samedi 7 mai 2011

Dissensions - Expansion

Pâques 2 - Samedi (Ac 6,1-7-Jn 6,16-21)

La mer, dans la Bible, évoque toujours le chaos primitif où Dieu a fait régner l’ordre et l’harmonie en dix paroles et en sept jours, déployant sur le cosmos tout entier les énergies victorieuses dont il a fait preuve par la suite, tout au long de l’histoire du peuple élu, par des “délivrances“ successives et miraculeuses, opérées “par main forte et bras étendu…“ (Ex 20.34)
Les hébreux ne sont pas un peuple de marins comme leurs voisins phéniciens. Il n’y a pas de ports naturels au sud du Carmel (Césarée-Maritime ne fut construit que par Hérode le Grand !). Du haut des collines, ils contemplent une côte sablonneuse et rectiligne et s’étonnent que Dieu réussisse à contenir ce reste de chaos primitif, cette puissance formidable des flots par une simple ligne de sable : “ Oracle du SEIGNEUR. Ne tremblerez-vous pas devant moi qui ai mis le sable comme limite à la mer, frontière définitive qu'elle ne passera pas ? Ses flots s'agitent, mais sont impuissants ; ses vagues peuvent mugir, elles ne la passeront pas“ (Jr 5.22).
C’est en évoquant ce contexte biblique, qu’on rejoint le mieux la manière dont St Jean rapporte, dans l’Evangile, la marche de Jésus sur les eaux. Jésus domine le vent et les flots, calme la tempête comme le Créateur aux origines a mis de l’ordre dans le chaos primitif. Le Seigneur se révèle maître de la création. Si ses disciples se confient à lui sans crainte, rien ne pourra leur nuire et ils arriveront à bon port !


La lecture nous montre que l’unité des cœurs, l’harmonie qui régnait dans la communauté primitive de Jérusalem, n’a pas tardé à être troublée par des dissensions. Luc, malgré sa discrétion habituelle, ne les dissimule pas. Ces dissensions s’établissent au sein des croyants d’origine juive, entre ceux qui parlent grec et ceux qui pratiquent la langue hébraïque. Parmi les diacres que l’on ordonne pour remédier à la situation, un seul est nommé comme étant un païen converti, originaire d’Antioche : Nicolas. Il apparaît comme une exception. Il n’y a donc pas encore de séparation entre les païens convertis et le judaïsme de l’époque.
Cependant, St Luc nous fait déjà soupçonner que les chrétiens de langue hébraïque ne vont pas jouer le rôle principal dans l’expansion universaliste qu’il va raconter par la suite. Et on devine l’importance qu’a du jouer le judaïsme d’Alexandrie (dont se réclamaient, probablement, les Juifs convertis qui parlaient grec) dans la soudaine éclosion du peuple élu aux dimensions universelles…, ce qu’avaient annoncé les prophètes : “Et maintenant le Seigneur a parlé, lui qui m'a modelé dès le sein de ma mère pour être son serviteur … - Il a dit : « C'est trop peu que tu sois pour moi un serviteur pour relever les tribus de Jacob et ramener les survivants d'Israël. Je fais de toi la lumière des nations pour que mon salut atteigne aux extrémités de la terre »“ (Is 49,5-6).

Si précieuse que soit la Massore, ce texte hébreu, minutieusement ponctué, plus tard, par les scribes de Tibériade au 9ème siècle après J.C., (texte qu’utilisa St Jérôme (Vulgate), et connu en notre Occident surtout par un certain Rambam, dit Maïmonide (12e s.) qu’admirait Thomas d’Aquin), il ne faut pas pour autant négliger la tradition grecque des Septantes fondée à Alexandrie deux siècles avant la naissance du christianisme (texte que même St Jérôme utilisa pour traduire les psaumes).
Les Septantes renferment des textes plus proches des originaux et dont certaines modifications dénotent un progrès théologique vers cette expansion universaliste que chanta le vieillard Siméon en recevant l’Enfant Jésus dans ses bras : “Lumière pour éclairer les nations et gloire d’Israël ton peuple !“. Il est certain que ces Juifs convertis, parlant grec, eurent, avec St Paul, un rôle missionnaire important auprès des non-Juifs, les “païens“…
Pour l’heure, Luc ne parle d’un accroissement du nombre des croyants qu’à Jérusalem même : “La parole du Seigneur gagnait du terrain, le nombre des disciples augmentait fortement à Jérusalem“.

St Luc note encore qu’une grande foule de prêtres accueillaient la foi. Beaucoup pensent que la “Lettre aux Hébreux“ avait précisément comme premiers destinataires ces prêtres convertis et que l’auteur, s’il est fortement imprégné des pensées de St Paul, serait plutôt un juif d’Alexandrie, peut-être cet Apollos dont il est parlé plus loin dans le livre des Actes des Apôtres (Cf. Ac 18,24-26).

Tout cela pour souligner qu’il y avait un bouillonnement d’idées, d’opinions… dans la toute jeune Eglise primitive (non encore divisée pourtant entre Juifs et païens). St Luc montrera que ces opinions diverses, voire les dissensions, auront, grâce à l’Esprit Saint, des conclusions bénéfiques pour l’extension de l’Eglise !

Peut-être, comme on l’a dit, qu’il y a plus de richesse dans une symphonie qui accorde harmonieusement les parties que dans un chant à l’unisson. Encore que, comme l’a dit Jean-Paul II, il s’agit toujours de chanter “intra chorum“ !

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