samedi 4 février 2012

Face au mal, avec Jésus...

5ème Dimanche du T.O. 1012/B -

La question sera toujours d’une obsession incessante : question que seul le Christ peut m’aider à résoudre !

Ecoutez ! Chaque dimanche, nous nous réunissons et très souvent nous éprouvons
chaleur humaine : nos rencontres, après l’Eucharistie sont amicales, “familiales” ; on s’invite même, de façon spontanée ;
chaleur spirituelle aussi, évidemment. Nous sentons la présence divine en ces rendez-vous hebdomadaires. St Paul vient de nous dire : “Malheur à moi si je n’annonce pas l’Evangile”. Evangile : “Bonne Nouvelle”, cette bonne Nouvelle de savoir, de sentir que nous, les hommes, nous ne sommes pas des êtres de hasard condamnés à mourir un jour, mais des fils de la tendresse de Dieu, appelés à partager sa vie ! “La gloire de Dieu, c’est que l’homme vive !” (St Irénée)

Mais si c’est vrai tout cela - et c’est vrai ! -, pourquoi alors tous ces fleuves noirs de la vie qui nous submergent ? Les fleuves noirs de l’amertume, de l’injustice, les fleuves noirs de l’argent fou, de l’argent roi ? Pourquoi le “tumulte des nations en bataille“, comme dit un psaume ? Pourquoi le juste accablé et les larmes d’un enfant innocent ?

Je me souviens avoir lu : Don Bosco, jeune prêtre à Turin au 19e s., visitait une prison d’enfants : des centaines d’enfants enfermés dans des souterrains sordides, enfants niés, écrasés, et, dans leurs yeux, la haine. Don Bosco est bouleversé ; il pleure, il se trouve mal.
Et aujourd’hui, il y a l’image de Jésus face au mal : “Toute la ville” se presse à sa porte, les infirmes, les estropiés. Jésus guérit, guérit… Puis il fuit, seul, au désert, dans la nuit, pour prier ; fatigué, lui aussi, malade, certainement…, malade de tous ceux qu’il n’a pas guéris et qui souffrent. On le retrouve : “Reviens, tout le monde te cherche !” Jésus ne revient pas. Il fuit en avant, vers d’autres détresses !
Aussi, en écoutant l’évangile n’avons-nous pas pensé à tous ceux-là, estropiés, lépreux, les blessés d’esprit et de cœur, que Jésus a rencontrés et qu'il a laissés derrière lui, non guéris. Derrière les enfants que voyait Jean-Bosco, il y en avait une foule d’autres ! Derrière les centaines et les milliers de pauvres de Mère Térésa, il y en avait des dizaines, des centaines de milliers d'autres... Derrière les milliers de pauvres de l’Abbé Pierre, il y avait des milliers de milliers d’autres…

Alors, oui, la question sera toujours d’une obsession incessante : où est donc cette “Bonne Nouvelle“ que Paul proclamait ? Où est notre espérance ? Où est le Dieu Tout Puissant ?

Certains veulent nous expliquer : “Tu es trop sensible. Ne t'arrête pas aux détails, regarde l'ensemble. Bien sûr, il y a la misère et les larmes, mais il y a le ciel, le soleil et la mer. Écoute Mozart (en ces “folles journées de Nantes“), contemple Michel Ange, vois les enfants qu'on aime, les enfants qui s'aiment. Comme dans les grands tableaux, l'ombre est là pour souligner la lumière !”
Eh bien “non” ! Un détail, une ombre au tableau, l'enfant qui meurt de leucémie ? Un détail, les folies meurtrières de la guerre ? Une ombre au tableau les jeunes qui meurent de la faim ou du sida ? “Le plus merveilleux des mondes, dit Dostoïevski, s'il y a les larmes d'un enfant, je le refuse.”

D'autres diront que le mal est un châtiment : “Dieu te punit..., tu n'as que ce que tu mérites... et si ce n'est pas toi, c'est donc ton frère !”
Encore une fois : “Non” ! St Vincent de Paul amène aux Dames de la Charité un enfant trouvé. L'une d'entre elles proteste : “Dieu veut peut-être qu'il meure, Monsieur, car ce sont les enfants du péché !”. Et Vincent en colère : “Quand Dieu veut qu'un innocent meure pour les péchés, c'est son Fils, Madame, qu'il envoie !”.
D’ailleurs, Dieu n'a pas sacrifié son Fils ni glorifié la souffrance. Celui qui arrêta le bras d'Abraham levé sur son fils, Isaac, - “sourire de Dieu” -, n'a pas levé le sien sur son Fils Bien-Aimé ! Il a donné son Fils pour que par lui le monde ait la vie. Et ce sont les hommes qui l'ont assassiné. Il faut dire cela quand même !

