lundi 2 mai 2011

Enfant de Dieu !

Pâques 2 Lundi - (cf textes du Lundi et du Mardi)


“Nul, s’il ne renaît d’en-haut, ne peut voir (posséder) le Royaume de Dieu“

Même si St Jean a relaté les propos de Jésus avec son vocabulaire, son style personnels, on ne peut penser qu’il ait inventé ni le dialogue très circonstancié avec le Maître en Israël, ni la doctrine de la renaissance possible et nécessaire pour accéder au Royaume de Dieu !
D’ailleurs, cette régénération concorde avec la nécessité, prescrite dans les Synoptiques,
- de devenir de petits enfants (Mth 18.3 ; Mc 10.15 : “Si vous ne changez pas et ne devenez comme de petits enfants, vous n’entrerez pas…“)
- ou de devenir fils du Père céleste (Mth 5.44 : priez pour vos ennemis… afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux…“)
- et surtout avec la révélation fondamentale du Seigneur : “Vous n’avez qu’un Père, celui qui est dans les cieux“ (Mth 23.9). Et c’est lui qui donne l’Esprit-Saint à ceux qui le lui demandent (Lc 11.13).
Au point que St Jean pourra nettement dire plus tard : “Voyez de quel grand amour le Père nous a fait don, que nous soyons appelés enfant de Dieu ; et nous le sommes !“ (I Jn 3.1).

Ainsi, Jésus dit à Nicodème : “Nul, s’il ne renaît d’en haut…“ : “gennèthè anôthèn“. Je ne sais pourquoi le texte liturgique omet cet adverbe “anothèn“ qui a une triple acception :
- “dès l’origine“, dès le commencement.
- ou : “de nouveau“, une seconde fois. C’est ce sens qu’a retenu la traduction latine (“denuo“) et que St Paul utilise parfois (cf Gal 4.9).
- ou enfin : “d’en-haut“. En ce sens, Jésus disait : “Celui qui est né “d’en-haut“ est au-dessus de tout…“ (3.31) ; Et à Pilate : “Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir s’il ne t’avait été donné “d’en-haut“…“. (19.11). Cet adverbe est alors employé pour signifier : Dieu. St Jacques l’oppose à terrestre : “Cette sagesse (celle qui vient de la jalousie, des rivalités) ne vient pas “d’en-haut“. Elle est terrestre, animale, démoniaque“ (Jac 3.15).

Nicodème comprend bien la nécessité de l’engendrement, mais comme il n’en a aucune idée, il interroge : “Comment un homme peut-il naître, étant vieux ? Peut-il entrer une seconde fois dans le sein de sa mère ?“. L’araméen qu’employait Jésus devait avoir la même ambivalence du terme grec “anôthèn“. Aussi Jésus précise le caractère spirituel de cette naissance : “En vérité, en vérité, je te le dis, nul, s’il naît de l’eau et de l’esprit ne peut entrer dans le Royaume des cieux. Ce qui est né de la chair est chair, ce qui est né de l’esprit est esprit…“. La première naissance est physiologique ; la seconde toute spirituelle. Le “Pneuma“ (Esprit), c’est Dieu lui-même agissant, se communiquant. Il est l’auteur de la vie divine dans le croyant, comme il fut l’auteur de la première création (Gen 1.2). Mais, son action étant invisible, le Seigneur fait appel à la foi (“En vérité, en vérité, je te le dis…“, répété deux fois) ; et il propose l’analogie du vent : indiscernable lui-même, ses effets sont évidents…

On ne peut dire avec plus de force que les chrétiens sont des enfants de Dieu et, qu’outre la nature humaine qu’ils possèdent par le fruit d’une génération charnelle, ils possèdent la nature divine par le fruit d’une génération divine, dont le principe est le “semen Dei in eis“, “la semence de Dieu en eux“ dont parlera St Jean (I Jn 3.9 : “Quiconque est né de Dieu ne commet plus de péché parce que sa semence demeure en lui“).

