25e T.O. Mercredi T.O. 13 (Esd 9, 5-9)
Notre lecture d'aujourd'hui est la fin du livre
d’Esdras. Elle nous donne un magnifique exemple de prière pénitentielle -
personnelle ou collective - : "Mon
Dieu, j'ai trop de honte et de confusion... Nos crimes se sont multipliés jusqu'à
dépasser nos têtes... Nous sommes grandement coupables...".
Mais pourquoi tant de culpabilité de la part
d'Esdras ? Les motifs nous sont donnés dans les versets qui précèdent notre
lecture :
« Les chefs m'abordèrent en disant : "Le
peuple d'Israël, les prêtres et les lévites n'ont point rompu avec les peuples
des pays plongés dans leurs abominations - Cananéens, Hittites, Perizzites,
Jébuséens... etc..., - ! Mais, pour eux et pour leurs fils, ils ont pris femmes
parmi leurs filles : la race sainte s'est mêlée aux peuples des pays ;
chefs et magistrats, les premiers, ont participé à cette infidélité !" A
cette nouvelle, je déchirai mon vêtement et mon manteau, m'arrachai les cheveux...,
et m'assis accablé... A l'oblation du soir, je sortis de ma prostration ;
vêtement et manteau déchirés, je tombai à genoux, étendis les mains vers le
Seigneur, mon Dieu » (Esd 9, 1-5).
Ce qui accable la conscience d’Esdras et des
exilés revenus de Babylone pour reconstruire le Temple, ce qui les accable,
c’est le fait que le peuple de Dieu a perdu ce qu’il considérait alors comme
son "identité" de peuple élu : "La race sainte s’est
mêlée aux peuples du pays !". Les mariages mixtes se multipliant, le
peuple est devenu vulnérable à l’idolâtrie, les femmes étrangères ayant la
spécialité d’entraîner leur mari vers les dieux qui sont les leurs.
L’exemple le plus célèbre fut le roi Salomon en
sa vieillesse. Il eut beaucoup d'épouses étrangères ; et ses nombreuses épouses…,
est-il dit, "détournèrent son cœur vers
d'autres dieux et son cœur ne fut plus tout entier à Dieu comme avait été
celui de son père David". C'est ainsi que ce grand roi - mais dont
la réputation fut grandement ternie à tout jamais - construisit pour ses
épouses de nombreux temples dédiés aux dieux étrangers "sur la montagne
à l'orient de Jérusalem". C'est ainsi que le Mont des Oliviers
devint le "'Mont de l'abomination", le "Mont du scandale". (Cf I Rois
11)
Ce sentiment de culpabilité aboutit chez
Esdras à une résolution totalement inhumaine, exprimée au chapitre
suivant. On se réunit et on dit à Esdras : "Nous avons trahi notre Dieu en
épousant des femmes étrangères, prises parmi les peuples du pays. Eh bien ! Nous
allons prendre devant notre Dieu l'engagement solennel de renvoyer toutes nos
femmes étrangères et les enfants qui en sont nés...
Par la suite, on voit comment Dieu lui-même
s’occupe de tempérer fortement ce zèle intempestif. La scène devait se dérouler
à l'époque des pluies. Et Dieu fit pleuvoir à verse sur l’assemblée qui décide
de surseoir à l’exécution des décisions prises. (Esd 10,
12-13)
Je pense qu’il était bon de rappeler ce
contexte de la cérémonie pénitentielle d’Esdras. Le livre d’Esdras fait
partie du Canon des livres que l’Eglise reconnaît comme "inspirés".
Mais, elle reconnaît aussi comme "inspirés" d’autres livres
qui ont été écrits à la même époque, et
qui reflètent une tendance, ne disons pas opposée mais complémentaire. Des
livres attachés, autant que celui d’Esdras, à la conservation de l’identité du
peuple élu dans son intégralité, mais qui n’éprouvaient pas, pour autant, le
besoin de prescrire, pour préserver cette intégrité, des mesures brutales et
qui frisent l’inhumanité. (Et ne jugeons pas trop vite : notre
histoire, l'histoire actuelle recèlent des sentiments et conduites similaires
!)
