jeudi 13 janvier 2011

Colère bienfaisante !

T.O. 1. Jeudi – Jésus “irrité“ !… (Mc 1..40sv)

On m’a appris qu’il y a une règle d’or dans la lecture de la Bible : les versions les plus difficiles sont souvent les plus authentiques. St Marc en donne un exemple. J’ai lu : “Un lépreux tombe à genoux devant Jésus et le supplie… Pris de pitié, Jésus étend la main…”. Or des manuscrits, nombreux et plus anciens rapportent : “Jésus, non pas “pris de pitié”, mais “irrité”, (en colère). Difficile à comprendre ! Et plus loin : une fois le lépreux guéri, Jésus le rudoie ; il est encore irrité ! - Décidément ! Jésus se fâche contre un lépreux qui demande sa guérison ; Il l’exauce ; et, à nouveau irrité, il le chasse. Comment comprendre ? Je risque une explication. Car ce lépreux ressemble comme un frère …à nous-mêmes, parfois !

Réfléchissons : Jésus se présente comme celui qui vient apporter la “Bonne Nouvelle” de Dieu. Et il s'impatiente devant la lenteur des foules et même des disciples… De fait, on vient à lui surtout parce qu'il opère des miracles.
La première journée de prédication de Jésus est significative : Jésus enseigne, certes ; mais ce qui frappe surtout ce sont les guérisons qu'il opère. Et naturellement, elles suscitent une grande attente : “Tout le monde le cherche !“, lui dit-on. Mais Jésus se dérobe. Il se réfugie dans un lieu désert et là il prie. Quand les disciples le découvrent, il insiste sur sa mission spécifique : "Allons ailleurs dans les bourgs voisins, pour que j'y proclame aussi la “Bonne Nouvelle“ car c'est pour cela que je suis sorti." (1.35sv). C'est à ce moment-là que se situe la rencontre du lépreux. - Il est très bien ce lépreux : il croit en Jésus : "Si tu le veux, tu peux me purifier." On ne voit pas tout de suite pourquoi une telle confiance irrite Jésus. Répondant mot pour mot, et brusquement, Jésus lui dit : "Je le veux, sois purifié". Et immédiatement, la colère revient : "S'irritant contre lui, Jésus le chassa aussitôt".

Jésus a le sentiment d'une “embrouille” : il est venu apporter la “Bonne Nouvelle“ ; et les gens ne retiennent que son pouvoir de guérisseur. Il est venu parler de Dieu-Père ; et l'on attend ses miracles. C'est ce reproche qu'il formulera un jour : "Vous me cherchez parce que vous avez mangé des pains…" (Jn 6/26). Il y a comme un malentendu ; et l'essentiel de la mission de Jésus est négligé. Pourtant, Jésus continuera à prodiguer guérisons, miracles.

De plus, l'efficacité de ces miracles n'est pourtant pas évidente. Il suffit de se souvenir d'une autre affaire, celle de dix lépreux. Jésus agit avec eux comme avec le lépreux de Capharnaüm : il leur enjoint d'aller se montrer au prêtre, à Jérusalem. Pendant leur voyage, ils sont guéris. Un seul sur les dix, un Samaritain, a compris le sens du miracle et reconnu l'action de Dieu dans le geste de Jésus. Il revient rendre gloire à Dieu. Cet épisode aide à comprendre l’irritation de Jésus par rapport au lépreux de Capharnaüm. Jésus se rend compte que la guérison n'entraînera peut être pas la conversion. Il sait même le pourcentage de réussite : un sur dix !

Les gestes de Jésus, l'Eglise s’efforce de les accomplir principalement par les sacrements, par des actes de compassion (Je pense, par exemple, à cette compassion extraordinaire dont témoignent les Sœurs de la charité que j’ai rencontrées à Jérusalem, Bethléem…, envers des palestiniens !). Mais, ce qui irritait Jésus peut parfois nous irriter. On demande facilement des actes d’entr’aide, voire de guérison, mais recherche-t-on l’union avec Dieu ? Le pourcentage de ceux qui veulent entendre la “Bonne Nouvelle” du Christ n'a peut être guère évolué depuis Jésus ! Au contraire ! Ceux qui réclament un signe ne vont pas tous s’attacher pour autant au message du Christ ! Bien plus, on constate que certains chrétiens qui travaillent fort à l'architecture de leur église négligent cependant le Saint-Sacrement.

Ainsi, l’irritation de Jésus s'explique. Nos irritations aussi. Mais la pratique de Jésus n'a pas été pour autant modifiée. Il a continué de faire les gestes de guérison, de compassion. Nous aussi, sachons accomplir modestement de petits gestes qui empêchent les autres de souffrir. C’est parfois le seul témoignage à notre portée. Même à l’intérieur, surtout à l’intérieur de nos communautés, ne méprisons pas ces modestes signes.
Oh ! Il ne s’agit sans doute pas ici de convertir son frère, sa sœur… ! Quoique ! Quoique ! Ne sommes-nous pas tous entrés ici sur le chemin d’une perpétuelle conversion ? Il s’agit, en tous les cas, par de modestes signes, de témoigner de l’Amour de Dieu qui est si grand… ! Je l’avoue simplement : une de mes grandes souffrances pastorales, ce fut de constater que, sous prétexte de rigorisme, de règlements, de morale souvent mal comprise ou mal expliquée, on écartait finalement des personnes qui sollicitaient une guérison…, qui cherchaient Dieu ! Jésus savait, au besoin, manger avec les pécheurs ! Et il savait dénigrer, parfois violemment, toute pratique religieuse qui recélait un manque d’amour, de charité ! Les Religieuses de Port-Royal, a-t-on dit, étaient “pures comme des anges, mais orgueilleuses comme des démons !“. En ce cas, St Augustin avait bien raison de remarquer : “L'Eglise a des enfants parmi ses ennemis et des ennemis parmi ses enfants !“.

Sur le chemin de la conversion, je préfère mériter l’irritation du Seigneur. Car Jésus le sait : il faut du temps pour que notre foi trouve sa force, sa vigueur et puisse aller plus avant dans la découverte du mystère de Dieu. Alors, je sais, moi, - et c’est toute mon espérance - que finalement il me guérira de ma lèpre et, dans sa main qu’il me tendra, je deviendrai “plus blanc que neige !“.

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