dimanche 20 novembre 2011

Christ Roi !


Le texte de l’évangile d’aujourd’hui est souvent intitulé : “Le Jugement dernier”. Or, dans notre mentalité actuelle, il y a comme une sorte d'allergie à l'idée de “jugement“ ! A tort… et à raison, tout à la fois. A raison, parce que l’idée trop humaine du jugement que nous nous faisons ne correspond pas à l’enseignement de l’évangile et des apôtres ! St Jean affirme magnifiquement : “Nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu’il est !“ (I Jn 3.2). Aussi, c’est le pécheur qui ne peut et ne pourra supporter le regard d’amour de Dieu, manifesté en son Fils, toujours proposé par son Esprit ! C’est lui qui se détourne et se détournera du regard de Dieu-Amour ! Ce n’est pas Dieu qui détourne son regard, lui, toujours “plein d’amour et de miséricorde !“

Aussi, une première évidence : En ce texte, le Seigneur nous présente le jugement comme une glorification des petits. (D’ailleurs, St Matthieu insiste constamment, en son évangile, sur les petits des communautés chrétiennes, sur les petits du monde, sur tous les petits qu'il faut aider).
Ainsi, dans le passage d’aujourd’hui, le Christ se présente comme
- le roi des petits, non comme un roi grandiose, loin de nous,
- un roi qui va prendre sur lui l’extrême pauvreté du péché du monde : notre texte précède immédiatement le récit de la passion du Seigneur,
- un roi qui appelle tous les malheureux, quels qu’ils soient, à le rencontrer : “Venez, les bénis de mon Père…”.

Oui, le visage du Seigneur que nous présente cet évangile est une image merveilleuse. C'est l'image du Seigneur qui a eu faim, soif, qui a été étranger, malade, en prison, c-à-d. le visage de tous les hommes qui souffrent, qui sont opprimés, bafoués humainement, spirituellement. Le Seigneur est là dans tous ces hommes. L’évangile nous découvre cette dignité invraisemblable de tout homme - même pécheur - appelé à rencontrer le Seigneur dans la vérité de son amour ! Et cette vérité, c’est d’abord de reconnaître notre pauvreté, notre petitesse, d’une manière ou d’une autre. Et parce que nous-mêmes, affamés, assoiffés, malades, pécheurs, nous sommes appelés à recevoir l’amour de Dieu ; et, le recevant, nous sommes alors portés à soulager tous les souffrants, par la force de cet amour de Dieu qui veut réunir tous les hommes en cette Vie d’amour que s’échangent éternellement le Père, le Fils et l’Esprit-Saint !

Tous les hommes sans distinction ! Car le Seigneur insiste sur le fait que ces petits, ces justes - ceux-là mêmes qui semblent parfois éloignés de lui - ne se rendaient même pas toujours compte de ce qu'ils faisaient : “Quand t'avons-nous vu avoir faim et nous t'avons nourri, avoir soif et nous t'avons donné à boire ? Quand sommes-nous venus jusqu'à toi ?” Et le Seigneur leur répond : “Vraiment, chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces petits, c'est à moi que vous l'avez fait”.

C'est cela le grand mystère de notre foi : la rencontre avec la miséricorde de Dieu, avec la vérité de l'amour qui met à nu la pauvreté de notre vie ; et le Seigneur comble cette pauvreté en nous appelant à être “à son image et ressemblance”, à être constamment au service de nos frères qui ont faim, qui ont soif, qui sont étrangers, malades, qui pauvrement cherchent Dieu ! Parce que pauvres, nous sommes appelés à reconnaître Dieu qui donne et se donne en le retrouvant en nos frères à qui nous donnons ce que nous recevons. Voilà le jugement du Seigneur ! “Chaque fois que vous l’avez fait…”. Au fond, le jugement est d’aujourd’hui, avant d’être de demain !

