jeudi 9 février 2012

Universalité !

5 T.O. Jeudi - (Mc 7. 24-30)

Toute la section de l’évangile de Marc que nous parcourons depuis quelques jours (6.30 – 8.15) et ce jusqu’à Mardi est appelée par plusieurs : “Section du pain“. En effet, outre la fréquence du terme “pain“ (cité 17 fois en un peu plus de deux chapitres), il y a deux “multiplications des pains“ (6.30-44 & 8.1-10) toutes deux relatives au même événement bien sûr, mais transmis par deux sources, l’une juive, l’autre païenne.

C’est que ce “SIGNE par excellence“ selon St Jean veut manifester l’identité de Jésus (comme Messie, Fils de Dieu) proclamée un peu plus loin par Pierre (Confession de Césarée : “Tu es le Christ“ - 8.31).
Ce “signe“…
° …s’origine dans la multiplication de la manne donné par Moïse aux Hébreux dans le désert,…
° …s’actualise dans cette multiplication des pains donné par Jésus, nouveau Moïse, à une foule de gens…
° … pour annoncer le “Pain de Dieu“ partagé à la “Dernière Cène“ et propagé au monde entier par l’Eucharistie !

Marc reprend ces deux traditions pour souligner, en suivant la pédagogie de Dieu à travers l’histoire, l’universalité du message du Seigneur. Le peuple Juif fut le premier bénéficiaire des largesses de Dieu. Il devait, il doit en être le témoin auprès de toutes les nations appelées, elles aussi, à recevoir les mêmes dons divins.

Mais les apôtres eux-mêmes semblent ne pas comprendre l’action merveilleuse, à visée universelle, de Jésus. Marc le souligne durement après ses deux multiplications des pains : “Les apôtres n’avaient rien compris à l’affaire des pains, leur cœur était endurci !“ (6.52). Et après le récit de la deuxième multiplication, Jésus lui-même est très sévère : “Vous ne saisissez pas encore et vous ne comprenez pas ? Avez-vous le cœur endurci ?“ (8.18).

On devine combien Jésus se sent incompris
* non seulement de ceux qui ne sont pas d’accord avec lui - les Scribes, pharisiens - qui, après la multiplication, réclament un “signe du ciel“, si bien que Jésus, excédé, interrompt brutalement la conversation (“les plaquant là, il s’en alla“, dit Matthieu - 16.4), en annonçant cependant : “de signe, il ne sera donné que le signe de Jonas !“, le signe le plus universaliste qui soit !
* …non seulement de sa famille, de ses proches qui viennent le surveiller en quelque sorte…,
* mais aussi de ses apôtres, de ses disciples ! On sent que Jésus s’enfonce déjà dans une solitude incommensurable qui culminera au jardin de Gethsémani et au Calvaire - tous ayant fui, sauf Marie et Jean -.

C’est alors que Jésus se rendit d’abord “sur l’autre rive“ (6.45), en Décapole, terre païenne. Puis curieusement, il est dit : “Il se rendit dans le territoire de Tyr“, terre païenne encore. Et plus curieusement encore, c’est en cette région païenne qu’il va être le mieux reconnu, compris ! Par une femme !

La pensée de Jésus reste marquée par la multiplication des pains, le “Signe par excellence“ non compris par le peuple élu et même par ses apôtres. Il doit en éprouver - comme tout homme en semblable circonstance - un peu d'amertume ! Aussi répondit-il à la femme avec une certaine rudesse : “Laisse d’abord les enfants (les enfants d’Israël) se rassasier (quand ils comprendront, accepteront), car il ne sied pas de prendre le pain des enfants (destiné d’abord aux enfants d'Israël) et de le jeter aux petits chiens (aux étrangers d’Israël qui doivent être instruits ensuite par le peuple élu de Dieu !) !“. Il est intéressant de remarquer cette mentalité juive chez Jésus : c’est d’abord le peuple élu qui doit venir à la lumière ; et ensuite être le témoin pour le monde entier !

