samedi 11 février 2012

Pain pour le monde

5 T.O. Samedi (Mc 8.1-10)

Comme j’ai eu l’occasion de le souligner : il y a en Marc (ainsi qu’en Matthieu) deux “multiplications des pains“, l’une d’une tradition judéo-chrétienne, l’autre d’une tradition pagano-chrétienne.

Ainsi, dans la premier récit, les douze paniers qui contiennent les restes après le partage du pain se réfèrent au douze tribus d’Israël et annonce l’“Institution des Douze apôtres“ auxquels sera confié le nouveau “Peuple de Dieu“ !

Dans le récit d’aujourd’hui, il est question de sept pains et de sept paniers. Ce chiffre évoque les 7 ou 70 nations païennes dont il est question dans la Genèse (ch. 10) et dans le Deutéronome (7.1). Symbole qui se retrouvera dans l’envoi des 70 (ou 72 selon le texte grec) disciples envoyés par Jésus (Luc 10.1), en “tout lieu“, c’est-à-dire - déjà - dans le monde entier ! Ce chiffre préfigure encore l’“Institution des sept diacres“, issus du monde grec, du monde païen…

De plus, ce second récit, d’après le contexte, se situe en “terre païenne“ : Jésus est sur le chemin de retour de Tyr “vers la mer de Galilée, en passant par la Décapole“, est-il dit (7.31). Tyr ! Décapole ! Marc veut délibérément souligner l’extension aux païens de l’œuvre de Jésus.

Il est amusant de remarquer encore que dans ces régions, il n’y a pas, à proprement parler, de désert dont il est pourtant question : “Où trouver du pain dans ce désert ?“ demandent les disciples ! Jean (et Marc aussi dans son premier récit) notera bien qu’“à cet endroit, il y avait beaucoup d’herbe“ (Jn 6.10) ! Un désert, plein d’herbes ! Curieux ! Mais le mot désert évoque toujours dans la Bible le fameux désert que les Hébreux traversèrent pour “passer“ (ce fut leur “Pâques“ !) de la servitude du monde“ au “service de Dieu“ (Il y a le même jeu de mots en hébreu : passer de la servitude, “avdout“ au service, “avoda“). Et c’est dans ce désert que le Peuple de Dieu reçut la manne, ce pain venu du ciel !

Où que nous soyons, ne sommes-nous pas dans un désert - même ici en ce prieuré “La Paix Notre-Dame“ -, en route vers la Terre promise ? Et nous avons bien besoin de la nourriture venue du ciel, le Christ en nous-mêmes : “Prenez et mangez, ceci est mon corps !“.

Après sa résurrection, c’est toujours à la “fraction du pain“ qu’il se laisse le reconnaître, non seulement à Emmaüs, mais tout près également du lieu de la multiplication des pains, au bord du lac (Jn 21.13 : “Jésus vient, il prend le pain et il le leur donne“).

C’est toujours à ce signe qu’on peut le reconnaître depuis que la réalité de sa présence échappe désormais à la perception immédiate des sens. Comme il est consolant pour nous d’avoir, durant tout le cheminement désertique de notre vie ici-bas, ce geste qui transfuse en nous la vie même du Ressuscité pour nous acheminer vers la Vie, la Vie en Dieu, la Vie avec Dieu : “Par Lui, avec Lui, en Lui, … dans l’Esprit-Saint, tout honneur et toute gloire !“.

Aussi, l’Eucharistie doit être au cœur de notre vie baptismale, religieuse. L’Eucharistie est, en effet, l’amour du Seigneur offert à tout homme. Pour le salut du monde entier, Jésus poursuit à travers le temps et l’espace son mystère pascal en se faisant Eucharistie. Par l’Eucharistie Jésus s’est à jamais “livré pour nous“ ! Car chaque messe actualise ce don immense que le Christ fait de sa vie pour nous donner la Vie !

Et il est bon de redire ici où l’on se retire volontairement du monde comme dans une désert que, “l’Eucharistie est en elle-même, comme le disait naguère le pape Jean-Paul II, un événement missionnaire“. Car l’Eucharistie est “LE SACREMENT“ par excellence, l’activité permanente de Dieu allant à la recherche de l’humanité. L’Eucharistie, c’est Jésus qui continue à se donner ; il se donne à son Eglise afin que celle-ci, d’une manière ou d’une autre, le donne au monde, ne serait-ce que par une vie consacrée pour, par et dans ce sacrement de l’Eucharistie qui demeure “Présence de Dieu au monde“ !

Il nous faut en prendre de plus en plus conscience : l’urgence de la mission face à un monde sécularisé ou indifférent doit nous conduire à ce qu’on pourrait dire une “urgence eucharistique“, tant il est vrai que l’Eucharistie est la source et le sommet de toute évangélisation.

Prions, adorons, témoignons silencieusement ou par la parole ! L’Eucharistie annonce la résurrection de toutes choses dans le Christ. L’Eucharistie proclame notre foi, notre espérance, notre amour : le pain qui devient Corps du Christ prépare notre humanité blessée à devenir Corps du Christ, prépare le monde à naître pleinement en la Vie même de Dieu !

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