de la terre !". Nous retrouvons là tout le sens du mystère
pascal : le Christ défiguré pour être transfiguré, pour nous transfigurer avec
lui !
C'est la "Bonne Nouvelle" de
l’Evangile. Oui, notre monde est défiguré : toutes les laides mosaïques des
agressions du mal - violences, guerres, injustices, égoïsmes etc... -, toutes
ces laides mosaïques du mal reproduisent sur toute la surface de notre monde la
figure du Christ crucifié. Ne le voyons-nous pas ? Impossible de dire le contraire
! Mais on peut dire aussi que Dieu suscite toujours des hommes, des femmes, des
jeunes qui embellissent la vie, protestent, luttent, bâtissent, sèment paix et
amour. Ils nous donnent à chaque instant des rayons de transfiguration qui nous
indiquent notre chemin glorieux à la suite du Christ !
Alors la Transfiguration, c’est une
expérience de chaque jour et en tous lieux de la terre ; une expérience
lumineuse de bonheur qui annonce la lumière divine du jour éternel.
"Va
pour toi !"
(Lek
leka),
nous redit aujourd'hui Notre Seigneur, comme à Abraham : "Va pour ton bonheur !" à travers toute mort et notre
mort elle-même. Car le Christ est ressuscité ; il est éternellement
"transfiguré" et veut nous "transfigurer" en lui !
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