Voilà qui apporte une lumière décisive sur la paternité divine à l’égard des croyants. Dire que Dieu est père, c’est dire qu’il possède la vie en lui-même et qu’il la communique : Jésus disait : “De même que le Père a la vie en lui, ainsi a-t-il donné au Fils d’avoir la vie (et d’en disposer) lui aussi“. C’est donc par le Christ que les disciples reçoivent la vie divine. Il est la vie (Jn 1.4 ; 14.6 ; 11.25-26), le prince de la vie (dira St Pierre - Act 3.15) ; il donne l’eau vive (Jn 4.10), le pain et la parole de vie (6.35, 48, 63, 68). Il ne vient au monde que pour cela (10.10. Cf. 12.50, 20.31, I Jn 5.11-12) - Oui, Dieu seul possède la vie ; il la communique par voie de génération. Aussi sera-t-il désigné aussi bien
- comme le “Dieu vivant“ (Mth 16.16 ; Act 14.15 ; I Thess 1.9 ; Heb 3.12, 9.14, 10.31, 12.22 ; Mc 12.27 : “Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants“)…
- que comme “Celui qui engendre“ : “Quiconque croit que Jésus est le Christ est né de Dieu ; et quiconque aime Dieu qui engendre aime aussi celui qui est né de Dieu“ (I Jn 5.1).
Il avait déjà un Fils qu’il ne cesse d’engendrer, en lui transmettant tout ce qu’il est et tout ce qu’il a (Cf Jn 16.15). A telle enseigne qu’ils ne sont qu’un (Jn 10.30 ; 17.21-22), et que le Fils s’appelle “l’Engendré“ par excellence (I Jn 5.18). On doit donc comprendre l’engendrement “d’en-haut“, par Dieu comme aussi réel que toute naissance. C’est bien ce que comprenait Nicodème, supposant qu’il fallait naître “une seconde fois“.

Et plus précisément, il s’agit
- moins de naître - pas plus que le Fils de Dieu ne saurait quitter le sein du Père (“le Fils de Dieu est dans le sein du Père…“ - Jn 1.18)
- que d’être continuellement engendré. D’ailleurs, le verbe “engendrer“ employé par St Jean l’est très souvent avec la préposition “ek“ qui exprime une relation d’origine (premier sens de l’adverbe “anôthèn“) : le chrétien ne cesse de dépendre de son Père, dès le commencement, depuis toujours dans la pensée éternelle de Dieu. Il est en permanence comme porté et alimenté par Dieu, ne recevant sa subsistance que de lui. Voilà pourquoi St Jean définit l’être chrétien comme l’“être de Dieu“ (Jn 8.47 ; 1 Jn 3.10 ; 4.2-3) ou l’“être du Père“ (I Jn 2.16). St Paul parlera lui de l’“être dans le Christ“. C’est peut-être ce que St Pierre entendait en désignant les baptisés comme des enfants nouvellement nés, toujours nourris et vivifiés par Celui qui les a engendrés (I Pet 2.2). En tous cas, “celui qui est engendré par Dieu“ est pour St Jean le nom propre du chrétien (Jn 3.8 ; I Jn 2.29 ; 4.7 ; 5.1,4), un nom qui exprime son être profond. C’est également parce que l’enfant de Dieu participe à la nature de son Père que le même apôtre le désigne par “teknos“ (enfant engendré), de préférence à “uois“ (fils… qui peut être un fils adopté).

La structure des baptisés, si l’on peut dire, est identique à celle du Fils incarné, le Christ, que St Paul osait appeler leur Frère et Premier-né (Rm 8.29 : “ceux que d’avance Dieu a connus, il les a aussi prédestinés à être conformes à l’image de son Fils, afin que celui-ci soit le Premier-né d’une multitude de frères“)“Tel est celui-là, tels aussi nous sommes“ (I Jn 4.7). Le Christ est Dieu et homme ! Le chrétien - autre christ – possède, lui aussi, la nature humaine et la nature divine. Sans doute, dans le Christ, les deux natures sont substantiellement, “hypostatiquement“ unies, alors que le chrétien peut perdre cette “theiotès“, cette divinité qu’il porte au plus profond de lui-même. Mais quoi qu’il en soit de la fragilité de cette éminente noblesse ­- “ce trésor, nous le portons en des vases d'argile“ (II Co 4.7) -, le chrétien est bien, comme le Christ, un fils de Dieu. “Celui-là“ l’est par nature, celui-ci l’est par engendrement spirituel ausssi réel qu’une naissance charnelle. Aussi peut-il, à son niveau, s’appliquer la parole du Ps 82.6 : “Vous êtes des dieux !“ (phrase par laquelle Dieu avait désigné les magistrats d’Israël comme ses représentants).

Aussi, les chrétiens doivent se manifester dans le monde comme les enfants de Dieu (I Jn 3.10 ; 5.2) : par leur foi, leur charité, leur justice, leur force victorieuse, ils doivent pourvoir être identifiés comme engendrés par le Père. Telle doit être la morale essentielle du chrétien ! Une morale filiale : “Cherchez à imiter Dieu comme des enfants aimés…, à l’exemple du Christ“ (Ephs. 5.1).

