vendredi 13 janvier 2012

Dieu, notre Roi !

1 T.O. Vendredi imp. (1 Sam 8.4 sv)

Les premiers chapitres de 1er livre de Samuel sont très instructifs : Avec Samuel et Anne sa mère, ils nous introduisent déjà dans les évangiles de l’enfance : naissance miraculeuse…, présentation au temple…, l’enfant qui grandit en âge et en sagesse… etc

La lecture d’hier nous enseignait que si le peuple abandonne le Seigneur, le Seigneur ne peut plus être son soutien, sa force. L’Arche d’alliance, le signe de la présence du Seigneur au milieu de son peuple, est capturée par les Philistins, au cours d’une défaite cinglante. C’est l’anéantissement ! Le pape Jean-Paul II aimait à redire en pensant aux totalitarismes qu’il avait connus : “Sans Dieu, c’est l’enfer !“.
Eli - le saint prêtre de Silo - en est une illustration remarquable (c’est la suite du texte d’hier). Assis près du sanctuaire, devenu aveugle, il entend du bruit. Et on lui dit : “Tes deux fils sont morts et l’Arche du Seigneur a été prise !“. Et le rédacteur d’ajouter avec discrète mais grande finesse : “A cette mention de l’Arche de Dieu, Eli tomba de son siège à la renverse. Sa nuque se brisa et il mourut“ (I Sam. 4.17-18). Que ses fils meurent au cours d’une bataille, c’est le risque de tout soldat ! Mais que l’Arche du Seigneur soit prise, ce ne peut être qu’effondrement et mort ! Belle figure sacerdotale !
Il est rapporté encore que lorsque l’épouse de l’un de ses fils, enceinte, apprend cette mauvaise nouvelle, les douleurs l’assaillent et elle met au monde un fils qu’elle appelle “Ikabod“, ce qui veut dire : “La gloire est bannie“ d’Israël. L’Arche étant prise, sans la gloire divine, c’est l’anéantissement du peuple ; c’est l’absurdité qui remplit l’histoire sainte ! Belle figure de croyante !

A remarquer cependant que chez les Philistins, l’Arche du Seigneur met en grand péril le culte de leur dieu, Dagôn. Il y a dans le texte, contre l’idolâtrie, un pamphlet d’un humour noir, une satire violente (1). Il s’ensuit que les Philistins sont atteints de toutes sortes de maux. Un très grand nombre en meurent. Je crois que notre bon La Fontaine fait allusion à ce récit quand il parle des animaux malades de la peste : “Ils ne mourraient pas tous ; mais tous en étaient frappés !“. Si bien que l’Arche du Seigneur est rendue à Israël de façon assez cocasse…

L’Arche est bien restituée, mais mal accueillie ! Après tous ces événements malheureux, il y a eu - c’est courant - une perte du sens du sacré ! L’Arche n’a plus la même importance comme au temps de la marche dans le désert ! “La religion disparaît“, diraient certains ! Et il est vrai que l’Arche sera cantonnée dans un lieu très neutre, à Qiryat-Yéarim (près d’Abu-Gosh, - l’ Emmaüs le plus probable). C’est là que plus de vingt ans après le jeune roi David viendra la reprendre pour la placer à Jérusalem comme étendard à la fois religieux et politique de l’identité de son peuple.

Mais en attendant, l’arche étant plus ou moins oubliée ( = Dieu étant oublié), il faut bien trouver un succédané, un ersatz au rôle d’unification, de structuration du peuple qu’elle avait jadis ! Une église vide peut devenir “maison du peuple“, si ce n’est “salle de jeux“ ou que sais-je encore !

Et c’est ainsi qu’a germé l’idée d’une royauté ! Précisons tout de suite que dans la Bible, y a deux traditions de l’institution de la royauté, comme pour la construction du temple de Jérusalem :
- l’une positive, le roi d’Israël n’étant que le lieutenant, le représentant du seul et vrai Roi : le Seigneur lui-même !
- l’autre très négative : une prise de pouvoir, une hérésie qui s’oppose à Dieu-Roi !
Et vous avez certainement reconnu que notre texte d’aujourd’hui est de la seconde tradition !

