jeudi 12 mai 2011

Paul !

Pâques 3 Vendredi (Actes 9.1sv)

Je vous laisse le soin de méditer vous-mêmes, si vous le voulez, la conversion de Paul. Cet évènement capital est relaté trois fois par St Luc (ch. 9, 22, 26), récits qu’il faut confronter encore avec ce que St Paul dit de lui-même dans l’épître aux Galates…

Je me permettrai aujourd’hui de présenter cet apôtre très particulier en rappelant trois caractéristiques qu’il souligne lui-même et qui sont utiles quand on veut lire ses écrits :


1. “Je suis né à Tarse, ville qui n’est pas sans importance“

Au temps de Paul, Tarse était une vieille cité qui pouvait compter quelques 300.000 habitants et qui avait un port important à une quinzaine de kilomètres. A cause justement de sa “position commerciale“, la population était extrêmement mélangée : autochtone anatoliens, Grecs, Romains, Juifs… Les institutions s’y mêlent ; les cultures aussi. C’est un endroit où l’Orient rencontre l’Occident. On comprend ainsi qu’il fut assez facile pour Paul, plus tard, de ne pas admettre de différence entre Juifs et Gentils, entre Grecs et Barbares, entre hommes libres et esclaves…

Beaucoup de grands hommes étaient passés à Tarse : Pompée, César, Marc-Antoine et la fameuse reine d’Egypte qui vint le rencontrer en grande pompe et magnificence. L’empereur Auguste avait comblé la ville de privilèges ! … Cicéron avait gouverné la province. Et à l’époque où Paul n’était qu’un enfant, un vénérable professeur y terminait sa vie, Athénodore, l’ancien précepteur et ami de l’empereur !

Sans doute que Paul, Juif et fidèle observant de la Loi, n’a pas fréquenté les écoles grecques. Cependant, dès l’enfance, il a respiré la culture hellénique dont vibrait cette ville de Tarse et où il a apprit la langue commune (la koinè) dans laquelle il écrira ses lettres et qui, si “vulgaire“ fut-elle, véhiculait avec elle quelque chose de la sagesse grecque ! - Peut-être que jeune, Paul a succombé à la tentation d’aller applaudir, avec ses camarades, les vainqueurs des sports (“jeux du stade“), ce qui était pourtant interdit pour un Juifs. En tous les cas, c’est à ces “jeux du stade“ qu’il empruntera ses plus belles comparaisons [“Vous couriez si bien“, dira-t-il aux Galates (5.7) - “je poursuis ma course…“ (Phil. 3.12sv) etc].

Il se souvenait peut-être des initiés du culte d’Isis (pratiqué à Tarse) qui se présentaient revêtus d’un vêtement céleste, lorsqu’il enjoindra de “revêtir le Christ“ (Rm 13.14 – Gal 3.27). Et pour enseigner le mystère de la Rédemption, il aura peut-être en mémoire la scène souvent vécue de la libération d’un esclave (Cf. I Co. 7.22).

Quand on lit St Paul, il faut se placer dans cette ambiance culturelle, cultuelle… de Tarse. Quand il passait la porte de la ville, il lisait, sous la statue de Sardanapale (dernier et légendaire roi d’Assyrie 7ème s.), cette curieuse inscription assyrienne : “Voyageur, mange et bois et laisse-toi vivre !“ qu’il utilisera : “Si les morts ne ressuscitent pas, mangeons et buvons…“ (I Co. 15.32)


2. “Je suis Hébreu, fils d’Hébreu“

- Paul était avant tout un Juif ! Son nom, “Shaoul“, signifiait : “Désiré“, “Demandé à Dieu“. On peut supposer qu’il n’eût pas de frère, peut-être une sœur et que sa mère mourut alors qu’il était jeune… Cela expliquerait sans doute ses sentiments de reconnaissance envers certaines femmes rencontrées au cours de ses voyage - particulièrement envers la mère de Rufus qui se dévoua de manière si délicatement féminine (Cf. Rm 16.13)-.

- Toute sa vie, Paul restera fier d’être Juif (Cf. Phil 3.5sv – Rm 11.1…) et gardera pour son peuple une tendresse filiale : “Je souhaiterais être maudit moi-même… pour mes frères, pour ceux de ma race selon la chair…“ (Rm 9.1sv)

- Le père de Saul était pharisien de la plus stricte observance. Il dut lui-même initier son fils à la langue de la Bible (livre qu’à l’école il apprit dans la version grecque des Septante). Dès l’âge de cinq ans, il apprenait par cœur l’essentiel de la Torah. A dix ans, il fit l’expérience de la tradition orale : préceptes, règlements, purifications diverses… Expérience plus “étouffante“ et moins heureuse sans doute dont il fait allusion en sa lettre aux Romains (Rm 7.9sv) et qui lui fera donner ce conseil : “Et vous, parents, n’exacerbez pas vos enfants…“ (Eph 6.4).

