21 Septembre - Saint Matthieu
Elle
est, certes, émouvante cette page d'évangile ! Car Matthieu ne nous raconte pas
ce que Jésus a dit, un jour, à quelqu'un, à un quidam quelconque ; mais il
raconte ce qu'il a dit et fait pour lui, Matthieu, personnellement ! C'est une page
autobiographique ; Car Jésus, ce jour-là, a totalement changé la vie
de ce tabellion collecteur d'impôts. Jésus lui a dit simplement :
"'Suis-moi !'. L'homme se leva et le suivit !".
Cependant
si Matthieu raconte cet épisode, l'épisode de sa conversion, ce n'est certes
pas pour que nous nous arrêtions, tout admiratif, sur sa personne ! De même,
St Paul a bien raconté certains épisodes frappants et même très intimes de
sa vie, lui qui fut, dit-il, "enlevé
jusqu'au paradis et entendit des paroles inexprimables" (2 Co.
12.4). Mais ce n'était certes pas pour s'en glorifier, lui qui mettait
plutôt "son orgueil dans ses
faiblesses afin que repose sur lui la puissance du Christ" qui l'a
appelé, lui aussi, à être son apôtre (Cf. 2 Co. 12.5sv).
Un
apôtre, un missionnaire... et finalement tout disciple du Christ n'a qu'un seul
désir : proclamer que l'amour divin qui a traversé leur vie peut traverser
également toute vie humaine, la vie de ceux à qui ils s'adressent !
Ainsi
donc l'intérêt de Matthieu n'est pas de fixer les regards sur lui. (Quelle
erreur, quelle horreur que de chercher à être contemplé soi-même, de se donner
perpétuellement en exemple !). Son intention est exprimée en ce qui suit : l'appel
qu'il a reçu et auquel il a répondu, comme beaucoup peuvent le recevoir et
y répondre !
Aussi,
poliment, fraternellement, amicalement sans doute, Matthieu offre un grand
banquet à ses collègues de travail, ces fameux "publicains pécheurs",
comme l'on disait. Et au cours de ce banquet, il signale sa "mise en retraite", si je puis
dire, afin de suivre Jésus qu'il a d'ailleurs invité, qui est là, à sa
table probablement ! Peu importe les incompréhensions, voire les moqueries, Matthieu
témoigne de sa vocation et de son engagement !
Alors,
évidemment, il y a surtout la réaction immanquable des pharisiens, ceux d'hier
et ceux d'aujourd'hui : "Pourquoi
mange-t-il avec les publicains et les pécheurs ?". Et tout aussi immanquablement, il y a la
réponse de Jésus : "Ce ne sont pas
les gens bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades. Allez
apprendre ce que veut dire cette parole :
C'est la miséricorde que je désire, et non les sacrifices !".
Que
signifie cette phrase du prophète Osée (6.6.)
reprise par le Christ ? Serait-ce que tout sacrifice et toute
mortification sont inutiles et qu'il suffit d'aimer pour que tout soit en
ordre ? Cela se dit parfois et se pratique pour mieux excuser peut-être
ses propres défaillances et les facilités qu'on s'accorde tout en les refusant
aux autres ! C'est courant cela ! Cette façon de penser et parfois de faire
peut conduire au rejet de tout l'aspect ascétique du christianisme estimé
soudainement comme résidu d'une mentalité afflictive ou manichéenne,
aujourd'hui dépassée.
Bien
plutôt, il faut d'abord noter un profond changement de perspective dans le
passage du texte d'Osée à la phrase du Christ.
Chez
Osée, l'affirmation se réfère à l'homme, à ce que Dieu attend
de lui. Dieu attend de l'homme amour, connaissance et reconnaissance, et
non pas simplement et seulement sacrifices extérieurs ou holocaustes d'animaux.
En
revanche, dans la bouche de Jésus, cette affirmation se réfère à Dieu.
