mardi 17 mai 2011

Le "Chrèstien" - Epikie

Pâques 4 Mardi (Ac. 11, 19-26)

Luc nous a décrit ce qu’on a appelé la “Pentecôte des païens“ : l’arrivée de Pierre à Césarée Maritime, sa prédication dans la maison du centurion Corneille et cette descente soudaine de l’Esprit Saint sur ceux qui écoutaient sa parole. Plus tard, on conclura à Jérusalem : "Ainsi donc aux païens aussi Dieu a donné la repentance qui conduit à la vie !" (Ac 11.18)

L’Eglise ne sort pas encore du judaïsme, mais d’une conception que l’on se faisait, à l’époque, de l’élection. Il n’y a pas de rupture dans la continuité du peuple de Dieu, mais élargissement, épanouissement de l’élection. A Jérusalem, lors de la Pentecôte, il n’y avait que des juifs, des prosélytes et des “craignants Dieu“. Ensuite, à Césarée, l’Esprit Saint tombe sur les païens. L’étape est importante. Et St Luc veut montrer que Pierre a joué le rôle principal dans le franchissement de cette étape, avant de concentrer son attention sur celui qui sera l’“Apôtre des gentils“…

C’est encore une nouvelle et décisive étape. Et Luc note que c’est à Antioche qu’apparaît pour la première fois le nom de “chrétien“. Comme pour constater une nette distinction entre judaïsme et christianisme.

Le nom de “chrétien“ !
Il est à noter que si les manuscrits ont souvent hésité entre les prononciations “christianoi“ (ceux du Christ) et “chrestianoi“ (ceux qui sont bons), il est certain qu’un jeu de mots intentionnel était courant dans la primitive Eglise. “Ceux qui ont cru au Christ (“eis ton Christon“), dira Clément d’Alexandrie, sont bons (“chrèstoi“)“.


Le mot “chrèstos“ désigne la bonne qualité des choses, saines, agréables au goût [“Quiconque boit du vin vieux n’en désire pas du nouveau, car il dit : « le vieux est bon - chrèstoi“ »“ (Lc 5.39) ].
Chez les humains, il exprime l’excellence, la bonne qualité morale, l’honnêteté, la droiture, l’homme de bien [le “halosagathos“ - le “gentleman“, l’“honnête homme“]. “Chrèstos“ est apparemment l’épithète honorifique le plus commun à l’époque hellénistique.


Pour St Paul, cette “chrèstotès“ ou “bénignité“ est un attribut de l’“agapè“, de cet amour qui vient de Dieu et qui fait le chrétien. “L’amour, dira-t-il, prend patience, l’amour est serviable“ = bon - “chrèsteuetai“ - (I Co 13.4) [Cf. aussi Rm. 2.4 ; 2 Co 6.6 ; Gal 5.22]. - Dire que le “charitable“, - celui qui a reçu l’amour de Dieu“ - est “chrèstos“, c’est signifier d’abord - selon la langue contemporaine - qu’il est un homme d’honneur et qu’il a bon cœur. Les septantes traduisent ce mot par bénignité, douceur, suavité… Dans Col. 3.12, St Paul insère cette bénignité entre sentiment de compassion (“entrailles de miséricorde“) et humilité. Et cette bénignité, cette bienveillance foncière doit se traduire visiblement en affabilité, aménité, on pourrait dire en gentillesse.


De même que tout chrétien expérimente la délicieuse bonté de Dieu (Cf I Pet. 2.3), lui-même doit rayonner la suavité, la bénignité de l’amour divin. St Thomas d’Aquin (commentant 2 Co. 6.6) dira : “Il n’est pas convenable que quelqu’un ne soit pas doux (de cette douceur venant de Dieu) envers ceux qu’il aime…“. C’est ainsi que l’invisible amour de Dieu doit se refléter sur le visage de ses enfants. D’ailleurs, l’incarnation du Fils de Dieu ne fut-elle pas, selon Paul, une épiphanie de la bonté (“chrèstotès“) de Dieu (Tite 3.4).


Et cette bonté est éminemment libérale et généreuse. Le chrétien (le “chrèstos“) est non seulement serviable, obligeant, mais donnant ; et c’est pourquoi la “bonté chrétienne“ (“chrèstotès“) est une vertu de roi, de riche, un attribut divin : “Considère la bonté de Dieu, pourvu que tu demeures en cette bonté…“ (Rm 11.22 – Cf. Rm 2.4)…, car “par sa bonté pour nous en Jésus Christ, Dieu a voulu montrer l’incomparable richesse de sa grâce…“ (Eph. 2.7). Ainsi Le chrétien (bon) doit être comme la providence de son prochain ; il dépense et se dépense pour l’aider : “Pour moi, dira Paul aux Corinthiens, je dépenserai et me dépenserai tout entier pour vous“ (2 Co. 12.15).

On a dit que tous ces aspects du tempérament chrétien modelé par l’agapè divin, peuvent être résumés dans le terme d’“épikie“ (terme qui était encore naguère dans notre langage juridique), terme intraduisible qui exprime l’honorabilité et la droiture, la santé morale et l’équilibre du jugement que l’on reconnaît surtout au sens de la mesure, au respect des convenances, à la gentillesse. L’“épikie“ est une vertu des supérieurs et des princes. Elle désigne
tantôt leur courtoisie, [“Pour ne pas d’importuner, dit Tertullus, l’accusateur de Paul devant le gouverneur Félix, l’exposé sera bref auquel je te prie d’accorder ton attention bienveillante - “epieikeia“ - (Ac. 24.4)],
tantôt leur bienveillance et leur clémence [“Mais toi, Seigneur, dominant ta force, tu juges avec modération - “epieikeia“ - (Sag 12.18)],
tantôt cette débonnaireté qui modère la sévérité du courroux, ou cette équité qui corrige ce que la stricte application de la loi écrite pourrait avoir d’odieux et d’injuste.
En Dieu elle est synonyme de miséricorde [“Tu as agi envers nous, Seigneur, selon toute ton indulgence - “epieikeian“ et ton immense tendresse“ (Bar. 2.27)].

Les chrétiens (“Christoi“ ou “Chrèstoi“) ont donc à pardonner, à réprimer toute brutalité, à faire preuve de bienveillance, de modération : “La sagesse d'en haut, dit St Jacques, est tout d'abord pure, puis pacifique, indulgente, bienveillante, pleine de pitié, sans partialité, sans hypocrisie“. (Jc 3.16-17). C’est cette bonne grâce, cette gentillesse, cet esprit de bienveillance entre tous les membres de l’Eglise qui suscitent l’admiration universelle : “Que votre modération - “epieikès“ - soit connue de tous les hommes. Le Seigneur est proche“ (Phil. 4.5).

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