- Un principe très sain était en honneur dans les familles pharisiennes : concilier l’étude de la Torah avec une occupation manuelle. Le père de Saul était sans doute un riche marchand de tissu et un fabricant de tentes. Le jeune Saul apprit donc ce métier… Et il gardera une très haute estime pour le travail manuel (Cf. I Thess 2.9 – II Thess 3.7sv – Act. 20.34).

- A 18 ans, il est envoyé à Jérusalem pour achever sa formation auprès d’un grand Maître. Les “théologiens“ d’alors se partageaient à Jérusalem en deux écoles : l’école d’Hillel, de caractère souple, conciliant qui trouvait facilement un moyen d’échapper à la rigidité de la Loi, et l’école de Shammaï qui s’attachait fanatiquement à la lettre. Gamaliel, le Maître de Paul, était le petit fils d’Hillel, se montrant digne de son ancêtre. Saul devint son disciple et son admirateur (Cf. Gal 1.14).

- Ce qui absorba Paul, ce fut la Bible et encore la Bible. Il l’apprit par cœur pour ainsi dire. Durant ses voyages, il ne pouvait emporter les précieux et volumineux rouleaux de la Loi. Pourtant ses lettres regorgent de citations empruntées à presque tous les livres de l’A.T. C’est que Paul tenait la Bible pour le plus grand trésor du monde !
Une réflexion à ce sujet puisque la lecture d’aujourd’hui nous rappelle la conversion de Paul. Après son baptême, il est monté à Jérusalem. Là, on a eu très peur : son zèle de nouveau converti déclenche une persécution analogue à celle qu’avait déclenchée le zèle d’Etienne. Alors, gentiment, on l’a reconduit à Césarée où il a pris le bateau pour Tarse. Or, avez-vous calculé le temps écoulé entre ce moment du retour à Tarse et celui où Barnabé est venu le chercher pour le mener à Antioche (Ac 11.25) et engager avec lui ses voyages missionnaires ? Presque dix ans ! Mais qu’a donc fait le fougueux Paul durant dix ans ? Personnellement, je pense qu’il a relu toute la Bible et qu’on peut lui appliquer la célèbre phrase de Luc à propos des disciples d’Emmaüs : “Et commençant par Moïse et par tous les prophètes, Jésus leur expliqua dans toutes les Ecritures ce qui le concernait“ (Lc 24.27). Après avoir vu son Seigneur sur le chemin de Damas, Paul a appris à le dévisager dans toute la Bible !


3. Par ma naissance, je suis citoyen romain !

Ce titre lui revient par droit de naissance ; Son Père l’avait-il acheté ou en avait-il hérité lui aussi ? En tous les cas, Paul s’en réclame à plusieurs reprises pour se tirer d’embarras (Cf. Act. 16.37 ; 22.29). Et ce titre lui permit d’en appeler à César dans le procès que lui intentèrent les Juifs (Ac. 25.11). Il semble cependant que Paul n’a pas revendiqué ce titre que par utilité. Il en était fier. Il semble avoir admiré l’ordre romain, voyant peut-être en lui l’obstacle qui empêcherait que s’établisse le règne de l’“homme d’iniquité“…


Voilà en quelques mots le portrait intellectuel, moral, religieux de l’homme converti sur le chemin de Damas !

Son portrait physique ? Personne ne peut nous renseigner. Bien sûr, l’imagination a voulu suppléer : On imagine l’apôtre facilement petit, chétif d’après II Co.10.10, “avorton“ même d’après I Co. 15.8. D’après Gal 4.13, on lui attribue toutes sortes de maladies. Quant à “l’écharde dans sa chair“ (I Co 12.2.9), mieux vaut reconnaître notre ignorance… En tous les cas, on peut affirmer qu’il devait avoir un tempérament plutôt robuste pour supporter les itinéraires qu’il a suivis dans les conditions où il les a parcourus et pour endurer tous les mauvais traitements dont il fut souvent l’objet !

Une dernière remarque : Paul, de Tarse, gardera une mentalité citadine ! Il n’est jamais question dans ses lettres des magnifiques paysages du Taurus qu’il a traversés ou de ceux des côtes de la mer Egée ! Il avait un esprit curieux, ouvert à tout et à tous. Il avait le goût du beau langage, ayant acquis une solide culture hellénique. Et de sa formation juive, il gardera toujours le sens de l’Ecriture, l’estime de la Tradition, le souci de l’orthodoxie et aussi, il faut le dire, une subtilité toute rabbinique !

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