vendredi 11 novembre 2011

Saint Martin

11 Novembre

Jésus parlait de "sa venue" : "quand le Fils de l'homme viendra dans sa gloire…". Des centaines de peintres, de sculpteurs feront surgir la fresque du jour final sur la toile, dans la pierre. Et l’évocation du tribunal de fin du monde, creusera de gravité et de crainte le sérieux de la vie humaine…

Pourtant, il ne faut pas se laisser fasciner par le décor, l'imagerie de l'ultime assemblée. Jésus ne veut pas décrire, à l'avance, l'avènement du monde à venir. D'ailleurs, il n'a jamais répondu à la soif de merveilleux, si profonde chez l’homme ! A propos de la fin des temps, en comparaison de la littérature de son époque, Jésus est d’une sobriété étonnante… Il a même déclaré qu'il ne savait "ni le jour ni l'heure". Jésus n'a donc pas voulu faire, à l'avance, le scénario du jugement, ni satisfaire la curiosité par une page de littérature d'anticipation.

L'insistance de Jésus ne porte pas sur l'avenir, mais bien sur le présent. C'est aujourd'hui, nous dit-il, que le jugement est commencé, et non pas dans quelque ultime débat. Car c'est aujourd'hui que les hommes ont faim et soif, et qu'il y a parmi vous des étrangers, des malades, des prisonniers, des démunis.

Maniant le paradoxe, Jésus utilise et renverse les représentations religieuses habituelles. Certes, il reprend l'imagerie courante, ouvrant à son tour le tribunal du jour final. Mais c'est pour dire : ce n'est pas ce jour-là que la décision est prise ; c'est fait depuis longtemps. Si Jésus se transporte à la fin des temps, c'est pour nous faire saisir l'importance du présent. C'est une manière subtile de nous crier : le grand soir, c'est ce soir ! Ce n'est pas vers l'avenir lointain que Jésus jette la lumière de son regard, mais vers la profondeur actuelle de la vie. Il nous révèle que Dieu habite notre aujourd'hui. L'échéance d'éternité, c'est maintenant, le moment présent.

De plus, cette page nous réserve une autre surprise, plus étonnante encore : la rencontre du roi ne sera pas, elle non plus, ce que nous attendions. Ce n'est pas dans la fulgurance du ciel - ou pas seulement, du moins - que les hommes auront l'entrevue décisive. En réalité, Dieu est accueilli ou repoussé chaque fois que sont accueillis ou repoussés les hommes qui ont besoin des autres hommes. Quel prodigieux renversement, et scandaleux pour certains : le visage de Dieu que nous désirons voir un jour, c'est aussi - depuis l'Incarnation - le visage de l'homme: celui de mon voisin, de mon frère, de ma sœur… Oui, la rencontre avec Dieu, c'est obligatoirement la rencontre avec l'homme créé à son image et "re-créé" par Dieu fait homme. Aimer Dieu, c'est aimer l'homme !

Et Jésus lui-même n'a cessé, durant toute sa vie humaine, de nous donner l'exemple de cet amour de l'homme. Par l’évangile d’aujourd’hui, il nous dit : "Tu veux savoir ce que signifie le verbe "aimer", interroge donc ceux que j'ai rencontré; et tu sauras comment rencontrer tes frères.
- Interroge cette femme prise en flagrant délit d'adultère. Arrachée à la mort la plus infâmante…, elle te dira de quel amour elle fut aimée…
- Interroge ce fonctionnaire véreux, ce Zachée, exploiteur des pauvres…, Libéré des ambitions qui le dévorent, il te dira si ce jour-là, il fut aimé…
- Interroge cette prostituée, objet de sarcasmes chez Simon. Qu'elle te dise mon regard sur elle, ce regard qui a changé en diamant la fange de sa vie.
- Interroge cet homme à la main desséchée que j'ai guéri un jour de sabbat, transgressant, pour lui tout seul, le tabou le plus sacré. Lui aussi a connu la puissance libératrice de l'amour…
- Interroge Simon-Pierre, après son reniement et son pardon reçu. Demande-lui jusqu'où va l'amour lorsque c'est Dieu qui aime…
- Interroge ces pécheurs de tout acabit, ils te diront ce que j'ai enduré de mépris, de réprobations pour avoir osé les fréquenter, les rencontrer".

