26e Dimanche T.O. 13/C
Les
imprécations du prophète Amos - du "terrible" Amos - dans la
première lecture, contre les '"vautrés" et les "exploiteurs" peuvent être écoutés par certains d'une oreille plus ou moins distraite,
comme faisant partie d'un genre littéraire où l'orateur fustige ses auditeurs avec une violence qui paraît quand même exagérée. Peut-être !
Quoique... !
En tous les cas, le Christ, lui, s'il
n'élève pas la voix apparemment, raconte dans l'évangile une parabole
! Et
quelle parabole ! Une "terrible" parabole !
Elle se résume
par cette phrase
lapidaire :
"Vous ne
pouvez servir Dieu et l'argent !".
Et la preuve,
la voici
: Cet homme riche n'a pas servi Dieu ! Et bien, c'est le malheur qui l'attend. Sa consolation, il l'a eue sur la
terre
; il l'a eue de son argent. Et entendons par là,
une bonne fois pour toutes : de son avoir,
certes, mais surtout de
sa fonction sociale, de son pouvoir imposant habitudes
ou fantaisies, bref,
de sa "jactance", disent certains psaumes ou livres de la Bible.
Et ce
retournement de situation pour le riche ne vient pas d'un jugement imposé de
l'extérieur, de Dieu. C'est sur la terre que les riches dont parle Jésus se
sont eux-mêmes déterminés. Leur manière d'user de leurs richesses, de leur pouvoir les ont fait entrer, déjà ici-bas, malgré leurs apparences
parfois
débonnaires, dans la petite cité de leurs petits intérêts, de leurs propres
pensées ou habitudes - et c'est la plus profonde des prisons ! -. Ils deviennent prisonniers d'eux-mêmes, et donc incapables de
rencontrer Dieu.
Comme il faut
les plaindre, ces riches, pense-t-on !
Oui, mais
personne n'a le droit de prendre ses distances par rapport à ce riche, personne
n'a le droit de se rassurer en déclarant qu'il n'a pas la fortune de celui-là,
qu'il ne fait pas bombance comme lui, et qu'il a le souci fréquent d'aider
Lazare.
C'est à tous, à nous, que le Christ dit qu'il faut choisir entre deux
maîtres.
A chacun de se
poser la question.
Et St Augustin
éclaire singulièrement la réponse que nous devons fournir quand il écrit : "Dieu ne regarde pas à la
possession mais à la convoitise".
Vendre tout ce
que l'on a, en faisant ce que le jeune homme riche n'a pas osé faire, est une
solution
; mais elle correspond à une vocation particulière ! Et ce n'est pas
ici la question !
Tous ceux qui
possèdent - beaucoup, moyennement ou peu - font partie d'une société, sont liés
aux autres dans les structures d'un régime déterminé, portent des
responsabilités familiales et professionnelles dont ils ne peuvent normalement
se dégager.
C'est pourquoi
St Augustin dit : "Dieu regarde à la convoitise".
S'interroger sur la convoitise, sur "sa" convoitise n'est-ce pas déjà répondre à la question : "Quel est mon maître, à
moi
?"
En effet,
s'interroger sur la convoitise atteint le mal à sa source. Le Seigneur sait
bien que même si l'on quitte tout matériellement - si l'on y est appelé -, il faut aussi que, par amour pour lui, on se quitte soi-même. "Là où est ton trésor, là est ton cœur !". Quel est donc mon trésor ?
Et beaucoup iront
grommelant : mais il faut bien avoir ! Et chacun a son "trésor" :
- son argent, - "mon argent !" -, - ses biens divers - "ma maison !"
- sa situation - "mon métier, ma fonction !" -,
- sa famille - "mon épouse, mon époux, mes enfants, mes frères, mes
sœurs !" -,
- ses connaissances diverses - "mes diplômes, mon expérience !"
- son style de vie : "mes habitudes !" - etc.
Certes, il faut
bien
"avoir" ! C'est une nécessité
!
- nécessités
familiales, de
l'éducation des enfants,
- rang à tenir,
obligations sociales,
- crédit à
s'assurer, etc.
...
Mais dans cette
objection, quelle est la part de la vérité, quelle est la part de l'illusion parfois
diaboliquement subtile ?
N'oublions pas
une autre parabole du Seigneur, celle des invités aux noces : Ces derniers avaient des explications à fournir, des excuses apparemment très valables
pour ne pas se rendre aux noces.
Or le Seigneur
n'a pas regardé à ce que ces gens possédaient, mais à leur convoitise. Les
occupations derrière lesquelles ils se retranchaient n'étaient que des
prétextes
à se passer..., à se passer de Dieu tout simplement. Leur maître n'était pas Dieu ! Et les prétextes peuvent être très subtils
: On peut très facilement oublier Dieu, oublier les "noces" qu'il
nous propose, c'est-à-dire la célébration de son Alliance, en alléguant -
paradoxe ! - un service fraternel qui peut être reporté !
