15 Novembre -
St Albert le Grand naquit en Bavière dans
le diocèse d'Augsbourg vers l'an 1200. Son père était officier de la Cour, avec
une haute charge dans l'administration. Très vite, la capacité intellectuelle
de l'enfant fut remarquée. Mais lui-même dira que son "grand livre de prédilection" fut la nature.
Son génie s'épanouit au grand air, au contact du roc et de l'eau, l'œil
toujours ouvert sur les plantes et les animaux. Certes, la création parle du
Créateur. Mais Albert écoute également la nature pour elle-même afin de
découvrir avec une curiosité insatiable tout ce qu'elle peut révéler d'utile à
l'homme. En ce sens, St Albert, amant de la nature, est un
"moderne" ! Plus encore que nos "écologistes" !
A l'âge de 16 ans environ, on l'envoie
parfaire ses études à Bologne où il fit la connaissance d'un dominicain, le Bx
Jourdain de Saxe, surnommé alors "la
sirène des écoles". Il subit sans doute son influence, restant
cependant hésitant à entrer dans l'ordre des Frères prêcheurs. Il semble que sa
vocation subit tentations diverses et interrogations. Plusieurs textes en
témoignent. Mais sa grande dévotion envers Notre-Dame fut un déterminant
secours et assura sa persévérance. Là encore, St Albert, par sa piété mariale,
se montre "'moderne".
En 1228, il est "lecteur",
c'est-à-dire professeur à Cologne. Il s'efforce d'adapter à la pensée
chrétienne les théories d'Aristote qui commencent à se répandre grâce,
principalement, aux grands penseurs arabes Avicenne (10ème s.) et Averroès (12ème s.). Bien plus, toujours
accueillant, il cherche à utiliser la spéculation juive en lisant
principalement un de ses plus significatifs représentants, Moïse Maïmonide (+ 1204 à Cordoue) qui, lui aussi
introduisit la philosophie aristotélicienne dans la pensée juive. St Thomas
d'Aquin le surnommera "l'Aigle de la
Synagogue" ! Là encore, St Albert se montre intellectuellement
d'une audacieuse modernité !
De Cologne, il va enseigner à Hildesheim,
Fribourg-en-Brisgau (où il y a encore une
célèbre université dominicaine), à Ratisbonne,
Strasbourg. En 1245, il est à Paris où il explique les classiques "Sentences" de Pierre Lombard (+ 1160), maître à penser s'il
en fût. Grand théologien du siècle précédent, ce Piémontais termina sa vie
comme évêque de Paris. Introduisant une distinction entre Ecriture et
théologie, il fut un modèle pour Thomas d'Aquin qui, avec grand intérêt, écoutait
alors Albert le commentant. La encore, ce dernier se montrait, spirituellement,
très moderne.
Puis notre savant théologien revient à
Cologne où lui est confié l'Université, le "Studium generale", comme
on disait. Sa charge ne l'empêchait nullement de continuer à écrire ; il
commente le pseudo "Denys l'aréopagite" (écrits du 5ème-6ème s.) et aussi l'"Ethique à
Nicomaque" d'Aristote. Son grand savoir est sollicité pour régler
certains conflits en cette ville de Cologne, ce qui lui donne l'occasion de
lutter contre, disait-il, les "juristes
retors". Par sa pensée très libre, voire critique, il se montre
très "moderne" !
En 1254, il est élu provincial (supérieur) de son Ordre en
Allemagne. Il semble qu'il enseignait avec un grand équilibre à la fois
humain et spirituel (c'est si rare !). Par exemple, il savait lutter contre
une ascèse indiscrète, nuisible aux bonnes études, disait-il. En même temps, il
vitupérait contre les glissements vers une vie trop commode de certains
religieux qui comptaient trop facilement sur l'obligeance des fidèles ! ...
