26ème Dimanche du Temps Ordinaire 12/B
Comme il est difficile de vivre les uns avec les autres ! Nous serions tellement mieux les uns avec les uns et les autres avec les autres !
C'est vrai dans la société civile ; c'est vrai aussi, malheureusement, dans l'Eglise. Les trois lectures de ce dimanche l'attestent !
Et pour éviter de vivre les uns avec les autres, nous sommes facilement imaginatifs, utilisant surtout trois techniques : la hiérarchisation, la séparation, l'exclusion.
Par la hiérarchisation, nous pensons que
les uns - nous-mêmes en général, évidemment - sommes meilleurs, plus instruits...
enfin mieux que les autres. Il est donc normal que, sur bien des points (et pas seulement
matériels),
nous ayons plus et donc les autres... moins, que nous nous rassemblions les uns
avec les uns, en laissant les autres avec les autres.
Cette manière de
penser et de faire, plus ou moins consciente et très souvent insidieuse, est
fréquemment évoquée dans la Bible, même parmi les apôtres : "ils se disputaient entre eux pour savoir
qui serait le plus grand" (Lc 9.46). Et les uns avec les uns sont très mécontents
lorsque, parfois, les autres font mieux qu’eux ! La 1ère lecture et l’évangile en donnent des illustrations, tandis que la lettre de St
Jacques dénonce avec fermeté cette hiérarchisation à l'intérieur des
communautés chrétiennes : richesse et considération d'un côté, pauvreté et
rejet de l’autre. Cette manière de faire est si insidieuse qu’il est bon de
jeter un regard sur nos diverses communautés familiales, sociales, religieuses…
Une autre manière
d'éviter de devoir vivre les uns avec les autres est la séparation, À l'échelle d'un pays, cela s’appelle “apartheid”
: les uns avec les uns, les autres avec les autres. Il est clair que si les uns
décident ceci, c'est pour garder des avantages et que si les autres acceptent
cela, c'est contraints et forcés. Car il est évident qu’on ne mélange pas les
torchons avec les serviettes. Cela s’est vu en notre Eglise elle-même. Et cela
se voit encore, car les façons de faire sont tellement insidieuses ! Pourtant,
le Christ, lui, était très ouvert à quiconque. St Marc le souligne fortement…
La dernière manière
d'éviter de vivre les uns avec les autres, c'est l'exclusion ! Nous savons ce que furent les persécutions racistes
du nazisme : il y a des races supérieures à développer, des races
inférieures à détruire !
Mais aujourd'hui,
dans notre monde, sous d'autres formules - économiques dirait St Jacques -,
l'exclusion menace toujours et rejette parfois dans la pauvreté extrême des
personnes par millions. Sachons-le : une société qui encourage les
entreprises à favoriser prioritairement le profit et non plus le “bien commun”,
encourage les plus "malins" à davantage accaparer ce qui est destiné
au bien de la société tout entière ! Aujourd’hui comme au temps de Notre
Seigneur, on admire ces "malins" ingénieux en oubliant que le mot
"mal" est à la racine de ce terme (mal-malin) !
Mais l'exclusion -
et les textes de ce dimanche le montrent - peut revêtir d'autres visages et se
retrouver... en nos églises : l'exclusion religieuse, l'exclusion au nom
même de Dieu ! Naturellement, on pense d’abord à ceux qui ayant ou s'étant
donné le label de croyant ou de chrétien, refusent plus ou moins ceux qui se
réclament d’un autre label ! Ce risque existe chez tous les
fondamentalistes - d'esprit ou de fait - : "nous avons toute la vérité,
rien que la vérité, et ceux qui ne pensent pas comme nous sont dans l'erreur..." !
C’est toujours un grand danger qu’a dénoncé par son attitude le pape
Jean-Paul II à Assise en 1986.
Là encore, la
tentation est subtile : les lectures d’aujourd’hui posent le problème
permanent et actuel des rapports entre l’Institution (l’Eglise) et ce qui la
déborde. L’Esprit qui est à l’origine de l’Institution et qui l’habite de la manière
la plus ordinaire, n’a pourtant pas voulu être prisonnier de l’Institution. Il
continue de souffler “où il veut“ sans qu’on sache “ni
d’où il vient ni où il va“ (Jn 3.8). On dirait même qu’il se plaît parfois à
réveiller l’Institution toujours tentée de se satisfaire d’elle-même, de la
stimuler par des interventions venant de l’extérieur, quitte à provoquer
l’indignation de ceux qui, bien installés, rassurent leur conscience avec le sentiment
de leur appartenance à l’Institution, si sacralisée qu’il ne faut surtout pas
bouger pour que rien ne bouge, surtout ne rien changer pour que rien ne
change !
Ainsi, dans la 1ère
lecture, voilà que deux hommes, Eldad et Médad, bien que n’étant pas présent
dans l’assemblée lors de la formation de l’Institution, profitent malgré tout
du don de l’Esprit et se mettent à prophétiser, provoquant l’indignation de
ceux qui assistaient à la cérémonie. “Moïse, mon Seigneur, dit Josué,
pourtant le plus proche collaborateur de Moïse, “empêche-les !“. Et Moïse rétorque :
“Serais-tu jaloux pour moi ? Ah ! Puisse tout le peuple de Dieu
être prophète, Dieu leur donnant son Esprit !“.
