vendredi 15 novembre 2013

St Albert le Grand

15 Novembre -      

St Albert le Grand naquit en Bavière dans le diocèse d'Augsbourg vers l'an 1200. Son père était officier de la Cour, avec une haute charge dans l'administration. Très vite, la capacité intellectuelle de l'enfant fut remarquée. Mais lui-même dira que son "grand livre de prédilection" fut la nature. Son génie s'épanouit au grand air, au contact du roc et de l'eau, l'œil toujours ouvert sur les plantes et les animaux. Certes, la création parle du Créateur. Mais Albert écoute également la nature pour elle-même afin de découvrir avec une curiosité insatiable tout ce qu'elle peut révéler d'utile à l'homme. En ce sens, St Albert, amant de la nature, est un "moderne" ! Plus encore que nos "écologistes" !

A l'âge de 16 ans environ, on l'envoie parfaire ses études à Bologne où il fit la connaissance d'un dominicain, le Bx Jourdain de Saxe, surnommé alors "la sirène des écoles". Il subit sans doute son influence, restant cependant hésitant à entrer dans l'ordre des Frères prêcheurs. Il semble que sa vocation subit tentations diverses et interrogations. Plusieurs textes en témoignent. Mais sa grande dévotion envers Notre-Dame fut un déterminant secours et assura sa persévérance. Là encore, St Albert, par sa piété mariale, se montre "'moderne".

En 1228, il est "lecteur", c'est-à-dire professeur à Cologne. Il s'efforce d'adapter à la pensée chrétienne les théories d'Aristote qui commencent à se répandre grâce, principalement, aux grands penseurs arabes Avicenne (10ème s.) et Averroès (12ème s.). Bien plus, toujours accueillant, il cherche à utiliser la spéculation juive en lisant principalement un de ses plus significatifs représentants, Moïse Maïmonide (+ 1204 à Cordoue) qui, lui aussi introduisit la philosophie aristotélicienne dans la pensée juive. St Thomas d'Aquin le surnommera "l'Aigle de la Synagogue" ! Là encore, St Albert se montre intellectuellement d'une audacieuse modernité !

De Cologne, il va enseigner à Hildesheim, Fribourg-en-Brisgau (où il y a encore une célèbre université dominicaine), à Ratisbonne, Strasbourg. En 1245, il est à Paris où il explique les classiques "Sentences" de Pierre Lombard (+ 1160), maître à penser s'il en fût. Grand théologien du siècle précédent, ce Piémontais termina sa vie comme évêque de Paris. Introduisant une distinction entre Ecriture et théologie, il fut un modèle pour Thomas d'Aquin qui, avec grand intérêt, écoutait alors Albert le commentant. La encore, ce dernier se montrait, spirituellement, très moderne.

Puis notre savant théologien revient à Cologne où lui est confié l'Université, le "Studium generale", comme on disait. Sa charge ne l'empêchait nullement de continuer à écrire ; il commente le pseudo "Denys l'aréopagite" (écrits du 5ème-6ème s.) et aussi l'"Ethique à Nicomaque" d'Aristote. Son grand savoir est sollicité pour régler certains conflits en cette ville de Cologne, ce qui lui donne l'occasion de lutter contre, disait-il, les "juristes retors". Par sa pensée très libre, voire critique, il se montre très "moderne" !

En 1254, il est élu provincial (supérieur) de son Ordre en Allemagne. Il semble qu'il enseignait avec un grand équilibre à la fois humain et spirituel (c'est si rare !). Par exemple, il savait lutter contre une ascèse indiscrète, nuisible aux bonnes études, disait-il. En même temps, il vitupérait contre les glissements vers une vie trop commode de certains religieux qui comptaient trop facilement sur l'obligeance des fidèles ! ... Fait amusant : il rappelait que chaque Frère devait circuler par ses propres moyens, blâmant formellement ce que nous appelons  "l'auto-stop", moyen familier de se faire "voiturer sans fatigue et au compte d'autrui". Chaque Frère, disait-il, doit assurer sa propre vie et celle de la Communauté. Là encore sa conception de la charité est très moderne en des temps où les chrétiens étaient si facilement mis à contribution pour la réalisation ... de grands projets (cathédrales...).