Depuis lors, toute rencontre humaine est une rencontre sacrée. L'évangile d'aujourd'hui doit nous fait comprendre qu'une rencontre de l'homme, même au tournant imprévue de sa vie, est une rencontre de Dieu!

St Martin a compris cela. Devenu, bien malgré lui, officier dans l'armée romaine, on lui attribue automatiquement un esclave pour lui servir d'ordonnance. Il le considère comme un frère : il l'invite à sa table, parfois le sert et lui nettoie ses chaussures. - Durant le rude hiver 338-339, il est en garnison à Amiens. De bon matin, il effectue une ronde. Aux portes de la ville, il aperçoit un mendiant mal vêtu, un étranger, un gaulois loqueteux. Sans hésiter, Martin coupe en deux son large manteau de cavalier ; il couvre le malheureux ; il habille le Christ lui-même : "j'étais nu, et tu m'as vêtu"!

Et, bien sûr, il y a multitude d’autres exemples… Exemples que nous ne pouvons sans doute pas refaire, copier… Mais ils nous enseignent que tous, nous avons à inventer, là où Dieu nous a placés, des gestes d'amour de Dieu qui sont des gestes d'amour de nos frères. Bien sûr, seuls, nous sommes souvent démunis ; mais avec la force du Christ ressuscité, nous pourrons accomplir des choses humaines qui seront divines.

N'oublions pas ! Dieu n'est pas enfermé au bout du chemin de notre vie, derrière les portes de bronze de quelque tribunal d'éternité. Il est ici, parmi nous ; il est en tout lieu de la terre. Et ce que les hommes sont les uns pour les autres, ils le sont en même temps pour Dieu. Impossible de compartimenter la vie, et de mettre Dieu en des lieux réservés que l'on aborderait avec des airs de circonstance. Dieu habite la joie, le bonheur, mais aussi la faim, la solitude, la prison, la maladie, le dénuement. Il attend que les hommes soient simplement humains à son égard. Son temple - son Corps - c'est l'humanité souffrante et ardente, accablée par toutes les morts, mais vouée aussi à toutes les résurrections.

Et, en terminant, pour vous signifier que ce que je viens de vous dire n'est pas arbitraire, je vous renvoie au grand Saint Augustin. Il disait dans l'un de ses sermons : « Au jugement dernier, le Seigneur ne dira pas : “Venez prendre possession du Royaume puisque vous avez vécu chastement, n'avez fraudé personne, n'avez pas écrasé le pauvre, n'avez violé la propriété de personne, n'avez trompé personne avec un faux serment“. Il n'a pas dit cela, mais : “Recevez le Royaume, car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger“. Et pourquoi les impies sont-ils condamnés ? Parce qu'ils sont adultères, homicides, fourbes, sacrilèges, blasphémateurs, infidèles ? Non, Notre Seigneur ne dit rien de tout cela, mais il leur dit simplement : “J'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger !“"
Vous êtes émus, je le vois
- continuait St Augustin - comme je le suis moi-même. La chose est vraiment admirable. Et je résume la raison de cette chose admirable pour vous l'expliquer. Et comment l'expliquer ? La Parole de Dieu nous répond : "L'eau éteint les flammes ; l'amour du prochain remet les péchés" (Eccle 3/30). Ou encore : "Enferme ton amour dans le cœur du pauvre, et c'est lui qui priera pour toi le Seigneur" (19/15)… Et il y a dans la Parole de Dieu, de nombreux autres exemples qui nous montrent la valeur de l'amour fraternel pour obtenir l'extinction et la destruction des péchés.
C'est pourquoi, envers ceux qu'il va condamner, et plus encore, envers ceux qu'il va couronner, le Christ tiendra compte seulement de l'amour fraternel. Comme s'il disait : “Si je vous examinais et vous pesais en scrutant avec soin toutes vos actions, il serait bien difficile de ne pas trouver de quoi vous condamner. Mais recevez le Royaume, car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger. Si vous entrez dans le Royaume, ce n'est pas parce que vous n'avez pas péché, mais parce que, par votre amour de vos frères, vous avez expié vos péchés“ ».

Retenons cette leçon de l'Evangile que l'Evêque d'Hippone avait bien su discerner. Et rappelons-nous ce devoir de l'amour de nos frères, même si nous ne l'exprimons que par un simple verre d'eau ou par un simple sourire réconfortant.

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