Il y a d'autres livres... écrits ou
modifiés à la même époque : par exemple, le livre de Ruth, la Moabite,
l’étrangère ; ce livre reflète l’époque des Juges et illustre la loi
du lévirat. Mais, à l’époque d’Esdras, a été rajoutée la généalogie qui termine
le livre, une généalogie qui marque une ouverture universaliste et prophétique.
La Bible de Jérusalem commente : "L’addition de cette généalogie (postérieure,
au temps d’Esdras) diffère totalement des données du livre (la loi du
lévirat et le dévouement de Ruth). Un autre enseignement se dégage : Ruth, l’étrangère, devient l’aïeule de David et,
par lui, du Christ". St Matthieu, à la charnière de l’Ancien et
du Nouveau Testament, reprend cette ouverture universaliste dans sa
généalogie du Christ.
Le livre de Jonas - très
universaliste - est également de la même époque. Quand Jésus dit : "Vous
n’aurez pas d’autre signe que le signe de Jonas", il passe sur "l’autre rive"
c'est-à-dire chez les païens. Il parle de Naaman, le Syrien. Le "signe de Jonas" manifeste
grandement une ouverture du "Royaume de Dieu" pour tous les hommes.
Jésus, en citant ce livre, manifeste une universalité extraordinaire.
Que conclure alors du livre d'Esdras. Ce
livre marque une progression vers un esprit d'universalité qu'il nous faut
suivre nous-mêmes :
- Quand le peuple d'Israël arrive en
"Terre promise", il pratique facilement l'anathème, n'ayant pas encore
d'autres moyens de garder sa consistance personnelle de "Peuple de
Dieu" au milieu de l'abomination des peuples idolâtres qui l'entourent.
- Quand le peuple revient d'exil, on
ne pratique plus l'anathème (on en a plus les moyens d'ailleurs), mais on
renvoie femmes étrangères et leurs enfants. C'est encore très inhumain.
- Et pourtant à la même époque, une
grande sensibilité universaliste se dégage. Une sensibilité qui permettra à St
Matthieu d'affirmer - dans sa généalogie - que le Christ, le Messie est issu
de femmes étrangères ! (Ruth - Bethsabée, la mère de Salomon...).
- Aussi Jésus lui-même affirmera
fortement l'universalité du Royaume de Dieu qu'il annonçait et instaurait.
- Et St Paul, cet ancien "pharisien, fils de pharisien"
partira répondre à l'attente des "païens", de tous les "païens"
sans exception. Il ira jusqu'à dire : "Tout
est à vous, mais vous, vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu !".
Il y a une telle puissance d'intégration
dans le Christ, une puissance telle que normalement un chrétien ne doit
avoir aucune pusillanimité devant tout ce qui lui est proposé au nom de l'art,
de la science et de tout ce que vous voudrez. Mais encore faut-il qu'avec le
Christ il ait une personnalité, une consistance chrétienne capable
d'intégration.
C'est bien là toute la question, le seul
problème : avoir assez de consistance dans l'"être chrétien" pour pouvoir
accueillir et tout intégrer en vue du Royaume de Dieu. Vouloir tout intégrer
sans cette consistance conduit souvent à un désastre.
Aujourd'hui, on parle beaucoup de Robert Schumann,
un des pères de l'"Europe" (son procès de béatification est en cours). Son action
politique fut totalement inspirée par sa foi chrétienne, sa vie avec le Christ
! C'est un exemple !
Le chrétien risque toujours d'être, dans le
monde, complètement disloqué par tout ce qui est offert, à droite, à gauche,
devant, derrière. Plus urgente alors apparaît la nécessité de la retraite, de
la prière pour sans cesse retrouver la consistance de notre union au Christ qui
nous permet alors d'accueillir, d'intégrer et d'unir : "Père, priait Jésus, qu'ils
soient un, comme toi et moi nous sommes
un !".
Et les monastères doivent pouvoir,
normalement, offrir des lieux de forte identité chrétienne et d'ouverture tout
à la fois, à l'exemple de notre Sauveur !
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