mardi 18 janvier 2011

Projet divin

T.O. 2 Mardi - Le Shabbat (Heb. 2.5-12 -Mc. 1.21-28)

Quel est donc le sens du shabbat si critiqué, semble-t-il, au temps de Notre Seigneur et aujourd’hui encore, peut-être ?
Il faut d’abord relire le passage de l’Exode (31.12sv) : “Vous observerez mes shabbat, car c’est un signe entre vous et moi d’âge en âge pour qu’on reconnaisse que c’est moi le Seigneur qui vous sanctifie… Pendant six jours, on fera son ouvrage ; mais le septième jour, c’est le shabbat, le jour de repos consacré au Seigneur… pour en faire, d’âge en âge, une alliance éternelle… Il est le signe qu’en six jours le Seigneur a fait le ciel et la terre, mais que le septième jour, il a chômé et repris son souffle…“.

Dieu a tout créé. Il a créé l’homme “à son image et ressemblance“. Il l’a donc associé et l’associe à son projet créateur. Oui, Dieu a un projet : il met l’humanité en marche vers une ville dont il est, lui, “l’architecte et le fondateur“ (Heb. 11.10). Cette ville sera faite de “pierres précieuses“. Et il n’y a pas deux pierres précieuses semblables (Apoc. 21). Chacun de nous est appelée à être l’une de ces pierres vivantes de la Jérusalem céleste, une pierre particulière, réservée, irremplaçable. En nous créant, Dieu n’a pas travaillé en série et comme à la chaîne. Dès lors, à chacun Dieu dit : “Je te connais par ton nom“ (Ex 33.17) ; “je t’appelle par ton nom“ (Is 43.1-5), par ton nom propre, “car tu as du prix à mes yeux“.

Mais au lieu de rentrer dans le projet de Dieu avec enthousiasme, foi, confiance et amour, les hommes “s’amusent“, à élaborer des contre-projets. Ils font des “brisques“ pour construire à leurs idées, une ville, une tour de Babel… et que sais-je encore, pour “créer“ eux-mêmes : “Faisons des briques, construisons une ville…, une tour ! Faisons-nous un nom !“. (Gn 11)

Que se passe-t-il alors immanquablement ? Au lieu de remonter vers son Créateur dans un élan harmonieux d’action de grâces, le monde, par la faute de l’homme qui est bien le roi de la création mais qui oublie d’en être le prêtre, qui oublie d’en faire hommage à Dieu, retombe alors dans le chaos, dans la multiplicité du chaos. Et l’homme lui-même ne comprend plus rien… Il était fait pour les épanouissements d’une fécondité extraordinaire grâce à son alliance avec son Créateur. Et le voilà qu’il tombe dans les esclavages de la production : produire et encore produire, “faire des briques“ et encore des “briques“. Et “faire des briques“, c’est élaborer son système à soi : on adore l’œuvre de ses mains.

Nous sommes faits pour un bon usage de la création dans l’action de grâces et aussi le partage. C’est la vocation de l’homme à la fois royale et sacerdotale. Il prend possession du monde et, par ses diverses activités, il l’élève vers Dieu son Créateur. A ce moment-là, il y a une harmonie qui s’établit : chaque homme peut trouver sa place.

Sinon l’homme se précipite égoïstement sur les biens de consommation, sur les “briques“ fabriquées en dehors du projet de Dieu… Il en devient esclave comme en l’Egypte. Et c’est la division, la guerre, et peut-être la “catastrophe globale“ à laquelle il est fait allusion dans le livre du pape Benoît XVI, “Lumière du monde“ où est rappelé la célèbre phrase de l’abbesse (et médecin) Hildegard von Bingen (12ème s.) : “Quand l’être humain pèche, le cosmos souffre !“. Il y a d’ailleurs un jeu de mots dans la Bible à ce sujet, chez le prophète Osée (11.8) : Quand Dieu vit le péché des hommes (à Sodome et Gomorrhe), le cœur de Dieu fut renversé ; et parce que le cœur de Dieu fut renversé, la terre se renversa ! La Catastrophe !

Oui, le monde meurt et mourra faute de ne pas se tourner vers Dieu, dans un shabbat perpétuel, dans une continuelle action de grâce qui est la clef de l’harmonie universelle : “Tu béniras ton Dieu…“ ; tu feras la bénédiction ( = tu feras eucharistie !).
“Bénis le Seigneur, ô mon âme ! Seigneur, mon Dieu tu es si grand !“ (Ps 104)

L’homme est fait pour chanter, pour rebondir de tout son être dans un sentiment de reconnaissance. De par sa condition initiale, il est un “être royal et sacerdotal“ : il prend possession du monde (il en est le roi) et il doit rebondir dans l’action de grâce (il en est le prêtre). Il “fait hommage à Dieu“ de toute la Création. “Toute ma vie, je chanterai le Seigneur ; le reste de mes jours, je jouerai pour mon Dieu. Que mon poème lui soit agréable. Et que le Seigneur fasse ma joie“ (Ps 104. 33-35).

Pour un Juif (mot dont la racine veut dire “merci“, en quelque sorte), user des biens de la création en oubliant d’en “rendre grâce“, c’est un vol. Aussi toute la vie juive est rythmée par des bénédictions. Depuis la réforme liturgique, l’Eglise a repris la formule juive de la bénédiction du pain et du vin au début de l’Eucharistie : “Béni sois-tu, Roi de l’Univers, qui fais sortir le pain de la terre. Béni sois-tu, Roi de l’Univers, qui donne le fruit de la vigne“. Jésus institue l’Eucharistie dans le cadre d’un repas d’action de grâce !

Nous sommes faits pour “rebondir“ de tout notre être dans l’action de grâce, en écho à la “Parole de Dieu“ qui est faite pour “descendre jusque dans nos entrailles“ et nourrir notre vie … (Cf. Ez. 3.1 sv). - “Par lui, avec lui et en lui, dans l’Esprit Saint, tout honneur et toute gloire au Père“.

Voilà le sens du shabbat. Et pour nous, le Dimanche ? Jour du Seigneur ? Et, en ce sens, savons-nous mesurer la grandeur du don de l’Eucharistie quotidienne, l’Action de grâce par excellence ?

Aucun commentaire: