dimanche 8 mai 2011

"Ils le reconnurent... !"

3e Dim. De Pâques 11.A

“Tu es bien le seul à ignorer les événements de ces jours-ci”, disent, tout étonnés, les disciples d'Emmaüs à l'inconnu qui vient de les rejoindre. Eux, ils n'ignorent pas ces événements. Ils savent ! Mais ont-ils compris ? Savoir n’est pas toujours comprendre !
Aussi, ces deux hommes sont désespérés. Car ils n’ont pas compris ! Ils ne savent qu’une chose : une fois de plus, sur notre terre, le bien a été vaincu par le mal. Ce prophète qui avait éveillé en eux le meilleur de chacun, ce compagnon des dernières années en qui ils avaient cru reconnaître l’Envoyé de Dieu, ce Jésus a échoué lamentablement. La logique implacable du mal avait fait son œuvre, comme aujourd'hui encore, dans tous ces attentats meurtriers, ces guerres civiles, ces génocides. Que leur reste-t-il sinon de retourner à leur existence monotone, sans avenir, sans vraie joie, sans printemps?

Et nous, deux mille ans après, avons-nous compris ?
Pour percevoir le sens du Vendredi saint, pour comprendre la lumière qui rayonne de la croix ténébreuse du Golgotha, il faut nous souvenir ! Pour bien comprendre, il faut “faire mémoire“, nous aussi, du Jeudi saint, comme les disciples déjà réchauffés par la parole de l'inconnu, le feront dans l'auberge d'Emmaüs : la veille de mourir, Jésus prit du pain, le rompit, le donna à ses disciples... A ce moment-là, ils comprirent et le reconnurent… Et nous-mêmes comprenons-nous vraiment ce geste que nous refaisons chaque dimanche, voire chaque jour ?

Le pain rompu au Cénacle la veille de sa mort est bien plus qu'un souvenir laissé par Jésus. Il est la clé de tout. En rompant le pain, Jésus manifeste qu'il sait d’où il vient et où il va. Il vient de Dieu-Père, son Père et notre Père, de Dieu-Amour. Aussi prend-t-il sa vie en main et part à la rencontre de ce mal qui, au jardin des Oliviers, va le terrasser d'angoisse. D’un amour divin, il aimera jusque-là, en rejoignant l'homme au plus profond de l'absurde. Il ne fuira pas, mais continuera à aimer quand le mal s'acharnera. Il ira au devant de la mort, offrant sa vie avant même qu'on ne la lui prenne. “Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime” : le Jeudi saint, Jésus s'engage à la donner. Quand, le vendredi, les soldats mettent Jésus en croix, il n'y a plus rien à prendre : sa vie est déjà donnée. Par cet acte de liberté totale, il a donné sens à ce qui semblait absurde.

Oui, le Jeudi saint permet de comprendre le Vendredi saint. Si Jésus est là, sur la croix, ce n'est pas tant une bavure policière, un échec de plus dans la sombre actualité quotidienne, c'est bien davantage ! C’est déjà, une victoire : celle de l'amour. Les artistes de tous les temps l'ont bien compris, eux qui ont su faire d'un instrument de supplice atroce une œuvre d'art. Ils ont vu la beauté au cœur même de la souffrance, la lumière dans les ténèbres. Ils ont deviné dans le gibet de la croix le trône de l'amour.

Les apparitions, celle d'Emmaüs et les autres, permettent de comprendre pourquoi le tombeau était vide. Les disciples perçoivent alors que l'amitié commencée avec Jésus se poursuit : “L’amour ne passera pas”, dira St Paul. Il n'est plus de ce monde, mais il est toujours avec eux, avec nous. “Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin des temps”. Et c’est en voyant Jésus prendre à nouveau le pain et le rompre - signe de sa présence, signe de son amour - qu'ils comprennent : la vie “se boucle” non dans la mort, mais dans un ailleurs, dans un au-delà de la mort, en Dieu. La mort n'a pu garder sa proie, l'amour est plus fort que le mal. S'ils veulent participer à cette victoire, il leur suffit de faire de même, en mémoire de lui : prendre leur vie en main et la donner. Et dire eux aussi : “Prenez, ceci est mon corps, ma vie… livrée par amour”.