Dans
l’évangile d’aujourd’hui, la scène est très semblable et même plus forte :
les disciples de Jésus sont jaloux parce qu’un homme qui ne fait pas partie du
groupe chasse les esprits au nom de Jésus. “Il ne fait pas partie,
disent-ils, de ceux qui nous suivent !“. Jésus, doux et humble de
cœur, réagit comme Moïse, “le plus humble des hommes que la terre ait porté“
(Nb 12.3).
Et quand nous pensons “Institution“, nous pouvons
penser à Pierre, le chef du collège apostolique. Pierre fut le premier à faire
l’expérience de cette invitation divine à ne pas rester les uns avec les uns
laissant les autres avec les autres ! C’était à Césarée Maritime : “Pierre
parlait encore quand l'Esprit Saint tomba sur tous ceux qui écoutaient la
parole. Et tous les croyants circoncis qui étaient venus avec Pierre furent
stupéfaits de voir que le don du Saint Esprit avait été répandu aussi sur les
païens… Alors Pierre déclara : « Peut-on refuser l'eau du baptême à ceux
qui ont reçu l'Esprit Saint aussi bien que nous ? »“. (Ac. 10.44-47). Et nous savons que cette ouverture de Pierre
provoqua bien des difficultés !
Soyons très fiers et reconnaissants de
participer à l’Institution, d’être d’Eglise. Mais, sachons que
l’Esprit ne s’y est pas enfermé. S’il y a des mouvements “pneumatiques“ comme
je l’ai récemment souligné avec ironie à propos des Corinthiens au temps de St
Paul, il y a aussi les comportements “charismatiques“ de certains, plutôt marginaux
à nos yeux. On peut parfois être perplexe ou devant l’indigence de leur bagage
intellectuel, spirituel, ou devant leurs attitudes plus ou moins étranges, ou leur
affectivité démonstrative… etc. Cependant on est interloqué parce qu’ils
réussissent à faire ce que beaucoup ont renoncé à faire : ils récupèrent
les “incupérables“…, ils font prier des incroyants… etc.
N’oublions pas que des
mouvements de ce genre pullulaient au 12ème siècle alors que
l’Eglise était au sommet de son organisation. Or l’Esprit-Saint s’y en est mêlé
inspirant les “Ordres mendiants“ avec St François et St Dominique, sans parler
de bien d’autres, tel Joachim de Flore, un moine cistercien qui fut fort
disputé… Sachons reconnaître que l’Esprit-Saint sait et saura parfaitement
opérer le discernement qu’il convient en notre époque qui peut paraître si
troublée !
Pour nous-mêmes, face
aux divers risques de hiérarchisation, de
séparation, d'exclusion, laissons chanter en nous les paroles que Dieu nous
rappelle aujourd’hui : "Ah ! Si
le Seigneur pouvait mettre son Esprit sur eux pour faire de tout son peuple un
peuple de prophètes !". Et Jésus lui-même d’affirmer : “celui qui fait un miracle en mon nom ne
peut pas, aussitôt après, mal parler de moi : celui qui n'est pas contre nous
est pour nous !”... Même celui qui aura donné un verre d'eau à un
disciple du Christ, celui-là sera du Christ. Et puis rappelons-nous : “Dieu a envoyé son Fils dans le monde non
pas pour juger le monde mais pour que, par lui, le monde soit sauvé” (Jean 3,17). Quelle
universalité qui reste le secret de la miséricorde de Dieu ! Essayons de
nous l’appliquer !
Nous
voici donc conviés à vivre les uns avec les autres. Ce n'est possible que si
nous nous aimons les uns les autres, si nous nous efforçons de nous aimer d’un
amour humain, bien sûr, familial, amical… - ce n’est pas interdit, évidemment,
même si c’est parfois un peu puéril ou quelque peu conventionnel -, mais de
nous aimer surtout d’un amour divin dont nous avons reçu le germe au jour de notre
baptême.
Remarquons encore que
si l’on parle des uns et des autres, c’est que nous sommes différents. Il faut
le reconnaître et le rester. Ne remplaçons pas exclusion par fusion et
confusion. La vie naît et ne subsiste que dans l'échange. Que serais-je sans
celui qui vient à ma rencontre ? Et puis, Dieu seul peut dire : “Je suis la Vérité”. Chacun de nous est
appelé à s’approcher de cette “Vérité“ avec tous ses frères, ardemment,
humblement surtout. Ne dit-on pas de Satan lui-même qu'il est “le meilleur” ? Oui,
mais avec un tel orgueil qu’il est un ange déchu ! Soyons humbles et
vigilants, évitant toute suffisance, afin de travailler ensemble au salut de tous
les hommes, sans distinction !
Oui, dans le monde,
dans l'Église de Jésus-Christ, il n'y a pas des serviettes et des torchons,
mais des enfants différents qui sont aimés de Dieu et qui ont à s'aimer les uns
les autres, les uns avec les autres !
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