Autrement dit,
si dans le temps qui nous est donné ici-bas, le cœur est incapable d'accueillir
le Seigneur, parce que trop occupé par les affaires de ce monde, il se rend obligatoirement incapable de le rencontrer éternellement. Ce
n'est pas Dieu qui condamne; c'est notre propre cœur avec sa convoitise.
Et pour donner
quelques indications sur nos convoitises possibles, je dirais que l'accueil de
Dieu - qui est notre seul Maître, affirmons-nous chrétiennement - ne peut se faire que dans des cœurs libres,
humbles et désireux d'aimer.
¶ La liberté
du cœur ! Il s'agit de la liberté par rapport à toutes les facilités de
jouissance que le monde et la richesse quelle qu'elle soit, et le pouvoir peuvent offrir.
Je ne parle pas ici - évidemment ; et
je le dis avec insistance - de ceux qui vivent dans une grande misère ; et
ils sont trop nombreux de par le monde. Ceux-là ne sont pas esclaves de la
richesse. Ils n'en ont pas ; ils n'ont rien et souvent considérés comme rien !
Ils sont esclaves de l'injustice des hommes !
Je veux dire que pour beaucoup - chrétiens
compris -, les facilités du monde - cet "argent" du monde - ferment le cœur et les yeux. C'est à remarquer
: Le riche de la parabole - un très brave homme, diront certains,
à n'en point douter ! - ne voit même pas Lazare à sa
porte
! Les facilités
du monde sont comme des habitudes dont on s'entoure : plus on en a, plus on se
sent en sécurité ! Et plus on se sent en sécurité par les habitudes... de sa petite
richesse, plus on en est esclave ! Cet richesse-là possède finalement, corps et âme, celui qui s'en croit possesseur.
Lorsque de serviteur l'argent devient maître, il se fait obsédant.
On perd alors
le sens de Dieu; on se ferme à ses appels intérieurs.
On perd alors
le sens de l'homme ; des exigences de la justice.
On s'enferme
dans son propre monde ; on perd toute
liberté d'être soi-même; on devient incapable de cette liberté que requiert
l'ouverture à Dieu,
une plus grande union à Dieu, et du même coup l'ouverture à l'autre, une
véritable communion fraternelle !
¶ La rencontre de Dieu dans l'éternité demande
donc ici-bas une
grande liberté du cœur, mais aussi une grande humilité de
cœur.
On comprend
pourtant la supplique du riche : "Je
te prie, disait-il à Abraham, envoie
Lazare auprès de mes frères pour qu'ils se convertissent !". -
"Non, répond Abraham, même si quelqu'un
ressuscite d'entre les morts, ils ne seront pas convaincus !". D'ailleurs beaucoup de Juifs ont vu Jésus ressuscitant
le fils de la veuve de Naïm et Lazare de Béthanie. Et ils n'ont pas cru pour
autant en Jésus
!
Oui l'humilité
est cette faculté qui permet de regarder Dieu avant de se regarder soi-même
avec ses pauvres petites richesses. L'humilité est l'échelle qui permet de
monter vers Dieu. L'humilité accepte donc facilement ce que Dieu donne à
l'homme pour lui permettre de monter vers lui :
- sa Parole qu'il faut méditer, ruminer, disaient les Anciens, avec autant de
respect et de préparation que lorsque l'on vient communier,
- l'Eglise qui est le sacrement de la présence de Dieu, malgré les imperfections de
ses membres.
L'Eglise avec ce qu'elle suggère pour notre temps. On aime le pape, dit-on.
Mais lit-on ce qu'il dit aussi facilement que son journal ?
- les sacrements…, ces signes que le Christ nous a
laissés de sa présence en nous, parmi nous.
Oui, l'orgueil
est cette richesse du cœur qui ferme l'homme à Dieu et aux autres.
¶ Un troisième indice de cette possibilité de
rencontrer Dieu éternellement c'est d'avoir, ici-bas, ce souci d'aimer Dieu
et ses frères. Si le cœur se pervertit au point de paralyser sa faculté
d'aimer, comment pourra-t-on alors rencontrer Dieu qui est Amour? Oui, la
disposition fondamentale à la rencontre de Dieu est bien la pureté ou plutôt la
transparence du cœur
qui exclut tout mensonge pour préserver sa petite richesse à soi, cette petite
richesse qui nous enferme égoïstement sur nous-mêmes. Seuls les cœurs transparents, qui ne savent pas tromper, sont capables
d'aimer vraiment.
"Vous ne pouvez servir Dieu et l'argent !" - "Là où est ton trésor, là est ton cœur !". Que l'Esprit Saint nous apprenne à faire mourir en nous toute convoitise
qui nous enferme en nous-mêmes.
Et nous
obtiendrons cette Vie éternelle à laquelle, disait Paul à Timothée, nous avons
tous été appelés.
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