T.O.
31 imp. Mercredi - (Rm. 13.8-10)
La "charité", l'amour est le
grand sujet moral de St Paul. Il l'avait déjà fortement enseigné aux
Corinthiens en butte à des divisions.
Après avoir considéré même l'obéissance au
pouvoir civil comme une obligation de conscience, "car il n'y a d'autorité que par Dieu !" (13.1), l'apôtre passe à
la pratique générale de la charité.
"N'ayez
aucune dette envers quiconque sinon celle de vous aimer les uns les autres !". Quelle belle
formule ! Origène de commenter : "C'est
cette dette qu'il nous est bon d'avoir à payer chaque jour sans jamais obtenir
quittance !". Autrement dit, en ce domaine, nous sommes sans
cesse débiteurs !
"Celui
qui aime son prochain...". Littéralement : celui qui aime "l'autre" ! C'est à
retenir car le terme n'est pas sans importance même si St Paul emploie un peu
plus loin le mot "prochain" plus coutumier, celui qui est
"proche".
Il s'agit, en effet, "d'aimer
proche"
!
Certes, il faut avoir un cœur très large qui
embrasse le monde entier avec ses soubresauts, toutes les causes - heurs ou
malheurs -, qui embrasse principalement tous ceux qui sont dans la désespérance,
mais envers qui - il faut le reconnaître - il nous est souvent difficile
d'apporter un quelconque secours, sinon celui de la prière !
"Celui
qui aime son prochain a pleinement accompli la Loi !". On peut, en effet, trouver bien des textes de l'Ancien
Testament qui illustreraient l'affirmation de St Paul (1). Une telle doctrine
n'était pas étrangère à l'enseignement traditionnel de la Bible et du
rabbinisme. On sait que le Talmud attribue à Hillel l'Ancien, - le père de
Gamaliel qui fut le maître d'un certain Saul qui deviendra St Paul - un propos
assez semblable. Lui aussi résumait toute la Loi dans la "Règle d'or"
formulée par le livre de Tobie (4.15) : "Ce qui
t'est odieux à toi-même, ne le fais pas à ton prochain !" - "Voilà toute la Loi, disait Hillel
; le reste n'est qu'explication !".
(Cf.
Bonsirven - Textes rabbin. n° 633).
Cependant, pour Hillel comme pour
l'ensemble du judaïsme (même
pour un chrétien, parfois, malheureusement), le "prochain", c'est le
"compagnon", "l'ami" "l'un des enfants de ton peuple", selon
l'expression du Lévitique (19.18). Certes, on peut
trouver quelques passages où il est question d'aimer même l'étranger. Mais
Notre Seigneur lui-même soulignait, avec sans doute un peu d'exagération
provocatrice, la mentalité de son temps : "Vous
avez appris qu'il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi
!" (Mth
15.43).
Aussi, à la question : "Qui est mon
prochain ?", il donnera sa propre explication par la parabole du
"Bon Samaritain". Le prochain n'est pas celui qui s'approche de moi
parce qu'il est mon "parent", mon "compagnon", mon
"ami"... etc ; c'est celui vers qui je m'approche !
Peut-être que c'est en pensant à cette
parabole que St Paul avait d'abord assimilé le "prochain" à
"l'autre" ("ton
heteron"), c'est-à-dire tout homme quel qu'il soit, même et surtout
celui qui est tombé au bord du chemin ! "Celui
qui aime l'autre a pleinement accompli la Loi !".
Oui, celui qui aime "l'autre"
non seulement observe la Loi, mais l'accomplit avec cette surabondance
qu'insinue St Paul en se souvenant certainement du Christ : "Je ne suis pas venu abolir la Loi,
mais l'accomplir !" (Mth 5.17), l'observer à la perfection. Et il l'a
observée en donnant sa vie par amour. "Nul
n'a d'amour plus grand que celui qui se dessaisit de sa vie pour ceux qu'il
aime !" (Jn
15.13).
St Paul avait donc grandement raison
d'écrire : "La Charité est la
plénitude de la Loi !" (V/10).
Et que faudrait-il dire encore quand on
sait l'origine de cet amour qui nous est donné d'exercer : "L'amour de Dieu, avait déjà dit l'apôtre en sa
lettre (5.5), a été
répandu en vos cœurs !".
Pourtant, ne ressentons-nous pas souvent "la difficulté d'être à l'aisance
d'aimer", selon la belle expression d'un poète, Saint-John Perse.
La difficulté d'être à l'aisance d'aimer !
Jésus nous a bien dit : “Demeurez dans mon amour. Si vous êtes
fidèles à mes commandements, vous demeurerez dans mon amour ; comme moi j'ai
gardé fidèlement les commandements de mon Père, et je demeure dans son amour”.
Mais habiter dans l'amour de Celui qui a dit : “Je suis la Voie”, n'est-ce pas prendre pour demeure un chemin,
illimité, où l'horizon s'élargit sans cesse vers le don total de la vie ?
Paradoxe qu'emploie souvent Notre Seigneur ! Comment peut-on "demeurer dans l'amour" sans
être sans cesse happé hors de soi vers les autres, proches ou lointains, dans
ce monde où les cris de l'injustice, de la souffrance, de la détresse, ne
cessent de s'élever ?
Cette mesure d'aimer est celle de Dieu qui
aime sans mesure.
Et si nous disons qu'il nous donnera notre "dernière
demeure", lorsque sa tendresse essuiera toute larme, quand nous verrons sa
gloire en l'unique lumière de la ville éternelle, c'est affirmer que nous
n'aurons jamais fini d'aimer à l'infini, puisque "Dieu est Amour
!", dit St Jean.
C'est pourquoi Chesterton (qui sera
prochainement béatifié, je l'espère) pouvait dire : “Il y a tristesse à ne pas être aimé ; il y a malheur à ne pas
aimer”. Oui, ce serait notre malheur puisque c'est notre vocation
éternelle... ! Eternellement !
(1) Ez. 16.49-50 ; Dt
10.12-13, 16, 18-19. Ps. 15.41 ; Zach. 7.9 ; 8.16-17.
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