32e Dimanche T.O. 13/C
La question que posent les Sadducéens qui,
dans sa présentation, ne manque sans doute pas de nous surprendre, est cependant
une vraie question, une de celles qui taraudent le cœur de l'homme depuis...,
depuis toujours, et sur laquelle les civilisations et les religions ont projeté
leurs lumières, chacune à sa manière. La vie en ce monde, oui ! Mais après ? Y
a-t-il quelque chose au-delà ? La mort est-elle une fin, la chute dans le
néant ? La vie au-delà de la vie, est-ce un leurre, une illusion rassurante ?
Un rêve que je mets au compte du réel ?
D'après certains sondages, il paraît que plus
de 50 % des Français ne croient à aucune survie après la mort. Mais ce n'est
pas nouveau : au temps de Jésus, les Sadducéens - classe dirigeante cultivée -
ne croyaient pas à la résurrection après la mort et tournaient en dérision ceux
qui y croyaient. Cela non plus n'est pas nouveau !
Le tout est de s'entendre sur ce mot :
"résurrection" ! Que voulons-nous dire au juste quand nous affirmons
dans notre credo : "Je crois à la
résurrection de la chair... J'attends la résurrection des morts ?".
Evidemment, il serait ridicule d'y voir un phénomène
biologique : comment un cadavre pourrait-il récupérer ses membres, organes, articulations... et parvenir à revivre ? C'est contraire au bon
sens. La foi ne nous demande pas de croire à des absurdités.
Il serait tout aussi dangereux de
comprendre la résurrection comme un retour en arrière, un retour à une vie
semblable à celle qu'on avait avant de mourir, comme ce fut le cas pour
Lazare ou le fils de la veuve de Naïm dont nous parlent les Evangiles. Il
serait absurde de se représenter la vie des ressuscités sur le modèle de notre
vie sur terre. C'était certainement l'objection principale qu'avançaient les Sadducéens
pour refuser la notion de résurrection..
C'est évident ! La résurrection des morts
n'est ni un phénomène biologique, ni une réanimation, ni un retour à une vie
semblable à celle de maintenant.
La réponse de Jésus est au sens le plus
fort du terme : "déroutante". Elle nous fait quitter la route du
quotidien terrestre pour nous faire exister autrement dans un ailleurs que
Jésus désigne souvent comme le "Royaume de Dieu" où l'espace et le
temps ne peuvent plus exercer leurs contraintes.
Pour
comprendre un peu il faut regarder Jésus, le Vivant, le Ressuscité !
En effet, la résurrection du Christ est
le fondement de notre vie chrétienne. St Paul l'affirme de façon
péremptoire : "S'il n'y a pas de
résurrection des morts, le Christ non plus n'est pas ressuscité. Et si le
Christ n'est pas ressuscité, vide est notre prédication et vide aussi notre
foi... Mais non ! Le Christ est ressuscité des morts !" (I Cor. 15.13,14,20).
Cette affirmation du matin de Pâques, cette
"proclamation" (kérygme) de foi pascale, les apôtres ne cesseront de
l'affirmer. C'est le "leitmotiv" de leur prédication, le fondement,
le sens de leur vie ...et donc, désormais, de la nôtre ! Et précisons le
sens de notre vie actuelle : si
le chrétien est dans le monde, il n'est déjà plus de ce monde (Cf. Jn 15.19 ;
17.16) ;
il est déjà, depuis la résurrection du Christ, une "créature nouvelle", dit St Paul (2 Co. 5.17) qui précisera : "Si - à la suite du Ressuscité - les morts ne ressuscitent pas, mangeons et
buvons, car demain, nous mourrons !" (I Co. 15.32).
Peut-être que cet aphorisme un peu
surprenant dans la bouche de l'apôtre, n'était qu'une allusion à une célèbre
inscription épicurienne gravée sous la statue de Sardanapale, à la porte de sa
ville natale de Tarse. Ce roi légendaire de Ninive (7ème s.
av. J.-C.) qui vécut dans la mollesse et la volupté - ce
que le peintre Delacroix a rendu célèbre - aurait prononcé les paroles de cette
inscription qui reste, malheureusement, d'actualité : "Voyageur (voyageur de la vie), mange et bois ; laisse-toi vivre", car demain, c'est la mort !
Le néant !
Ainsi donc, la résurrection des morts
est une réalité qui relève uniquement de notre foi en Dieu, en ce Dieu qui,
dit le psaume 68ème, a les issues de la mort elle-même, et qui l'a
manifesté en ressuscitant son Fils, Notre Seigneur !
