mercredi 1 février 2012

Jésus, un scandale ?

4 T.O. Mercredi (Mc 6. 1-6)

Qui a dit que Marc ne savait pas écrire ? Certes, il n’a pas l’art littéraire d’un Luc qui manie parfaitement la langue grecque, “la plus belle qui soit née sur des lèvres humaines“, disait notre poète tragiquement révolutionnaire, André Chénier. La construction de son évangile manifeste, avec grand savoir-faire, sa principale préoccupation : dévoiler qui est Jésus !

Ainsi le retour de Jésus à Nazareth (Evangile d’aujourd’hui) suivi de la mission des Douze (évangile de demain) forme un petit ensemble qui vient clôturer la première partie de son évangile.
Ainsi
- la réflexion des compatriotes de Jésus est un petit résumé de tout ce qui précède : “D’où cela lui vient-il ? Et qu’est-ce que cette sagesse qui lui a été donnée, et ces grands miracles qui se font par ses mains ?“.
- Sagesse et miracles ! Les deux grands aspects du ministère de Jésus - enseigner et guérir les malades ou les possédés - sont donc rappelés.
- “D’où cela lui vient-il ?“ - La forme interrogative elle-même nous reporte à la question initiale des gens de Capharnaüm : “Qu’est-ce que cela ? Voilà un enseignement nouveau plein d’autorité. Il commande même aux esprits impurs“ (1.27). Elle rappelle également la grande réflexion des disciples après la tempête apaisée : “Même le vent et la mer lui obéissent !“ (4.41)

De plus, ce petit résumé conclusif de l’enseignement et de l’action de Jésus jusqu’à ce moment introduit la grande préoccupation de la seconde partie de l’évangile qui portera sur l’identité de Jésus : cet homme qui parle et agit si bien, qui est-il donc ?

Mais il faut bien noter que la formulation de la question trahit un doute, voire une incrédulité : “N’est-ce pas là le charpentier, le fils de Marie, le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Et ses sœurs ne sont-elles pas de chez nous ?“.
- “Le frère de Jacques, de José, de Jude, de Simon…“. Notons au passage, une bonne fois pour toutes, qu’en hébreu, le mot “frère“ peut désigner, bien sûr, les fils de la même mère. Et comme il est question de sœurs également (la seule mention dans l’évangile), il est vraiment étonnant que vu le nombre de cette fratrie (6, 7, 8 puisque : Jésus, Jacques, José, Jude, Simon et les sœurs), aucun ne se soit manifesté par la suite… ! - Mais très souvent ce mot “frère“ évoque simplement les proches parents : oncles tantes, cousins cousines, avec les membres des alliances diverses : le “clan“, la “grande famille“, dirions-nous. C’est en ce sens qu’il faut prendre la réflexion des compatriotes de Jésus. Et foin des fadaises sur ce sujet !
- “Le fils de Marie… !“. On peut s’étonner également, surtout à propos de parenté juive, de l’absence de la mention du père, comme d’ailleurs précédemment quand il était question, à propos de Jésus, de la venue de “sa mère et de ses frères“ (3.31-35). Certains en ont conclu que Joseph était déjà mort ! Possible !? Mais peut-être aussi que Marc, dans son souci de dévoiler l’identité de Jésus, veut déjà suggérer que c’est Dieu seul qui est le Père de Jésus. Il le dira plus nettement par la suite à l’occasion de la venue du Fils de l’homme “dans la gloire de son Père“ (8.38)[cf également 13.32]. Il rappellera cette mention du Père lors de la prière de Jésus à Gethsémani : "Abba Père ! … pas ce que je veux, mais ce que tu veux !"

Pour l’heure, il est dit : “N’est-ce pas là le fils de Marie… ?“. Et le narrateur ajoute comme pour faire deviner la modulation de la question : “Et il était pour eux un scandale !“. Le mot “scandale“, dans la Bible, n’est pas à prendre particulièrement au sens moral : un mauvais exemple, un fait choquant. Il pourrait être remplacé par un autre mot à prendre en son sens étymologique : un “obstacle“ (ob-stacle), une cause de chute, une pierre d’achoppement. Jésus lui-même dira à ses disciples à la veille de sa mort : “Cette nuit même, vous serez scandalisés à cause de moi !“ (Mth 26.31). Autrement dit : moi-même, je serai une occasion de chute !

Il nous est donc permis aujourd’hui de nous poser la question : Jésus n’a-t-il pas été, n’est-il pas “occasion de chute“ pour moi ?
La transcendance de Dieu manifestée dans la petitesse d’un homme, Jésus…,
la transcendance de Dieu qui veut se manifester encore dans la vie des disciples de Jésus…, mes frères avec qui je vis…,
pire, la transcendance de Dieu qui se manifestera dans un instant dans un peu de pain et de vin…,
cette transcendance qui se veut immanence, même si c’est par amour, n’est-elle pas, en bien des circonstances, même pour le croyant, occasion de chute ?

Ne sommes-nous pas parfois comme ces juifs qui, après la multiplication des pains et l’explication qu’en donne Jésus, font cette même réflexion : “N’est-ce pas Jésus, le fils de Joseph ? Ne connaissons-nous pas son père et sa mère ? Comment peut-il déclarer maintenant : « Je suis descendu du ciel…, Je suis le Pain vivant qui descend du ciel ! ». Comment peut-il nous donner sa chair à manger ? … Cette parole est rude ! Qui peut continuer à l’écouter ?“ Et Jésus, “sachant que ses disciples murmuraient à ce sujet, leur dit : « C’est donc pour vous une cause de scandale ? »“. (Jn 6.41 sv).

Que personne ne puisse dire de Jésus, passant quotidiennement parmi nous : “Et il s’étonnait de leur manque de foi !“.

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