Fait amusant : il rappelait que chaque Frère devait circuler par ses propres
moyens, blâmant formellement ce que nous appelons "l'auto-stop", moyen familier de se
faire "voiturer sans fatigue et au
compte d'autrui". Chaque Frère, disait-il, doit assurer sa propre vie
et celle de la Communauté. Là encore sa conception de la charité est très
moderne en des temps où les chrétiens étaient si facilement mis à
contribution pour la réalisation ... de grands projets (cathédrales...).
En 1256, il entre en lice dans un
terrible combat entre les "Séculiers" de l'Université et les
"Ordres mendiants" (Dominicains et Franciscains), conflit dû comme
souvent à la jalousie des uns, à l'orgueil des autres ; les premiers reprochant
aux seconds une concurrence déloyale (dans l'enseignement) et les accusant d'un manque de pauvreté
malgré les apparences !
Albert et le futur Docteur de l'Eglise, St
Bonaventure, défendirent leur ordre devant le pape Alexandre IV qui leur donna
satisfaction. Ce fut pour Albert une occasion de prêcher devant la "Curie
romaine" ; il commenta principalement St Jean, tout en combattant les
erreurs d'Averroès qui, pourtant, lui avait fait connaître, en partie, Aristote
dont il se réclamait.
Malgré ses fortes réticences, il doit
accepter la charge d'évêque de Ratisbonne, ville importante de
l'Allemagne du sud. Il consacra beaucoup de temps à remettre en ordre les
finances du diocèse dont la gestion était très désorganisée ; et il
combattit le relâchement des mœurs des clercs, ce qui ne fut pas sans secousses
diverses, le peuple lui-même étant trop habitué à voir un prélat comme un
prince !
Aussi, dès que possible, il renonce à sa
charge. D'ailleurs, le pape de l'époque, Urbain IV, voyait bien que la
véritable fonction d'Albert, dans l'Eglise, était la recherche et
l'enseignement philosophique et théologique.
On songea à l'envoyer à nouveau à Paris
pour combattre les théories de Siger de Brabant, disciple trop admiratif
d'Averroès. Mais c'est à Cologne qu'il va donner ses dernières leçons.
En 1274 meurt son ancien disciple, Thomas
d'Aquin. Albert le pleura avec grande émotion. Il défendit son œuvre que l'on
voulait censurer pour trop grande utilisation de la philosophie d'Aristote.
Cependant, l'âge venant, il perdait peu à
peu la mémoire ce qui l'accablait fortement. Comme un visiteur de marque
frappant à sa porte demandait à le voir, il aurait répondu avec un humour un
peu sinistre mais réaliste : "Albert
n'est plus ici ; il y fut...!", laissant entendre qu'il n'y avait plus
là qu'un corps sans âme vraiment vivante.
Il mourut le 15 novembre 1280, assis, entouré de ses frères. Très vite, il fut honoré et prié. Cependant
ce n'est qu'en 1931 que Pie XI le proclama saint et docteur de l'Eglise. Et Pie
XII, en 1953, le donna comme saint Patron pour tous ceux qui cultivent les
sciences naturelles. Il est d'ailleurs possible que cette lenteur de l'Eglise à
le canoniser vienne, pour une part, de la légende assez fâcheuse qui présentait
Albert le Grand comme magicien adonné aux sciences occultes.
Il faut surtout retenir que son œuvre est
considérable et extrêmement variée. Grand savant dans les sciences de la
nature, il a hardiment montré comment utiliser Aristote pour servir la pensée
chrétienne. Sa théologie en laquelle la note affective est toujours perceptible
décèle un tempérament augustinien ; les mystiques rhénans pourront se réclamer
de lui !
(Maître Eckhart (+1328),
Tauler (+1361), Henri Suzo (+1366), Ruusbroec (+1381)...)
Le pape Benoît XVI a célébré St Albert le Grand en reconnaissant que "l'un de
ses plus grands mérites fut d'étudier, avec une rigueur scientifique, les
œuvres d'Aristote, convaincu que tout ce qui est rationnel est compatible avec
la foi révélée par les Saintes Ecritures. En d'autres termes, St Albert le
Grand a ainsi contribué à la formation d'une philosophie autonome, distincte de
la théologie et unie à elle uniquement pour l'unité de la vérité".
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