Un jour, Raoul Follereau, l'apôtre des lépreux, visitait une léproserie : des malades abandonnés à eux-mêmes, seuls, sans espoir et sans but. Il remarqua cependant l'un d'eux qui avait l'air vivant et heureux. Il chercha à découvrir le secret de son sourire. C’est alors qu’il vit un petit visage de femme, gros comme le poing, apparaître par-dessus le mur de la léproserie. “C'est ma femme, déclara le lépreux. Elle n'a pu me soigner au village, mais elle ne m'a pas abandonné pour autant. Chaque jour, elle vient me voir. Par elle, je sais que je suis vivant !”.

Jésus est apparu par-dessus le mur de la mort. Il apparaît chaque jour : “Ceci est mon corps. Prenez. Je suis avec vous… pour vous donner ma vie…”. Grâce à lui, les disciples savent qu'ils sont vivants. Ils peuvent continuer à vivre dans cette “vallée de larmes”, dans ce camp retranché de la mort. Ils ne sont plus seuls. Déjà, le Vivant les anime de sa vie.

Dans l'auberge d'Emmaüs, la vie des deux disciples a basculé. Il fallait tout reprendre à neuf. Et cette relation avec Jésus, le Vivant, va leur donner toutes les audaces. Avec lui, ils suivront le même chemin, celui qui traverse la mort pour rencontrer la Vie. Ils mettront leurs pas dans les pas de celui qui a fait une brèche dans le mur de la mort. Jésus est comme ce personnage de la Divine Comédie de Dante qui affronte les ténèbres. Il tient une lampe à la main, mais dans son dos pour éclairer ceux qui le suivent

Et, bien plus, les disciples d'Emmaüs n'ont pu garder cette “Bonne Nouvelle“ rien que pour eux. Il fallait que, sans tarder, ils aillent la dire aux frères de Jérusalem. Ainsi est née l'Église. L’Eglise n'est pas une institution de plus - même si c’est son danger de tous les temps -, mais une amitié qui se poursuit avec Jésus et qui unit les compagnons dans une même joie, celle de la Résurrection. Ceux que la tourmente du Golgotha avait dispersés sont à nouveau réunis et il est présent au milieu d'eux.

En ce début du 21ème siècle, notre Église passe par des moments difficiles, d’incertitude. Avec le Bx Jean-Paul II, avec notre pape, si humble, Benoît XVI, depuis plus de 25 ans, elle cherche un nouveau souffle, à la suite du Concile Vatican II. Rendons grâce à Dieu de ces grands témoins qui, comme les disciples d’Emmaüs, annoncent le Ressuscité en le reconnaissant sans cesse à la fraction du pain. Car il y a toujours urgence : sans cesse, il faut “rebâtir l'Église”, comme disait Jésus à François d’Assise. Les apôtres et leurs successeurs ont bâti cette Église tellement ils ont été bouleversés par la nouvelle de Pâques. Il nous faut poursuivre cette œuvre, retourner à Jérusalem pour y retrouver nos frères en partageant avec eux le pain du Christ. Notre première tâche de croyant est de “faire Eglise”, pour être signe qu'un monde fraternel a commencé sur les dépouilles de la mort. “L'empire romain ne se serait pas converti, a-t-on écrit, si les premiers chrétiens ne s'étaient pas tant aimés et réunis”. Certes, l'Église restera toujours ce vase fragile, dont nous nous plaignons parfois, que nous critiquons, mais qui cependant est porteur, comme les cruches de Gédéon (Jg 7.16sv) d'une lumière de victoire, capable de rendre l'espérance à tous les hommes. Qu'attend en effet notre humanité sinon d'être débarrassée du mal et de la mort ? En Jésus Christ, c'est déjà chose faite. A nous de lui laisser remporter cette victoire dans nos existences.

Pour la première fois dans l'histoire des hommes, un cimetière a commencé à se vider, la mort a dû lâcher sa proie, une tombe a été ouverte par la Vie. Alléluia !, chantons-nous. Le Christ est vivant et il fait de nous des ressuscités. Que toute vie chrétienne soit parabole du Royaume de Vie, du Royaume de Dieu, témoin de cette victoire inouïe de la Vie. Amen ! Alléluia !

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