dimanche 9 janvier 2011

Baptême de Jésus

Baptême de N.S. 11

Il était une fois - c'était au 4ème siècle -, un évêque qui allait faire visite aux solitaires d'Égypte, ces Pères du désert que les moines considèrent comme leurs ancêtres. Entré chez l'un d'eux, il se mit en devoir de lui laver les pieds. Ce moine, loin de se récrier, se laissa faire et, au témoignage de l'évêque, montra ainsi cette humilité authentique que celui-ci voulait éprouver.

Notre solitaire se souvenait probablement du lavement des pieds à la dernière Cène, quand Jésus voulut faire ce geste du serviteur auprès de ses disciples. Pierre avait protesté : “Non, tu ne me laveras pas les pieds, jamais !”. Le Seigneur s'était contenté de répondre : “Si je ne te lave pas, tu n'as pas de part avec moi”, montrant ainsi que son attitude de serviteur était liée au mystère de sa seigneurie d'amour. Pierre ne comprend pas, mais quand il saisit qu'il y va de son amitié avec Jésus, il en redemande en avançant les mains et la tête (Jn 13, 6-9) !

Pour rester en communion avec le Christ, il faut se laisser faire. Nos pensées ne sont pas les pensées de Dieu (Mt 16,23) : ce qu'il nous demande peut nous paraître incompréhensible et même indigne de lui, mais puisque c'est lui qui parle, il ne reste plus qu'à obéir avec simplicité : “Faites tout ce qu'il vous dira”, selon l'unique recommandation que l'Evangile nous rapporte de la Vierge Marie (Jn 2,5).

Faire ce qu’il dira ! Mais Jean le Baptiste, avant Pierre et avant l'humble solitaire d’Egypte, se trouve ans une position qui lui semble impossible : “C'est moi qui ai besoin de me faire baptiser par toi, et c'est toi qui viens à moi !”. C'est l'évangile que nous venons d'entendre (Mt 3,14). Jean-Baptiste ne semblait pas pouvoir accepter ce renversement de situation, lui qui avait proclamé à tous les échos du désert de Juda : “Au milieu de vous se tient quelqu'un que vous ne connaissez pas, celui qui vient derrière moi, dont je ne suis pas digne de dénouer la courroie de sandale, autrement dit d’être son serviteur. Moi je baptise dans l'eau ; lui baptise dans l'Esprit Saint !”. (Jn 1,26-27.33).

Jean se savait Baptiste, mais n'avait jamais imaginé devoir être le Baptiste de son Seigneur. Comment celui qui s'estime indigne d'enlever les sandales du Messie pourrait-il le baptiser comme les pécheurs qui venaient à lui ? “Il n'en est pas question !”, a-t-il dû dire en substance, ou bien : “Jamais de la vie !”. - “Il voulait l'en empêcher”, écrit St Matthieu ! Comme Pierre, plus tard, après sa confession de Césarée suivie de la première annonce de la Passion, qui tirera Jésus à lui et se mettra en devoir de le morigéner en lui disant : “Dieu t'en préserve, Seigneur ! Non, cela ne t'arrivera pas !”. (Mt 16,22). Nous connaissons la réponse presque violente de Jésus à Pierre : “Arrière, Satan, tu me fais obstacle, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes !”. (v. 23).

Avec Jean Baptiste qui se récuse, Jésus est plus amène qu'avec le bouillant Pierre : “Laisse faire pour l'instant, car c'est ainsi qu'il nous convient d'accomplir toute justice”. (Mt 3,15). Cette première parole de Jésus dans l'évangile selon Matthieu est de grande portée ; elle est de celles qu'il faut garder au cœur, savourer et vivre.
Le texte grec est d'une grande concision : aphes arti ; sa traduction latine aussi : sine modo. Dans les deux cas, la signification est simple : “Laisse maintenant !” Qu'est-ce à dire ? Jean Baptiste est gêné, comme le sera Pierre plus tard - c'est le moins que l'on puisse dire - ; il se trouve dans le cas, prévu plus tard par St Benoît dans sa Règle, de l'obéissance à des choses impossibles : la position en laquelle se présente Jésus est indigne de lui, pense le Baptiste. Alors qu'elle est parfaitement cohérente avec la prophétie d'Isaïe sur le Serviteur, désigné par Jean lui-même comme cet “Agneau de Dieu” qui porte les péchés du monde ! Dans l'acte symbolique du baptême de pénitence, Jésus assume en effet tous nos péchés.

Face à ce mystère de la substitution rédemptrice, que lui-même ne comprend pas - pas plus que Pierre à Césarée -, Jean Baptiste est invité à “laisser faire” : laisser Dieu faire, laisser Dieu accomplir un dessein dont lui seul connaît la grandeur et la parfaite cohérence.

“Tu ne comprends pas maintenant, lui dit Jésus. Laisse faire ! Laisse-toi faire !” - “Pour le moment, laisse-moi faire !”, laisse entendre la traduction liturgique, qui n'est pas la plus heureuse, car, précisément, Jésus ne veut pas faire, mais se laisser faire, lui aussi, se laisser baptiser par Jean. Jean, lui, est invité à cette forme supérieure de laisser faire, qui, paradoxalement, est de faire : en effet, pour le Baptiste, le laisser faire au Jourdain consiste à baptiser le Seigneur. On se rend compte que l’“Abandon à la divine Providence“ (comme disait le P. de Caussade) peut être finalement, parfois, actif.

Mais ce qu’il faut surtout souligner, c’est que Jean Baptiste et Jésus sont dans la même attitude : l'un et l'autre obéissent à un dessein divin supérieur, même s'il parait paradoxal ou même scandaleux. Jésus sait que l'humilité qu'il manifeste au Jourdain, identique à son obéissance jusqu'à la mort de la Croix annoncée, mimée en son baptême, est son parfait ajustement à la volonté de son Père en fonction de notre salut. Jésus et son Baptiste se laisseront faire jusqu'au bout, jusqu'au non-sens de la mort sur la Croix et de la décapitation dans la prison obscure de Machéronte.

C'est ainsi que l'un et l'autre “accomplissent toute justice”, en ce sens qu'ils s'ajustent parfaitement à la volonté divine de salut. “Alors, conclut Matthieu, Jean le laisse faire”, ce qui veut dire que le Baptiste se laissa faire en faisant, c'est-à-dire en baptisant Jésus, tandis que ce dernier se laisse faire absolument. Déjà Jésus prie : “Père, que ta volonté soit faite, et non la mienne !“.

Nous savons donc ce qui nous reste à faire, si, dans le Christ, nous voulons consentir à l'amour de prédilection du Père : nous laisser faire, même quand, pour Dieu, il nous faut faire ce qui semble nous dépasser. St Benoît nous amène à le comprendre pratiquement, lui qui nous affirme, quand il amorce la conclusion de sa Règle : “lis sauront que c'est par cette voie de l'obéissance qu'ils iront à Dieu”. (chap. 71,2).

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