On demande à Samuel : “Donne-nous un roi comme les autres nations !“. “Comme les autres nations“ ! L’expression est perfide dans la bouche du rédacteur : ces Anciens, revendicateurs, ne se rendent donc plus compte de la relation particulière d’Israël avec son Dieu ! Comme si un chrétien disait : baptisé, oui ! Mais, que voulez-vous, laïcisation oblige !

Alors Samuel, vrai prophète, se plaint au Seigneur qui par deux fois lui dira : “Satisfais le désir du peuple !“ .
On pourrait croire que le Seigneur accepte. En réalité, c’est l’inverse. Il faut comprendre ce langage biblique de la pédagogie de Dieu à l’égard de l’homme qu’il a créé libre ! Et quand cette liberté patauge, s’égare, Dieu a toujours le moyen de réparer cette déficience. C’est bon à savoir ; c’est bon de se le dire.
- Quand, dans le désert, Dieu accepte d’envoyer des cailles aux quémandeurs de viande à la place de la manne, c’est pour les guérir, à l’aide d’une foudroyante dysenterie, du désir de la “grande bouffe“, …de la grande consommation des fins d’année ou du nouvel an !
- Quand il commande à Abraham de sacrifier son fils, c’est pour éradiquer complètement de chez son peuple l’infanticide qu’il soit sacré, social, économique peu importe.
- Quand il commande à David de satisfaire son grand désir de recenser le peuple, c’est pour mieux se faire reconnaître comme seul Roi ! etc… Il faut toujours méditer cette pédagogie de Dieu à notre égard…, sinon comment pourrait-on comprendre que Jésus s’est fait obéissant jusqu’à la mort, afin de manifester la Vie, afin de nous donner la vie divine ?

Cependant, Samuel, le tout-puissant “prophète-juge-arbitre“, voit d’un mauvais œil la revendication des Anciens. Car il se rend compte que, dans cette affaire, il va perdre de son pouvoir ! Aussi dresse-t-il un portrait très noir du futur roi ! Pourtant, le Seigneur le console : “Ce n’est pas toi qu’ils rejettent ; c’est moi !“. Pas d’inversion sacrilège, là encore ! Il y a là un parallélisme voulu, aussi subtil qu’évident entre, d’une part, l’abandon d’un régime prophétique, disons “charismatique“ au profit d’une volonté royale, disons “centraliste“, et, d’autre part, l’oubli de Dieu au probable profit des dieux étrangers. Et cette subtilité est toujours actuelle : voir la religion avec une lunette très humaine au lieu de la considérer pour ce qu’elle est vraiment : une relation avec Dieu ! Samuel a peur pour lui : il va perdre de son autorité ! Que voulez-vous ! “Tout dévot que je suis, je n’en suis point moins un homme“, disait le Tartuffe ! Pourtant, il s’agit de Dieu, avant tout !

Pour excuser Samuel de son pessimisme en la fonction royale, il faut dire que l’auteur du Livre connaît l’histoire de Salomon : jeune, il était la fierté du peuple - il avait si belle allure ! - Mais la fin de son règle fut lamentable : un appauvrissement général.

Finalement, je vais vous transmettre ma réflexion qui ne vous étonnera pas :
- Je suis opposé à un pouvoir autoritaire quel qu’il soit, même si "la démocratie, comme disait Churchill, est la pire des gouvernances, après toutes les autres !".
- Et je suis pourtant très royaliste, mais à la manière du Christ ! “Oui, je suis Roi !“, disait Jésus à Pilate qui fera mettre un écriteau sur sa croix : “Le Roi des Juifs“ ! Ce jour-là, Pilate et Jésus s’étaient affrontés : le pouvoir tyrannique et le pouvoir qu’on partage ; le pouvoir de domination et le pouvoir du service, le pouvoir de la force et l’humble pouvoir de l’amour ! Tout au long de l’histoire humaine et aujourd’hui encore, ces deux sortes de pouvoirs continuent de s’affronter. Le premier l’emporte souvent sur le second. Mais le second finira par gagner ! Alors, “le Christ remettra la Royauté à Dieu son Père … pour que Dieu soit tout en tous“ (I Co. 15.24,27). Oui, Dieu d’abord, car “sans Dieu, c’est l’enfer !“. Notre lecture le répète à sa façon : Dieu d’abord !

(1) …et si crue dans les termes que les traducteurs ont renoncé à transcrire fidèlement.

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