dimanche 16 mars 2014

Transfiguration !

2e Dimanche de Carême 14.A 

Malgré les apparences, l'évangile d’aujourd’hui n'est pas un récit incompréhensible. Seulement, les images employées forment un bouquet d'allusions à l'Ancien Testament, allusions qui veulent expliquer, éclairer...

De plus, ce récit est un immense souvenir de ceux qui ont voulu raconter cet indicible épisode de Jésus soudainement illuminé de divine lumière.
Quelle expérience ont-ils donc faite ce jour-là, Pierre, Jacques et Jean, choisis pour être les témoins de cet événement extraordinaire ?
Et nous, en quoi cela nous concerne-t-il ?

D’abord, quelle fut l’expérience des trois disciples ?
Pour tenter de comprendre, faisons appel à nos propres expériences. Ne connaissez-vous pas une femme, un homme qui sont des êtres radieux. De leurs yeux, de tout leur être, émane, en toute simplicité, une joie lumineuse. C'est l'expérience que j'ai ressentie lors d'une rencontre très rapide avec le pape Benoît XVI. C'était, c'est un homme d'une humilité rayonnante : une image de Dieu qui s'approche de l'homme... ! Oui, lorsqu'on approche de telles personnes, c'est lumineux. On voit ... Et que voit-on au juste ? C'est difficile à dire : une richesse intérieure qui déborde ..., comme une certitude qui réconforte et donne sens à la vie ! Oui, une certitude de vie ! Et bien, Pierre, Jacques et Jean ont fait une expérience analogue, mais infiniment plus exceptionnelle encore !

Jésus vient d’annoncer sa mort ! Il prend le chemin cruel de Jérusalem. Comme le dit St Luc en reprenant une expression du prophète Isaïe : Jésus "durcit sa face" vers Jérusalem. Mais avant de prendre ce chemin cruel vers Jérusalem, il emmène avec lui ses trois disciples. Il va sur la montagne pour prier. Et c'est en ce moment d'intimité avec Dieu que son visage devient autre. Un instant, celui qui va mourir laisse rayonner son mystère de vie, une vie plus forte que la mort !

C'est pour décrire cela que l'évangéliste a accumulé les images : blancheur éclatante, lumière, gloire, nuée, montagne... C'est, dans l’Ancien Testament., le décor habituel de toutes les apparitions divines.
De plus, Moïse et Élie sont là ! A eux seuls, ils représentent la Loi et les Prophètes ! Ils sont là pour signifier que Jésus est bien celui qu'on attendait ; il est celui qui accomplit parfaitement les préceptes de l'Alliance avec Dieu et les prophéties concernant le Messie ! Et pour que nous en soyons persuadés, la voix du Père proclame : “C'est lui, c'est lui mon Fils bien-aimé. Écoutez-le !”.
Les yeux des apôtres s'ouvrent : une immense évidence se met à resplendir. Une certitude ! Oui, cet homme vient de Dieu. Il est celui qu'on peut écouter avec foi, espérance, amour, même s'il parle de souffrir, de mourir.

Car il faut bien le noter : cette apparition du Christ glorieux vient au bon moment ! Jésus transfiguré avant d'être défiguré ! La foi des disciples avait bien besoin d'être fortifiée avant la tourmente de la passion, leur espérance accrue avant l’anéantissement apparent, leur amour exalté avant la disparition et la dispersion !

Voilà l'expérience que Pierre, Jacques et Jean ont faite ce jour-là. Pas étonnant qu’ils auraient bien voulu en rester là... : “Vite, dressons trois tentes.. !.”.
Mais quand ils se relevèrent, ils ne virent plus que Jésus seul.
- Jésus seul : son visage est celui qu'ils ont toujours vu.
- Jésus seul : qui prend le chemin cruel de Jérusalem.
- Jésus seul : que les apôtres verront, torturé, défiguré.

C'est que le moment de transfiguration ne dure qu'un instant... ! il n'est là que pour éclairer les moments de défiguration. La Transfiguration, c'est comme une éclaircie qui ne supprime pas la nuit, mais qui l'éclaire.


Mais en quoi ce récit nous concerne-t-il ? Oui, aujourd’hui… y a-t-il des moments de transfiguration ? Eh bien, les chrétiens ont l'audace d'affirmer que Dieu continue de susciter des êtres radieux qui transfigurent le monde, et des moments lumineux qui percent les ténèbres.

