dimanche 30 janvier 2011

Bonheur

4ème dimanche du T.O. 11/A

Il y a des mots qui font l'unanimité. "Bonheur" est au nombre de ceux-là. On peut se tromper sur le chemin qui mène au bonheur. Mais c'est toujours le bonheur que l'on recherche. “Tout homme veut être heureux, disait Rousseau, mais pour parvenir à l'être, il faudrait commencer par savoir que qu'est le bonheur“ !

Oui, qu'est-ce que le bonheur ?
Il me semble que les hommes ont répondu à cette question capitale, de trois façons :
- Il y a le bonheur d'ordre matériel et sensible.
- Il y a le bonheur d'ordre moral.
- Il y a enfin le bonheur chrétien, celui que nous propose Notre Seigneur dans l'évangile.

Il y a d'abord le bonheur sensible : le contentement de ses désirs les plus naturels, ceux que l'on souhaite par exemple au seuil d'une nouvelle année : santé, richesse, accomplissement de ses projets etc… C'est la conception la plus courante du bonheur. Elle n'est pas mauvaise, bien sûr; mais est-elle suffisante ? Car, ce bonheur-là qui est une jouissance sensible, résulte trop d'une chance que nous n'avons pas le pouvoir de capter nous-mêmes : la santé, et bien des plaisirs… ne sont, comme disaient les anciens, que des faveurs du destin.

Et si l'on ne s'attache qu'à ce "bonheur"-là, on est vite déçu, déception que beaucoup d'écrivains, de poètes ont exprimée : “Le sort qui toujours change, ne nous a pas promis un bonheur sans mélange“ (Racine). “Au banquet du bonheur, bien peu sont conviés“ (V.Hugo). Et certains iront jusqu'à dire que “le bonheur est un mensonge dont la recherche cause toutes les calamités de la vie“ (Flaubert). On ira même jusqu'à affirmer que l'on ne peut être heureux, que “notre bonheur, c'est le silence du malheur“.

Et, devenant facilement désabusés devant ce bonheur-chance-hasard, il n'est pas étonnant que l'on pose des questions parfois injurieuses concernant la bonté de Dieu, sa Providence… Si Dieu est bon, pourquoi ne suis-je pas dans le bonheur ? Mais ce bonheur est-il le véritable bonheur ? Bien sûr, je souhaite à tous ce bonheur, mais je le souhaite encore plus riche.

Aussi, certains, ont-ils cherché la conception du bonheur à un niveau supérieur, au niveau de l'action morale. C'est l'acquisition de la vertu, cette qualité d'être qui rend l'homme bon, honnête, juste et finalement très équilibré, le “kallosagathos“ grec, l’homme beau et bon, ce gentleman qui sait mesurer choses et événements à leur juste valeur, qui recherche les actions bien faites et s'en réjouit pour lui-même et pour les autres.

Ce bonheur est supérieur au précédent, car il n'est pas le résultat de circonstances extérieures, d'une chance ; il est l'œuvre d'une volonté qui veut le bien de l'homme. Il ne peut résulter que d'un amour de l'homme pour l'homme, qui pousse souvent à un certain détachement de soi-même. Et c'est bien dans ce contexte que je placerai volontiers l'ancienne et juste définition de l'amour, celle qu’Aristote adresse à son fils Nicomaque : “une volonté de bienveillance mutuelle fondée sur la communication des personnes“. Cette volonté d’amour réciproque est certainement source de bonheur. Puissions-nous l’avoir pour l’épanouissement de tous ceux qui nous entourent…

Mais une question alors se pose : si l'on s'en tient à cette conception du bonheur, qui résoudra le scandale apparent du bonheur des méchants et du malheur qui frappe les meilleurs. Ce fut la grande question exprimée dans l’Ancien Testament, dans les psaumes, dans le livre de Job et dans celui des Rois à propos de la mort absurde du jeune et saint roi Josias !

