mercredi 15 février 2012

L'aveugle qui voit !

6 T.O. Mercredi - (Mc 8. 22-26)

Hier (sans la fête des grands Saints Cyrille et Méthode), nous aurions dû entendre la longue apostrophe que Jésus adresse à ses apôtres eux-mêmes après la multiplication des pains, apostrophe qui souvent pourrait nous être destinée ! “Vous ne comprenez pas encore et vous ne saisissez pas ? Avez-vous donc l'esprit bouché, des yeux pour ne point voir et des oreilles pour ne point entendre ? …Ne comprenez-vous pas encore ?" (Mc 8.17-21). Et l’absence de réaction de la part des apôtres aiguise encore plus la pointe du reproche. Ce n’est qu’un peu plus tard que le dialogue entre Jésus et les siens reprendra pour se finaliser par la déclaration de Pierre : “Tu es le Christ !“

Entre les deux évènements, il y a un épisode à la fois curieux et déterminant : la guérison d’un aveugle qui semble correspondre à la réprimande de Jésus : “Avez-vous des yeux et ne voyez-vous pas ?“. Aussi, on devine dès le début de cet épisode qu’à l’exemple de l’aveugle qui recouvre la vue, les disciples vont finalement et très vite voir eux aussi !

Notons - et c’est amusant et instructif tout à la fois - que la guérison est située à Bethsaïde. Le nom de ce village était déjà apparu (6.45) comme lieu de destination après le récit de la première multiplication des pains. En réalité, Jésus et ses apôtres avaient accosté à Génésareth (6.53). Avaient-ils loupé leur destination ? Sans doute ! Il est vrai que le vent avait été contraire et que Jésus, resté à terre, les avait rejoint pour les réconforter en marchant sur les eaux. Et le narrateur d’en profiter pour bien noter: “Il monta auprès d’eux dans la barque, et le vent tomba. Ils étaient complètement bouleversés. En effet, ils n’avaient rien compris au sujet des pains ; leur esprit était bouché !“ (6.52). Marc veut sans doute nous dire que tant que dure l’opacité des apôtres, ceux-ci errent et sur le lac dans leur esprit. Tempête extérieure correspondant à une tempête intérieure! C'est fréquent cela !

Ne sommes-nous pas nous-mêmes des sourds et des aveugles. Et, souvent, nous errons, nous aussi, de-ci de-là, au gré des vents du monde ou des tempêtes en notre propre cœur… Mais le Seigneur vient… Il monte dans la barque de notre vie… Et finalement, avec lui, après plus ou moins de temps, en accueillant parfois pour nous-mêmes les apostrophes que Jésus adressait à ses apôtres, nous arrivons à destination ! “Ils arrivent à Bethsaïde“, dit le texte ; et ils ne tarderont plus à reconnaître Celui qui est au milieu d’eux (ce sera la confession de Pierre : 8.27-29). On voit ainsi que certains éléments anodins, comme le jeu des traversées en barque, recouvrent une signification : Dieu nous conduit par-delà les aléas inattendus et incompréhensibles de notre vie. Ce n’est qu’avec le temps que nos yeux s’ouvrent et que nous nous écrions, comme Jacob : “Dieu était là ; et je ne le savais pas !“.

Parmi les détails les plus surprenants du court récit de notre évangile d’aujourd’hui, il y a le fait que l’aveugle recouvre la vue en deux temps. En un premier temps, il déclare “voir des hommes qui marchent“, mais les voir “comme des arbres“ ! Je ne vous conseille pas d’essayer de vous représenter ce qu’il voit ; personne n’y a réussi d’ailleurs ! Et la question n’est pas là, bien sûr ! La structure de ce curieux énoncé est plus simple qu’il n’y paraît : ce que l’aveugle voit de fait est bien inférieur à ce qu’il dit voir. Il affirme voir “des hommes qui marchent“ ; en fait il les voit “comme des arbres“, c’est-à-dire sans le mouvement.

Et bien, cette structure correspond exactement à celle de la confession de Pierre, quelques versets plus loin. De la même manière que Jésus interroge l’aveugle sur ce qu’il voit, il interrogera ses disciples sur son identité. La réponse de Pierre - “Tu es le Christ !“ - est certes très bonne. Mais quand, aussitôt après, Jésus enseigne à ses disciples le sort qui lui sera réservé en tant que Messie, Pierre proteste violemment. Il manifeste ainsi que sa réponse très exacte excédait cependant - et largement - ce qu’il reconnaissait effectivement en Jésus. Aussi sera-t-il réprimandé par celui-ci.
Et Jésus enseignera aussitôt : “Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même et prenne sa croix, et qu’il me suive !“ (8.34). Autrement dit, ce n’est qu’en acceptant de suivre Jésus jusqu’au bout que Pierre verra le Royaume promis : il verra, annoncera Jésus, “le Fils de l’homme quand il viendra dans la gloire de son Père avec tous les saints anges“ (8.38). Il verra alors parfaitement ! Ainsi ce petit récit de la guérison de l’aveugle de Bethsaïde s’accomplira pour les apôtres dans la suite de l’évangile, s’accomplira pour tout disciple du Seigneur qui se met à la suite du Christ !

Pour terminer, je me permets deux petites observations :
° Dans la mentalité biblique, mourir jeune est un non sens : mise à part la sensibilité qui est en émoi, bien sûr, le jeune qui meurt n’a pas eu assez de temps pour - “marchant devant Dieu, avec Dieu“ -, travailler à accommoder son regard vers Dieu ! Le temps, normalement, nous est donné pour que - avec la présence du Seigneur en notre barque - nous arrivions à une sorte de “contraction du temps“ qui sera finalement le “temps sans temps“ : la vison éternelle de Dieu : le voir, non tel que nous l’imaginons, mais tel qu’il est ! Profitons du temps qui nous est donné !
° Deuxième observation, simple : la guérison de l’aveugle de Bethsaïde ! On a tous besoin d’un tel miracle ! Nous sommes tous tellement “bouchés“ ! Il y a beaucoup de guérisons d’aveugles dans l’évangile. Ils savent, eux, désormais voir la folie de Dieu qui est plus sage que la sagesse des hommes. Oui, nous avons tous besoin d’un tel miracle ! Prions…


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