mercredi 6 novembre 2013

La Charité, accomplissement de la Loi !

T.O. 31 imp. Mercredi  -      (Rm. 13.8-10)

La "charité", l'amour est le grand sujet moral de St Paul. Il l'avait déjà fortement enseigné aux Corinthiens en butte à des divisions.

Après avoir considéré même l'obéissance au pouvoir civil comme une obligation de conscience, "car il n'y a d'autorité que par Dieu !" (13.1), l'apôtre passe à la pratique générale de la charité.

"N'ayez aucune dette envers quiconque sinon celle de vous aimer les uns les autres !". Quelle belle formule ! Origène de commenter : "C'est cette dette qu'il nous est bon d'avoir à payer chaque jour sans jamais obtenir quittance !". Autrement dit, en ce domaine, nous sommes sans cesse débiteurs !

"Celui qui aime son prochain...". Littéralement : celui qui aime "l'autre" ! C'est à retenir car le terme n'est pas sans importance même si St Paul emploie un peu plus loin le mot "prochain" plus coutumier, celui qui est "proche".
Il s'agit, en effet, "d'aimer proche" !
Certes, il faut avoir un cœur très large qui embrasse le monde entier avec ses soubresauts, toutes les causes - heurs ou malheurs -, qui embrasse principalement tous ceux qui sont dans la désespérance, mais envers qui - il faut le reconnaître - il nous est souvent difficile d'apporter un quelconque secours, sinon celui de la prière !

"Celui qui aime son prochain a pleinement accompli la Loi !". On peut, en effet, trouver bien des textes de l'Ancien Testament qui illustreraient l'affirmation de St Paul (1). Une telle doctrine n'était pas étrangère à l'enseignement traditionnel de la Bible et du rabbinisme. On sait que le Talmud attribue à Hillel l'Ancien, - le père de Gamaliel qui fut le maître d'un certain Saul qui deviendra St Paul - un propos assez semblable. Lui aussi résumait toute la Loi dans la "Règle d'or" formulée par le livre de Tobie (4.15) : "Ce qui t'est odieux à toi-même, ne le fais pas à ton prochain !" - "Voilà toute la Loi, disait Hillel ; le reste n'est qu'explication !". (Cf. Bonsirven - Textes rabbin. n° 633).

Cependant, pour Hillel comme pour l'ensemble du judaïsme (même pour un chrétien, parfois, malheureusement), le "prochain", c'est le "compagnon", "l'ami" "l'un des enfants de ton peuple", selon l'expression du Lévitique (19.18). Certes, on peut trouver quelques passages où il est question d'aimer même l'étranger. Mais Notre Seigneur lui-même soulignait, avec sans doute un peu d'exagération provocatrice, la mentalité de son temps : "Vous avez appris qu'il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi !" (Mth 15.43). Aussi, à la question : "Qui est mon prochain ?", il donnera sa propre explication par la parabole du "Bon Samaritain". Le prochain n'est pas celui qui s'approche de moi parce qu'il est mon "parent", mon "compagnon", mon "ami"... etc ; c'est celui vers qui je m'approche !

Peut-être que c'est en pensant à cette parabole que St Paul avait d'abord assimilé le "prochain" à "l'autre" ("ton heteron"), c'est-à-dire tout homme quel qu'il soit, même et surtout celui qui est tombé au bord du chemin ! "Celui qui aime l'autre a pleinement accompli la Loi !".
Oui, celui qui aime "l'autre" non seulement observe la Loi, mais l'accomplit avec cette surabondance qu'insinue St Paul en se souvenant certainement du Christ : "Je ne suis pas venu abolir la Loi, mais l'accomplir !" (Mth 5.17), l'observer à la perfection. Et il l'a observée en donnant sa vie par amour. "Nul n'a d'amour plus grand que celui qui se dessaisit de sa vie pour ceux qu'il aime !" (Jn 15.13).

St Paul avait donc grandement raison d'écrire : "La Charité est la plénitude de la Loi !" (V/10).

Et que faudrait-il dire encore quand on sait l'origine de cet amour qui nous est donné d'exercer : "L'amour de Dieu, avait déjà dit l'apôtre en sa lettre (5.5)a été répandu en vos cœurs !".

Pourtant, ne ressentons-nous pas souvent "la difficulté d'être à l'aisance d'aimer", selon la belle expression d'un poète, Saint-John Perse.

La difficulté d'être à l'aisance d'aimer !
Jésus nous a bien dit : “Demeurez dans mon amour. Si vous êtes fidèles à mes commandements, vous demeurerez dans mon amour ; comme moi j'ai gardé fidèlement les commandements de mon Père, et je demeure dans son amour”. Mais habiter dans l'amour de Celui qui a dit : “Je suis la Voie”, n'est-ce pas prendre pour demeure un chemin, illimité, où l'horizon s'élargit sans cesse vers le don total de la vie ? Paradoxe qu'emploie souvent Notre Seigneur ! Comment peut-on "demeurer dans l'amour" sans être sans cesse happé hors de soi vers les autres, proches ou lointains, dans ce monde où les cris de l'injustice, de la souffrance, de la détresse, ne cessent de s'élever ?

Cette mesure d'aimer est celle de Dieu qui aime sans mesure.
Et si nous disons qu'il nous donnera notre "dernière demeure", lorsque sa tendresse essuiera toute larme, quand nous verrons sa gloire en l'unique lumière de la ville éternelle, c'est affirmer que nous n'aurons jamais fini d'aimer à l'infini, puisque "Dieu est Amour !", dit St Jean.

C'est pourquoi Chesterton (qui sera prochainement béatifié, je l'espère) pouvait dire : “Il y a tristesse à ne pas être aimé ; il y a malheur à ne pas aimer”. Oui, ce serait notre malheur puisque c'est notre vocation éternelle... ! Eternellement !


 (1) Ez. 16.49-50 ; Dt 10.12-13, 16, 18-19. Ps. 15.41 ; Zach. 7.9 ; 8.16-17.

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