St Paul, lui, sera très net : écrivant aux Galates en 57, il énonce clairement le but de la mission du Christ, de son incarnation à la Rédemption : conférer aux hommes la dignité de “fils de Dieu“ : “Quand vint la plénitude des temps, Dieu envoya son Fils… afin que nous recevions l’adoption filiale. Puis donc que vous êtes fils, Dieu a envoyé dans vos cœurs l’Esprit de son Fils, lequel crie : « Abba, Père ! ». De sorte, tu n’es plus esclave désormais, mais fils ; et si tu es fils, tu es aussi héritier“ (4.5-7). Cette affirmation sera mieux mise en lumière encore quelques mois plus tard en sa lettre aux Romains : “Tous ceux qui sont mus par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu… L’Esprit lui-même témoigne à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Or si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers, héritiers de Dieu, cohéritiers du Christ“ (8.14-17). Si la Présence de l’Esprit est essentielle et concomitante à la constitution de l’“être chrétien“, elle ne le crée point. L’élément formel de l’“engendrement“ est la participation à la qualité de Fils que le Christ possède d’une manière transcendante. Le don de l’Esprit s’ensuit, mais en demeure logiquement distinct.
Selon ces deux textes, les chrétiens ont un double privilège : d’une part, ils ont le droit et la hardiesse (parrhésie) d’appeler Dieu : “Abba“, comme tout fils s’adressant à son père ; d’autre part, ils sont les héritiers directs des biens de leur père, comme tous les enfants d’une même famille. - Même si le nouvel “engendré“ n’a pas, dès le début, la pleine jouissance de ce à quoi il a droit, l’usage de tous ses privilèges, il attend en toute confiance (Rom 8.19 : “La création attend la révélation des fils de Dieu“). C’est certain : la filiation divine n’est pas pour St Paul une dénomination plus ou moins extrinsèque, mais bien un don divin, une qualité reçue au plus intime de l’être (dans le cœur - Gal 4.5), dans le “pneuma“ - Rm 8.15). Aussi tout chrétien doit agir comme tel, criant à Dieu son amour, sa confiance, étant en quelque sorte à niveau et avec le Fils Unique qui lui donne de partager son âme filiale, et avec l’Esprit-Saint qui stimule sa prière.

C’est merveille de voir comment chaque apôtre cherche à formuler avec plus ou moins de précision et d’expressivité cette doctrine fondamentale de la morale proprement chrétienne : une morale filiale ! Ce qui prouve que l’enseignement vient du Seigneur lui-même, et que ses disciples en ont saisi l’importance. - Le premier à exprimer l’œuvre d’engendrement de Dieu est St Jacques, selon lequel : le Père des lumières, “de sa propre volonté, nous a enfantés par une parole de vérité, afin que nous soyons pour ainsi dire les prémices de ses créatures“ (Jac 1.18). [Moïse avait reproché à Israël : « Tu dédaignes le Rocher qui t’a engendré et tu oublies le Dieu qui t’a mis au monde » (Deut 32.18 ; Cf. Is. 66.7-11). Ce qui était à entendre au sens collectif, alors que chaque chrétien est enfanté par Dieu !].
“De sa propre volonté, Dieu nous a enfantés par une "parole de vérité…“. Il y a là une référence certaine à la parabole du Semeur rapportée par les trois Synoptiques : “La Semence est la Parole de Dieu“ (Lc 8.11). Tel un terrain qui reçoit la bonne graine (Heb. 6.7), l’âme de bonne volonté est imprégnée de la vertu divine, grâce à laquelle elle est transformée… Si donc le chrétien est né de Dieu, est son enfant, il doit ressembler à son Père des cieux (“Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait“ – Mth 5.48). Sa condition d’enfant va précisément consister à avoir en partage la même nature que lui. Ici, on rencontre le mot de St Pierre : “participants de la nature divine“ (2. Pet 1.4). C’est plus qu’une analogie ; c’est une élévation, une transformation de la nature humaine : la possession de ce qui est caractéristique de l’être divin. Aussi, le chrétien entre dans un monde supérieur (sur-naturel), au-dessus de sa nature originelle, le monde de Dieu ! [St Thomas d’Aquin définira : “La grâce est une certaine similitude de la divinité participée par l’homme“ (IIIa 2.10 ad 1). Et il expliquera : “Dieu seul peut déifier (deificet) des êtres en leur communiquant par une participation de similitude quelque chose de sa nature divine ; de même que seul le feu peut mettre un corps en état de combustion…" Ia IIae 112.1]

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