En 1256, il entre en lice dans un terrible combat entre les "Séculiers" de l'Université et les "Ordres mendiants" (Dominicains et Franciscains), conflit dû comme souvent à la jalousie des uns, à l'orgueil des autres ; les premiers reprochant aux seconds une concurrence déloyale (dans l'enseignement) et les accusant d'un manque de pauvreté malgré les apparences !
Albert et le futur Docteur de l'Eglise, St Bonaventure, défendirent leur ordre devant le pape Alexandre IV qui leur donna satisfaction. Ce fut pour Albert une occasion de prêcher devant la "Curie romaine" ; il commenta principalement St Jean, tout en combattant les erreurs d'Averroès qui, pourtant, lui avait fait connaître, en partie, Aristote dont il se réclamait.

Malgré ses fortes réticences, il doit accepter la charge d'évêque de Ratisbonne, ville importante de l'Allemagne du sud. Il consacra beaucoup de temps à remettre en ordre les finances du diocèse dont la gestion était très désorganisée ; et il combattit le relâchement des mœurs des clercs, ce qui ne fut pas sans secousses diverses, le peuple lui-même étant trop habitué à voir un prélat comme un prince !
Aussi, dès que possible, il renonce à sa charge. D'ailleurs, le pape de l'époque, Urbain IV, voyait bien que la véritable fonction d'Albert, dans l'Eglise, était la recherche et l'enseignement philosophique et théologique.

On songea à l'envoyer à nouveau à Paris pour combattre les théories de Siger de Brabant, disciple trop admiratif d'Averroès. Mais c'est à Cologne qu'il va donner ses dernières leçons.

En 1274 meurt son ancien disciple, Thomas d'Aquin. Albert le pleura avec grande émotion. Il défendit son œuvre que l'on voulait censurer pour trop grande utilisation de la philosophie d'Aristote.

Cependant, l'âge venant, il perdait peu à peu la mémoire ce qui l'accablait fortement. Comme un visiteur de marque frappant à sa porte demandait à le voir, il aurait répondu avec un humour un peu sinistre mais réaliste : "Albert n'est plus ici ; il y fut...!", laissant entendre qu'il n'y avait plus là qu'un corps sans âme vraiment vivante.
Il mourut le 15 novembre 1280, assis, entouré de ses frères. Très vite, il fut honoré et prié. Cependant ce n'est qu'en 1931 que Pie XI le proclama saint et docteur de l'Eglise. Et Pie XII, en 1953, le donna comme saint Patron pour tous ceux qui cultivent les sciences naturelles. Il est d'ailleurs possible que cette lenteur de l'Eglise à le canoniser vienne, pour une part, de la légende assez fâcheuse qui présentait Albert le Grand comme magicien adonné aux sciences occultes.

Il faut surtout retenir que son œuvre est considérable et extrêmement variée. Grand savant dans les sciences de la nature, il a hardiment montré comment utiliser Aristote pour servir la pensée chrétienne. Sa théologie en laquelle la note affective est toujours perceptible décèle un tempérament augustinien ; les mystiques rhénans pourront se réclamer de lui !
(Maître Eckhart (+1328), Tauler (+1361), Henri Suzo (+1366), Ruusbroec (+1381)...)

Le pape Benoît XVI a célébré St Albert le Grand en reconnaissant que "l'un de ses plus grands mérites fut d'étudier, avec une rigueur scientifique, les œuvres d'Aristote, convaincu que tout ce qui est rationnel est compatible avec la foi révélée par les Saintes Ecritures. En d'autres termes, St Albert le Grand a ainsi contribué à la formation d'une philosophie autonome, distincte de la théologie et unie à elle uniquement pour l'unité de la vérité".

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