dimanche 15 septembre 2013

Dieu Père !

23e Dimanche T.O. 13/C                  

C'était un soir, après la fatigue du jour. On parlait de ces jeunes qui abandonnent parfois leur famille pour partir ...on ne sait où... "Si ma fille me faisait ce coup, s'écria une mère, ce ne serait plus la peine qu'elle revienne". Sa voisine la reprit doucement : "Allons ! Tu ne la laisserais pas dehors...!". Un prêtre voulut rappeler timidement la célèbre parabole où l'on voit le Père courir au devant de son enfant qui revient. Mais un homme l'interrompit : "Mon Père, ce sont des pages de l'Evangile dont il vaut mieux ne pas trop parler aujourd'hui. Si vous étiez père de famille !".

Je comprends le refus de cet homme. Car la parabole finit trop bien. Ceux d'entre vous qui ont connu de semblables, d'analogues angoisses savent que les dénouements ne sont pas toujours si faciles. Bien sûr, quand l'enfant revient, on le reçoit ! Bien sûr ! Un jour, un père a dit à sa fille au moment où elle partait vers l'inconnu avec un garçon chevelu et mal rasé : "La maison te restera toujours ouverte, et saches que tu auras toujours un père, une mère...!".

Mais que de fois les retrouvailles sont difficiles de part et d'autre. Que de tempêtes intérieures, longues à apaiser ! On n'est plus tout à fait les mêmes, et on sent qu'il faudrait inventer une relation nouvelle pour dépasser incompréhensions et ressentiments. Souvent les crispations demeurent et, si la vie reprend sous le même toit, une gêne sourde continue de creuser la distance. Il faut le temps et les humbles initiatives de l'amour pour créer prudemment une communication neuve, respectueuse des uns et des autres. Parents et jeunes tâtonnent dans ces retrouvailles, même lorsqu' une bonne volonté généreuse les anime.
En tous les cas, rien qui ressemble au dénouement idyllique de la parabole. On n'entend guère parler d'un père de famille qui fasse sauter les bouchons de champagne lorsque son fils ou sa fille revient à la maison.     

Il faut le constater : la finale de la parabole de Jésus est invraisemblable. Aucun père n'agirait ainsi. L'invraisemblable, ce n'est pas que le Père accueille le fils : c'est qu'il fasse la fête ! Recevoir le fils, tout oublier, recommencer comme avant... c'est dans l'ordre. Mais faire la fête, tuer la bête conservée pour les grandes réjouissances, donner au fils une robe, un anneau et des chaussures comme pour un mariage fastueux... On a l'impression de quitter le monde humain et de voguer dans l'azur des rêves ou des contes de fées.

Si la parabole se termine d'une manière invraisemblable au regard de notre expérience, c'est qu'il ne s'agit pas d'abord des hommes !

Ce qui est émouvant, c'est qu'à travers cette histoire étonnante, Jésus parle de Dieu, le Père par excellence ! C'est Lui, ce père qui court au devant de l'enfant perdu, qui se jette à son cou et qui l'embrasse, le premier, sans un mot, sans demander la moindre explication. Ce Dieu que tant de Juifs situaient au fond des cieux avec le visage d'une justice redoutable, Jésus nous le montre qui se précipite sur un chemin de terre et qui ouvre une fête folle, au retour de son enfant. "Comme le fils était encore loin, son père l'aperçut et fut pris de pitié ; il courut, se jeta à son cou et le couvrit de baisers".  Parmi tant de livres religieux dans le monde depuis que les hommes écrivent, y a-t-iI une page, une phrase plus belles pour dire Dieu et son attitude à l'égard de chacun d'entre nous ?

Le catéchisme d'autrefois demandait : "Qu'est ce que Dieu ? - "Dieu est un pur Esprit...", disait-on. Si on avait posé la question à Jésus, il aurait répondu : "Un homme avait deux fils.." ;  et il aurait continué l'histoire jusqu'à cette fin stupéfiante.

Avant cette merveilleuse histoire, Jésus avait parlé de la femme qui caquette sa joie après avoir retrouvé la pièce d'argent égarée. Il avait parlé du berger qui laisse le troupeau pour aller chercher la brebis perdue. Jésus avait pu entendre la femme et apercevoir le berger. Mais ce père déraisonnable qui organise la fête pour le fils perdu et retrouvé, l'avait-il jamais vu ?

Et pourtant, Jésus parlait d'expérience, Ce qu'il avait vu, c'étaient les pécheurs qui écoutaient sa voix, - tels Matthieu, Zachée... - qui faisaient banquet en son honneur, les publicains, prostituées qui l'accueillaient, et tant et tant qui affluaient vers lui.
Le retour de l'enfant lointain, il l'avait vu sur des milliers de visages, dans les bourgs de Galilée, de Judée, de Samarie, dans les rues de Jérusalem. La prévenance du Père qui prend les devants, Jésus l'éprouvait dans l'élan de son propre cœur. La parabole, Jésus la vivait. En la racontant, il invite ses auditeurs à reconnaître l'action même de Dieu, là où beaucoup criaient au scandale.

Car Jésus rencontre aussi le fils aîné de la parabole, lorsqu'il affronte des scribes, des Pharisiens, caparaçonnés dans leurs idées et dans leurs vertus : Ils enfermaient Dieu dans leurs idées trop humaines ; ils estimaient avoir des droits sur lui puisqu'ils le servaient jalousement. Ils ne pouvaient concevoir les folies de l'amour. Ce sont eux qui se mettent en colère et refusent d'entrer dans la salle du festin. Ce sont eux que le père supplie : "Regarde ! ton frère était mort et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé !".

Finalement, la parabole décrivait subtilement la démarche de Jésus. Elle en évoquait le vaste enjeu. Israël allait-il accueillir les enfants perdus ?
Jésus transpose le drame dans la parabole, mais il ne conclut pas. Que s'est-il passé après les paroles si douces que le Père était venu dire au fils aîné ? Certes, le Vendredi saint sembla mettre un terme sanglant à la mission aimante de Jésus. Mais l'histoire du père et des deux fils ne prit pas fin ce soir-là ! Aujourd'hui encore, l'inlassable histoire du Dieu de Jésus-Christ continue.

Nous sommes tous, selon les jours, l'un ou l'autre de ces deux frères. Nous entravons Dieu dans nos étroitesses, dans nos refus et même dans nos adhésions médiocres.  

Et pourtant regardons simplement la nature, le monde et l'univers. Combien y a-t-il de fleurs jusque dans les vallées les plus perdues des montagnes ? Combien d'oiseaux ? Combien d'étoiles brillent au ciel ? Dieu est un Dieu de profusion, c'est un Dieu gaspilleur, il n'est pas raisonnable. Pas étonnant qu'il ait tué le veau gras pour le retour du fils, et qu'il submerge la misère de notre cœur de sa miséricorde, et qu'il ait la folle ambition de nous vouloir tous frères !

Immense parabole ! Elle semblait l'écho d'un fait divers au dénouement trop facile, et voilà qu'elle nous dit que "Dieu est plus grand que notre cœur" (I Jn 3.20) et qu'il faut, au plus quotidien de la vie, nous prêter à la musique d'une fête divine qui déjà nous transfigure !

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