T.O.
31 Jeudi (Rm. 14.7-12)
Dans une lecture liturgique d'un texte
biblique, il est normal de choisir certains passages et d'en omettre d'autres.
A chacun de faire une lecture continue s'il le désire !
Pourtant il serait fort intéressant, pour
comprendre notre lecture d'aujourd'hui, de l'introduire par ce qui précède.
On le sait : dans cette partie de sa lettre
aux Romain, St Paul traite du sujet moral le plus important, celui de la
charité au sein d'une Communauté. Et l'apôtre aborde - avec un brin d'humour,
me semble-t-il - quelques pratiques particulières des uns ou des autres
qui pourraient susciter, de nos jours encore, plaisanteries faciles ou même
sarcasmes moqueurs.
A Rome comme ailleurs (comme ici sans
doute), beaucoup de convertis à la foi chrétienne ont gardé leurs habitudes de
vivre ou certaines coutumes de leurs milieux d'origine, païenne, juive ou
autre...
Ainsi donc, dit St Paul avec amusement - je
pense - : "La foi de l'un lui
permet de manger de tout tandis que l'autre ne mange que des légumes !".
Gros problème à n'en point douter ! Une question de légumes - pensez donc - peut
être cause de commentaires divers et animés ! Aussi faut-il que l'apôtre
s'empresse de régler l'affaire ! "Que
celui qui mange ne méprise donc pas celui qui ne mange pas. Et que celui qui ne
mange pas ne juge donc pas celui qui mange !". Et pourquoi donc ? Parce
que tous les deux, Dieu les a accueillis ! Gros argument pour un petit détail,
comme un gros pavé sur un vermisseau !
Et puis, ajoute l'apôtre plus sérieusement,
pour une affaire que tu penses si importante, "qui es-tu, toi, pour juger un serviteur qui ne
t'appartient pas ? Qu'il tienne bon ou qu'il tombe, cela regarde son maître
!". Or son maître, désormais, ce n'est pas toi, c'est Dieu ! Et
l'apôtre d'ajouter avec une malice pleine d'espérance : "Le Seigneur a le pouvoir de le faire tenir !".
Celui-ci comme celui-là, évidemment !
Que chacun ait quelques particularités de
vie, soit !, semble dire St Paul, pourquoi pas ? Mais n'oubliant pas sa mission
et le sens de toute vie chrétienne, il ajoute avec sérieux : "Que celui qui mange de tout, qu'il le
fasse avec action de grâce ; et que celui qui ne mange pas de tout, qu'il le
fasse avec action de grâce" également !
Question de tout temps finalement ! A
l'époque du Christ, on critiquait Jean-Baptiste pour sa manière de s'habiller
avec "un vêtement de poil de
chameau" (Mth
3.4)
et de manger des sauterelles grillées sur la pierre par le soleil du désert. Et
en même temps, on s'en prenait à Notre Seigneur qui allait "dîner en ville",
si je puis dire, se laissant facilement inviter ! "C'est un glouton !" (Id 11.19), disait-on.
De tous temps, les différences de
comportement ont parfois suscité des divisions. Un Molière les a
parfaitement stigmatisées dans "Le Tartuffe" :
Le dialogue de la dévote Mme Pernelle à sa
bru est de toujours :
"Oui,
je sors de chez vous fort mal édifiée ;
Dans
toutes mes leçons, j'y suis contrariée.
Ces
visites, ces bals, ces conversations,
Sont,
du malin esprit, toutes inventions".
Et son petit-fils de lui répondre :
"En
quoi blesse le Ciel une visite honnête,
Pour
en faire un vacarme à nous rompre la tête ?".
Mais revenons à St Paul : soudain, d'un
exemple particulier, voire amusant, l'apôtre s'élève à une vue magnifique de
toute vie véritablement chrétienne. Le chrétien, dit-il, ne doit pas chercher
sa satisfaction personnelle - c'est souvent le cas, malheureusement - ! Il doit
chercher, avant tout, à plaire au Seigneur en toutes choses - qu'il mange ou
qu'il ne mange pas ceci ou cela, qu'il s'habille de telle manière ou de telle
autre, peu importe ! -. "Aucun de
nous ne doit vivre pour soi-même et personne ne meurt pour soi-même... Dans la
vie comme dans notre mort, nous appartenons au Seigneur".
Tous, faibles ou forts, nous appartenons au
Seigneur !
Et cette appartenance est infiniment
supérieure aux particularismes qui peuvent nous distinguer les uns et les
autres !
"Nous
appartenons au Seigneur !". Encore faut-il bien mesurer ce que
l'apôtre veut nous dire.
Car le baptême ne nous a pas mis
seulement en l'appartenance du Christ, ne nous a pas donné seulement de
participer à son énergie sanctifiante. Mais il nous a incorporés en Lui, comme
les membres unis à la tête, comme les sarments attachés au cep. "Ne
savez-vous pas que vos corps sont des membres du Christ ?", demandait-il aux Corinthiens (I
Co. 6.15). Le baptisé est bien une "créature nouvelle",
parce que précisément il "existe
dans le Christ" (Cf 2 Co. 5.17 ; I Co. 1.30)
et que le Christ est en lui. "Si
le Christ est en vous, avait-il déjà dit,
bien que le corps soit mort déjà en raison du péché, l'Esprit - son Esprit
- est vie - en vous - en raison de la justice", en
raison de la justification accomplie par le Christ et reçue par la foi (Cf.
Rm. 8.10), ce qu'il a longuement expliqué.
Il s'ensuit que notre "vie
nouvelle dans le Christ" n'est pas tant de vivre pour le Christ, avec
le Christ, ni même peut-être de s'intégrer, de s'assimiler de plus en plus à
Lui (Cf. Gal 4.9), mais, - puisque le Christ vit en moi ("Ce ce n'est plus moi qui vis, mais le
Christ qui vit en moi" - Gal 2.20) - il
s'agit de laisser le Seigneur déployer de plus en plus souverainement sa vie en
nos âmes (Cf. Col 3.4).
Par conséquent, il s'agit
- de penser comme il
pensait ("Nous
l'avons, nous, la pensée du Christ" I
Co. 2.16),
- d'aimer comme il aimait ("Je vous aime tous tendrement dans
le cœur du Christ Jésus !" Phil.
1.8),
- d'agir comme il agissait
("Ayez entre vous les
mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus" Phil
2.5),
- de "marcher" à son pas ("Suivez la voie de l'amour, à l'exemple du Christ
qui vous a aimés et s'est livré pour nous" Eph. 5.2).
Ainsi donc, la vie
chrétienne, c'est le Christ continuant de vivre personnellement et moralement
dans les siens.
Quelle grandeur que notre
vocation ! Devant une telle grandeur, n'est-il pas mesquin de "juger"
son frère sur tel ou tel comportement bien secondaire ? Songez plutôt que "chacun de nous rendra compte à Dieu
pour soi-même", rendra compte d'une telle grandeur à laquelle nous
sommes appelés.
"Cessez donc de vous jugez les uns les autres", dira-t-il
aussitôt (13.1).
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