Alors, que faire si le mal toujours l'emporte ? Peut-être la révolte amère d’un Job : “Vraiment la vie de l’homme sur terre est une corvée !”, comme la révolte de la multitude des enfants de Job ? - “Dieu, j'ai deux mots à te dire, des comptes à te demander !”. Oui, c'est vrai, je peux en appeler à Dieu contre Dieu. Comme le disait, à sa façon, Elie Wiesel au cœur de la shoah : “Quelques fois j’étais avec Dieu, très souvent, j’ai été contre Dieu. Et pourtant, pourtant…, jamais sans Dieu !”

Et c’est peut-être là que nous pouvons discerner l’attitude à acquérir, deviner qu’il y a une autre voie, la seule, la voie royale, celle de Jésus, celle de Jean Bosco. Le mal, c'est ce qu'on ne peut pas comprendre, c'est ce qu'on ne peut pas aimer. Le mal n'est pas à expliquer, mais à combattre. Rappelons-nous Jésus devant l'aveugle-né. Les apôtres demandent : “Qui a péché, lui ou ses parents ? C'est la faute à qui ?”. Jésus ne dit pas : “Je vais vous expliquer.” Jésus ne fait pas un sermon sur la grandeur de la souffrance offerte. Il guérit “afin, dit-il, que la gloire de Dieu soit manifestée”. Jésus témoigne d'un Dieu qui trouve sa joie dans le recul du mal.

Et si Jésus, au lendemain de sa journée à Capharnaüm, est parti, ailleurs, cela veut peut-être dire : A nous de lutter, à nous de changer ce monde. Après tout, avant de s'en prendre à Dieu, si nous nous en prenions à nous, les hommes. Nous sommes, nous devons être jusqu'à la fin des temps le cœur et les mains de Dieu.

Trop facilement, on a dit : “Les yeux qui ont vu Auschwitz et Hiroshima ne pourront plus contempler Dieu.” Croyez-vous qu’ils peuvent davantage contempler l'homme ? Qui a fait Auschwitz, Hiroshima, Dieu ou l’homme ?

Jésus part ailleurs, en nous disant : qu'ils se dressent les artisans de justice et de paix. Qu'ils se lèvent les hommes de la miséricorde et de la tendresse, les hommes aux mains ouvertes. Don Bosco s'est arrêté de pleurer. Il s'est levé, il a lutté, il a fondé l'Oratoire, la Congrégation des Salésiens, il a suscité des disciples. Par lui et par eux, des foules d'enfants humiliés ont été sauvés. Bien avant Jésus, un sage (Confucius) disait déjà : “Plutôt que de passer ton temps à maudire les ténèbres, allume donc une bougie dans la nuit”.

Et pourtant, pas plus que Jésus n'a guéri tout le monde, Don Bosco n'a pas sauvé tous les enfants. Au cœur et au terme du combat, il y a un horrible “reste”, un abominable passif. Dieu le sait, lui qui en son Fils sait, depuis Gethsémani, de quoi il s'agit quand nous parlons d'angoisse, d'échec, d'agonie, de trahison, de mort.

Ce qui manque le plus peut-être, c’est un regard éperdu, un regard d'enfant, vers celui qui a tout partagé de la détresse humaine ; regard éperdu vers celui qui, sur la croix, a poussé vers le Père le cri, la clameur des psaumes : “Des profondeurs je crie vers toi.. les eaux me submergent... Mon cœur fond en moi comme la cire.” Mais, Seigneur, “Je suis sûr de ta Parole.”
Oui, un regard tourné vers celui que le Père n'a pas laissé tomber. Il l'a relevé des abîmes, “l'a fait Seigneur et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom“, comme dit St Paul.

Au fond, le Christ, est-il dit, part ailleurs ! L’ange pascal ne disait-il pas au matin de la résurrection : Il vous précède en Galilée ; c’est là que vous le verrez, comme il vous l’a dit“ (Mc 16.7). Il nous “précède en Galilée”, en ce carrefour souffrant des nations. Alors, allons le retrouver, mais sachons-le : il est autant à Bethléem qu’à Gethsémani. Cependant dans le lieu où il nous attend, allons proclamer : que sa Pâques soit notre Pâques, soit la Pâques du monde entier. Et malheur à moi si je n’annonce pas cet Evangile-là !

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