Chez Matthieu, il y a quelques nuances à relever. D’abord, Jésus ne répond rien à la supplique de la femme. Alors, ses disciples s’approchant le prient : “Fais-lui grâce, car elle nous poursuit de ses cris !“. Autrement dit : débarrasse-nous de cette femme… ; tu n’es pas à un miracle près ! Ils n’ont vraiment rien compris. Alors Jésus de soupirer : “Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël !“. Comprenez donc d’abord, vous !
Et voilà cette femme de parfaitement comprendre la pensée de Jésus : “Oui, Seigneur, mais les petits chiens, sous la table, mangent les miettes des enfants !“. Autrement dit : Que les enfants mangent du pain que tu leur donnes, que tu veux leur donner… Et nous-mêmes, païens, nous en bénéficierons !

Il est vrai que ce n’est pas évident - aujourd’hui encore - cet élargissement universaliste ! Pierre se souviendra certainement de cet épisode quand il accueillera dans la Communauté chrétienne le centurion Corneille (Actes 10 & 11). Ce qui l’incite à faire ce pas, c’est la vision qu’il a eue d’une nappe couverte d’animaux dits impurs, tandis qu’une voix lui répétait à trois reprises : “Ce que Dieu a purifié, toi, ne le dis pas souillé“. Et il est à remarquer que dans l’évangile de Marc, la controverse sur le pur et l’impur se situe justement entre les deux multiplications des pains, dont l’une s’adresse aux Juifs, et l’autre aux païens !

Comme la voix dans la vision de Pierre, Jésus déclare formellement que tout aliment est pur (7.14-23). La rencontre avec la Syro-phénicienne qui suit immédiatement (7.24-30) est un enseignement pour l’avenir : si tous les aliments sont purs, la communion de table entre circoncis (“les enfants“) et incirconcis (“les chiens“) est autorisée. Déjà Jésus offre aux païens l’accès à une seule communauté de table.

Ainsi, ce qu’il faut comprendre dans toute cette section de l’évangile de Marc, c’est d’abord Jésus, que Pierre va proclamer Christ, Fils de Dieu ! Mais cette reconnaissance implique selon Marc l’acceptation d’une communauté universelle à laquelle Juifs et païens ont également accès. Plus qu’ailleurs apparaît ici le lien entre christologie et ecclésiologie. La venue de Jésus instaure un ordre nouveau, vérifié dans la communauté de table pour tous sans exception. Cet épisode rappelle non seulement l’épisode des Actes (10-11), mais renvoie aussi à l’enseignement de Paul : “L’Evangile est une force de Dieu, pour le salut de tout croyant, du Juif d’abord, puis du Grec“ (Rm 1.16).

De cette affirmation universaliste, Paul lui-même en souffrit terriblement. Quand il arrive pour la dernière fois à Jérusalem, il explique sa conversion, son parcours devant tous. On l’écoute très poliment pendant un long temps. Mais quand il arrive à proclamer qu’il a été envoyé par Dieu “vers les nations païennes“ (Ac. 22.21), alors ce sont des cris ; ses auditeurs, pris d’une peur panique dès qu’ils sentent menacée leur identité telle qu’ils la conçoivent, jettent de la poussière en l’air et crient : “Qu’on débarrasse la terre d’un tel individu ! Il ne doit pas rester vivant !“. (Id 22).

C’est toujours d’actualité, me semble-t-il. Nous, chrétiens d’Occident, nous avons été tentés - nous le sommes peut-être toujours - de faire de notre religion un déracinement d’avec le judaïsme (Pourtant, le pape Jean-Paul II qualifiait les juifs de “frères de prédilection, et même de frères aînés des chrétiens"). Et en même temps, il nous arrive d’être quelque peu soupçonneux vis-à-vis des autres cultures destinées pourtant, elles aussi, à accueillir la foi dans le Christ Jésus, mort et ressuscité pour tous les hommes !

Heureusement, le Concile Vatican II nous le rappelle : notre foi doit être une lumière pour toutes les nations : “Lumen Gentium“. Prions à cette intention !

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