Oui, avec le Christ ressuscité, toujours
vivant, la Résurrection, notre résurrection, déjà en germe dans notre vie
chrétienne, est un acte de Dieu, comme pour le Christ ! Au terme, ce sera un
acte de Dieu qui nous fera "passer" - une Pâques ! - définitivement en
la vie divine, un accomplissement en Dieu de notre vie d'ici-bas
toujours fragile et limitée.
On ne peut en parler que par images. Et
c'est par images que Notre Seigneur lui-même en a parlé. Et les images sont
toujours plus ou moins trompeuses. Mais que ce soit celle du festin, celle des
noces, ou celle de la graine qui meurt en terre pour revivre au printemps,
elles évoquent toutes la joie d'un merveilleux aboutissement, une communion
d'amour et de vie inimaginable, un don gratuit de Dieu.
Oui, notre foi en la résurrection est liée
à notre foi en la résurrection du Christ, est liée au vrai Dieu qui est amour
et vie, qui n'est pas le Dieu de la mort mais le Dieu de la vie. Son
projet d'amour sur nous est de nous faire partager la plénitude de sa vie et
de son amour ; et c'est en Jésus ressuscité que nous y parvenons, dans une
transfiguration à son image qui deviendra définitive.
Et déjà, on peut dire que, dès
maintenant, nous sommes en apprentissage de notre vie de ressuscités ; nous
sommes en train de ressusciter en nous laissant peu à peu transformer par le
Christ au plus profond de nous-mêmes, par notre foi en lui. Tous les sacrements
sont autant de rencontres avec le Christ qui vient à nous pour faire de nous
des hommes nouveaux, vivant toujours plus intimement de sa vie, nous laissant
animer par son Esprit qui fait de nous des "fils" et des "filles"
de Dieu.
Oui, déjà, nous sommes en état de
ressuscité. Notre résurrection est progressive ; elle commence à l'intérieur de
nous-mêmes. Quand nous pensons "vie éternelle", ne pensons pas
d'abord à une vie qui dure toujours, mais pensons d'abord à notre vie de
maintenant en marche vers son suprême accomplissement. Après avoir commencé à
ressusciter dès maintenant au plus profond de nos vies, nous ressusciterons
ensuite visiblement quand le Seigneur le voudra : "Votre vie est cachée avec le Christ en Dieu. Quand le Christ
apparaîtra, alors, vous aussi, vous apparaîtrez avec lui en pleine gloire"
(Col.
3.3-4).
Voilà une parole sûre et bien expressive de la réalité.
Aussi, puisque toute la vie de Jésus fut
une affaire d'amour et que Dieu est amour, notre résurrection dépend de notre
capacité d'aimer et de servir nos frères au jour le jour. St Jean avait bien
compris cela : "Quiconque aime est
né de Dieu !". Le signe que nous sommes passés de la mort à la vie et
que nous sommes des ressuscités, c'est que nous aimons nos frères. L'amour - le
véritable, celui que Dieu verse en nous cœurs - est plus fort que la mort ! (Cf. I Jn 4.7).
Au fond, la réponse de Jésus est un appel à
la foi au Dieu de la Vie. "Dieu,
déclare-t-il avec force, n'est pas le
Dieu des morts mais le Dieu des Vivants." Dieu n'est Dieu que s'il est
le Dieu de la Vie et d'une Vie d'amour. Dès lors, si nous croyons en ce Dieu,
comment dès lors ne pas croire à la vie ressuscitée au-delà de la mort ?
Aussi, je me permets de terminer par une
merveilleuse citation d'un poète chrétien du 5ème-6ème
siècle, Boèce. Il définissait la résurrection par une phrase d'une concision
telle qu'elle est presque intraduisible :
“Interminabilis
vitæ tota simul plena et perfecta possesio” ! -
“Une pleine
et parfaite possession de la vie, sans aucune limite, d'un seul
coup et toute entière”.
Une pleine et parfaite possession de la vie... en Dieu ! Voilà notre foi
en la Résurrection ! En sommes-nous conscients ?
C'est peut-être de cela que Jésus parlait à
la Samaritaine quand il disait : "L'heure
vient - et maintenant elle est là ! - où les vrais adorateurs adoreront le Père
en esprit et vérité", bien au-delà de toutes pratiques à Jérusalem,
sur le mont Garizim ou ailleurs. Car "Dieu
est esprit ; et c'est pourquoi ceux qui l'adorent doivent adorer en esprit et
en vérité !" (Jn
4.23sv).
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