22ème
Dimanche du T.O. 12/B
Les “Pharisiens”,
vous connaissez ? Ce mot est resté péjoratif. Mais qui étaient-ils donc ces
hommes que très souvent Jésus affronte rudement ? “Pharisien” signifie “séparé”. A cause des
particularités de leur comportement ? Peut-être. On ne sait pas très bien.
En tous les cas, il
faut chercher leur origine dans les cercles juifs qui organisèrent la
“résistance” contre l'invasion du “style de vie” païen des Grecs au 2e
s. avant notre ère. On luttait alors pour conserver toute la pureté de la
religion du Dieu Unique, du Dieu de l’Alliance. Une fois passé le péril le plus
grave, un certain nombre - quelques prêtres, mais surtout des laïcs - resteront
groupés en “associations pieuses“ (c’est un “instinct“ de tous les temps ;
on ne discute pas les instincts !) : on y observait méticuleusement la Loi et
les traditions des anciens, et particulièrement les préceptes de pureté.
Ces hommes
attendaient que Dieu intervienne en personne. Ils formaient, pensaient-ils,
l'authentique peuple de Dieu, préparant sa venue! Ils étaient environ six mille
au milieu de la population juive du temps de Jésus que l'on estime à un
demi-million.
Ce jour-là, des
Pharisiens étaient offusqués parce que les disciples de Jésus se mettaient à
table sans se laver les mains. Ce n'était certes pas simple affaire d'hygiène.
C'était pour un motif religieux. Eux se lavaient les mains comme les prêtres
avant qu’ils consomment les offrandes. Ce faisant, ils se présentaient comme le
véritable peuple de prêtres, l'Israël saint et pur qui appelait la venue du
Dieu trois fois saint !
Jésus les traite souvent
d'“hypocrites”. “Hypocrites, avait-il
lancé un jour, qui dites : « Si l’on jure par le sanctuaire, c’est
nul ; mais si l’on jure par l’or du sanctuaire, on est
engagé ! »“. Ainsi, par votre enseignement, d’un converti, “vous en faites un homme de perdition !“
(Mth
23.16).
Faire de son frère un homme de perdition ! Question grave quand même…, mais
toujours actuelle ! Aussi, aujourd’hui, Jésus leur rappelle sèchement les
paroles que le prophète Isaïe prononçait au nom de Dieu : “Ce peuple m'honore des lèvres, mais son
cœur est loin de moi…”, en expliquant
: “Vous laissez de côté le
commandement de Dieu pour vous attacher à la tradition des hommes”.
Le débat est
d’importance et il s'est élargi singulièrement. Certes, nous sommes loin des
mains lavées ou non. Comprenons bien le reproche de Jésus. Il dénonce la prétention
de ces hommes dont la suffisance les a conduits à s'isoler en se croyant
toujours, en se déclarant être du “côté de Dieu“ ! Evidemment ! En bons
religieux, si je puis dire ! En réalité leur “tradition” est souvent une
échappatoire pour fuir le Dieu Vivant ! Jésus leur dit à peu près : “Vous
vous êtes finalement protégés de Dieu lui-même en bâtissant un système
d'observances qui vous rend, pensez-vous, justes devant Dieu, obligatoirement.
En fait, vous vous êtes enfermés en vos actes extérieurs au lieu de regarder en
vous où Dieu veut être présent. C’est pourtant cela l’essentiel : cette
présence de Dieu qui traverse l'homme jusqu'au creux de son cœur”. “Crée en moi un cœur pur“, priait David.
C’est bien autre chose !
Si Jésus attaque
brutalement ce système d'exigences rituelles et morales, c'est pour que l’homme
ne pense pas avoir des droits sur Dieu après avoir accompli des prestations
extérieures. Il doit toujours être pauvre et disponible devant Dieu ! De
plus, Jésus refuse que l’homme s’enlise dans des comportements ; toujours,
il veut l’ouvrir à la simplicité brûlante du Dieu qui n'est pas un code, mais
un Vivant. Jésus ne veut pas s’arrêter à la surface de l'homme ; Il creuse
bien au-delà des pratiques religieuses et morales… Il veut même “déchirer l’enveloppe de son cœur“, dit
le prophète Osée (13
8),
pour lui parler cœur à cœur (Cf. Os. 2.16).
Certes, Jésus
dira : “Je ne suis pas venu abolir
la Loi, mais la conduire à son accomplissement” (Mt 5,17). Car la Loi est
bien un don précieux de Dieu. Elle nous protège de nos libertinages. Mais, à
elle seule, elle ne suffit pas. Au jeune homme qui proclamait fièrement
observer tous les commandements, Jésus rétorque qu'il lui manque encore quelque
chose (Mc
10, 20-21).
Non seulement la bonne observance ne suffit pas, mais elle peut se refermer
comme un piège sur celui qui croit pouvoir s’en glorifier. C'est le piège des
pharisiens de tous les temps. Et Jésus se montre très sévère à leur égard. Car
non seulement, l'essentiel leur fera défaut, mais leur autosatisfaction, en les
repliant sur une rigoureuse observance, risque de les fourvoyer et de
tromper : ce n'est pas le pharisien, si content de lui-même, qui rentrera
chez lui justifié, mais le publicain, si pauvre en observance, dira un jour
Jésus !
En suivant la
logique des pharisiens, on en arrive à pervertir la Loi, la réduire à ne plus être
qu'une “tradition des hommes”, un édifice de rites extérieurs, une casuistique
qui ne donne pas la vie, qui devient même, paradoxalement, mortifère, dira St
Paul. “La lettre tue, seul l'Esprit donne
la vie” (2
Co 3.6).
