lundi 9 mai 2011

Intrépide Etienne !

Pâques 3 Lundi - Actes 6.8sv

La lecture de Samedi faisait pressentir des divergences, voire des dissensions, dans la jeune Communauté chrétienne de Jérusalem. Ce n’était pas encore la division profonde qui se manifestera entre les chrétiens d’origine juive et ceux d’origine païenne, division qui provoqua ce que l’on a appelé le “Concile de Jérusalem“. - Il s’agissait plutôt d’une forte différence de culture entre Juifs convertis : ceux de langue grecque s’inspirant du courant intellectuel d’Alexandrie et ceux de langue hébraïque, plus fidèle à la tradition de Jérusalem.

Un des grands acteurs de cette divergence de pensée est le diacre Etienne qui exprime une théologie d’avant-garde ! Il avait été dit qu’à la mort du Christ, “le voile du temple se déchira“ (Mth 27.51). C’était déjà signifier que le temple de Jérusalem n’a plus sa raison d’être ! Certains le pensent fort ; et Etienne le dit ouvertement : “cet individu, accuse-t-on, ne cesse de tenir des propos contre ce saint Lieu. Nous l’avons entendu dire que Jésus, ce Nazôréen, détruira ce Lieu-ci…“

C’est l’attaque la plus violente contre le temple ! A la mort de Jésus, la victime a été offerte une fois pour toutes et pour tous ! Les sacrifices du temple sont désormais caducs ! Le temple devient inutile ! Voilà ce que dit Etienne, selon les témoins. On dit que ce sont de faux témoins. Mais ce qui est frappant, c’est de voir que dans son plaidoyer, Etienne lui-même développera lui-même ce thème : “Le Très-Haut, dira-t-il en s’appuyant sur le prophète Isaïe, n’habite pas dans des demeures faites de main d’homme…“ (Act 7.48). Autrement dit, les “faux témoins“ avaient sûrement durci l’accusation sans, cependant, déformer fonda-mentalement sa pensée : Le temple de Jérusalem n’a plus de valeur !

Sous la pensée d’Etienne, on retrouve cette vieille tradition aux multiples facettes qui revient, s’accentue et s’approfondit :
- L’homme ne peut pas “loger” Dieu ! Les prophètes l’avaient déjà affirmé face aux dérives de l’institution du temple !
- Cependant, Dieu peut très bien chercher un “lieu pour y faire habiter son Nom”. Les prophètes eux-mêmes le reconnaissaient, tout en refusant certaines dérives de cette localisation du Nom de Dieu (bénéfices commerciaux, considération exagérée d’une caste … etc…).
- Par contre, que Dieu, de sa propre initiative, vienne “habiter”, “voisiner” avec les hommes, c’était une perspective un peu nouvelle !

Certes, dans le désert, il y avait la “Demeure”, la “shékhinah”. La racine de ce mot signifiant “le voisin”, c’était déjà reconnaître le “divin voisinage” : Dieu qui se faisait mitoyen de l’homme en établissant sa “Demeure” au milieu de son peuple ! C’était la Gloire divine “domestiquée” en quelque sorte ; mais une Gloire “domestiquée” non par l’homme, comme s’il pouvait être le “dompteur” de la Gloire divine. Cette “inversion sacrilège” serait la pire de toutes ! Mais que la Gloire divine elle-même accepte de s’approcher de l’homme, de voisiner avec l’homme, cette pensée devenait concevable, évidente de plus en plus. C’était d’ailleurs l’affirmation du livre des Proverbes qui fait dire à la “Parole de Dieu”, à la “Sagesse de Dieu” : “J’ai trouvé mes délices à être avec les enfants des hommes !” (Pr. 8.31).

Ce thème-là était pré-chrétien, en ce sens qu’il était déjà profondément inscrit dans la foi juive et dans l’Ecriture ! Il sous-tend déjà telle affirmation de St Jean : “Et le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous, et nous avons contemplé sa gloire, gloire qu'il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité“ (Jn 1:14). "Il a demeuré parmi nous" ! Dans le verbe grec, on peut deviner le terme hébreu : il a établi sa "shekhinah" parmi nous.

“Le Très-Haut n’habite pas des demeures faites de mains d’homme”, disait Etienne ! C’était, probablement, un fougueux, cet Etienne ! Avec plus d’habileté, il aurait pu faire comprendre que le temple était au fond un archétype, un pressentiment du dessein de Dieu de venir habiter parmi les hommes, que les sacrifices offerts n’étaient que des signes annonciateurs du sacrifice pascal du Christ.

Certes, il n’aurait sans doute pas eu plus de succès ! Car ces présages, ces pressentiments avaient été institutionnalisés ! Or l’institutionnalisation de la “Demeure de Dieu” n’est pas encore la “Demeure authentique” dont Dieu a l’initiative. Le drame du peuple élu fut peut-être de transformer les promesses en institutions. Ce fut le danger dans l’A. T. ; tous les prophètes en sont les témoins !
Mais le savons-nous suffisamment ? Ce danger est toujours actuel. Certes, pour nous, chrétiens, il ne s’agit plus de promesses, mais de germes du grand dessein d’Amour de Dieu pour l’homme. Ces germes du “salut éternel” pour l’homme nous sont bien donnés ! En Jésus Christ mort et ressuscité ! Mais le danger, c’est de transformer ces germes en musées de semences. Or, les germes ne sont pas faits pour être mis dans un musée ; les semences ne sont pas faites pour être présentées sous verre. Et affirmer cela risque parfois, plus ou moins, de conduire au même destin que celui d’Etienne !

C’est St Paul qui reprendra magnifiquement la pensée du protomartyre. Il affirmera d’abord que la nouvelle “Demeure de Dieu“ parmi les hommes reste à édifier, à construire encore ! Au début, il n’est question encore que d’une pierre, que de la première pierre de cette “Demeure de Dieu”… - “la pierre rejetée par les bâtisseurs” (Ps 118.22. Cf. Math 21.42). C’est le Christ, bien sûr, cette pierre de fondation.
Mais l’apôtre devient prophète : “C’est en lui que toute construction s’ajuste et s’élève pour former un temple saint dans le Seigneur. C’est en lui que, vous aussi, vous êtes ensemble intégrés à la construction pour devenir une “Demeure de Dieu“ par l’Esprit“ (Eph. 2.21-22).

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