C'est que par-delà le bonheur humain, il y a un autre bonheur que nous annonce l'Evangile : on n'est pas totalement heureux parce qu'on agit bien. On sera totalement heureux lorsqu'on atteindra à une Réalité extérieure et supérieure à l'homme. Et cette Réalité, c'est Dieu. Le bonheur n'est pas une jouissance, il n'est même pas l'homme en tant qu'il se perfectionne. Le bonheur, c'est Dieu ; c'est d'aimer Dieu d'un amour généreux ; c'est recevoir son amour afin de pouvoir le communiquer et, ainsi, mettre les hommes en relation avec Dieu, Etre parfait et donc source de bonheur. - Les bonheurs humains ne sont pas à dédaigner ou à mépriser. Mais ils doivent être situés comme des préparations ou des conséquences au bonheur suprême qu'est Dieu.

Et ce n'est que dans cette compréhension que l'on peut relire maintenant les formules paradoxales de l'évangile d’aujourd’hui :
- Etre pauvre de cœur, c'est pouvoir accueillir la richesse même de Dieu parce que nous aurons tout partagé avec l'autre, les autres.
- Etre doux, c'est se préparer à recevoir la force de Dieu dont la puissance procède uniquement de la tendresse.
- Etre pur, c'est se rendre libre de tout ce qui n'est pas Dieu, afin de le reconnaître partout, et surtout en ceux avec qui je vis.
- Etre miséricordieux, c'est avoir le cœur plus grand que le mal et s'offrir la joie de tout noyer dans le pardon, comme Jésus.
- Lutter pour la justice et pour la paix, c'est refuser, comme Dieu, d'être heureux tout seul ; l'amour ne peut le supporter.
- Souffrir pour la foi, c'est donner à Dieu une telle priorité dans notre existence que rien, ni personne ne parvienne à nous faire reculer quand il s'agit d'habiter déjà au ciel en confessant son Nom sur la terre.

Tout cela, c'est le bonheur fou selon l'évangile, non au terme d'une conquête humaine, mais dans le creux d'une vie simple que Dieu saura remplir de lui, de lui qui est le Bien suprême. “Cherchez le Seigneur, disait la première lecture, vous serez à l’abri…“ !
Sachons nous donner à Dieu et aux autres. Voilà le secret du bonheur, selon l'évangile. Un secret de vie !

Et alors, si l'on pouvait faire un fond de l'âme comme le médecin fait un fond de l'œil, on verrait apparaître comme une couleur dominante, celle de la joie. Cette couleur varierait bien sûr avec les jours. Elle serait très souvent vive et légère, même aux heures de tristesse, de lassitude et de mal-être, parce que, pratiquant le seul remède qui vaille : “sortir de soi-même vers l'autre, les autres“. Et l’on expérimente alors que le bonheur est la seule chose au monde que l'on puisse donner sans toujours l'avoir soi-même. Mais paradoxe de l’Evangile : aux heures difficiles, il peut arriver parfois de faire naître ou renaître chez quelqu'un la paix que l’on a perdu momentanément. Mais, obligatoirement, cette paix revient vers nous, comme par ricochet, comme s'il y avait des réalités telles que l'on ne peut s'en approcher qu'en les donnant. N'est-ce pas d'ailleurs une des significations du mot Jésus : “Qui perd sa vie la gagne“ ?

Oui, le secret du bonheur évangélique, celui qu’il faut nous souhaiter, c'est une ferveur à vivre. Cette ferveur est fragile. Je ne la possède pas moi-même toujours. Elle est toujours à recevoir et à donner. Comme un amour… Car ce que je crois, c'est qu'elle est en nous la présence gratuite de… de Celui qui est le Visage des visages, de l'Innommable, de Dieu-Amour… qui souvent choisit “ce qui est fou aux yeux du monde pour couvrir de confusion les sages de ce monde, ce qui est faible pour confondre les forts“.

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