Et remarquons bien : le jugement porte sur des actes concrets faits ou non-faits : curieusement, ce n’est même pas l’intention qui compte. St Matthieu avait déjà rapporté ces paroles de Notre Seigneur : “Il ne suffit pas de dire… pour entrer dans le Royaume de Dieu ; il faut faire la volonté de mon Père…” - Il faut découvrir, même confusément, cette profondeur de l'amour de Dieu : le Christ en croix est venu prendre sur lui le jugement à la manière du monde et nous en libérer. Le jugement à la manière du monde disparaît parce qu'il n'y a plus que la miséricorde de Dieu que nous recevons du Christ en croix si nous savons la transmettre. Voilà le jugement à la manière de Dieu. “Venez, les bénis de mon Père…”. Autrement dit : dès aujourd’hui, vous êtes ses fils, fils du Royaume parce que vous lui ressemblez ! Parce que vous êtes déjà, peu ou prou, à l’image de ce berger qui prend soin de ses brebis dont parlait Ezéchiel dans la 1ère lecture.

Il reste que ce texte garde un caractère un peu choquant par l’opposition radicale entre les deux catégories : les bénis du Père et les maudits. Dans laquelle pourrions-nous être comptés ? Tous, nous avons su, un jour ou l'autre, visiter le malade ou le prisonnier, vêtir celui qui avait froid et nourrir l'affamé, l’affamé de Dieu ! Mais tous aussi, nous avons, un jour ou l'autre, détourné les yeux (le porte-monnaie ou la main et surtout le cœur) d'une détresse rencontrée.

Aucun de nous n'oserait se compter parmi "les bénis du Père" ; aucun non plus ne mérite totalement la condamnation radicale. Dieu, le juste juge, sait cela mieux que nous. Et Lui seul, peut apprécier à sa juste valeur le cœur d’un chacun ! Aussi, quand nous rencontrons dans la Bible cette opposition entre bons et méchants, justes et pécheurs, il faut savoir que ce sont deux attitudes opposées qui sont visées et non pas deux catégories de personnes. Il n'est évidemment pas question de séparer l'humanité en deux catégories, les bons et les justes d'un côté, les méchants et les pécheurs de l'autre ! Disons-le une bonne fois : c’est en chacun de nous qu’il y a cette face de lumière et cette face de ténèbres !

Aussi faut-il surtout découvrir, redécouvrir la miséricorde de Dieu qui nous sauve de tout mal. Et cette miséricorde divine nous oblige à prendre partie pour le Seigneur, et avec lui pour les pauvres, les malades, corporels, spirituels… ! Le chrétien doit avoir le rôle de “révélateur de la miséricorde de Dieu“. Et nous n’aurons alors aucune crainte de ne pas être sauvés.

Oui, l’évangile d’aujourd’hui nous enseigne de n’avoir qu’une seule crainte, la crainte de ne pas obéir à la Parole de Dieu. Mais si nous écoutons cette Parole, elle nous sauvera en nous demandant de devenir des petits. Car le Seigneur est le roi des petits, le roi qui s'identifie à tous les pauvres du monde, à tous ceux qui souffrent, humainement ou spirituellement. Il s'est engagé jusqu'au bout pour nous apprendre cela. Il s'est humilié jusqu'au bout, il nous a lavé les pieds, il est monté sur la croix pour répondre à l'amour de son Père qui aime tous les hommes !

Et il nous demande d’entrer en ce même mystère, d’en vivre ! Nous n'avons pas à nous interroger sur notre salut, nous avons à nous livrer à la miséricorde de Dieu qui nous sauve. Nous sommes des êtres sauvés en espérance, disaient tous les apôtres qui furent les témoins de la miséricorde infinie de Dieu qu’ils ont imitée. Oui, Dieu est miséricorde infinie ; et, déjà, cette miséricorde nous transfigure. Et cette miséricorde, à nous confiée, triomphera de toutes les misères, de toutes les faiblesses.

Je termine en soulignant que ce passage d’évangile est le dernier texte de St Matthieu avant la Passion du Christ, c'est-à-dire le moment où les forces de la lumière vont affronter celles des ténèbres. Au moment de quitter ce monde, Celui qui nous fait confiance - comme il nous l'a dit dans la parabole des talents -, nous confie ce qu'il a de plus précieux au monde : l'humanité. Tous ces derniers dimanches, les évangiles nous proposaient ce que j'appellerais des variations sur la vigilance, sur le mot "veiller". Ici, une nouvelle variation nous est proposée : "veiller" cela peut vouloir dire "veiller sur." Veiller sur son frère !

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