Cet ancien “pharisien, fils de pharisien“
(Ac.
23.6) sera,
lui aussi, très sévère à ce sujet dans sa lettre aux Galates et surtout en
celle des Romains.
Certes, dira-t-il,
le commandement est nécessaire. D'abord, il nous protège de nos libertinages.
Mais ce n'est pas là le plus important. Au début, le commandement fait mal, contraint,
semble même nous réduire en esclavage. Salutaires blessures que St Benoît soulignera
magnifiquement. Car elles peuvent creuser en nous un désir secret et neuf, le
désir d'être libérés de l'esclavage de la Loi, non pour retomber dans le
libertinage (tentation
permanente),
mais pour être en mesure d'aller au-delà de la Loi, ce désir d'être aspiré
au-delà par l'Esprit Saint pour trouver enfin la vraie liberté. C'est en ce
sens que St Paul dit de la Loi qu'elle peut devenir un pédagogue vers la
liberté, lorsqu'elle nous conduit au-delà d'elle-même (Ga 3,24-25).
Cet au-delà de la
Loi est en fait un au-dedans. C'est le message de l'évangile d'aujourd'hui. Le
vrai bien et le vrai mal ne sont pas à l'extérieur de nous, ils sont au-dedans
de nous. La Loi véritable, celle qui, un jour, rendra tous les commandements
caducs et superflus, est dans notre cœur
: elle est l'amour, “répandu en nos cœurs
par le Saint-Esprit qui nous a été donné“ (Rom 5,5). Car “l’amour, dit encore St Paul, est le plein accomplissement de la Loi“
(Rm
13.10).
Là où est l'Esprit d’amour, là aussi est la parfaite liberté qui nous mène
au-delà de la Loi (Cf.
2 Co 3,17).
Liberté de l'amour, liberté unique qui nous fait agir avec aisance, avec joie
et avec une extrême douceur, et par laquelle tout ce que nous faisons de bien
coule de source, de cette source qu'est l'Esprit Saint en nous. C’est ainsi que
St Augustin pourra dire : “Aime et
fais ce que tu veux !“.
Le
P. Congar a une belle comparaison : “Dans les lois que nous découvrons
dans la Bible, les évolutions sont, en gros, les mêmes que dans la
nature : Dans la nature, il y a d’abord les êtres qui n'ont rien de solide,
les mollusques. Puis ils acquièrent une solidité, mais qui est à l’extérieur
d’eux-mêmes (comme
les escargots).
Au fur et à mesure que l’on avance dans l’évolution, le solide passe de
l’extérieur vers l’intérieur ; on en arrive aux vertébrés qui peuvent
courir, sauter, danser ou voler même.
Et
bien, dans l’évolution spirituelle, nous avons tous à nous situer, mais de
façon toujours dynamique ! Il y a peut-être encore des “chrétiens de
l’A.T.“, comme disait Pascal, ces chrétiens qui manifestent une éducation
traditionnelle reçue un peu comme une sorte de carapace extérieure. On peut
facilement la caricaturer, en rire. Cependant, normalement - et c’est la grande
question -, cette carapace peut, doit permettre au squelette de se former à
l’intérieur, si je puis dire. Et peu à peu la Loi qui s’imposait de
l’extérieur, tous ces règlements divers deviennent comme une partition musicale
que nous sommes appelés à jouer dans les spontanéités de la liberté de l’amour,
cette partition musicale qui épanouit ce qu’il y a de meilleur en nous quand
Dieu nous a créés “à son image et ressemblance“. La Loi devient, par l’Esprit
d’Amour en nous, cette Sagesse qui joue en présence de Dieu Créateur (Cf. Pr 8.30), cette Sagesse qui,
en nous, devient “le livre des
commandements de Dieu“ (Ba 4.1) !
Je
terminerai ce propos difficile, en remarquant que dans la Bible, c’est
l’Esprit-Saint qui est toujours à l’origine de l’Institution, de la
structuration du peuple et même de la construction du temple en tous ses
détails. Mais l’Esprit d’amour qui est à l’origine de l’Institution ne veut
absolument pas lui-même en être prisonnier. On dirait qu’il prend plaisir
parfois au cours de l’histoire à intervenir de l’extérieur pour nous bousculer
et nous faire toujours mieux réfléchir au sens de l’Institution, des
observances diverses.
Le
premier à en faire l’expérience dès le Nouveau Testament, c’est St Pierre, le
chef de l’Institution nouvelle qu’est l’Eglise. Après le songe gastronomique
qu’il a, lorsqu’il méditait à Joppé, sur la terrasse chez un certain Simon le
corroyeur…, il se rend alors chez Corneille à Césarée sur qui il voit l’Esprit
Saint tomber. Aussi, a-t-il cette réflexion : “Peut-on refuser le baptême à ceux qui ont reçu l’Esprit Saint, comme à
nous ? “. Et il baptise Corneille sans souci de rituel, d’observances.
Il faudra qu’il s’en explique, le pauvre St Pierre, devant l’Eglise
naissante ! Cela doit nous faire réfléchir. Et chacun peut faire des
applications… !
Certes,
les lois, les observances sont bonnes, nécessaires à condition qu’elles nous
conduisent là où il n’y aura plus ni observances, ni lois, mais l’Amour seul,
ce que n’arrive pas à comprendre les pharisiens au temps de Notre Seigneur, les
pharisiens de tout temps et de tout pays.
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