Je ne le sais que trop : il y a impertinence à parler de transfiguration avec insouciance. Quand on songe à la somme de douleurs, de malheurs qui s'abattent sur le monde, à toutes les forces de mort qui le défigurent, comment oser parler de transfiguration ? Devant un visage miné par la maladie, les visages apeurés des enfants pris dans les guerres, les visages fermés des époux qui se déchirent, comment oser parler de transfiguration ?

Eh bien ! Les chrétiens, à la suite du Christ, ont l'audace de l'affirmer. Dieu continue de susciter des êtres radieux qui embellissent et transfigurent la vie, en tous lieux de la terre. Dieu a confié aux hommes la tâche de transfigurer le monde, d’être des hommes, des femmes capables de créer de la lumière.

Ne nous a-t-on pas dit un jour, plus ou moins : “En telle circonstance difficile, votre présence a ensoleillé ma vie !”.
Bien plus, il y a cette grandiose expérience ecclésiale que le chrétien fait plus ou moins : aux heures difficiles - et nous en avons tous -, ne vous est-il pas arrivé parfois de faire naître ou renaître chez quelqu’un la paix, cette paix que momentanément vous aviez perdue vous-même ; et de la voir, cette paix, comme par ricochet, revenir vers vous... Tant il est vrai que le bonheur que Jésus a souhaité au début de la vie publique (“Bienheureux les pauvres !…”) est la seule chose au monde que l’on puisse donner sans l’avoir encore pleinement. Y aurait-il des réalités telles qu’on ne puisse s’en approcher qu’en les donnant ? Ne serait-ce pas l’une des significations du mot “Jésus” (Dieu sauve !") murmuré à chaque instant depuis vingt siècles sur tous les continents ? Une expérience d’Eglise, parce que Jésus ne cesse de la remplir de sa présence glorieuse, transfigurée.

Cela ne supprime pas la nuit ; mais c’est toujours une éclaircie qui vient d’un au-delà de la nuit !

Ainsi, ce texte d'évangile pouvait paraître étrange et étranger à notre vie.

Il n'est pas étrange. Jésus, sur le point de prendre le chemin mortel de Jérusalem, fait entrevoir à ses apôtres sa résurrection. Autrement dit, il leur laisse deviner à quelle lumière, à quelle splendeur conduit l'amour jusqu'au bout. Il mourra en croix certes, mais cette mort se changera en amour et en vie. Oui, Dieu a bien les issues de la mort ! Ce que nous rappelle St Paul dans la seconde lecture !

Cet évangile n'est pas étranger à notre vie. C'est même une (la) "Bonne Nouvelle" pour nous ! Si nous voulons embellir la vie, transfigurer notre vie et la vie de nos proches, nous connaissons le secret : marcher à la suite du Christ sur le chemin du don de soi…
C'était ce qui était déjà signifié à Abraham, notre "Père dans la foi", dira St Paul. Dieu lui dit : "Pars...!". En traduction littérale, il faudrait dire : "Pars pour toi...!" ("Lek leka") - "Pars pour ton bonheur... !". Et Abraham partit vers le mont Moriah... il partit vers le mont Moriah où il est appelé à sacrifier son propre fils, ce qui préfigurait la mort et la résurrection du Christ. Mais à travers ce sacrifice demandé, il voit déjà sur ce mont Moriah - sur le mont de la vision, faudrait-il traduire -, il voit l'amour de Dieu pour lui-même et toute sa descendance. En lui - comme dans le Christ - "seront bénies toutes les familles de la terre !". Nous retrouvons là tout le sens du mystère pascal : le Christ défiguré pour être transfiguré, pour nous transfigurer avec lui !

C'est la "Bonne Nouvelle" de l’Evangile. Oui, notre monde est défiguré : toutes les laides mosaïques des agressions du mal - violences, guerres, injustices, égoïsmes etc... -, toutes ces laides mosaïques du mal reproduisent sur toute la surface de notre monde la figure du Christ crucifié. Ne le voyons-nous pas ? Impossible de dire le contraire ! Mais on peut dire aussi que Dieu suscite toujours des hommes, des femmes, des jeunes qui embellissent la vie, protestent, luttent, bâtissent, sèment paix et amour. Ils nous donnent à chaque instant des rayons de transfiguration qui nous indiquent notre chemin glorieux à la suite du Christ !

Alors la Transfiguration, c’est une expérience de chaque jour et en tous lieux de la terre ; une expérience lumineuse de bonheur qui annonce la lumière divine du jour éternel.

"Va pour toi !" (Lek leka), nous redit aujourd'hui Notre Seigneur, comme à Abraham : "Va pour ton bonheur !" à travers toute mort et notre mort elle-même. Car le Christ est ressuscité ; il est éternellement "transfiguré" et veut nous "transfigurer" en lui !

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