vendredi 1 novembre 2013

Toussaint !


 "Saint, saint, saint est le Seigneur!", crient les Séraphins qui, dans la vision d'Isaie, officient la liturgie céleste (Is 6.2).
"Il est saint, le Seigneur notre Dieu" (Ps 99), leur répondent, ici-bas, les chœurs des psalmistes d'Israël.

Ainsi, du ciel à la terre, de la terre au ciel, s'élance une même conviction : la sainteté appartient à Dieu ; elle est son essence même, ce qui fait de lui le "Tout‑Autre", et le sépare radicalement de tout le créé.

Pourtant, ajoute aussitôt la Bible, "sa gloire emplit toute la terre"...
Comme un feu dévorant, la Sainteté de Dieu n'a de cesse de tout pénétrer, tout transformer, tout sanctifier ; et elle mène un siège jaloux, le siège du cœur de l'homme, avec l'ambition avouée d'en faire son "Saint des saints", autrement dit sa demeure !

La Genèse, déjà, annonçait clairement cette intention : "Homme et femme, à son image, il les créa" (Gen 1/27). Et la Loi, par Moïse, précisera : "Soyez saints parce que moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint !" (Lev 19/2). Cette demande fera prendre à l'homme un chemin de droiture, de respect de l'autre, ce qui constitue déjà un étonnant affinement de no­tre rusticité naturelle.
Et partant, dans la Bible, la sain­teté n'est jamais un exploit extraordinaire. Elle est surtout une réponse à l'Alliance offerte par Dieu, la réponse naturelle que l'homme offre au don du Dieu trois fois saint !
Ainsi les psau­mes 111ème et 112ème, par exemple, mettront‑ils en exact parallèle les œuvres de Dieu et celles du "Juste", du "Fidèle de Dieu" ! En cette Alliance du Dieu Saint avec l'homme qu'il rend "juste", saint !

Serait-ce un programme moral ? Non, mais bien davantage ! C'est un appel à la liberté d'être homme, simplement et pleinement homme, d'être cet homme créé "à l'image de Dieu" ! - "Tu as ap­pris à ton peuple que le juste doit être humain" (Sag 12/19). Et, au prophète Michée qui interroge sur ce qu'il convient d'accomplir pour plaire à Dieu, il est répondu : "... Rien d'autre que d'agir avec justice, aimer dans la fidélité et marcher humblement avec ton Dieu !" (Mic 6/8).

"Marche en ma présence", avait dit Dieu à Abraham (Gn 17/1). Depuis ce patriarche plein de foi, combien d'amis de Dieu ont‑ils en­tendu l'invitation ?
"Foule im­mense, impossible à dénombrer" (Ap 7/9), "grande nuée de témoins" (Heb 12/1). Tous, les uns et les autres, les uns avec les autres font route vers la "Cité harmonieuse" où ils sont attendus, la Jérusalem nouvelle, ville de paix, dont "Dieu seul est l'architecte et le Constructeur" (Heb 11.10) !

Ainsi, la sain­teté est une pérégrination, ("marche avec ton Dieu"), une aventure, l'aventure de tout un peuple, ("Foule immense"), ce qui n'empêche personne de marcher souvent en des chemins divers..., variés : "Si la justice (la sainteté) est toujours au singulier, ses sen­tiers, eux, sont au pluriel !", no­tait saint Bernard.

A la tête de cette foule immense, il y a Jésus : "le saint, le juste" (Act 3/14), "le premier‑né d'une multitude de frères" (Rm 8/29). C'est en lui que tous sont "appelés, justifiés, glorifiés..."

Tous ? Oui ! Tous ! Tous les hommes sont appelés ! "Tous les hommes de toutes les familles, disait Péguy, s'ils le veuillent bien !
tous les hommes de toutes les terres, des terres qui nous sont lointaines et des terres qui nous sont proches,
tous les hommes de tous les métiers, des métiers manuels et des métiers intellectuels,
tous les hommes  de tous les pays,  des pays pau­vres  et des pays riches, des pays déserts et des pays peuplés,
tous les hommes de toutes les races, de tous les langages, de tous les sentiments,
tous les hommes de toutes les cultures, de toutes les vies intérieures,
tous les hom­mes de toutes les croyances, de toutes les philosophies...".
(Péguy : "De la Cité harmonieuse").

Oui, Jésus n'a pas adressé son message à une élite. C'est même sa volonté affirmée de donner Dieu, le trois fois "Saint" à tous les hommes qui lui a valu l’hostilité des "purs" de son temps.
Il s'est mêlé à tout le peuple, sans distinguer, il a appelé des hommes simples à le suivre, il a clamé la "Bonne Nou­velle" d'un Dieu
qui aime plus tendrement qu'une mère,
qui pardonne à en décourager les calculateurs,
qui se lance dans le désert à la recherche d'une brebis entêtée à s'égarer,
qui refuse "qu'un seul des plus petits se perde" (Mth 18/5).

La Toussaint est la fête de cet amour-là, de cet Amour Saint, la fête de tous ceux qui, en leur existence, ont essayé de l'incarner, de le déployer. Mille facettes du visage du Dieu trois fois Saint, dont chacun focalise la lumière..., à sa manière ! 

Voyez ! Sous nos yeux, sur nos chemins et dans nos mai­sons, à travers le combat de la vie ou de la maladie, la lutte pour le droit au travail, à la dignité, à l'amour…, beaucoup ont connu et connaissent la faim, les larmes, les épreuves qu'annonçaient les Béatitudes que l'on proclame aujourd'hui. Car "les saints ne se résignent pas...!", écrivait Bernanos. Pour cela précisément, parce que leur amour, leur soif, leur espérance ont forcé un seuil, ils sont devenus ces "éternels vivants" qui, selon le mot de St Irénée, "rendent à Dieu sa gloire, laissent transparaître son unique sainteté".

Ils nous font apparaître le vrai visage de Jésus ressuscité et toujours vivant. Car son "vrai visage", Jésus l'a désormais dispersé, depuis sa résurrection, sur les pauvres, les artisans de paix, les persécutés pour la justice, les obstinés de l'amour.
Ne le voyez-vous pas ce visage à travers toute la mosaïque de ceux qui libèrent, nourrissent, cherchent... avec autant d'humilité que de persévérance. Car l'humilité est la caractéristique de la "sainteté" de Dieu qui ne peut être que reçue !  
Visage de Dieu, visages des hommes qui, tout à la fois, accueillent humblement et donnent généreusement... De sorte qu'en contemplant cette mosaïque de tous les visages humains, nous pouvons affirmer comme Thérèse d'Avila : "Seigneur, ton visage est ma patrie !". Tous ceux-là qui s'efforcent de vivre de l'amour du Dieu trois fois saint forment ma famille !

Et dans la lumière de cette fête, tous les visages que nous avons connus et qui nous semblent comme voilés désormais nous redisent, du haut du ciel, que, du temps à l'éternité, il n'est pas de rupture, et que nous plantons en terre quotidienne les racines du bonheur à venir ; car toute parcelle d'amour en nos vies vient de Dieu, et seul l'amour nous permettra de le reconnaître, au jour où, "le voyant tel qu'il est, nous lui serons semblables" (I Jn 3/2), tous saints !

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