L'amour dont on parle n'est pas celui que Dieu exige de l'homme mais celui
qu'il donne à l'homme. "C'est la
miséricorde que je désire et non les sacrifices" ; cette phrase
signifie de la part de Dieu : je veux faire preuve de miséricorde, et non pas de
condamnation. Son équivalent biblique se trouve facilement ailleurs, chez Ezéchiel par
exemple : "Je ne prends pas plaisir
à la mort du méchant, mais à la conversion du méchant qui change de conduite
pour avoir la vie !" (18.23sv). Dieu
ne veut pas avant tout "sacrifier" sa créature, mais avant tout la "sauver"
!
Avec
cette précision on comprend mieux également l'affirmation du prophète Osée. Dieu
ne veut pas le sacrifice "à tout prix", comme s'il aimait nous
voir souffrir ; il ne veut pas non plus les sacrifices dans le temple si
c'est pour faire valoir des droits et des mérites devant Dieu ! (Cette
mentalité est malheureusement encore actuelle aujourd'hui !).
Non ! Il
veut le sacrifice demandé par son amour. En réponse à son amour, il veut le
nôtre. Et on le sait bien : "On
ne vit pas dans l'amour sans souffrance", comme l'exprime le livre de l'"Imitation de Jésus Christ"
; et l'expérience de la vie de tous les jours le confirme. Il n'y a pas d'amour
sans sacrifice. "On souffre toujours
à proportion de son amour. La puissance de souffrir est en nous la même que la
puissance d'aimer !" (Mgr Ghika (1). C'est
en ce sens que St Paul, par exemple, nous exhorte à "offrir (nos) personnes en hostie vivante, sainte, agréable à
Dieu !" (Rm 12, 1).
Le
sacrifice et la miséricorde sont toutes deux de bonnes choses mais
l'une comme l'autre, mal considérées, peuvent devenir mauvaises.
Ce sont
de bonnes choses si (comme le Christ) on sait accueillir le sacrifice -
le sacrifice d'amour - le sacrifice qu'exigent l'amour envers Dieu et l'amour
envers le prochain pour qui on veut manifester la grande miséricorde de la part
de Dieu.
Ce sont
de mauvaises choses si l'on fait le contraire, si l'on choisit la
miséricorde pour soi et le sacrifice pour les autres, si nous sommes indulgents
avec nous-mêmes et rigoureux avec les autres, si nous sommes toujours prêts à
nous excuser et impitoyables dans le jugement des autres. Les uns et les
autres, n'avons-nous vraiment rien à revoir, à cet égard, dans notre
comportement ?
Rendons
grâce aujourd'hui à St Matthieu qui fut le premier évangéliste (même
si le texte primitif - araméen - a été perdu) ! A travers lui, nous
pouvons mieux suivre le Christ qui nous accorde, comme il l'a fait à son
apôtre, la miséricorde divine pour mieux le suivre, fusse à travers
épreuves et souffrances que nous saurons unir à celles qu'il a subies lui-même
pour nous. Offrons nos souffrances diverses - même les plus humbles - au Christ
! "Une fois offertes au Christ,
disait encore Mgr Ghika (1), elles
cessent de nous appartenir pour être siennes. Une fois siennes, elles ont une
valeur qui nous dépasse. Elles sont capables, mêlées aux siennes propres, aux
amertumes de la Croix ou du jardin des oliviers, de changer la face du monde
!" - Il écrivait par ailleurs :
"Quand ton cœur saigne en faisant
l'œuvre de Dieu, les anges viennent tremper leurs lèvres au calice de ton sang
que le Fils de Dieu élève alors, lentement, en silence, sur une foule que tu ne
peux voir, mais qui, sans le savoir, assiste et que tu assistes !".
N'est-ce
pas là un des grands sens de toute Eucharistie que nous célébrons ?
(1) Mgr Vladimir Ghika, prince roumain de la descendance des rois de Moldavie,
orthodoxe converti, ordonné à Paris à l'âge de 50 ans, nommé protonotaire par
Pie XI, ami d'Emmanuel Mounier, Maritain, Claudel... Arrêté en Roumanie pendant
la dernière guerre par les troupes communistes, il meurt en prison en 1954, à
l'âge de 80 ans, après tortures et sévices. Il vient d'être béatifié le 31 Août
dernier.
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